Un anneau pour les trouver. Dylan, Alex et Nathalie forment toujours le trio de choc et de charme qui sous la houlette du mystérieux Charles Townsend s’acquittent d’enquêtes pyrotechniques, pulpeuses et aériennes. Leurs plastiques parfaites doublées d’aptitudes physiques hors du commun (grimage, gymnastique, réflexes ou voltiges) étant gage de succès. Mais voilà qu’une nouvelle mission risque de faire imploser le petit groupe.

CHARLIE’S ANGELS : LES ANGES SE DECHAÎNENT

En effet, elles doivent retrouver deux étranges anneaux en titane sur lesquels a été encodée l’intégralité du programme national de protection des témoins. Et ce, bien entendu, avant qu’ils ne tombent entre les mains des organisations criminelles de tout bord. Rien d’insurmontable si ce n’est que le nom de Dylan figure sur cette liste et que l’ancien amant qu’elle a fait incarcéré ne semble pas particulièrement enclin au pardon. Comme un malheur n’arrive jamais seul, il se pourrait qu’une ancienne «ange», Madison Lee, ait initié ces exactions sous l’impulsion d’une ire vengeresse et jalouse.

Dissolution. Un ange apparaît et en pousse un autre vers la sortie : tout l’enjeu d’un film en vase clos incapable de s’ébattre sous le poids écrasant de la référence. Car ce qui frappe en premier lieu dans ce cocktail délirant, iconoclaste et déjanté, c’est sa structure centripète. Il est balayé par les spasmes stroboscopiques d’un vortex de clins d’œil, de pastiches à l’ironie irisée et de déhanchements cadencés ou hystériques. Le problème de ce patchwork erratique et endiablé demeure que malgré toutes les astuces de caméra, la virtuosité des combats et la maîtrise ahurissante du clippeur invétéré McG pour tout ce qui est des effets tendance et funky, il ne semble jamais en mesure de prendre son essor, d’esquisser le moindre mouvement. Il reste enraciné sur l’œil du tourbillon. De cet assemblage fait d’idiosyncrasie – un scénario vaste prétexte à toutes les folies et positions émoustillantes – et de glamour vulgaire – un séquence de calembours à consonance anale pour heurter tout bon quaker – se dégage une logique tubulaire, enserrée autour d’un famélique et asthmatique squelette. Rien de trépidant ou de saisissant donc dans un brouet un tantinet éventé. Les références et les caméos sont légions : Bruce Willis fait une visite pour passer de vie à trépas, les jumelles Olsen ont un plan fugitif, Matt Leblanc charrie les fonds de tiroir de Friends et citons pêle-mêle les Monty Pyhton, C.S.I. – dans une parodie hilarante et soignée jusqu’au moindre détail –, Magnum P.I., Flashdance, MI-2, Starsky & Hutch, James Bond, Terminator 2, le transformisme grotesque et toc de Moulin Rouge... Le film se transmue au fil des minutes en une progéniture putative de toute la pop culture américaine des trente dernière années jusqu’à singer dans un segment comique le style scatologique et burlesque d’un Mary A Tout Prix. Mais contrairement à la série télévisée Fastlane dont il est l’un des instigateurs, le cinéaste ne parvient pas ici à déconstruire les pastiches et la glose sur lesquels il bâtit son récit pour l’ensemencer de scories nourricières. Autant dire qu’il peine à assurer voire assumer une quelconque émergence ou façonnage d’identité. En aucun cas les starlettes en petite tenue, modèles pour une garde-robe fashion ou gamines dissipées, n’auront accès à un univers propre les mettant en danger. Ici on préfère la mécanique cacophonique, pachydermique et parfaitement huilée à l’ambiguïté fertile. Jusqu’à offrir un divertissement lyophilisé et anorexique où histoire et protagonistes – le combat Dylan/Madison avec ses corps digitaux prenant un dimension cartoonesque – se dissolvent dans le brouhaha ambiant, lymphatique et outrancier. Seuls quelques grumeaux dans la surenchère sont synonymes d’une vie propre affleurant en catimini. Syncrétisme anémique et foutraque, ce Charlie’s Angels «à plein gaz», pour paraphraser le titre anglo-saxon, procède d’une confrontation entre les pouvoirs de mythification de la télévision et du cinéma. Le premier média, parangon de l’empathie, gonfle artificiellement les personnages d’un vécu et d’une connivence, leur permettant de se développer dans un continuum spatiotemporel oblong. Avec le Septième Art, les corps sont asséchés, étirés, inertes sans leur dynamique échevelée type ping-pong et annihilés par la taille de l’écran géant.

L’autorité tutélaire. Le gynécée hilare aux prises avec des circonvolutions ostentatoires a tout d’un groupe d’adolescentes arrogantes, indisciplinées et écervelées qui n’hésite pas à railler tout ce qui les entoure et encore plus les épiphénomènes qu’elles déclenchent. Nous assistons ainsi dans un tropisme effervescent et enchanté aux pérégrinations dissipées de trois turbulentes surdouées qui, lunaires, n’incarnent leurs personnages que par intermittence. Comme si elles octroyaient en dernier recours leurs reflets graciles au spectateur-écran dernier invité à la fête débridée et désinvolte. De cet état de fait naît, à la vision du long métrage, une étourdissante hypnose entre nausée violente et enchantement orgasmique. Quel meilleur paradigme de la décomposition de l’identité et de ses frontières floues et fluctuantes ? A l’acmé d’un nouvel idiome visuel

vertigineux et amaurotique, concocté à force de scratch et battements sourds de la bande son, survient l’enjeu principal, à savoir le leitmotiv psychanalytique : «tuer le père». Dépossédées de leur mentor de substitution – Bill Murray ayant décliné cette suite pour se perdre chez Sofia Coppola, il est remplacé par un autre protagoniste campé par Bernie Mac qui tente laborieusement de retranscrire la verve comique désopilante qu’il dispense sur petit écran –, les anges doivent se résoudre à reconsidérer leur noyau familial et à rechercher une nouvelle figure à laquelle se raccrocher et s’opposer. Mais le facétieux Charlie leur refuse son image, jusqu’à la folie pour Madison. Elles en sont réduites à habiter une scène rejouant les mêmes airs ou les mêmes clichés et à jongler inexorablement dessus. La fatalité de la musique environnante : elle emplit l’air, autant danser. Les visages se fardent, se modèlent à l’envi – Cameron Diaz et sa prothèse –, comme pour s’infiltrer dans les sombres interstices de la fiction, accéder à la frontière de la personnalité tridimensionnelle. Les références régurgitées par le film ne sont finalement jamais exploitées si ce n’est qu’au comble de la paraphilie un processus de déni de cette stérilité s’engage – Dylan renierait-elle sont androgynie ? – comme pour recouvrer une identité après l’avoir ensevelie sous les délires de pacotille. Atteindre l’autonomie des êtres – qui créeront leur propre musique – et non de l’ensemble – ces surnoms ou abréviations de prénoms en disent long sur l’agrégat des trois jeunes femmes. Abattre les digues et permettre la fuite en avant des flux (sanguins ou autres). Le rideau nostalgique transpercé, l’oeuvre se drape d’oripeaux féministes et dégagés dans la relation dégénérée d’avec le directeur de l’agence qui converse via un haut-parleur (voix de John Forsythe) – d’où la filiation impossible. Harassées d’obéir aux ordres de ce fantoche ectoplasmique – paradoxe du Girl Power –, elles se réapproprient le contrôle de leurs vies. A ce titre, la sculpturale et féline Demi Moore, au sourire vénéneux et satisfait, devient la raison d’être du microcosme, une héroïne à la sexualité triomphante et agressive se retrouvant pourvue de deux gigantesques pistolets dorés un rien phalliques. Ses yeux verts étincelants, ses muscles longilignes et sa silhouette de prédateur amaigri en disent long sur sa détermination sardonique, «pourquoi être un ange quand on peut être Dieu» nous assènera-t-elle. Autant comprendre : pourquoi accepter de ne pas avoir de sexe – et donc de ne pas s’en servir comme arme – lorsque l’on peut fusionner et tirer profit des deux. Pari gagné tant l’actrice s’épanouit et aguiche dans la fièvre et la nonchalance d’une jouissance sybarite et rythmée. Il faut dire que la carence de regard paternel a eu pour résultat la recherche névrotique de la focalisation des autres iris sur sa personne. Tandis que les anges préfèrent, de leur côté, entretenir l’illusion par une attitude «papy gâteau». Elles tolèrent les excentricités de leur gentil mécène en lui accordant un semblant d’autorité. Outre le milliardaire invisible, ce sont les hommes et les spectateurs qu’elles bernent sur une quelconque possession ou tout pouvoir qu’ils pourraient exercer sur leurs personnes rebelles et audacieuses. En un sens cependant ce sont elles-mêmes qu’elles leurrent.

Curieusement, l’analyse nous force à concevoir Madison comme un géniteur – puisque pratiquement hermaphrodite – spirituel et physique. Mystique car ange déchu finissant dans les flammes des profondeurs de la terre. Le Lucifer des écrits bibliques qui a eu l’outrecuidance de concurrencer le père se retrouvant défait pas les messagers d’un démiurge invisible défini par la voix, autant dire une conception sémite de la religion.

Après tout la série n’est-elle pas sortie de l’imagination du prolifique Aaron Spelling, il est normal qu’elle porte ses croyances et sa foi. Elle peut en outre se prévaloir du titre de génitrice naturelle en tant qu’étalon cinématographique, surtout à la lumière de la lénifiante apparition de Jaclyn Smith reprenant son rôle de la souche télévisée originelle. Avec tout ce que cela implique d’imprécations et de conflits, Demi Moore joue les fondations du trio et de sa chute dépend l’émancipation des nouveaux diamants de Charlie. Elles ne jouissent véritablement de leur statut qu’à la suite de la disparition du souffleur – ironie de la chute de Madison au bord d’une scène aux décors saugrenus de tragédie antique – passé à la trappe, de celle qu’elles imitaient inconsciemment. Il est d’ailleurs intéressant de noter qu’Alex, la plus équilibrée et distanciée du lot, dialogue avec son père, tandis que les deux autres, dépourvues de mentor masculin, en éprouvent d’intenses frustrations. Dylan dans ses relations houleuses avec les mauvais garçons de passage traduit le trauma d’une carence parentale. Ne parlons pas de Nathalie, malléable et malhabile, déconnectée de la réalité et qui ne s’éveille que dans l’action, dans ce que lui ont enseigné ses parents de substitution (le cinéma). Pour l’existence banale (le soap quotidien), elle n’est pas préparée. Le personnage de Cameron Diaz est sûrement le moins concerné par l’évolution de l’intrigue, juste capable de se fondre dans sa dynamique en reproduisant des chorégraphies sur une partition préexistante. Elle cristallise à elle seule les forces et les faiblesses d’un long métrage résolument flashy et ludique mais à la terminologie kleenex. Après la projection rien ne perdure, sinon une vague aura fun et plantureuse. Le glamour en berne et galvaudé, un habillage étourdissant mais factice, un halo nimbant un cœur battant à l’unisson des déplétions graphiques, tout concourt à un népotisme disco et complaisant parfaitement pensé qui charme cependant par son hardiesse décomplexée. Ne boudons pas notre plaisir devant ce raz de marée sensoriel déferlant sur nos cornées un peu hagardes, il a, outre ses quatre ambassadrices de charme, l’intelligence de ne pas se prendre au sérieux.

 
 

F. Flament
4 Août 2003
Cet article a laissé sa primeur au rayon frais

 

 

 

 

 

 

L’impossible émancipation

Film américain de McG (2003). Au milieu du déluge outrancier de déhanchements glamour et de délires iconoclastes pointe le constat désenchanté d'une castration et d'une aliénation par des références suffocantes. Sortie française : le 16 Juillet 2003.

Multimédias
Bande-annonce / Trailer
Photographies (54)

Liens
Le site officiel français
Le site officiel américain
Le film sur l'IMDB
Drew Barrymore 1 / 2 / 3
Cameron Diaz / Lucy Liu

Fiche technique
REALISATION
McG

SCENARIO
John August, Cormac Wibberley et Marianne Wibberley

MONTAGE
Wayne Wahrman

DIRECTEUR PHOTOGRAPHIE
Russell Carpenter

INTERPRETES
Cameron Diaz (Nathalie Cook)
Drew Barrymore (Dylan Sanders)
Lucy Liu (Alex Munday)
Bernie Mac (Jimmy Bosley)
Demi Moore (Madison Lee)
Robert Patrick (Ray Carter)
Crispin Glover (Sac d’Os)

MUSIQUE ORIGINALE
Ed Shearmur

PRODUCTEURS
D. Barrymore, L. Goldberg, N. Juvonen, P. Crowley, B. Thomas, J. Topping et A. Goldberg
DUREE
105 minutes

PRODUCTION
Columbia Pictures, Flower Films et Mandy Films / Columbia TriStar (Dist.)
 
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