50 ans plus tard. Mike Church est un privé de L.A., plutôt cynique. Un jour, il est contacté par l'institution religieuse qui l'a élevé. Il doit retrouver l'identité d'une femme muette et amnésique. Un curieux individu répond à son annonce, Franklyn Madison, il se fait fort de l'aider par l'hypnose. A sa grande surprise, elle réagit et recouvre la parole ainsi que le souvenir d'un prénom : Margaret. Mais les propos qu'elle tient durant la suggestion sont fantaisistes, elle semble revivre une histoire d'amour dans les années 40. Mike ne va cesser d'aller de surprise en surprise et si lui aussi était impliqué...

DEAD AGAIN

"Cette histoire est bien loin d'être terminée...". C'est par cette phrase que Roman accueille Gray Baker dans sa cellule juste avant son exécution dans une scène d'ouverture époustouflante. Elle représente la quintessence du film et le leitmotiv du scénario de Scott Frank, rythmé et légérement vieillot dans le bon sens du terme. Dead Again est le type même du thriller passant légèrement inaperçu à sa sortie mais ayant les plus belles qualités du genre. Tour à tour effrayant, captivant, cynique, humoristique ou guignolesque. On pense tout de suite à des maîtres comme Hitchkock (Rebecca) ou Welles, sans oublier le théâtre avec Othello (le trio Roman / Margaret / Gray serait le pendant de Othello / Desdémones / Yago) et Faust. Tout en rendant hommage à ces oeuvres, Kenneth Branagh parvient à conserver son identité, sa verve théâtrale britannique et son humour. Sur les 8 films du réalisateur, 5 sont des adaptations ou des hommages à Shakespeare (Henry V, Hamlet ou Midwinter's Tale). Parmi les 3 restants seul celui-ci sort du lot. Pour le cinéaste britannique, il s'agit d'une première expérience américaine, mais il s'est entouré de vieilles connaissances : sa femme Emma Thompson, et un ancien partenaire Derek Jacobi (Henry V, Hamlet...). Autour d'eux une brillante équipe. Les choix de mise en scène sont hardis, le montage rythmé, les scènes s'enchaînent et l'intrigue nous maintient en haleine. Lorsque l'on pense avoir tout saisi un coup de théâtre survient et l'on comprend qui s'est réincarné en qui. Dans les images marquantes citons la paire de ciseaux glissant sur le sol vers le visage de Grace et ce magnifique plan où Margaret est devant sa coiffeuse et se reflète dans plusieurs miroirs.

"MEURTRE !", crie la première image. Il s'agit en réalité d'une machette de journal. Sur la musique de Patrick Doyle (qui fera une superbe travail sur l'opéra de Strauss), les titres s'enchaînent, les articles relatent le meurtre d'une jeune pianiste, assassinée avec une paire de ciseaux, comment son mari a été soupçonné, arrêté et condamné à mort. Nous entrons dans le vif du sujet, en noir et blanc. Voici Gray Baker, l'auteur des pamphlets incendiaires contre le mari de la morte, Roman Strauss. Ce dernier est en train de se faire couper les cheveux, avec une paire de ciseaux (première touche d'humour noir et de recommencement). Entre eux une discussion s'engage. Avant que Roman ne franchisse le couloir de la Mort, il se penche vers Gray. Que se sont-ils dit ? Nous apprendrons beaucoup plus tard qu'en fait Roman n'a rien dit du tout mais embrassé le journaliste (premier indice pour savoir qui vit en lui) et première déstabilisation. Alors tout bascule, Roman échappe à ses gardiens et à l'aide des ciseaux du coiffeur tue une jeune femme de l'assistance (copie conforme de la première victime). Cette même femme se réveille en hurlant, 50 ans plus tard, l'image est passée en couleurs. Le spectateur est accroché, il veut connaître le pourquoi de la première histoire et le voila projeté dans les années 90 en train de suivre une jeune femme muette et un privé cynique. Et Branagh qui parvient à l'aide des décors (ce portail orné d'une clé de sol, le pont Shakespeare, l'appartement de Church) à créer une véritable ambiance gothique, presque intemporelle, comme si les années 90 étaient moins réelles que les années 40. Nous sommes à Los Angeles, mais les flash-backs et leur côté surdimensionné (le bal masqué par exemple) rappellent des films comme les Hauts de Hurle-vent avec Laurence Olivier. La scène finale, complètement décousue entre passé, ralentis et décors improbables (les sculptures de ciseaux, symbole ô combien freudien), est le point culminant de l'histoire, toutes les influences se télescopent pour mieux renaîtrent par la suite. "Le passé revient" nous crie le générique, et c'est bien là l'inspiration du long métrage.

Un humour noir salvateur. Branagh joue sur le déséquilibre, les 2 parties de l'histoire ne sont pas égales en temps ou en intensité, l'une découle de l'autre. Les personnages principaux sont inversés puisque Margaret se réincarne en Mike et Roman en Grace. Il emploie Jo Anderson dans le rôle d'une nonne dans les années 90 et d'une starlette dans les années 40 (jeu avec le manichéisme). Symbole d'une certaine emphase de l'identité. Qui, Comment, Pourquoi ? Les mêmes questions que les gros titres du générique. Le contexte historique varie lui aussi. En noir et blanc, une recherche de la liesse avec les restes du fascisme. En couleur une époque désabusée en quête de repère. Sans oublier le déséquilibre du couple, la jalousie, l'argent, l'infidélité, la trahison... Le déséquilibre cela peut être aussi l'attente, ce temps de
latence, comme lorsque Franklyn couche sa mère après qu'elle ait parlé à Mike, nous pensons qu'il va la tuer mais rien ne se passe. Il a quitté le cadre et nous voyons juste la vieille dame s'endormir calmement. Le temps s'écoule, on attend le plan suivant et tout à coup Franklyn resurgit à l'écran et étouffe la vieille femme avec un oreiller. Le suspense est présent, mais mâtiné de hasard et de destin, le docteur Carlisle a d'ailleurs cette phrase : "le Karma : achète maintenant, paie pour l'éternité !". L'intrigue est mémorable, même si le scénario peut sembler un peu emprunté, avec ses embrassades, ses scènes de séduction qui se répètent entre les époques. Heureusement, y est accolé un humour noir salvateur. Lorsque Mike et Grace commencent à faire l'amour sur le canapé, un plan resserré sur la paire de ciseaux nous ramène rapidement à la mort. Quand Franklyn hypnose ses victimes il en profite pour leur soutirer des informations sur du mobilier de valeur. Mais c'est véritablement le personnage de Robin Williams qui mérite le détour. En ancien psy défroqué et philosophe, il excelle dans les petites phrases, comme lorsqu'il parle à Mike de son côté fumeur ou qu'il palabre sur le Karma. Ses trop rares scènes sont des moments de pur enchantement. Il n'est pas le seul personnage comique, dans le rôle de l'ami photographe de Mike, nous retrouvons le Newman de la série télévisée Seinfeld, excellent en balourd sympathique. Il y a des tas de clins d'oeil qui détendent l'atmosphère, comme le numéro de matricule sur le costume de prisonnier de Strauss, qui est la date de la grande bataille dans Henry V, la photo de Laurence Olivier sur Time... Toujours Shakespeare.
 

Un film d'équipe. Emma Thompson explose litéralement et impose toute sa féminité, filmée vraisemblablement au travers le regard de l'homme qui l'aime. Elle irradie dans chaque plan, mélange d'ingénue et de femme forte, elle parvient à exprimer tous les sentiments de Margaret. La scène où Roman lui offre le bracelet de cheville est emprunte de romantisme, d'érotisme même. Il s'agit de la clé du film, là où les amants ont scellé leur destin en se promettant l'un à l'autre pour l'éternité. Les deux acteurs se complètent parfaitement, ce n'est pas pour rien qu'ils étaient mari et femme à l'époque. Signalons en outre le gros travail de voix de Branagh pour gommer son accent anglais et en prendre un à consonance germanique, cela confère au personnage de Strauss, un côté plus détaché. Le plus notable étant sa capacité à transformer les expressions de son visage, tantôt effrayant, enfantin, amoureux ou sérieux... Andy Garcia joue parfaitement le héros désabusé, énigmatique, possédant de nombreux secrets. Bien que peu présent, il est lui aussi le moteur du film et la scène où nous le retrouvons dans la maison de retraite est impressionnante, à un tel point que Mike décide d'arrêter de fumer ! Au niveau de la technique c'est un sans-faute. La photo réussit à capter l'ambiance si particulière de toutes les époques. Il est assez difficile de cadrer une oeuvre qui semble se moquer d'elle-même et de ses faiblesses, restant toujours sur le fil du rasoir. La perfection de l'image sert aussi à ne pas sombrer dans le guignolesque. Les scènes de pluie et d'éclair dans le présent, les intérieurs et les gros plans dans le passé. On se souvient du plan sur le masque de Faust, de la maison et du lit des Strauss, ce couloir que parcourt Roman pour découvrir sa femme assassinée... Mais aussi le cauchemar de Grace et le premier plan sur le portail pendant une nuit orageuse. Les scènes d'hypnose sont aussi intéressantes, notamment dans le magasin de Madson, où à la lueur d'une bougie Emma Thompson replonge dans une vie antérieure. Il y a juste ce qu'il faut de kitsch, de bric à brac, pour en jouer tout en s'en moquant.

 
"Mourir est différent de tout ce que l'on suppose... c'est une chance". C'est un pied de nez que l'on peut se permettre en terminant par une des premières phrases du long métrage. Dead Again est à voir absolument. Son interprétation, sa mise en scène, et son intrigue prenante de bout en bout où rebondissements et ruptures de rythme foisonnent sont autant d'arguments de poids. Si l'on ajoute à cela un côté suranné parfaitement voulu, une autodérision, un humour noir et des touches de romantisme, on comprendra que l'on se trouve en face

d'un grand thriller. C'est un film que l'on peut revoir de très nombreuses fois sans éprouver la moindre lassitude, sûrement grâce à la mise en images gothique et théâtrale (l'introduction sous forme d'articles de presse en est la meilleure preuve). L'oeuvre d'une équipe appliquée faite d'hommes et de femmes de théâtre anglais qui transfigure un scénario convenu en un objet difficilement identifiable dont la saveur reste indéfinissable et jouissive.

 
 
F. Flament
27 Juin 2001

 

 

 

 

 

 

Thriller gothique et théâtral
Film américain de Kenneth Brannagh (1991), oscillant entre romantisme, gothique, thriller et humour noir. Avec Kenneth Branagh (Mike / Roman), Emma Thompson (Grace / Margaret), Andy Garcia (Gray Baker)... Sortie française : le 4 Mars 1992.

Multimédias
Bande-annonce (vo)
Photographies (38)

Liens
Kenneth Branagh
Kenneth Branagh (anglais)
Emma Thompson
Sir Derek Jacobi

Fiche technique
REALISATION
Kenneth Branagh
SCENARIO
Scott Frank
MONTAGE
Peter E. Berger
INTERPRETES
Kenneth Branagh (Mike Church / Roman Strauss)
Emma Thompson (Grace / Margaret )
Andy Garcia (Gray Baker)
Sir Derek Jacobi (Franklyn Madson)
Robin Williams (Doctor Cozy Carlisle)

DIRECTEUR PHOTOGRAPHIE
Matthew F. Leonetti
MUSIQUE ORIGINALE
Patrick Doyle
PRODUCTEURS
Charles H. Maguire
DUREE
107 minutes
PRODUCTION
Paramount Pictures
Mirage productions

SORTIE FRANCAISE
Le 4 Mars 1992

 

 
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