White Jazz. Lloyd Hopkins est le flic de Los Angeles, il en maîtrise à la perfection les rites, la géomancie et les méandres. Un monolithe de violence contenue, éminent sybarite et investi d'une mission divine : tout mettre en œuvre pour préserver la pureté de l'innocence au risque de l'annihiler en l'endurcissant à l'extrême. Une croyance qu'il met en pratique dans ses pénates en relatant à sa petite fille les abjections de sa journée comme autant de contes de fées.

COP

C'est en décrochant au hasard un téléphone dans la salle commune du commissariat qu'il va se saisir d'une enquête pour le moins déstabilisante : un cambrioleur signale qu'en tentant une effraction il a découvert le cadavre d'une jeune femme atrocement mutilée. Grâce à ses éminents talents d 'observation et de déduction, Hopkins ne tarde pas à rapprocher ce crime d'une série qui endeuille la cité des anges depuis des années. La quête du "massacreur d'Hollywood" semble avoir une connexion avec une étrange poétesse féministe et névrotique. Mais qui ne le serait pas après un viol dans sa dernière année de lycée ?

Absence de perspective. Peut-être est-ce par sa dimension hautement documentée et foisonnante, par sa capacité étonnante à l'assimilation et l'intégration des sommités l'ayant précédé ou simplement par des partis pris d'écriture agressifs ou lyriques, mais l'adaptation cinématographique des romans captivants de James Ellroy semble être vouée à l'échec avant même sa mise en branle. Seul le LA Confidential de Curtis Hanson est parvenu à tirer son épingle du jeu de par son style élégant, ses acteurs inspirés et au prix d'une simplification rebutante pour n'importe quel lecteur. Nous sommes loin "d'une version de cinq heures en noir et blanc du quatuor de Los Angeles" comme l'appelait de ses vœux l'écrivain. Cop intitulé plat préféré au titre dévastateur du livre, Lune Sanglante, à cause du refus de Robert Wise de voir transfigurer le titre de l'un de ses longs métrages ne déroge en rien à la règle et affiche crânement sa réduction d'une multiplicité de perspective. En effet, le roman était mu par une sorte de force omnisciente, nous faisant passer de Lloyd Hopkins à l'assassin avec une troublante aisance. Deux vies déréglées se faisaient face, deux reflets entrecroisés et symbiotes de ces véritables sociopathes. James Woods, coproducteur avec James B. Harris du film, s'arroge donc le rôle principal et ne quittera pratiquement pas l'écran, et, malgré son visage grêlé et la troublante décontraction ironique qu'il promène impassiblement il ne finit en bout de course qu'à phagocyter une œuvre en devenir ou pour gloser Le Dahlia Noir, chef d'œuvre absolu de James Ellroy : "au mieux quelqu'un-qui-aurait-pu-être, étiquette qui pourrait tout autant s'appliquer à moi". Curieusement, cette altérité dans l'identification et l'intuition du flic envers l'assassin, qui était aussi la base du personnage de profiler de Will Graham le héros de Dragon Rouge ouvrage de Thomas Harris, a aussi disparu dans Manhunter, le film qui en a été tiré à la même époque par Michael Mann et qui privilégiait de façon éhontée le point de vue de l'enquêteur, réduisant le tueur à un simple pantin désarticulé, aux motivations aussi légères qu'indiscernables.

Pourtant, le réalisateur James B. Harris est un artiste que l'on peut vraiment qualifier d'indépendant. Vétéran de la guerre de Corée, il a entretenu une amitié avec Stanley Kubrick et produit nombre de ses films comme Les Sentiers De La Gloire ou Lolita. Une collaboration qui de son propre aveu lui a ôté toute propension à la compromission, et "l'obligation de trouver des sujets et un matériau du même calibre que Stanley Kubrick et

moi aurions envisagé. Un tel idéalisme devient vite négatif". Sa carrière de cinéaste en a certainement pâtie. Trois longs métrages sortent du lot, tout d'abord Fast Walking, où James Woods (déjà) était parfait dans le rôle d'un maton projetant l'évasion d'un détenu, il y régnait une atmosphère moite lorgnant vers une bouffonnerie caustique et noire que n'aurait certes pas renié Jim Thomson qu'Harris avait côtoyé lors du tournage de L'Ultime Razzia. Puis viennent Cop et Sleeping Beauty. Le premier contenant en germe la fantaisie débridée et le goût pour le conte de fée amer et baroque du second (à l'image des histoires qu'Hopkins raconte à sa fillette pour l'endormir, des faits d'une violence et d'une lucidité intolérable pour une enfant qui n'ont pour but que de l'éduquer pour qu'elle ne devienne pas une de ces femmes victimes, pour qu'elle cesse immédiatement de croire en la bonté humaine ou en des lendemains qui chantent, pour qu'elle abandonne la notion même d'espoir et de fin heureuse). Dans ces fables pour adultes à la fois raffinées, élégantes et superbes se retrouvent confrontés la noirceur de l'âme avec un optimiste naïf et enfantin, la misogynie et l'incommunicabilité de Cop s'estompent et s'apaisent (la femme achetée endormie n'est plus harpie ou mégère mais la plus douce des créatures) dans Sleeping Beauty et les relents de fantasmagorie latente sont libre de prendre leur essor. C'est dans cette optique qu'il faut aborder le présent long métrage où un personnage ambigu au physique d'assassin (James Woods a traîné plus qu'à son tour ses guêtres de meurtrier) se retrouve policier homérique, justicier fordien paradoxal et antipathique à l'honneur chevaleresque (protéger la vertu de la femme). Voilà qu'il arpente sa ville, son microcosme léthargique fait de latéralité. Féru de littérature ou de jazz et allant jusqu'à les défendre à la moindre occasion comme "Deux formes pourtant spécifiquement américaines. Mais les gens jugent le roman noir pas assez léger, amusant. Dans leurs lectures comme au cinéma, les Américains veulent se distraire. Or la distraction peut prendre bien des masques. Pour ma part, je la trouve précisément dans ces oeuvres sombres, stylistes, étranges, et qui provoquent en moi une sorte de jubilation mentale. Probablement sous l'influence de la télévision, la plupart des spectateurs s'ennuient dès que tout n'est pas dit en deux minutes trente, et préfèrent les intrigues à rebondissements - un événement par page - au style. Or la littérature noire ressemble au jazz. La ligne mélodique est indiquée d'entrée. Si vous la gardez présente en mémoire, vous savourez les variations des musiciens. Aujourd'hui, au cinéma, la ligne mélodique me semble trop présente tout du long. On a l'impression de réécouter quarante fois d'affilée le même thème.", James B. Harris n'hésite pas à insuffler tous les éléments de ces genres dans sa mise en scène. L'aspect le plus spécifique reste sans nul doute l'indolente et évanescente claustrophobie avec laquelle il abolit la troisième dimension de l'espace, augurant un monde opaque et fuligineux où tout résiderait à la même place, se superposant en strates contiguës (les photos sur les dossiers lorsque Hopkins recherche le dénominateur commun des crimes ou les poèmes dans la scène où il comprend la signification des dates des meurtres) et prévisibles. Il n'y a même plus besoin de champ-contrechamp, puisque lors de la découverte du cadavre du "Moineau" Lloyd parle à un policier que nous voyons dans un miroir, parfaite vignette délimitée, succédané astucieux à un split artificiel et disgracieux. A l'identique, il suffit que l'enquêteur souhaite retrouver un informateur en montant dans un véhicule pour que la caméra traverse la rue et nous présente ledit indic babillant avec ses comparses dans la plus grande décontraction. On aperçoit déjà la volonté de l'auteur de travailler sur l'horizontalité, jusqu'à envisager le long métrage au même titre qu'une portée musicale où serait inscrite une partition de jazz. Tantôt en solo, tantôt en groupe, les morceaux s'enchaînent, nous entraînant sur une ligne mélodique délétère et balancée. L'une des scènes les plus marquantes au vu de cette nouvelle distribution spatiale est celle où le héros fais l'amour à une prostituée ramassée sans scrupules lors de l'enquête sur le coin d'une cuisine équipée. Mais la caméra ne reste pas en plan fixe sur le coït, au contraire elle s'éloigne, pudique, en suivant un swing décontracté dans un flottement exquis les parois de la pièce, s'arrêtant un seconde sur un œuf caramélisant dans une poêle, dont on devine les miasmes acres et la dimension symbolique aussi bien que temporelle, pour terminer de l'autre côté du couloir sur une porte qui se ferme comme mue par un courant d'air. Que nous apprenions plus tard qu'il s'agissait d'un photographe renforcerait plutôt le sentiment d'aspiration, comme une réalité déjà happé par sa continuité. Idée presque platonicienne où une identité serait remplacé par la nouvelle réalité qu'elle engendre. Tout le talent de l'artiste est de nous faire ressentir la logique nébuleuse de l'évolution en nous faisant traverser son film non plus comme une succession d'images se recouvrant au fil du temps mais comme une gigantesque fresque transversale et murale devant laquelle nous progressons en observant chaque fragment, chaque laie, en nous mirant et projetant nonchalamment sur elle.

Couacs. Le récit parle finalement moins de l'autre que du même, comme si tout dépendait, se rattachait à Lloyd Hopkins (sûrement la raison pour laquelle l'acolyte du héros dans l'affrontement décisif a été gommé). Spinoza ne disait-il pas que "la nature humaine est la même partout" ? Harris lui répond par l'affirmative tout en incluant subrepticement et insidieusement comme pour compenser les choix malheureux du scénario l'assertion selon laquelle toute la perception du monde proviendrait de lui-même en tant qu'entité prenant conscience de ses limites, en l'occurrence géographique. Ainsi notre héros semble le seul à pouvoir se placer hors du tumulte, pour s'asseoir, supputer et s'interroger pour comprendre l'espace. Qu'il lève et roule les yeux vers le ciel lors de cette scène où, transi, il manque de s'endormir derrière la porte en attendant Haines (Charles Haid échappé de Hill Street Blues) possède ainsi une valeur pratiquement mystique, plus qu'une soif de rédemption il cherche à appréhender une nouvelle réalité libérée des affres du rafraîchissement et de la redondance. Il y voit certainement un éden (un paradis supérieur pour nos anges déchus embourbés dans la glaise de leur purgatoire) où le mélange et la pénétration existent bel et bien. Car dans son monde biaisé par sa rigide morale manichéenne et wasp qu'il ne cesse de bafouer rien n'est miscible, tout se superpose comme lors de l'affrontement final où les deux hommes se retrouvent l'un (sur une passerelle) au-dessus de l'autre (position de juge ou d'archange ?). Le seul moyen de vaincre réside dans la faculté de déchirer le tissu conjonctif et éthéré de sa perception du monde, de sortir de la ligne ou de l'ornière (Hopkins obligera l'assassin, en actionnant les gradins, à abandonner son anonymat douillet de deus ex machina, à retomber dans la lumière, mais lequel des deux, hypocrite, a franchi la ligne et conservé son masque ? N'est-ce pas plutôt le policier égocentrique qui a préféré rester dans l'ombre, tel le Mephisto ordonnateur de Faust Wilhelm Friedrich Murnau, 1926 jouant de la foule et de caractères contradictoires et imparfaits ? Et si le ciel était un cercle inférieur des Enfers, car comprendre l'horreur du monde c'est succomber à son supplice), un sacerdoce de missionnaire exalté flirtant avec le messianisme, ultime fantasme des lecteurs ou spectateurs pour un récit commençant dans le néant et se terminant face à l'abîme de la folie. Dans l'approche musicale et tonale de la psyché persiste ce clivage incessant, à savoir la fusion du corps et de la voix. Tout commence par un fond noir sur lequel est accolé une voix (émise d'une cabine téléphonique, lieu de rencontre par excellence où les termes du duel final seront édictés), manifestation perdue dans l'immense vacuité et se heurtant à des standards occupés (cette surdité, dénégation de l'être) et indifférents jusqu'à trouver le bon interlocuteur. Les mots prennent alors corps, mais paradoxalement pas celui du petit malfrat mais celui de Lloyd. Le malaise primal, au même titre que le traumatisme originel du viol, nous place dans une situation inconcevable de désynchronisation (jusqu'au retour à la cabine et à l'apaisement d'une conclusion inéluctable ; entre les deux tout n'aura été que parasites et couacs). Plus jamais durant le film corps et voix ne vont retrouver leur gémellité sycophante. Est-ce un façon d'échapper à la prison charnelle, vaine utopie d'un échappatoire à colleter ? Comment sinon analyser cette scène mémorable où nous parcourons le domicile de Hopkins avec la voix de sa femme psalmodiant la litanie d'une lettre de rupture pli que nous voyons seulement le policier lire à la fin de la visite des lieux vides et désaffectés. Pourtant la parole l'essence ? de la femme et la fille semble n'avoir jamais quittée la pièce accentuant encore l'impression que l'intégralité du monde se concentre à Los Angeles. Hors de cette ville de chaos ne persiste rien, un monde de corps sans la rythmique vocale, sémaphorique.

 
Que cette cité mythique sorte de Camelot moderne soit intrinsèquement musaïque n'arrange pas l'affaire des enveloppes corporelles. Trouver la place et la posture à adopter pour son appendice de chair pourrait être l'unique préoccupation des protagonistes. Comment l'amadouer pour qu'il n'altère pas l'émanation ou l'exhalation sonore ? Plusieurs images

reviennent à l'esprit, il y a cette confrontation d'avec son supérieur qui oblige Lloyd à se tenir droit, hiératique devant un homme assis qui semble l'ignorer. De longues secondes s'écoulent sans que l'on appréhende véritablement ce hiatus, ce schisme temporel certains d'y voir un épanchement des longues périodes d'inactivité d'un réalisateur indépendant. Ce corps auquel on ne parle pas existe-t-il réellement ? Ou n'observe-t-on que les errements d'une goule Hopkins lorsqu'il renifle l'air et laisse libre cours à ses instincts à tout du prédateur atavique et désinhibé sommeillant en chaque individu désespérée et hagarde ? Une anatomie névrosée influant sur les êtres, devenus alors tous névropathes. Il suffit d'observer Kathleen serrant avec gêne son coussin alors qu'elle s'imagine déjà faisant l'amour avec Lloyd ou son soudain entêtement à vouloir faire ses ablutions pour réaliser l'impact néfaste de la morphologie troublée, torturée et engoncée sur la musique, métaphore ici de l'âme et de l'esprit. Des comportements erratiques et anxieux que le cinéaste n'hésite pas à souligner par des ruptures (dans la bande-son ou dans l'écoulement de l'histoire notamment avec la conclusion abrupte exacerbant à nouveau la dualité : "tu as raison…je m'en fous") et des grincements de saxophone sorte de complaintes angoissantes et déchirantes (à la suite de l'intimidation dans un diner d'un policier corrompu). Le cinéaste ne rappelait-il pas d'ailleurs à la sortie du long métrage que : "Lorsque j'écris un scénario, je m'arrange pour que l'histoire se tienne sans trous d'air. Une fois sur le plateau, je reste à l'écoute. On accorde trop de crédit au metteur en scène mais, s'il sait écouter, il y gagne. Les trouvailles viennent souvent des autres. En tournage, on doit être capable de créer un libre mouvement des idées et garder les siennes en réserve, au cas où personne ne saurait quoi faire. Pour James Wood, il faut plutôt le retenir, le canaliser. En reprenant la comparaison avec le jazz, il est le meilleur soliste sur la place." Les clés du visionnage sont là, en filigrane, tout comme dans cette scène où Hopkins au bord de la catatonie, dans une sorte de transe extatique, un abandon à ses pulsions animales, découvre le détail essentiel, le sésame : un micro, instrument propre à se rapprocher de la compréhension omnipotente et universelle, en captant et en enregistrant les manifestations sonores, les vibrations de l'âme.

Ubiquité, la voie de l'Enfer. Ce qui n'avait été qu'imperceptible et indicible bascule alors. Et le film se retrouve atteint par une dégénérescence maculaire et morale. L'amaurose s'oppose à l'espace croissant occupé par la voix, mais il y pire : l'annihilation des points de vue. En effet, tout comme James Woods phagocytant la caméra, voilà que son incarnation se met à vampiriser son environnement dans une exaltation névrotique, méthodique. Son hérédité trouble, lourde d'atavisme et de misogynie explose (Marlowe, Spade, Hammer, ainsi que les personnages rigoureux de Clint Eastwood sortis tout droit de Dirty Harry ou de La Corde Raide). Voilà notre flic mu par des pulsions toujours plus équivoques, sadiques et violentes. Sa tension endémique détruit son mariage, mais il n'en a que faire, ce monde n'existe que par lui, que par les épiphénomènes qu'il engendre. Il observe avec dédain, acuité et détachement cynique les individus qui s'y débattent, mieux il les excuse de leur humble aveuglement. Sont-ce de simples remous d'une entité imbue d'elle-même qui mettrait en scène le monde ou les preuves qu'il évolue dans une réalité qu'il construit au fur et à mesure de ses divagations mentales (ce qui expliquerait la restriction géographique et la léthargie ouatée de ces quartiers). Cette permanence errante (la leçon de début de film sur un repaire latino qui n'a pas changé) serait l'apanage d'un démiurge arborant un regard amusé, qui au comble de l'écœurement aurait endigué le pourrissement de sa ville. Simplement en la réinventant à sa manière, en imprimant un page vierge de ses fantasmes masculins. Ce nouveau monde policé est régi par une piété chevaleresque (jusqu'au meurtrier qui veut venger l'honneur de sa dulcinée souillée), les femmes y sont victimes et violées (alors que dans le roman c'était l'assassin qui avait été agressé sexuellement par des condisciples raillant sa promptitude à tomber en pâmoison devant une jeune fille romanesque et fantasque poétesse fragile et névrosée, donc intrinsèquement dangereuse et dépendante), les traumas transmués (un viol féminin doit sûrement être plus acceptable d'un point de vue masculin puisqu'il s'agit du stade ultime de chosification de la partenaire sexuelle), un système de valeurs flétri (reconstitué autour de concepts simples et amalgamés comme l'innocence des victimes et des assassins, le pêché originel ou la rédemption) et les stéréotypes pittoresques et folkloriques usés jusqu'à la corde (le supérieur tiré à quatre épingles, réprobateur mais pragmatique et quelque part envieux de l'efficacité et de l'anticonformisme de son lieutenant). Le chantre des policiers a fini par être dévoré par son métier, ébranlé et décontenancé par une violence qui l'a détourné des voies hiérarchiques et bureaucratiques (forcément indigentes et amorphes) pour transfigurer viscéralement sa vision de la loi. Devenu brutal et grossier (son comportement impertinent, irrationnel et provoquant lors de la fête donnée par son ami), il s'enfonce dans l'individualisme, là où seule la force fait loi (pourquoi ouvrir une porte quand on peut la défoncer) et où un jugement et une arrestation se résument à un duel aux douze coups de minuit (dans le gymnase d'une école, lieu d'apprentissage de la dialectique du monde, là où tout a dérapé, l'ultime frontière d'une psyché en régression). Le héros se fait trouble, à l'ardeur dangereuse et seul l'infime espoir de sauver l'innocence le rattache encore à l'existence (à l'instar du protagoniste de Taxi Driver voulant sauvegarder la pureté de la jeune prostituée). Mais peut-on défendre ce que l'on a perdu ou ce dont on est dépourvu ? C'est avec un humour insolite et désabusé que le réalisateur nous retourne la question, comme le jeu de reflet de l'ouvrage. Voilà pourquoi il s'éloigne de l'intrigue pour se focaliser sur le style et le rythme, tour à tour classique, désinvolte et détaché. Car le film tout entier émane de Lloyd plus qu'il n'est constitué par lui à chaque plan. Frappé d'un don d'ubiquité paradoxal, il est dans chaque personnage, chaque action, chaque rancœur, tout et rien, contaminant ce qu'il touche. C'est peut-être la raison pour laquelle James Ellroy a reconsidéré son opinion du long métrage, d'abord rejeté pour être reconnu par la suite. Car James B. Harris effleure la quintessence de Lloyd Hopkins, un homme malade de vivre son propre cauchemar et s'enfonçant dans sa psychose. En réponse à l'horreur du monde il a créé sa propre géhenne, remodelant son home sweet home en un désert de solitude qu'il dirige avec une méticulosité et une précision confondante. On ne peut alors que regretter au vu de cette prise de risques que les producteurs n'aient pas eu l'audace de terminer l'œuvre comme l'écrivain voulait conclure le roman, un ultime affrontement meurtrier sur fond de brasier pulvérulent, d'opprobre sulfureux et d'apocalypse ou comment la folie d'un homme a pu précipiter la cité des anges (forcément déchus) dans les flammes crépitantes de l'enfer.

 
 

F. Flament
3 Mars 2003

 

 

 

 

 

 

Portée féerique

Film américain de James B. Harris (1988). Adaptation du premier volume de la trilogie "Lloyd Hopkins", Lune Sanglante, de l'immense écrivain James Ellroy. Avec James Woods (Lloyd Hopkins), Lesley Ann Warren (Kathleen McCarthy)...

Multimédias
Extrait (vost)
Photographies (7)

Liens
Le film sur l'IMDB
Site français sur J. Ellroy
Un site sur James Ellroy
James Wood

Fiche technique
REALISATION, SCENARIO
James B. Harris d'après l'ouvrage Lune Sanglante de James Ellroy

MONTAGE
Anthony Spano

DIRECTEUR PHOTOGRAPHIE
Steve Dubin

INTERPRETES
James Woods (Lloyd Hopkins)
Lesley Ann Warren (Kathleen McCarthy)
Charles Durning (Dutch Peltz)
Charles Haid (Delbert 'Whitey' Haines)
Raymond J. Barry (capitaine Gaffney)

MUSIQUE ORIGINALE
Michel Colombier

DECORS
Gene Rudolf

MAQUILLAGES
Deborah Figuly

COSTUMES
Gale Parker Smith

PRODUCTEURS
Thomas Coleman, James B. Harris, Michael Rosenblatt, Ann Kindberg et James Woods
DUREE
110 minutes

PRODUCTION
Harris-Woods Productions

 
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