Filmé à hauteur de garrigue. Quarante-sept ans après l’initiation de ses recueils de Souvenirs d’Enfance – aux biographèmes romancés – par Marcel Pagnol et quatorze années après l’adaptation des trois premiers volumes sous la forme d’un diptyque cinématographique par Yves Robert, force est de constater que la force émotionnelle et la truculence épatante des métaphores provençales héliotropes ne se sont pas émoussées.

LA GLOIRE DE MON PÈRE / LE CHÂTEAU DE MA MÈRE

Ces bribes de mémoire, florilège mousseux et empathique, sont étrangement dépourvues d’âge et ne se voient jamais engluées dans une époque bénie ou honnie, sûrement ce qui instille leur farouche et indéniable fraîcheur, joliesse ronde idoine à rassembler toute la cellule familiale autour d’un divertissement revigorant à l’interprétation jubilatoire. Ces deux longs métrages naturalistes peuvent en effet se targuer d’appartenir au cercle restreint de ces rares œuvres fédératrices et soignées – la croyance indéfectible à une narration attentive capte immédiatement, avec humilité, la sympathie – exemptes d’un racolage lénifiant grâce à un dosage de bénédictin entre sincérité, authenticité désuète et ingénieuse épure. La mise en scène privilégie ainsi l’essentiel aride et prosaïque des coteaux – exception faite d’un mouvement de caméra, pendulaire et caressant, qui introduit le personnage d’Augustine au faîte de sa féminité, en plein accouchement, épandant le souffle épique de l’œuvre, son historien omniscient – en s’émancipant de sa vocation d’enluminure ou d’écrin pour les envolées du célèbre conteur – qui hante ici les scories de ses textes sous les inflexions chantantes de Jean-Pierre Darras – pour se focaliser, au gré de la valse composée par Vladimir Cosma, sur des fragments tangibles d’un inventaire à la simplicité enfantine. Les joutes ludiques sur une conception démiurgique du monde sont ainsi contrebalancées par une propension compulsive et factuelle à entreposer les reliques étiolées (microbes, insectes, outils, végétaux hétéroclites linceul d’un «dormeur du val» fauché dans ses jeunes années…) dans un suaire joyeusement naphtaliné – ces lieux vides qui ouvrent le second opus et dont les césures sont peuplées de phrases et d’anecdotes. Par une concentration alerte sur les manifestations minimes, les ébréchures du mobilier ou les petits miracles quotidiens, se déploie sous nos yeux une topologie de l’innocence, de vallées studieuses en collines sublimes. Une sensation spatiale bourdonnante qui s’abat comme une vague picaresque et inendiguable sur la personnalité de chacun, jusqu’à emporter l’adulte (celui de La Gloire De Mon Père) dans l’enfance (qui s’approprie incidemment Le Château De Ma Mère) pour un ennoblissement étincelant – le soleil qui irradie la garrigue émouvante, la lumière d’une vie équivalant à l’aura maternelle réduite après sa disparition au crépitement incertain d’une ampoule frissonnante –, qui trouve son apothéose dans les maternelles roses du Roi et les paternelles perdrix, tout aussi royales.

La clé des champs. C’est que l’intégralité des deux opus se fonde sur l’écho (Lili hélant son «collègue» Marcel sur une barre rocheuse voisine et réciproquement), entre les joies insouciantes de l’âge tendre et les drames subséquents autant qu’inconsolables de la maturité – ou un spectateur retrouvant sur deux segments l’intimité d’une terre glabre et d’êtres attachants. Déjà, le petit

narrateur noyait son premier chagrin lucide dans les gouttes mouillant les carreaux de son salon après qu’il ait compris que les adultes pouvaient mentir autant sinon mieux que lui. L’élément liquide, d’ailleurs, par le truchement de la pluie ou du canal serpentant les riches domaines agit comme un filtre d’apothicaire pour contrer la dessiccation progressive de l’être humain depuis sa naissance – rappelant l’amnios originel à n’en pas douter. Le reste est à l’avenant, explorant le dilemme intrigant de ce que l’individu doit accepter de perdre ou dénier pour évoluer en essaimant langoureusement dans son propos et sa forme les résidus poreux, aux effluves âcres et épicés, de cette âpre mue. La formalité de ces chairs et pelures abandonnées est suffisamment lâche pour éconduire toute pusillanimité désenchantée ou pathos lénifiant et, à contrario, glorifier le périple initiatique d’un homme portant en bandoulière les encoches fugaces, dévastatrices et exotiques du destin – les bardas, babioles et paquets encombrants traînés sur des kilomètres. Le cinéaste inocule, malgré quelques longueurs (le final du premier long métrage et l’histoire d’avec Isabelle trop précoce par rapport à la chronologie adoptée par l’écrivain), une véritable nostalgie palpable et cohérente où prévaut la jonction plus que l’achoppement des mémoires. Partant d’un axiome résolument responsable, l’histoire avance à reculons, s’enfonçant, en un processus de régression charmant, dans les arcanes grotesques, introspectives et mirifiques des chimères et de la perception d’une conscience candide et ébahie. Alors que La Gloire De Mon Père faisait la part belle à la vie de la famille, certes par les yeux du petit Marcel, mais en privilégiant une problématique encore rétive, guindée et définitivement marquée par l’âge avancé de l’auteur, Le Château De Ma Mère s’octroie lui des métaphores dignes de contes – le cruel hibou et le rapace sinistre fondant inexorablement sur leur proie fébrile, symboles du destin implacable et tournoyant, ont préalablement été chassés et l’œil ébahi préservé –, où les personnages se transfigurent en caricatures éphémères et outrancières (la cicatrice, le garde et son chien Mastoc, les tics de langage de Bouzigue, les envolées lyriques et guignolesques d’un Jean Rochefort imbibé d’absinthe…) par le regard écarquillé et l’imaginaire prolifique d’un chérubin. La redondance s’efface et le temps se retrouve aplani, poli comme la surface de cet amène miroir tendu vers les replis tiédis du coeur. La phrase qui clôt le voyage résonne alors d’une tonalité nouvelle, cette mère blême et inconsolable ne savait pas qu’elle était chez son fils, pas dans sa demeure, non, mais dans son âme. Habitant pour l’éternité les souvenirs d’un être – tiraillé entre attrait de la modernité et regrets lumineux – qui transporte toute sa vie de bohème sur son dos voûté et qui ne vise qu’à les transmettre, à les léguer dans un amour absolu et incommensurable. La légèreté du fardeau ainsi partagé nous propulse vigoureusement dans un espace incertain et unique : l’envers du souvenir, amorphe et ondoyant (l’intérieur de la bastide désertée lorsque le père verrouille le loquet après les vacances), possédant la particularité de survivre à ses initiateurs (par les manifestations gravées dans la pellicule ou les pages) mais iniquement réduit à la subsistance amère sans le comburant de leurs existences défuntes.

 
 

F. Flament
22 Mai 2004

 

 

 

 

 

 

Pas de deux

Films français d'Yves Robert (1990). Par un adepte attentif de la narration naturaliste, des biographèmes provençaux en écho alliant dans une humble tendresse truculence stridulante et émotion irrépressible. Sorties France : le 29 Août et le 26 Octobre 1990.

Multimédias
Photographies (34)

Liens
Site sur Philippe Caubère
Les films sur l'IMDB 1 / 2
Site sur Marcel Pagnol

Fiche technique
REALISATION
Yves Robert

MONTAGE
Pierre Gillette

DIRECTEUR PHOTOGRAPHIE
Robert Alazraki

SCENARIO
Yves Robert, Jérôme Tonnerre et Louis Nucéra (La Gloire De Mon Père) d'après l'oeuvre de Marcel Pagnol

INTERPRETES
Julien Ciamaca (Marcel)
Philippe Caubère (Joseph Pagnol)
Nathalie Roussel (Augustine)
Didier Pain (Oncle Jules)
Thérèse Liotard (Tante Rose)
Victorien Delamare (Paul)

MUSIQUE ORIGINALE
Vladimir Cosma
DECORS
Jacques Dugied
PRODUCTEUR
Alain Poiré
DUREE
105 et 98 minutes

PRODUCTION
C.N.C., Gaumont, Les Productions de la Guéville et TF1 Films Production
 
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