3/Trio. Tetsuro est propriétaire d'un restaurant. Divorcé, père d'un garçon de 8 ans, il partage sa vie depuis quelques temps avec une jeune femme, Aki. Suite à un accident, la mère de l'enfant ne peut plus s'en occuper. Testsuro recueille alors Shunsuke pendant le temps de la convalescence. Mais sans en informer sa compagne qui se retrouve devant le fait accompli. Dès lors, les relations du couple vont se transformer, de duo il devient triangle, l'intimité est bousculée. La jeune femme est déstabilisée, puisque placée dans un rôle de mère qui l'éloigne de son amant et confrontée au fantôme de l'ancienne épouse.

M/OTHER

Contemporain. Curieux hybride que cette oeuvre. Entre improvisation, cinéma et documentaire, difficile de s'y retrouver en tant que spectateur, en tant que personne. M/OTHER est le second film de Suwa Nobuhiro, un réalisateur de 40 ans, habitué des documentaires télévisés dans les années 90 et dont le premier long métrage 2/Duo (1997) était déjà une interrogation sur le couple. Il y filme une famille reconstituée où l'enfant d'un premier lit débarque au milieu d'une relation routinière (entre un homme mûr et une jeune femme). Dès lors, contradictions, intimité, sentiments vont s'entremêler et s'exacerber. D'emblée, le cinéaste fait le choix d'éviter les clichés, pas de représentations d'un mode vie typiquement japonais, pas de baguettes, pas de riz, pas de yakusas... Mais une maison contemporaine, ouverte et iconoclaste où s'entrecroisent 3 personnages ou plutôt se heurtent. Car c'est bien l'un des attraits du film que de montrer et faire ressentir le sentiment de peur de chaque membre de cette "famille". Cet agrégat, pourrait-on dire, est riche de solitude, de silences. Entre Shun, le jeune garçon, enfant d'un divorce qui arrive dans une maison étrangère et le couple Tetsuro / Aki qui s'effrite, à la recherche de repères, il y a peu de place pour le "bonheur" et la joie de vivre. Elle est malgré tout présente, par touche, par moment.

L'intimité, thème central. Ce besoin intrinsèque de toute personne. Le couple se trouve dérangé est remis en cause par l'arrivée impromptue de l'enfant. Shun en tant qu'étranger dans cette maison souhaite instaurer une distance, voila pourquoi il s'installe à l'étage. Mais c'est le personnage d'Aki qui cristallise le bouleversement. Lorsque le petit garçon emménage, elle n'y est pas préparée. Prise au dépourvue, elle assume en surface, mais se met à littéralement paniquer. Elle se réfugie dans son travail, se dispute avec Tetsuro et finit même par visiter un appartement pour vivre seule. On notera d'ailleurs ce plan d'une formidable beauté plastique, où Aki dans un appartement vide aux murs blancs, est étendue sur le plancher face à la fenêtre, le soleil la caressant. Elle doit se faire aimer de Shun, c'est lui qui a le pouvoir et ce qu'elle investit dans cette relation elle ne peut plus le donner à son amant. Tetsuro, même s'il respecte les membres de sa famille (il frappe à la porte de leur chambre), a une phobie tout autre : celle de ne pas respecter les règles, de ne pas être conforme à son "image de parent". Il se l'ai forgée, il ne peut plus y échapper, prisonnier d'un moule. Lorsqu'il demandera Aki en mariage, elle lui répond "pourquoi ?", alors qu'il s'égare n'osant avouer que le départ prochain de son fils est le détonateur, elle lui répète à nouveau "pourquoi ?", s'en suit un long silence qui accentue le vide. A ce titre, il est significatif que le personnage à l'origine de la situation, la Mère, n'apparaisse à aucun moment à l'écran. Car s'il y a bien un enseignement à tirer c'est la relation à l'Autre, ce réflecteur par excellence. Les jeux de miroirs, ces vitres auxquelles semblent se cogner les personnages, sont le symbole de la perte de son identité dès que l'on se confronte à autrui, qu'il pénètre notre intimité. Pour l'enfant c'est d'abord la mère, ce reflet par excellence. Connaître une personne, à quel niveau, ce n'est pas un hasard si lors d'une dispute violente, la seule chose qui sorte de la bouche d'Aki soit "Je ne sais rien de toi". Sentiment de pudeur et d'humanisation qui se ressent jusque dans la réalisation. En effet, aux débuts pudiques, éloignés durant de longues séquences fixes avec peu de mouvement, succèdent des scènes plus rythmées, principalement de disputes. La caméra s'approche, entoure, réchauffe. Tant et si bien que lorsque Tetsuro parvient à rattraper Aki dans ses bras, les battements de coeur de la jeune femme sont audibles au milieu des râles. Nous sommes arrivés à l'épicentre du couple, au coeur de la relation homme / femme. Durant ces brefs instants les dernières défenses sont mises à nu. On bascule dans l'intimité, dans ce qu'il y a de plus secret. Cet équilibre, on le ressent aussi dans la scène où le couple est au lit, la jeune femme ayant la tête sur la poitrine de son amant.

Quand l'enfant paraît. Au niveau de la mise en scène, les choix du réalisateur sont surprenants. Ils prennent parti d'étirer les scènes à outrance, de fixer la caméra en de longs plans séquence sur ses personnages même lorsqu'ils ne font strictement rien (voir la fin du film), il arrive au point de rupture. Cet instant où l'on se sent soi-même mal à l'aise. Un peu comme dans un ascenseur, où plusieurs personnes ne se parlent pas, on fixe les murs, presque hypnotisés.
On frôle le documentaire. Et de voyeur, nous passons au stade d'acteur. Très vite, le côté expérimentateur et dissection de la vie de couple, fait place à une intimité avec ces personnes. Le mur, la vitre tombe et on finit par se retrouver en eux, par se voir par leurs yeux (comme dans ce plan où Tetsuro se rase à la fenêtre, nous voyons le reflet de l'extérieur en surimpression), exactement le propos du film. Une sensibilité, un toucher délicat. L'auteur l'apporte par des coupes au noir, quelquefois au milieu d'une scène, accentuant le côté haché de la vie et sa densité, la musique sur ces césures relie les scènes entre elles, de même les lumières, les décors... Une séquence mémorable est celle de la plage, où Aki touche l'eau, l'image s'assombrit, redevient claire, saute et ce silence, un souvenir tendre et douloureux. Un silence omniprésent, le non-dit et l'incommunicabilité qui pèsent sur la famille, la peur de dire, de choquer, de vexer. Se taire est plus facile, le dialogue se faisant par téléphone, sans se voir. Petit à petit transparaît la fissure du couple, des rapports humains. L'arrivée de l'enfant et tel un tremblement de terre, un tsunami. Elle balaie toutes les constructions dont les fondations sont trop faibles. Si la relation Aki / Tetsuro semble en réchapper, ce n'est qu'au prix de disputes et de remises en question. Car le garçon est le catalyseur qui révèle le couple à lui-même, et qui accentue leur désunion ou leur amour. Les réactions à cette maison, qui n'a plus rien de privée, c'est pour Aki ou Shun, la fuite. Au contraire, Tetsuro y cherche un havre de paix, un endroit où se restructurer, se sentir homme et père de la manière dont il "veut" l'être. Mais l'analyse prend un nouveau tour lorsque qu'Aki dit à son amant à propos de son fils : "Il te ressemble". Comment un tel caractère a-t-il pu évoluer ? Où est la facilité ? Dans la fuite (Aki dit "...plus simple si je partais") ? L'acceptation ? L'indifférence aux appétences de l'autre ? L'égoïsme ? Sans oublier que la durée du récit permet de retranscrire le quotidien et l'usure qui s'en suit. C'est le but du cinéaste de parvenir à pénétrer l'essence de ses protagonistes, de scruter leurs sentiments au travers ces vitres, ces distances qu'ils maintiennent consciemment ou non avec les autres et avec nous.

Vision quotidienne et actuelle. La sensation de naturel et de vérité vient de la rapidité de tournage (17 jours) et de l'improvisation constante. Il n'existait pas de script au départ, juste une ébauche. Le réalisateur et ses 2 comédiens ont donc improvisé à partir de discussions. Ainsi les directions et positions de caméra ont été dictées par les acteurs eux-mêmes, leurs personnages et enfin le cinéaste (ils sont tous 3 crédités à l'écriture). Quelle meilleure manière d'obtenir un sentiment d'intimité et d'humanité. Le cinéaste disait lui-même : "Mon regard est à la limite du documentaire". Parmi les réalisateurs contemporains, Kyuchi Kurosawa ou Shinji Aoyama, Suwa Nobuhiro n'est pas le seul à s'intéresser à la famille "nucléaire" ou "moléculaire" en l'occurrence et à la vie à deux. Par-là, avec des approches différentes, ces artistes nippons se penchent sur les contradictions de leurs contemporains, leurs sentiments d'infériorité ou d'inutilité, ainsi que sur l'histoire ou l'évolution de la société. Un Japon mélange de tradition et d'occidentalité. Bref, un couple au quotidien, loin de la vision archaïque soudée et indivisible, tout en spontanéité. Ce n'est pas un hasard si le cinéaste filme derrière une surface transparente, il isole ainsi les acteurs du reste de l'équipe, ils vivent pleinement leurs personnages. Se trouvant immergés, ils oublient presque comme nous le fil du long métrage. Cet attrait pour l'improvisation, proche de Roland Barthes ou par moment de John Cassavetes, a le bonheur de briser un certain esthétisme, de revenir au contenu, de tenter de représenter la passion, sans arriver toutefois à la hauteur d'un Faces. C'est que Cassavetes ne s'embarrasse pas de distance, de vitre, d'ailleurs lorsque le réalisateur nippon franchi cette barrière qu'il s'est lui-même fixée son oeuvre prend une nouvelle saveur.

 
Tout est dans le titre. Le "/" symbolise la fêlure du couple ou de la famille. "Mother" représente le rapport à la mère et la place de la Femme dans la société japonaise. Dans le terme "Other", évidemment c'est l'autre et les relations qui sont esquissées, être mère dans les faits sans en avoir le titre. Enfin dans le "M" séparé du reste difficile de ne pas voir la place de l'Homme, dépassé, faible est bloqué dans ses mentalités. Suwa
Nobuhiro souhaite aussi montrer la position centrale d'un réalisateur, le pivot entre intérieur et extérieur, tour à tour subjectif et objectif. Symbole de la confusion et de la contradiction de l'artiste, la frontière entre fiction et documentaire. On a souvent l'impression d'être le créateur, au centre, mais autour tout n'est que mouvement. Nous sommes influencés et pour citer l'auteur : "Il est illusoire de croire que l'on peut garder à ce point le contrôle de soi". En définitive, M/OTHER est une oeuvre singulière livrant des sentiments par des impressions subjectives, des fils ténus et une dilatation temporelle... Une analyse des relations de tout ordre, notamment sur l'aventure quotidienne du couple. Un chemin à l'image de cette route montante que Aki parcourt en ramenant Shun de l'école. Le miroir et la vitre, zone intime et intrinsèque où l'on refuse de voir entrer quelqu'un, cette même frontière nous renvoyant une vision de nous-même tel que l'on pense être vu. Elle stigmatise les limites, les distances que nous nous imposons, sur lesquelles nous nous heurtons sans cesse. Une vitre inséparable de son reflet, où l'on ne peut recevoir sans donner, juger sans relativiser.
 
 
F. Flament
7 Juin 2001

 


 

 

 

 

 

La vitre inséparable du reflet
Film japonais de Suwa Nobuhiro (1999), présenté à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes. Avec Miura Tomokazu (Tetsuro), Watanabe Makiko (Aki), Takahashi Ryudai (Shunsuke)... Sortie française : le 8 Mars 2000.

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Photographies (14)

Liens
Le film sur l'IMDB
La fiche d'Allociné

Fiche technique
REALISATION
Suwa Nobuhiro
SCENARIO
Nobuhiro Suwa, Tomokazu Miura & Makiko Watanabe
MONTAGE
Shuichi Kakesu
INTERPRETES
Miura Tomokazu (Tetsuro)
Watanabe Makiko (Aki)
Takahashi Ryudai (Shunsuke)

DIRECTEUR PHOTOGRAPHIE
Masami Inomoto
MUSIQUE ORIGINALE
Haruyuki Suzuki
DUREE
147 minutes
PRODUCTEURS
Sento Takenori
DECORS
China Hayashi
SORTIE FRANCAISE
Le 8 Mars 2000

 

 
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