Chrysalide. Buffalo Bill est le surnom d'un tueur psychopathe que traque le FBI. Un fou dangereux qui séquestre des jeunes femmes avant de les tuer et de les écorcher. Le nombre de ses victimes se monte déjà à 5. Jack Crawford qui dirige le service d'études du comportement du Bureau, n'a d'autre choix pour comprendre le psychisme de l'assassin, qui résiste à toutes les analyses, de s'adresser à Hannibal Lecter, une ex-psychiatre, emprisonné à vie pour le meurtre de 9 personnes. Afin d'amadouer ce cannibale, il choisit d'envoyer une de ses étudiantes, Clarice Starling. Entre cette-dernière et le docteur une étrange relation va naître, et l'enquête prendra un nouveau tour...

LE SILENCE DES AGNEAUX

Brillante adaptation d'un roman prenant de la première à la dernière page, voilà un long métrage d'une redoutable efficacité. Non seulement l'enquête sur l'assassin et la course contre la montre pour sauver Catherine Martin est haletante mais en outre les scènes où apparaissent le Dr. Hannibal Lecter sont des petits joyaux d'intelligence et de pertinence. Les personnages et les situations acquièrent une profondeur peu commune pour une oeuvre de cette durée. Un film justement récompensée par cinq oscars majeurs (meilleur film, meilleur réalisateur, meilleur acteur, meilleure actrice, et meilleur scénario adaptation).

Humilité du réalisateur. Pour expliquer la force de ce film, il est primordial de s'arrêter sur la mise en scène. Johnatan Demme, le réalisateur, a été formé chez Roger Corman en travaillant à des séries B et des films d'exploitation. C'est grâce à cette connaissance du genre épouvante plutôt baroque et sans fioritures que Le Silence des Agneaux est tel que nous le connaissons. Une formation suivie par des artistes tels que Joe Dante ou James Cameron. Demme pousse ce savoir-faire à un niveau artistique rarement atteint, sûrement parce que ses goûts vont plutôt vers la comédie (voir son film précédent Veuve Mais Pas Trop). En privilégiant une mise en images faite de plans panoramiques, de cadrages allant à l'essentiel et de couleurs sombres, chaudes et oppressantes, il parvient à nous faire pénétrer dans un monde réel. Nous sommes loin d'une enquête chimérique dans des décors de rêves. Mêmes les souvenirs de Starling sont présentés sans clivages, dans la continuité, à peine un changement de musique pour nous alerter, comme lorsqu'elle ressort de la première entrevue avec Lecter, ou juste avant l'autopsie de Frederica Bimmel. Par des petits détail, le cinéaste nous ramène les pieds sur terre, comme l'onguent que se place les enquêteurs lors de l'examen de la dépouille, rien que cette présence parvient à représenter l'odeur nauséabonde du cadavre. En professionnel rompu aux effets permettant de jouer avec l'audience pour un minimum de frais, il s'empare de tous les effets du roman pour suggérer, beaucoup plus qu'il ne montre. Il adapte son style à celui de Thomas Harris. L'un des meilleurs exemple c'est la discussion entre Chilton et Clarice lorsqu'il lui raconte la manière dont Lecter a devoré le visage d'une infirmière. Il tient une photographie, au moment où il la tend à Starling, nous nous attendons à la voir, mais Demme prend à revers notre côté voyeur, rien ne sera montré, à peine l'horreur dans les yeux de la jeune femme. L'effet est immédiat, instantané, garanti.

Terrifiant, troublant, il y a tant de qualificatifs associés au Silence. Tous pour la plupart mérités, à chaque visionnage un nouveau détail apparaît. Les décors nous font toujours frémir (comme la maison de Mme Lippman ou l'asile). Car nous sommes à la place de Starling, centrale. Cet apprenti-agent est, outre notre point d'entrée, une certaine novice en la matière, ses réactions deviennent nos réactions,

nous voyons par ses yeux, ressentons avidement par ses sens. Souvent des panoramiques nous mettent à nous superposent à elle (comme lorsque Clarice se trouve dans le couloir devant la cellule de Lecter, nous voyons le décors par ses yeux, subjectivement). Un artifice sensible lorsque Starling pénètre dans une pièce ou face à un nouvel interlocuteur, la caméra tourne, donnant à la fois une notion d'espace (bureau de Crawford ou de Barney) et des informations sur les détails nous entourant. La première image du psychiatre s'en trouve renforcée, le film nous a mené à lui, et ses dehors affables, graciles et logiques restent imprimés longtemps sur nos rétines.

Le monde selon Clarice. Le réalisateur et le scénariste adaptent scrupuleusement le livre, qui relate une vision du monde de Starling. Un aspect plutot aigri et cynique, teinté de naïveté. Sans oublier une terreur lié au sexe et un jeu de séduction étrange. Car l'histoire est une véritable quête pour la jeune femme, opposée à un ennemi bicéphale, mélangeant séduction et amour paternel. Elle se retrouve bloquée entre trois figures masculines. Une quête du double et de sa féminité, une sensibilité qui sommeille en Starling et qu'elle a préféré éluder jusqu'à présent. Curieusement le tueur qu'elle traque cherche en tuant des femmes à faire naître la femme qu'il pense dormir en lui. Dès lors toutes les interprétations deviennent possibles. La clairvoyance d'Hannibal durant leurs entretiens peut renvoyer aux mythes oedipiens et donc le recouvrement de l'image paternelle, une faculté à désarçonner. L'évolution de Clarice n'est pas complète, et l'affrontement final, se déroulant complètement dans le noir ne lui en apprendra guère plus. Assistons-nous à un rituel de passage ? Certainement. La métaphore du papillon, renvoie à la mutation de la chrysalide mais aussi à l'âme qui s'envole du cadavre. Clarice en regardant le papillon après la mort de Gumb s'est-elle débarrassée de la chape paternelle, de l'image du cadavre de son père dans son cercueil. D'un sentiment de culpabilité. Lecter lui a permit de s'ouvrir. Mais le mal est fait, le changement amorcé chez la jeune femme, l'abandon de soi, le self-control, transforme ses valeurs pour les rapprocher de celles de Lecter (dont on trouvera l'apogée dans Hannibal). A part dans une réplique, la mère de Starling n'est pas évoquée. Bella Crawford n'étant pas présente, seule le sénateur Martin représente la féminité accomplie. Les rapports qu'elle semble entretenir avec sa fille, le parallèle que fait Lecter entre la surcharge pondérale de la fille et l'éducation balancent parfaitement les sentiments de Clarice. Et lors de la scène de sauvetage, l'image des deux femmes chacune à l'autre bout du puits donne le vertige. Cette maison elle-même, son sous-sol tortueux, n'est peut-être pas seulement le symbole d'un désordre psychique, mais aussi l'étouffement dû à d'un amour maternel trop intense, une plongée dans les méandres de la matrice utérine. Jame Gumb a été traumatisé par sa mère, il cherche à devenir une femme. Clarice au contraire cherche la dureté de l'homme. Encore une fois, ce sentiment d'ambivalence. Dans le film, Crawford et Lecter représentent pour Clarice une balance, des opposés, des doubles, ils seront tous les deux là d'une manière ou d'une autre pour sa remise de diplôme. La jeune femme fera alliance tour à tour avec ces 2 hommes, ces deux mentors en fait. Pour elle, ils sont complémentaires dans sa formation, dans sa construction en tant que femme. Avec eux, une curieuse relation teintée de sensualité se manifeste. Attirance, fascination, peur ou répulsion sont autant de sentiments qui s'abattent sur Clarice. Cette trinité, ces 3 pères en elle, lui apporte une nouvelle base, une nouvelle force, le courage de son père, l'intelligence de Lecter et le pragmatisme de Crawford.

La peau. Membrane séparant intérieur et extérieur, est sans nulle doute dans l'esprit de l'auteur le symbole du cheminement de Clarice. Au début du film, elle nous est présentée comme une sorte de médiatrice, une limite nette (cette arbre droit, première image), une entité seule dans une étendue déserte et opaque. Sa vision du monde. A ce titre, le premier plan nous montrant Starling en contre-plongée et grimpant à l'aide d'une corde est le symbole de la route qu'elle va emprunter dans un environnement hostile. Elle est en équilibre, se retenant à ses certitudes et sa conception du monde (cette corde). Une liberté de pensée, et du recul c'est ce que Lecter va lui apporter. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si Demme met souvent en scène la jeune femme contre un mur, comme bloquée,

repoussée dans ses derniers retranchements. Ce sentiment, lorsqu'il ne peut l'obtenir par les décors il le fait ressentir par des effets de caméra. Ainsi, le dernier entretien Lecter-Clarice, présente le visage du docteur recouvrant tout l'écran, en très gros plan, filmé légèrement de haut, cela le rend beaucoup plus incisif, alors que Starling du fait des couleurs sombres entourant son visage semble plus lointaine peu sûre d'elle et subissant l'attaque. Sur la dernière image du film, la rue, nous retrouvons l'arbre cette fois-ci un palmier qui ne se dresse plus droit et stoïque comme au début mais bouge dans le vent, avec la vie et le tumulte autour de lui. L'évolution a bien eu lieue.

Le tueur, l'assassin. Cet ennemi clivé en deux entre Hannibal Lecter et Jame Gumb. Malheureusement, le scénario élude toute la partie du roman présentant l'enfance de Buffalo Bill, et ses motivations profondes. De ce fait la balance penche fortement vers notre bon docteur. Hannibal nous est présenté contrairement à son homologue comme un monstre choisissant ses victimes, il a sa propre morale. Au contraire Gumb est un esprit dérangé. Lecter mène le jeu alors qu'il est enfermé. Seul dans sa cage de verre, il comprend et analyse, faisant souvent mouche. La fausse offre de Starling-Crawford il l'a tout de suite reniflé, mais qu'importe, il sait aussi que Chilton va faire un erreur. L'évolution de Gumb il l'avait prévu d'après les séances d'avec Raspail. La jeune femme qui vient le voir il sait comment la déstabiliser. Pourtant avec Barney elle semble être la seule personne qui puisse l'émouvoir, autant qu'il puisse l'être. En un seul contact physique fugace (leurs doigts s'effleurent à la manière de Michel-Ange) la tension sexuelle et affective s'exprime pleinement.

Simplicité. Cette qualité que Lecter rappelle à Starling, paraît être présente à l'esprit de toutes les personnes travaillant sur le film. Plus les effets sont simples plus cela fonctionne. Un cadavre, une photo de tuerie, tout nous est montré de la même façon sans en rajouter à grand renforts de zooms ou d'images tressautantes. Ce qui n'empêche pas l'oeuvre d'afficher une indéniable richesse, les allers et retours dans les différents états, les multiples personnages munis de caractères habilement brossés (comme le docteur Pilcher pourtant peu vu). Les décors admirables, glauques avec des murs semblant transpirer l'humidité, la photo splendide qui jongle avec les filtres. La prouesse d'Howard Shore dont la partition musicale nous envoûte. Il faut voir pour s'en persuader les scènes d'ouvertures et de clôture, la musique y est un acteur à part entière, une confidente de nos sentiments. Ses partitions, tantôt lyriques, tantôt sourdes ou répétitives tranchent avec les variations Goldberg que l'on entend durant l'évasion. Et pour finir l'interprétation. Les acteurs sont pour beaucoup dans le plaisir que l'on prend au visionnage, le couronnement du travail technique. L'histoire est l'occasion de joutes entre deux personnages d'exception. Jodie Foster campe parfaitement Clarice en faisant ressortir ses contradictions, son mélange de féminité, sa recherche de la figure paternelle, sa dureté, puis sa fragilité. Il faut dire que Demme parvient en quelques scènes grâce à l'adjonction d'Ardelia Mapp, la camarade de chambre de Clarice à affirmer son caractère. En ce qui concerne Hannibal Lecter, il y a plusieurs interprétations possibles du roman. Anthony Hopkins choisit un angle d'attaque, le Mal. Il a d'ailleurs eu ces mots en le comparant à HAL de 2001, Odyssée De L'Espace : "Il est dépassionné, une machine brillante, superbe et logique, déficiente en émotions". Son Hannibal est dérangeant, clairvoyant, presque omnipotent, mais perd une certaine humanité. Si on est loin de la parodie qu'il nous livre dans Hannibal, on se prend à regretter Brian Cox de Manhunter et ses touches d'auto-dérision, d'astuce, de malice. Il faut dire que si Will Graham avait l'avantage, Clarice Starling arrive en total déséquilibre. N'oublions pas de citer les autres acteurs qui apportent par leur retenue et leur justesse une nouvelle profondeur aux deux personnages principaux. Ne nions pas le fait que pour tous les lecteurs de Thomas Harris, le docteur Lecter, Clarice Starling et Jack Crawford seront toujours l'Anthony Hopkins, la Jodie Foster et le Scott Glenn de ce film.

 
Puisque nous nous attardons sur l'adaptation du roman, signalons un remarquable travail de Ted Tally (suivi de près par Johnatan Demme) pour retranscrire en deux heures la structure du livre. Car le spectateur a vraiment l'impression de compulser, feuilleter les pages, découvrir les profils des personnages, leur profondeur, leurs peurs intimes... Néanmoins il y a des passages importants qui ont été

coupés : l'enfance de Gumb, la femme agonisante de Crawford (qui pourtant peut expliquer le rapprochement d'avec Starling), et enfin l'enquête auprès d'hopitaux pratiquant les changements de sexe (pourtant suggérée dans un dialogue de Lecter). Enfin la fin de l'ouvrage est légèrement différente, le docteur ne téléphone pas à Clarice mais lui envoie une note, il remercie Barney, écrit au docteur Chilton. La dernière page nous laisse sur une Starling au lit avec un homme dans une sorte de calme retrouvé. Cette fin tranche singulièrement avec celle du film ou prévue dans le script (un Lecter torturant Chilton). Dans le film nous restons sur une étrange impression, qui est réellement le monstre ? Est-ce le bon assassin que l'on a arrêté ? Pour stopper un déséquilibré, un autre s'est enfui, rendu à la foule. Futilité. Il s'éloigne libre dans une grande artère d'une ville sud-américaine. L'ambiguïté de cette conclusion est déconcertante et donne encore plus de saveur au film. Le monde est sombre et plein de papillons de nuit, à tête de mort. Revenons un instant sur une scène d'anthologie. Lorsque Starling traque Gumb dans le noir. Elle est complètement perdue, tandis que lui dans l'ombre l'observe avec ses lunettes à Infrarouges. La dernière vision qu'a eu la jeune femme avant l'extinction est affreuse. Elle se retrouve seule, et ne devra sa survie qu'à réflexe proche de l'atavisme. C'est le point d'orgue du film et l'affrontement pour Clarice, elle se prouve à elle-même et à ses trois "pères" qu'elle est capable. Ce côté aveugle, tout en démontrant le côté obtus de la jeunesse, nous renvoie à nouveau à Oedipe qui sacrifia ses yeux. La victoire est-elle probante, Starling ne doit la vie qu'à la chance, elle n'a pu affronter son adversaire en face, elle reste tremblante près du corps agonisant. Les agneaux n'ont peut-être pas fini de pleurer ?

Fondements. Juste pour l'anecdote, signalons que Gene Hackman fut le premier à acquérir les droits de l'histoire (laissés vacants par Dino De Laurentiis), hésitant entre la réalisation, et les rôles de Crawford et Lecter. Nous avons par la suite échappé à Michelle Pfeiffer pour incarner Clarice. John Douglas, consultant du FBI sur le film, nous expliquera même à la sortie du long métrage, les quatre années de recherches nécessaires à la rédaction de l'ouvrage et la fusion en Buffalo Bill des caractères de 3 tueurs notoires : Ted Bundy (pour l'enlèvement), Heidnick (pour la séquestration morbide dans un puits) et Gein (pour le costume de peau). Le Silence des Agneaux est l'un des plus grands thrillers des années 90, et se trouve être la quintessence de toutes les tendances qui ont suivies : une noirceur, un rapport de force psychotique (Se7en) sécheresse des sentiments, le désespoir (si cher à Finscher). Mais là où il surclasse la plupart du genre serial killers c'est dans son évocation de le violence, du gore ou du sexe. Il montre finalement peu de choses, et lorsqu'il doit passer par une scène difficile, il l'abrège (l'autopsie, ou l'évasion). Michael Mann l'avait compris quand il adapta (de manière très personnelle) quelques années auparavant le premier roman de la trilogie Lecter, Ridley Scott lui préféra l'oublier en 2001. Pour toutes ces qualités, sa réalisation, sa photo, son script ou son interprétation, sa capacité à transcender le genre de la série B à gros budget, son côté intemporel parfaitement maîtrisé, il mérite d'être vu et revu.

 
 
F. Flament
27 Mai 2001

 

 

 

 

 

 

Un vieil ami pour le dîner
Film américain de Johnatan Demme (1990), adaptation parfaite du roman de Thomas Harris primée par les 5 oscars majeurs en 1991. Avec Anthony Hopkins (Dr. Hannibal Lecter), Jodie Foster (Clarice Starling)... Sortie française : le 10 Avril 1991.

Multimédias
Bande-annonce (vo)
Photographies (60)
Extrait sonore N°1 / N°2
Extrait sonore N°3 /
N°4

Liens
Le site de la MGM
Thomas Harris
Anthony Hopkins
Le film sur l'IMDB
Lire le script

Fiche technique
REALISATION
Johnatan Demme
MONTAGE
Craig McKay
SCENARIO
Ted Tally d'après le roman de T. Harris
DIRECTEUR PHOTOGRAPHIE
Tak Fujimoto
MUSIQUE ORIGINALE
Howard Shore

INTERPRETES
Anthony Hopkins (Dr. Hannibal Lecter)
Jodie Foster (Clarice Starling)
Scott Glenn (Jack Crawford)
Ted Levine (Jame Gumb)

PRODUCTEURS
E. Saxon, K. Utt et R. Bozman
DUREE
118 minutes
PRODUCTION

Strong Heart Demme / ORION Pictures
TITRE ORIGINAL
The Silence Of The Lambs
SORTIE FRANCAISE
Le 10 Avril 1991

 

 
bb