CLARA ET MOI
Un instant, un soupir de fragilité inconsciente où il croise Clara, étourdissante et radieuse, dans une rame de métro à l’aura bleutée. Entre eux les étincelles abondent. Légèreté de l’évidence en deux regards entêtants et autant d’allusions appuyées la passion naît, s’épanouit, plafonne dans la félicité pour s’écraser et se déchirer brutalement sur la rêche surface de la réalité oppressante, dans les éclats agonisants et hébétés des clichés parisiens les plus éculés. Futiles et essentielles, les scories désinvoltes de scénario qui président au premier long métrage d’Arnaud Viard nous interpellent inexplicablement au gré d’un courant clair et nonchalant, immature et lucide. Sûrement par la vigueur et la grâce aérienne de ses acteurs principaux. Julie Gayet en tête, subtilement rayonnante, qui emporte le film dans une sarabande ouatée, enivrante et voluptueuse dont on ne voudrait s’extirper à aucun prix tant s’épancher de son mystère confondant et renouvelé à chaque plan nous empli d’une plénitude apaisante et sereine.
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Ma caméra et moi. Le prétexte à la comédie de mœurs générationnelle, savant dosage de narcissisme infâme – même l’incrustation du titre se meut, à rebours, en «Moi et Clara» –, d’ironie distanciée ou charmeuse et de sottes mièvreries, si il dégage la puissance ou la légitimité de l’autobiographie (les atermoiements et anecdotes narrés se rapprochent de ceux expérimentés par l’auteur), n’en est pas moins |
douloureusement embarrassé par son inconsistance. Alors qu’il réussit un départ séduisant et honnête, le cinéaste se heurte à mi-parcours à la propre inanité de la tranche de vie qu’il dépeint. Sans enjeux, le voilà hésitant à poursuivre ainsi, entre crudité naturaliste et posture soyeuse, tout en évitant soigneusement d’initier la moindre rupture ou ridule délétère sur son corpus lisse et propret. La minceur superficielle et délavée enserre dès lors outrageusement son propos au coeur du cocon distancié et déconnecté où il palpite laborieusement. Le torve processus d’ingérence et d’identification du long métrage, du réalisateur et du personnage principal atteint de fait son apogée avec la découverte de la maladie de Clara – elle, l’amante sublime, l’invitation faite femme à l’incitation charnelle et harmonieuse du désir (le moteur cinématographique) se révèle impure et pesante aux yeux d’un Antoine lassé – et le film frôle une paresseuse aporie. Oubliées les velléités de comédies musicales poétiques et emphatiques sur les quais de Seine – les deux protagonistes entonnant de conserve, karaoké improbable et distendu, la somptueuse et atmosphérique ritournelle «Ma Rencontre» de Bertrand Burgalat –, les envolées de Benjamin Biolay se font plus graves pour embuer une surface dépolie aux relents introspectifs de pacotille. Timorée, l’articulation autour d’un ressort dramatique frelaté résonne comme un aveu d’impuissance où le fond est irrémédiablement altéré sans que pour autant l’habillage en soit bouleversé – les yeux pétillants étant rapidement préférés aux masques graves, angoissants (au sens propre, ils font battre en retraite le cinéaste) et outrancièrement fardés parant les visages dévastés à l’occasion de la scène du bar suivant le couperet acéré du diagnostic. Démoralisé et défaitiste, captif d’une morbidité de jouissance onaniste et prophylactique qui dégrade tout ce qu’elle approche, le récit ne peut se résoudre à appliquer l’esthétique nihiliste du déchet que son attitude impose. Incapable de rebondir ou d’assumer, à l’instar de son héros, l’épreuve de l’implosion d’un idéal vernissé ou le poids tétanisant de la doxa passéiste (Ernst Lubitsch et les figures tutélaires empesées d’un Paris figé dans un amidon de bon aloi) le long métrage se révèle impropre à inventer ou actualiser les formes et figures auxquelles il aspire, ni même à s’accommoder de leurs dérives pour subsister, vaille que vaille. On pense à ce stade au souffle lumineux que Jérôme Bonnell instillait à son récent Chignon D’Olga en transformant la naïveté et l’inexpérience inhérentes à son jeune âge en des atouts vivaces et saisissants d’une véracité prégnante et œcuménique. Alors qu’ici, l’entité a tendance à se recroqueviller pour respirer la douce amertume des effluves surannés d’une époque étiolée, qui n’en finit pas d’être glosée, en vain. Comment interpréter l’évaporation fulgurante de la volonté originelle de déstructurer le corps de Clara en la filmant en gros plan, artifice qui s’apparentait à la découverte d’un puzzle somptueux sur le chemin de laquelle s’aventurait Antoine ? Tournant sans cesse autour d’aspirations et d’appétences primordiales, ce film-décalcomanie adhère parfaitement au pan inconstant de la société sur lequel il focalise sa caméra DV minimaliste et tristement mesurée (afféterie et maniérisme bannis, drastiquement et obtusément) : le refus d’accoster et de se colleter à ses rêves, préférant les bercer dans la torpeur lunatique d’un conscience bouillonnante et paradoxalement assagie. Peu ou prou, la frivolité frontale qui serpente sur la durée, et enveloppe benoîtement la mise en scène, induit un ton monocorde et éteint qui dénature jusqu’à la chaleur, le grain et la couleur d’une image hybride et pleureuse, parfois désincarnée plus que neurasthénique. Sûrement la volonté pour l’artiste égratigné de stigmatiser au milieu de fioritures poreuses et d’amants resplendissants la vacuité cruelle et dogmatique de modèles estampillés (le couple, la famille, les amis…) et l’impossibilité de psychés trépanées à se départir d’un cynisme arrogant et d’un univers égoïste terriblement calibrés. D’où un romanesque étriqué, détumescent et ahanant, en perpétuelle contrition et déjà désespérément désabusé au stade de sa propre genèse.
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F.
Flament |
Film français de Arnaud Viard (2003). Incapable d’assumer l’implosion d’un idéal vernissé ou le poids tétanisant de la doxa passéiste, un récit qui pêche à inventer ou actualiser les formes et figures auxquelles il aspire. Sortie française : le 30 Juin 2004.
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