Profilage. Will Graham est le meilleur profiler qu'ait jamais compté le Bureau. Il a notamment permis de stopper les méfaits de 2 tueurs en série dont le fameux Hannibal "le cannibale". Mais suite à son travail il a développé des troubles mentaux. Il a du se retirer. Confronté à un maniaque qui décime des familles entières les soirs de pleine lune, Jack Crawford, chef du service des sciences du comportement au FBI, n'a d'autre choix que de faire appel à son ancien collègue. Dans sa traque de "La Mâchoire", un tueur des plus déroutants décimant des familles entières, Will devra se confronter à un psychisme qui lui inspire des sentiments ambivalents, celui du Dr Lecter. Entre eux un étrange jeu s'installe.

MANHUNTER

Créer une atmosphère. Injustement boudé des spectateurs, Manhunter est un formidable thriller d'une maestria et d'une beauté plastique incomparables. Adapté du premier roman où apparaît le docteur Hannibal Lecter (un personnage qui a marqué le cinéma), ce film se révèle par de nombreux aspects supérieurs à ses successeurs. Mais le comparer au Silence des Agneaux serait inadéquat, les décennies, les mentalités et les représentations sont différentes. "On ne peut voir que ce que l'on observe, et l'on observe que ce qui se trouve déjà dans notre esprit", est la citation d'Alphonse Bertillon qui débute le roman. Elle définit le personnage de l'agent du FBI et le spectateur. En ce qui concerne Will, c'est bien entendu le travail du profiler d'imaginer à partir des témoignages, de la connaissance des victimes et de tous les indices, le caractère de l'assassin. Il doit faire face aux pires obsessions et images que son esprit peut concevoir. Pour le spectateur, et contrairement aux représentations des années 90, Michael Mann choisit de ne montrer aucune scène repoussante et de situer les actions dans des décors superbes, clairs, à nous d'imaginer les meurtres et la noirceur des sentiments. Le long métrage n'en est que plus angoissant (pas étonnant si l'on se remémore des oeuvres comme Psychose ou Fog...). Le cinéaste est un véritable metteur en image, créateur d'atmosphère (même les ralentis apportent de la densité), de "moments". Un des réalisateurs américains contemporains les plus plaisants et les plus doués. Tout le monde connaît Heat ou le récent Révélations, des films attachants, avec des personnages crédibles, qui échappent pour le plus souvent aux clichés et au manque d'épaisseur "hollywoodiens". Des caractères au bord de la rupture, sur le fil du rasoir, à l'instar de sa mise en scène. Elle oscille entre élégance, tension et un sentiment de délivrance. Le sens du cadre de l'auteur est véritablement fabuleux. Un énorme travail de positionnement de caméra, de création de lignes directrices (positionnement des personnages comme les scènes Will / Molly) est sensible. Il sait quand faire une succession de représentations fixes, quand faire bouger la caméra (lorsque Will se rend aux alentours de la maison il alterne un mouvement vertical, puis horizontal le long d'un tronc) et comment se servir des éléments du décor dans ses "tableaux" vivants. Nous voici en face d'un catalogue d'images jubilatoires. Des plans douches, plongée, contre-plongée, les barreaux de la prison de Lecter, les arbres, les fenêtres, pylônes de parking, la télé face à Will, tous les éléments jouent un rôle dans l'élaboration d'une oeuvre visuellement époustouflante.

Un nouvel espace. La photo de Dante Spinotti est à la hauteur du reste, très claire, lumineuse, avec des couleurs marquées. Les nuances de bleu (filtres), la luminosité intense, le blanc virginal de la cellule de Lecter sont autant d'artifices. Une ambiance colorée, un type de grain si beau, lisse, tout rappelle la série Miami Vice, dont Michael Mann était le principal créateur artistique. Cet ensemble concourt à créer une ambiance étrange, d'une

beauté plastique presque picturale, qui contraste avec la noirceur du propos. Les décors ont aussi reçu une grande attention, comme la maison de Leeds et celle de Jacoby. La chambre entièrement blanche reste forcément en mémoire. La demeure de Graham, ouverte sur la mer, le cockpit de l'avion du FBI sont autant de splendides lieux qui sont les plus magnifiques des scènes pour les héros. Tous ces éléments permettent au cinéaste d'apporter une profondeur aux plans, des lignes fuyantes à l'horizon. Des images qui nous invitent dans le film, à regarder plus loin, à pénétrer dans l'histoire et dans l'esprit des protagonistes. Elles créent une sensation d'espace, ouvrant une nouvelle dimension. Une opposition constante entre ouverture et cloisonnement. Des "moments" privilégiés, des plans ou séquences durant lesquelles, on se déconnecte, comme en transe. La musique envahit nos sens et l'image fait le reste. Will regarde sa femme sur le bateau (plan fixe de son visage, qui semble nous regarder : Jouons-nous le même rôle que sa femme ? Nous prend-il à témoin ?) par exemple ou un lever de soleil à côté de la maison de Dolarhyde. Une scène d'amour avec la fenêtre ouverte sur la mer, la rencontre Crawford-Graham du début (avec un mouvement descendant). C'est caractéristique du cinéma de Mann et c'est littéralement envoûtant. Comment ne pas citer le moment d'intimité de Dolarhyde et la jeune femme aveugle Reba McClane, la caméra virevolte, s'attarde sur un mur, une fenêtre, un lever de soleil, une poitrine qui se gonfle, et la musique emplit cette pièce. Une séquence d'une poésie et d'une naïveté qui tranche avec le reste du film et qui en l'espace de quelques minutes montre le tueur sous un jour nouveau. Difficile aussi de ne pas voir dans ce film de jeunesse de multiples références à d'autres réalisateurs, Hitchkock, mais aussi Carpenter dans cette formidable scène d'ouverture où l'on pense immanquablement à Halloween, tout comme Mike Myers, Dolarhyde monte lentement l'escalier, tourne et surprend une jeune femme. L'ensemble est observé par ses yeux et une musique angoissante l'accompagne. Une ambiance sonore par ailleurs d'une grande densité. Outre les partitions originales, l'auteur puise dans des compositions typiquement 80's, à base de synthétiseurs, des rythmes lancinants ou frappants qui donne à l'image une nouvelle ampleur. Que ce soit pour la rencontre Lecter-Graham, les caresses Dolarhyde-McClane ou le générique de fin, ces rythmes sont indissociables des images et sont à part égale source des sensations et du plaisir que procure l'oeuvre.

 

Rapports de force. L'interprétation est parfaite, tout d'abord William Petersen qui campe un Will Graham tourmenté et torturé par ses démons. Il sait qu'il s'engage sur la voie de l'autodestruction mais il tente malgré tout de pratiquer ce qu'il sait le mieux faire. Le dialogue avec le fils de Molly au supermarché est vraiment empreint de vérité et de sincérité, lorsque Will parle de ses démons (dans le roman c'est encore plus noir). De l'autre côté Brian Cox sait capturer dans ses (trop) rares scènes tout ce qui fait le charisme de Lecter : sa redoutable intelligence, son humour, son cynisme, sa sauvagerie et son esprit calculateur. Il fait preuve d'une très grande sobriété. Les discussions entre les 2 hommes sont de très grands moments. On de délecte de certaines répliques pleines d'ironie comme lorsque Lecter au détour d'une phrase demande à Will son numéro privé ou des dialogues comme cette perle :

WG : Je sais que je ne suis pas plus intelligent que vous.
HL : Alors comment avez vous fait pour m'attraper ?
WG : Vous étiez désavantagé.
HL : Quels désavantages ?
WG : Vous êtes fou.

Contrairement au couple Lecter / Starling, où l'attraction sexuelle et la fascination cimentaient les relations, les interactions Graham / Lecter sont basées sur une sorte de respect-besoin avec un rapport de force inversé. Pour le terrible docteur, Will est la personne qui l'a percé à jour en très peu de temps, un homme qui a su lire en lui, pénétrer sa "complexité". Pour l'enquêteur c'est une source de fierté et son étalon criminel. Ainsi leurs rapports se fondent sur une base égale et leurs discussions laissent apparaître un étrange détachement. Ici pas de cellule croupie ou de plexiglas, ils semblent se rencontrer en terrain neutre, une sorte d'antichambre blanche et virginale. Lecter se trouve en prison depuis peu de temps, il n'a pas encore ce côté autosuffisant ou vampire, de même sa folie n'a pas encore évoluée. Il cherche à influencer l'extérieur, s'amuse, s'enthousiasme et pratique l'humour à froid. Sans le dire, il attend avec impatience les échanges avec Graham qui sont une des rares choses au monde dont il ne peut se passer. Dans le roman il finissait par être la perte de l'enquêteur, qui terminait horriblement défiguré : le côté malsain de Lecter, il ne supporte pas qu'une personne l'ait battu et soit plus intelligente que lui. Will le gêne et il doit se débarrasser de cette faiblesse. Mention spéciale pour le reste du casting, Dennis Farina campe un Crawford opiniâtre et tenace, empli de pragmatisme. Tom Nonnan joue un tueur fou et fragile, avec des aspects enfantins et affreux, son physique y est certes pour beaucoup. En ce qui concerne les femmes, elles ne sont pas suffisamment présentes à l'écran pour véritablement composer un rôle, néanmoins Joan Allen apporte beaucoup de fragilité et de force à Reba, une jeune femme aveugle qui s'assume.

 
Une fausse distance. L'attrait du film réside dans le non-dit. Il parle à l'intelligence du spectateur et ne lui donne pas en pâture les scènes les plus abjectes. Au début, lorsque Crawford rend visite à Graham il lui tend les photos des victimes à l'envers, on s'imagine le pire, une boucherie, mais lorsqu'elles sont retournées ce ne sont que des simples photos de famille. C'est Will qui nous donne les résultats des examens des légistes (pas de cadavres

montrés, juste les personnes vivantes, les enfants qui jouent dans la piscine...). Ce qui nous fait sursauter, c'est bien quand il rentre dans la chambre où a eu lieu le dernier meurtre, il allume la lumière et les traces de sang sur les murs blancs, immaculés nous sautent au visage. L'ambiance rendue sereine, cette fausse distance est bien pire. Le fait de mêler si intimement des décors si beaux, une vie si harmonieuse et des exactions aussi horribles crée une sorte de malaise et l'angoisse s'en trouve renforcée. Le livre de Harris possède d'indéniables qualités d'écriture, d'histoire (une investigation poussée, une enquête passionnante) et il est normal qu'il ait interéssé un producteur chevronné comme Dino DeLaurentiis. Mais comment adapter une histoire aussi sombre, qui privilégie le psychisme de Francis Dolarhyde, un homme peu attirant physiquement et que sa grand-mère a traumatisé dans son enfance à force de brimades et de vexations ? Un homme dont la vision d'un tableau de William Blake "Le Grand Dragon et la Femme Vêtue des Rayons du Soleil" a donné un sens à sa folie, une volonté de changement et le début de meurtres atroces.

Un public pas encore prêt ? De nombreux réalisateurs sont envisagés, comme David Lynch ou William Friedkin, mais la production décide de changer radicalement en vendant le film du côté du policier, le public n'est sûrement pas encore prêt pour des oeuvres glauques et désabusées. Michael Mann, le réalisateur engagé, doit donc abandonner ses idées d'adaptation fidèle. Néanmoins, le style de l'artiste et sa mise en image lui permet une marge de manoeuvre importante. Le titre change de Dragon Rouge pour Manhunter, les références les plus criantes ont disparues (comme la scène de la torture de Lounds avec le tatouage de dragon sur la poitrine de Dolarhyde malheureusement perdue est absente des bonus DVD). Néanmoins l'auteur n'oublie jamais le roman et contrairement à de nombreuses adaptations, ne le trahit point, tout au contraire, ils se révèlent tous deux complémentaires. On a déjà évoqué la manière dont Mann fait appel à notre imagination et à notre sauvagerie inconsciente. Mais prenons d'autres exemples. Le caractère de Dolarhyde est peu développé, mais filmé comme un être complexe, et en quelques phrases Graham nous présente tout le pathos de l'enfance, comment donc juger cet homme dont le seul désir est d'être accepté ? Juger un être qui n'a jamais connu l'amour et qui ne supporte pas de se croire rejeté par une aveugle. D'ailleurs tout dans la mise en scène suscite notre côté voyeur, la scène du départ avec Mme Jacoby qui dort... Sa haine et son désespoir apparaissent dans une scène simple, croyant que Reba le trompe, il arrache une partie de synthétique qui recouvre l'intérieur de son camion.
 
Un tableau dans un tableau. Le côté plastique, pictural rappelle sans nulle doute l'attrait pour l'art, que développe le meurtrier dans le livre. D'ailleurs le tableau de Blake est montré à 2 reprises. La séquence de la mort de Dolarhyde est tournée en plan douche, l'assassin couché sur le sol avec deux flaques de sang sous les bras, un merveilleux dragon ouvrant ses ailes en

somme. Le metteur en image pousse son obsession jusqu'à créer un tableau dans un tableau. Prenons un exemple simple, quand Will retourne une seconde fois dans la maison des Jacoby, c'est un plan fixe du living, mais les cloisons du salon crée un nouveau cadre dans le cadre. Un travail splendide tout au long du récit et plus marqué que dans les oeuvres ultérieures. Des choix qui accentuent encore la propension du film à nous entourer, nous happer. Nous sommes voyeur, mais inhérent au film. Comme si nous étions au premier plan et que nous regardions le second. Le cinéaste réussit le tour de force de nous intégrer à l'action, nous faire entrer physiquement dans les lieux qu'il dépeint. La représentation des personnages, impliqués dans des situations qui les dépasse traduit bien l'obsession de Michael Mann. Des caractères en suspension, en dehors des standards, ni totalement bons, ni totalement mauvais. Pour eux la famille et l'amour sont des notions importantes, vitales. Pas étonnant que Will rentre à la fin dans un foyer heureux et sans souci où il sera accepté avec ses défaillances. Faire attention à son prochain. "Listen to my heartbeat", nous rappelle en boucle le générique de fin. C'est finalement l'un des leitmotiv du film, comprendre la passion qui nous anime, ses implications et ses ambiguïtés. Pouvoir s'accepter et se faire accepter, l'éternel besoin en filigrane.

 
 
F. Fament
25 Mai 2001

 

 

 

 

 

 

Plongée en trompe l'oeil

Film américain de Michael Mann (1987), adapté du roman de Thomas Harris et première apparition du Dr. Hannibal Lecter. Avec William L. Petersen (Will Graham), Brian Cox (Dr. Hannibal Lecktor)... Sortie française : le 27 Avril 1987.

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Lettre de Lecter à Will
Photographies (28)

Liens
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Tout sur Manhunter

William L. Petersen

Fiche technique
REALISATION
Michael Mann
SCENARIO
Michael Mann d'après le roman de Thomas Harris
MONTAGE
Dov Hoenig
INTERPRETES
William L. Petersen (Will Graham)
Kim Greist (Molly Graham)
Dennis Farina (Jack Crawford)
Brian Cox (Dr. Hannibal Lecktor)

DIRECTEUR PHOTOGRAPHIE
Dante Spinotti
MUSIQUE ORIGINALE
The Reds & Michel Rubini
PRODUCTEURS
Dino De Laurentiis & Richard A. Roth
DUREE
121 minutes
PRODUCTION
DEG
SORTIE FRANCAISE
Le 27 Avril 1987

 

 
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