La chasse au dragon. Certains personnages mythiques apparaissent par cycle, parmi lesquels Jack l'éventreur. From Hell est une adaptation (BD culte de Moore/Campbell) qui pêche par un visuel trop démonstratif, un scénario exsangue et un parti pris de mise en scène à l'image des fumées d'opium entourant le héros. Un film inégal, laissant le spectateur circonspect. C'est dire qu'il aurait aimé être happé dans la reconstitution historique malheureusement, il reste sur le seuil. 1888, dans le quartier de Withechapel à Londres des prostituées sont retrouvées mortes et éviscérées. L'inspecteur Abberline et le sergent Godley se saisissent de l'affaire. Une investigation qui les mènera très loin jusqu'à la famille royale et la franc-maçonnerie.

FROM HELL

Le premier serial killer. Difficile de saisir ce qui nous fascine dans le personnage de Jack, l'époque ? Le contexte politique ? En tout cas, les jumeaux Hughes (devenus célèbres pour Menace II Society en 1993) sont des passionnés. Pas étonnant alors que la publication récente du pavé (600 pages !) scénarisé par Alan Moore, ce dernier ayant réalisé 10 ans de recherches, ait piqué au vif ces cinéastes. Cette histoire mystérieuse se déroulant sur quelques mois seulement et s'arrêtant brutalement est la mère de tous les courants "tueurs en série" qui nous assaillent depuis une quinzaine d'années. Malheureusement, c'est au travers de cette lunette que le mythe est revisité. Ainsi dans le comic, Abberline avoue dès le départ simuler ses crises, dans le long-métrage, il apparaît comme un médium apercevant les victimes sous formes de flashs à la suite de prise de poison et de drogue. Peut-on se contenter de reprendre une histoire en l'actualisant. Il faut reconnaître des qualités graphiques (notamment grâce au directeur photo de Mulholland Drive), mais par rapport au traitement de la mini-série avec Michael Caine (la référence de 1988) nous restons frustrés. Comment ne pas représenter la rumeur qui enfle qui s'étend dans les bas-fonds comme ces fumées ou cette saleté qui s'insinue dans les corps ou les habitations. Les meurtres se suivent sans que véritablement la vie du quartier ou les journaux en soient modifiés, alors que cela devrait être au centre de tous les débats (seules les scènes de découverte des corps tentent de nous le faire ressentir).

Une conciliation difficile. Les frères Hughes ont tenté un pari délicat. Ils veulent mêler dans un film de 2 heures à la fois un thriller classique (type "whodunit"), avec son lot d'ambiance, de seconds rôles, de fausses pistes et une dimension mystique accentuée par les dernières trouvailles de montage ou de publicités. Ils souhaitent non seulement aborder le contexte historique (souci de décrire le "ghetto") et obtenir un semblant de crédibilité mais aussi l'état
d'esprit de Abberline et Jack. Ces 2 personnages sont plongés (volontairement ou non) dans une vie embrumée faite de consommations de drogues et de désillusions, de délires et de visions. Des hommes en rupture avec leurs contemporains, ayant perdu buts et repères. Des individus remplis de pessimisme, et finalement en sursis. Reste que tout le monde n'est pas David Lynch et ne parvient pas à représenter aussi magnifiquement la folie humaine (Mulholland Drive). La comparaison avec cet artiste s'impose de par la scène où est présentée aux médecins londoniens John Merrick, l'homme éléphant. Là où Lynch filmait une ombre, un visage, les frères Hughes nous le présentent de plein pied et de dos ! Ils cèdent donc facilement à un effet gratuit contraire à leur message. Pour relier les 2 protagonistes, nous avons la séquence du phonographe, splendide. Alors que Abberline se sert de l'absinthe (avec un peut de laudanum) la caméra s'enfonce dans le cornet pour ressortir d'un même instrument dans la salle à manger de l'assassin. Un moyen de représenter la chute dans la folie. Une paranoïa faite de bruit et de métal, le début de l'industrie. La seule manière d'y échapper à part l'amour serait donc la mort ou la lobotomie (scène impressionnante qui ne montre rien, tout passant par le son), dure leçon.
 

Un nouveau siècle. Dans une lettre, l'assassin écrivait : "Un jour les hommes se souviendront, et comprendront que j'ai donné naissance au XXe siècle". Le message principal de Alan Moore était l'étude de la fin d'une époque, du pourrissement d'un régime (en l'occurrence victorien), et de l'apparition de nouveaux comportements, soit une nouvelle sauvagerie. Le mythe de l'éventreur en est la quintessence. Un aspect des choses relativement peu présent dans le film. Car il est difficile de raconter une histoire avec un souci constant de rigueur historique -James Cameron a utilisé 3 heures 30. Les bas fonds de Londres ont été reconstitués à Prague et sont présentés de belle manière. Mais les réalisateurs ne parviennent pas à faire l'amalgame. Par moments, une scène "carte postale" qui n'apporte rien au récit (par exemple les prostituées qui dorment assises et attachées) vient nous rappeler cette volonté didactique. Dommage car certains plans jouant avec l'espace (passant au-dessus d'une rue ou lorsque nous glissons sous le pavé pour assister à la réunion de la confrérie) sont très réussis. Finalement le souci historique et la polémique "ghetto" se révèle encombrant beaucoup plus qu'autre chose et du fait des coupes scénaristiques n'a pas sa place.

Direction d'acteurs hésitante. Il est dommage qu'avec un tel casting les réalisateurs ne soient pas parvenus à mieux mener leur barque. Heather Graham dans un rôle anecdotique semble déplacée, Robbi Coltrane est parfait comme à l'accoutumée notamment dans sa scène finale avec Johnny Depp. Ce dernier joue de son regard pour retranscrire le chagrin, le cynisme et l'humanité d'Abberline (avec seulement une scène, tout le fardeau familial passe de façon légère) et quoi que l'on en dise est loin de ses rôles de Corso (La 9ème Porte) ou Crane (Sleepy Hollow). Pour le héros du film des acteurs aussi disparates que Daniel Day-Lewis, Brad Pitt, Sean Connery ou Jude Law ont été contactés, on n'ose imaginer certaines combinaisons. Enfin une mention spéciale à Ian Holm qui est la star du film (la première scène entre lui et Depp est excellente), chez cet acteur tout passe par son regard clair, malicieux, calculateur, et terrifiant. Pour le rôle de Jack il est donc incompréhensible de lui avoir fait porter des lentilles noires qui lui ôtent toute sa personnalité, de même la mise en scène finale de sa folie, ridicule et grotesque, annihile en grande partie son travail.

 
Des regards. Néanmoins, malgré ses défauts, la réussite de la réalisation c'est de privilégier la vision de ses protagonistes. La folie de l'assassin, le pessimisme et la nonchalance du héros, mais aussi le romantisme fleur bleue de Mary Kelly ou la grandiloquence des francs-maçons. Sans parler des séquences initiales et finales sur le regard de Johnny Depp, les pupilles de la prostituée voyant l'éclat de la lame de son bourreau dans une flaque ou les yeux vagues de Ann et Jack après leur lobotomie. La séquence finale suffit à donner au récit

une impression étrange, un film qui aurait pu être (rêvé par Abberline ?). Une histoire chimérique, fantasmée. Dans cette optique, l'abandon de la plupart des questions sociales, racistes et politiques résonne comme un aveu de complaisance à un système hollywoodien privilégiant une relation amoureuse qui sonne faux et des effets gratuits (saturation de couleur, effet de montage, images classiques d'horreur comme le cimetière le cercueil et les corbeaux) qui ôtent toute intégrité au film et toute assise. Finalement, les producteurs auraient mieux fait d'adapter un des romans les plus récents de Caleb Carr comme l'Aliéniste dont l'écriture et le traitement résolument moderne auraient bien mieux convenu. L'intérêt de la bande dessinée était un story-board esquissé, mais sa force narrative n'a pas été retranscrite.

 
 
F. Flament
17 Février 2002

 

 

 

 

 

 

Tu as du ripper Jack...
Film américain de Albert & Allen Hughes (2001), adapté du roman graphique de Alan Moore & Eddie Campbell, avec Johnny Depp (Fred Abberline), Ian Holm (Sir William Gull), Heather Graham (Mary Kelly)... Sortie française : le 30 Janvier 2002.

Multimédias
Bande-annonce (vost)
Photographies (9)

Liens
Le site officiel
Le prologue de la BD
Alan Moore
Jack l'Eventreur

Fiche technique
REALISATION
Albert & Allen Hughes
SCENARIO
Terry Hayes et Rafael Yglesias d'après l'oeuvre de Alan Moore & Eddie Campbell
MONTAGE
George Bowers & Dan Lebental
INTERPRETES
Johnny Depp (Fred Abberline)
Heather Graham (Mary Kelly)
Robbie Coltrane (Peter Godley)
Ian Holm (Sir William Gull)

DIRECTEUR PHOTOGRAPHIE
Peter Deming
MUSIQUE ORIGINALE
Trevor Jones
PRODUCTEURS
Albert & Allen Hughes, Don Murphy et Jane Hamsher
DUREE
121 minutes
PRODUCTION
20th Century Fox, Stillking et Underworld Entertainment
SORTIE FRANCAISE
Le 30 Janvier 2002

 

 
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