BETELNUT BEAUTY
L’occasion pour qu’ils crient chacun à leur tour une intense frustration qui s’apparente à une parade amoureuse, tourbillonnante et spongieuse. Par la suite, la jeune fille finit, à force de fugues, par déserter définitivement son domicile pour, sous l’impulsion de son amie Yili rencontrée dans la boîte de nuit branchée où elle se réfugie souvent pour oublier sa vie sous les néons dansants du glamour sophistiqué, se faire vendeuse de noix de betel. Elle se transmue alors en une de ces betelnut beauties, de ces jeunes filles transformistes coincées dans des cabines translucides de plexiglas exiguës en pleine rue et appâtant par leur sex appeal incandescent, ambigu et pernicieux le client déjà subjugué, dupé. C’est là qu’elle rencontre pour la seconde fois Feng, à la dérive, ne sachant pas exactement ce qu’il pourrait embrasser comme carrière. Une idylle se noue, bientôt terrassée par les accointances mafieuses de l’entourage de Fei-Fei. Alors qu’une étoile enclenche sa phase ascendante et irrésistible, l’univers atone autour duquel elle gravite mord doucement la poussière d’un sol désancré et répudié, tragiquement raviné.
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Troncature. Betelnut Beauty se trouve être le second chapitre d’une collection initiée par Peggy Chao et intitulée pompeusement «Les contes de la Chine moderne» – au titre anglophone beaucoup plus limpide : «Tales of Three Cities : Changing China». D’emblée, le récipiendaire de l’Ours d’argent au Festival de Berlin 2001 se distingue de son prédécesseur, Beijing Bicycle par Wang Xiaoshuai (auteur du poignant So |
Close To Paradise), en éludant le contexte social (et politique) prégnant et inhérent à la détresse d’une jeunesse décomposée pour se focaliser sur une bluette adolescente mièvre, vaine et convenue. Sous la houlette attentive de Lin Cheng-Sheng on se souvient pourtant comment les titres élégiaques Murmur Of Youth et Sweet Degeneration – que la seule évocation suffit à faire vibrer délicatement – s’étiraient remarquablement. Non que la mise en scène soit absente dans le présent long métrage, mais plutôt qu’elle s’estompe incidemment (cadrages subtils bientôt happés par la frénésie ambiante) devant la paupérisation d’une intrigue délayée. Ainsi, les premières minutes frivoles et humides sont enthousiasmantes, la caméra éloquente collant au plus près les personnages, épousant presque la sueur qui musarde sur leur peau alanguie. Les gros plans et grands angles se succèdent pour adhérer magnifiquement au désir issant (Fei-Fei réduite dans une séquence distendue à sa poitrine mutine) et devenir l’apologue de l’éveil charnel inendiguable d’une enveloppe virginale. La déconstruction et le tumulte de la capitale finissant par s’insinuer et investir les corps qui se voient tronqués, décadrés, fragmentés. Difficile de ne pas ressentir immédiatement l’antagonisme excédé d’avec la vision assujettie à l’apparition permissive de la figure féminine dans le cadre qui émaillait les tribulations vélocipédiques de Wang Xiaoshuai. Dans le premier chapitre de ces «contes» inachevés (six étaient prévus à l’origine et deux seulement produits), la nymphe vaporeuse et gracieuse envahissait, pourfendait, l’écran autant que les fantasmes, et de cette incursion fulgurante naissait la dynamique d’une vie onirique et intérieure. En bref, la féminité organisait le chaos. Ici, le cadre est trop petit pour l’héroïne, elle le déborde en permanence, contrainte de n’y imprégner qu’une parcelle infime d’elle-même. Incomplète ou tiraillée, elle subit le démantèlement progressif d’une évolution sociale décapitée et, loin de stabiliser la folie ambiante, elle piétine les derniers vestiges chancelants et les limons caillés de sa personnalité, sans même les voir ou y prêter attention. Sans travailler le symbole avec la sagacité lascive, la consistance sereine et la profondeur d’un Hou Hsiao-Hsien (on pense instantanément à Goodbye South, Goodbye à la vision de cet avatar) – le portable de mauvais augure et les liens affectifs qui maintiennent dans la toile peu avenante d’un droit chemin macabre –, le cinéaste envisage avec roublardise une surface esthétisante et appose sur ce miroir réfléchissant les postures attentistes et visages hiératiques au décorum urbain désaffecté – d’où les êtres se découpent à peine dans le terne crépuscule ou sous la pluie battante. On notera dans cette optique l’appartement de l’ami pâtissier de Feng dont les murs sont recouverts d’icônes pornographiques ou érotiques, des tentations crues jetées nonchalamment, du soir au matin, et platement sur l’iris hagarde d’hommes esseulés. Cette représentation tangible des agressions visuelles de la tempête citadine, ce pense-bête hormonal ou onaniste, s’étiole malheureusement dans la guimauve du couple vedette, gigotant en rythme avec le maintien acidulé de rigueur (un port de tête pétillant et distingué). Le charme entêtant du regard de Sin Je (Prix d’interprétation à Berlin et aperçue depuis dans l’ironique The Eye), enfant de la diaspora chinoise et star de la pop en Asie du sud-est, et les gestes félins de Chang Chen (égérie de Wong Kar-Wai pour Happy Together, 2046 ou Six Days, débutant déroutant chez Edward Yang dans son chef d’œuvre A Brighter Summer Day ou brigand rebelle et transi d’amour dans les déserts romantiques et voltigeurs de Tigre Et Dragon) ne suffisant pas à retenir une attention évanescente et éprouvée. Nous sommes loin de la félicité sublime et apaisée du Yi Yi de Edward Yang, le long métrage se refusant à n’utiliser les scènes moins verbeuses développant un rapport diffracté et probant au temps autrement que comme triste comburant de péripéties, papillonnantes, faméliques et essoufflées. Sans oublier que l’ostensible rapprochement d’avec une plastique que ne renierait pas Tsai Ming-Liang abouti à une lassitude platonique.
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F.
Flament |
Film franco-sino-taïwanais de Lin Cheng-Sheng (2001). Second chapitre des contes de la Chine moderne après Beijing Bicycle, une bluette convenue au maintien propret bientôt investie par ses déviances réprimées de bon aloi. Sortie France: 20 Juin 2001.
Multimédias
Bande-annonce
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Photographies (21)
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