L’échappée belle. La lumière ombragée de l’été déclinant enveloppe la petite ville argentine de Parana, frappant chacune de ses anfractuosités – humaines, physiques et psychiques – avec une attention chaste et frémissante, étourdissant la danse frénétique de l’espace pour susurrer tendrement un bien étrange langage.

ANA ET LES AUTRES

Une antichambre flottante propice à la catharsis – la chorégraphie des cloisons existentielles s’offrant une trêve – où débarque la jeune et frêle Ana en provenance directe de la mégalopole Buenos-Aires que l’on imagine, à contrario de ce décorum radieux, engluée dans la pollution et le tumulte. Ce qu’elle fuit – ses échecs, ses regrets ou ses désillusions de jeune adulte – nous ne le saurons jamais véritablement, toujours est-il que son retour, motivé par la vente de la propriété de ses parents, est l’opportunité pour ce rongeur inquiet et vagabond de reprendre – presque en filature – le cours de sa vie engourdie, laissée en stase. Greffé au parcours de l’héroïne le spectateur se voit jeté dans les rues calmes et vides où les fantômes efflanqués du passé le frôlent alors que la brise apaisante le porte subrepticement, jusque dans la bourgade attenante. Le premier film de Celina Murga – oeuvre fulgurante ayant écumé les festivals et croulant sous les récompenses de tous acabits – a ceci d’appréciable qu’il nous enjoint à une flânerie intemporelle, pour nous enfouir tranquillement dans la fixité métallique de la saison languide et délicate qui l’habite, idoine au relâchement ambigu de l’exiguïté des psychés. Littéralement fondus dans un paysage limpide ouvert magnifiquement à l’horizon, nous respirons un territoire vaste, puissant et immuable tels des pionniers patients de l’inconscient libéré. Des lignes de fuite induisant des perspectives paisibles en surface et tortueuses en profondeur : un miroir bruissant et serein par le truchement duquel le cœur s’emballe et l’identité se construit.

Illusion de mouvement. On pourra reprocher à ce long métrage – camaïeu appliqué – une certaine inconsistance râpeuse ainsi que des hommages parfois extrêmement appuyés à Eric Rohmer et Abbas Kiarostami qui ont pour conséquence un clivage du doux flux immobile en deux pans inutilement antagonistes. Pourtant, il est difficile de ne pas reconnaître sa dextérité malicieuse à initier une mue en infusant

son propos dans un bain révélateur d’innocence dépitée. Quand les corps en villégiature, évadés de l’esprit, s’oublient dans les chimères insouciantes et suspendues, gracieuses et discrètes. La crise monétaire ne sera évoquée, comme nombre de questions taraudantes, qu’au détour d’une réplique anodine dans le vortex lascif des réminiscences en pagaille, légères et subtiles. La périphérie, la marge, la banlieue deviennent alors les véritables enjeux du film qui se complaît dans un mouvement de façade, refusant systématiquement les orfèvreries sophistiquées, pour une clarté désertée et une vacuité intense. Ténues, les réponses tournoient à distance, invisibles et indiscernables, se soustrayant malicieusement à la moindre conclusion ou tout autre type de couperet. Et Ana de se transfigurer en un aimant à non-dits, revisitant, sous prétexte de projection de son propre désir chaque parcelle infime de ses rapports avec autrui. C’est à cet instant que la quête amoureuse de son ex-petit ami Mariano, amant fugitif dont la légende se gonfle d’un poids nous laissant progressivement interdits, insiste avec pugnacité. L’héroïne ne contemple plus avec dilettantisme l’abîme de ses contemporains ou l’évolution de ses anciens proches mais s’approprie son errance – la question de la solitude qui sous-tend la première partie –, jusqu’à envisager avec un garçonnet éveillé, sous couvert de la séduction d’une fillette, ses propres retrouvailles fantasmées d’avec sa vigueur (délurée) d’adolescente. L’arôme jaspé de cette tautologie parachève le basculement du personnage et de son spectateur accolé, pour un abandon rayonnant au voyage extatique dans le dédale des songes. Il est alors temps de sublimer les concordances pour franchir la porte et, curieusement, échapper à la liberté, pesante, du cadre écrasant pour s’enfermer dans une ancienne passion, hors-champ. Face à un futur déplorable le retour aux origines, à la recherche d’un croisement mal négocié, serait-il une réponse pertinente ou un cruel aveu d'impuissance et de regression ?

 
 

F. Flament
29 Août 2004

 

 

 

 

 

 

Filature timide dans l’été désertique

Film argentin de Celina Murga (2003). Filature immobile enjoignant, au gré d'une brise toute de vacuité, à la flânerie, pour enfouir placidement sa périphérie factieuse dans la fixité métallique de l’été languide qui l’habite. Sortie française : le 28 Juillet 2004.

Multimédias
Extrait vidéo (vost)
Photographies (7)

Liens
La fiche d'Allociné
Le film sur l'IMDB
Quinzaine Cinéma Argentin

Fiche technique
REALISATION, SCENARIO
Celina Murga

MONTAGE
Martín Mainoli

DIRECTEUR PHOTOGRAPHIE
José María Gómez et Marcelo Lavintman

INTERPRETES
Camila Toker (Ana)
Ignacio Uslenghi (Diego)
Natacha Massera (Nathalie)
Juan Cruz Diaz la Barba (Matias)

SON
Federico Billordo
PRODUCTEURS
Celina Murga et Carolina Konstantinovsky
DUREE
80 minutes

TITRE ORIGINAL
Ana Y Los Otros

DISTRIBUTION
ID Distribution
 
bb