BEAU FIXE
Elles commencent dès le premier soir par établir scrupuleusement le planning des journées à venir : un juste mélange d'assiduité et de petites incartades balnéaires. Mais très vite la cohabitation idyllique s'envenime. La promiscuité aidant, les rancurs et jalousies affleurent. Les appétences et syllogismes se confrontent, les curs s'épanchent. D'autant plus qu'à ce gynécée hétéroclite se voit bientôt adjoint un importun sous la forme du cousin de Valérie, Francis, un jeune homme puéril, envahissant et ennuyeux qu'elles s'empressent de rabrouer. En dix jours leur dialectique du monde va imperceptiblement s'affiner.
S'approprier l'espace. Sous l'égide d'une chronique intimiste de vacances, huis clos d'obédience naturaliste, le cinéaste va se livrer à une véritable étude ontologique et physique de la socialisation d'êtres découvrant avec appréhension les règles et rudiments de vie communautaire. L'apprentissage éprouvant et candide de leur condition issante d'adulte responsable. Tout commence par la réunion de quatre jeunes femmes aux caractères antagonistes. Si l'émulsion semble au départ exubérante et frivole, l'ambiance ne tarde pas à se détériorer. Chacune de tester les autres et de délimiter son territoire. Car dans un premier temps il s'agit bien d'une lutte d'espace qui va se dérouler sous nos yeux, entre la maîtresse des lieux Valérie, Armelle retranchée dans son donjon et Frédérique aventureuse et adepte des saillies sporadiques et jouissives dans le monde extérieur comme des joutes orales sarcastiques. Seule Carine étrangement mature et philosophe refuse de prendre part aux tumultes ambiants. Enfin, arrivé avec une journée de retard, Francis, l'invité surprise, ne cesse d'être repousser à une périphérie capricieuse : en tant qu'homme il vient briser l'harmonie féminine et souiller sa pureté virginale. Sans cesse esseulé dans le plan (le barbecue, la voiture, la nuit ou simplement à l'extérieur de la maison quand les filles s'affairent dans les pièces) et supplicié, il semble se mouvoir au ralenti sans prises avec la réalité des autres, ainsi les autres protagonistes transpercent sa réalité, son espace (un gourbi infâme, anfractuosité des fondations), à une allure vertigineuse. Rétif à cette folie qu'il ne comprend pas, il préfère se placer en retrait, meubler la vacuité qui l'entoure – et le consume – par un flot de paroles incongrues et pesantes. Pourtant, il finira à forces de vexations par se rebeller, s'ensuit une véritable lutte dédaigneuse, inique et implacable pour la possession du plan. Dans une boulimie impérieuse, il décide d'aliéner les étudiantes à sa volonté. Une inversion qui devient flagrante dans la scène de la cuisine où Carine et Valérie se retrouvent debout face à lui – assis impasiblement –, s'enquérant de la date à laquelle il condescendra à les laisser seules dans la maison.
Rapidement, il devient clair que le physique n'est qu'une extension palpable du psychique. L'enjeu pour les protagonistes est ailleurs, dans l'acceptation de leurs fêlures et malaises. Soit la découverte de leur identité, avec les peurs et les déceptions que cela comporte, et sa préservation dans l'immersion sociétale. Si Carine est la plus posée, détachée et impavide, et la plus encline à respecter les doutes et à supporter les anicroches c'est certainement parce qu'elle a déjà effectué ce processus en émergeant de sa catharsis. La raison en est simple, les poussées de saphisme qui l'enfièvrent (le massage du cou d'Armelle) l'ont depuis longtemps éloignée des vicissitudes et des considérations futiles de ses condisciples. Elle ne raillera donc pas Francis quand il tentera maladroitement de l'embrasser. Pour Frédérique, la quête insatiable de l'extérieur et des expériences sans lendemains n'est qu'une vaine échappatoire à la discussion, à la relation suivie qui l'obligerait à faire confiance et à fissurer le masque d'aigreur désinvolte et de mélancolie sadique dont elle s'est parée. Dans cette période d'égarement sexuel qui suit la puberté, l'intrusion de l'homme dans le microcosme à tout de la prise de conscience forcée d'un rapport torve de domination et de dépendance. Sur les quatre jeunes femmes, chacune envisage et appréhende différemment le partenaire. Le choix de l'identique, le refus du contact, le dénigrement ou l'immolation sont autant de routes empruntées. A l'issue de ces dix jours de communion un désenchantement lucide viendra les sanctionner. Valérie lors du passage éclair de son petit ami attitré recevra en plein visage son complexe d'infériorité, futur martyr d'une femme ne vivant que pour son compagnon et engageant son identité sur la crédibilité de celui-ci. Elle n'existe que par Jérôme qui la rudoie sans vergogne et le zoom discret qui nous rapproche d'elle lors du départ du garçon est une révélation : le fossé indicible qui la sépare de l'évidence, ténu et abyssal. Si on ajoute à cela la peur panique d'Armelle de se mêler aux autres en sortant de son boudoir au papier peint pointilliste et sa propension à éviter tout contact, sans oublier la portée métaphorique afférente au travail de Francis venu changer les volets et donc modifier les apparences, on comprendra l'exquise et subtile métamorphose efflorescente qui s'opère.
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F.
Flament |
Multimédias
Photographies (19)
Fiche
technique
REALISATION
Christian Vincent
DIRECTEUR
PHOTOGRAPHIE
Denis Lenoir
SCENARIO
Philippe Alard et Christian Vincent
MONTAGE
François Ceppi
INTERPRETES
Isabelle Carré (Valérie)
Estelle Larrivaz (Armelle)
Judith Rémy (Carine)
Elsa Zylberstein (Frédérique)
Frederic Gelard (Francis)
MIXEUR
Jean-Paul Loublier
DECORS
Sylvie Olive
PRODUCTEURS
Sylvie Olive, Alain Rocca, Adeline Lecallier et
Christophe Rossignon
DUREE
92
minutes
PRODUCTION
Lazennec, France 3 Cinéma, Les Films Alain
Sarde et Pan Européenne
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