Sans âme. Il est des films que l'on a envie d'aimer avant même que la machine médiatique se soit mise en route. Hannibal est de ceux là. Tout semblait réuni pour fournir un bon moment de cinéma : un livre riche, des acteurs excellents, un réalisateur et un producteur chevronnés. Et pourtant, quelle déception ! Ce n'est qu'un produit sans âme, simplifié à l'extrême, ne comptant que sur des effets gores et gratuits. Le film ne cherche pas à fasciner, mais à dégoûter. Mais mauvaise nouvelle pour vous, messieurs d'Hollywood, les spectateurs sont encore capables de faire différencier cette "chose" et un chef-d'œuvre comme Le Silence des Agneaux ou Manhunter.

HANNIBAL

Une vengeance tenace. Cela fait 10 ans que le psychiatre Hannibal Lecter, criminel responsable de plus d'une dizaine de meurtres et de surcroît cannibale, s'est échappé. 10 ans que l'agent spécial Clarice Starling a connu son 1/4 d'heure de gloire en arrêtant Jame Gumb grâce à l'aide du bon docteur. Mais depuis sa carrière s'enlise, bloquée notamment par Paul Krendler du département de la Justice qui ne supporte ni son talent ni d'avoir été éconduit. Mason Verger est la sixième victime du cannibale. Il a survécu à son agression, mais dans un état déplorable. Cet être déséquilibré ne rêve que de donner Lecter en pâture à des cochons sauvages ! Il va se servir de Starling comme appât, ce qui a pour effet de troubler la retraite d'Hannibal à Florence...

Une erreur sur toute la ligne. Comment arriver à un tel gâchis ? C'est bien la pensée qui assaille en sortant de la salle de projection. Première réponse : le script qui simplifie tellement le propos du roman que la plupart des personnages en deviennent des pantins dont on ne comprend ni l'implication ni les réactions. Comment ont-ils pu ôter Jack Crawford ! La présence de cet ancien mentor vieillissant et dépassé est pour beaucoup dans la compréhension du caractère de Clarice dans le livre. Aucune allusion à la soeur d'Hannibal qui pourtant, éclaire la personnalité du criminel d'une façon tout à fait nouvelle. Margot Verger aussi a disparue, de même qu'Ardelia Mapp. Le rôle de Barney est réduit à l'extrême. Exit aussi la critique acide d'une société mercantile dominée par l'argent et les médias. Une société ayant perdu toute valeur et où finalement Lecter n'est peut-être pas le plus fou et le plus désaxé de tous. Si ce n'était que cela on pourrait s'en accommoder, mais lorsque l'on ajoute que le passé de Pazzi n'est pas évoqué, (comment comprendre le dilemme du personnage), à part dans une réplique. Que Lecter perd de son charisme au fur et à mesure du film (la deuxième partie décline à vue d'oeil, Lecter allant espionner Clarice dans son sommeil, ineptie, jamais il ne forcerait sa porte). On comprendra le désarroi du spectateur. Quant à la triste fin : infamante et guignolesque. Si l'on fait le choix de diverger de la vue de l'auteur, pourquoi donc garder le repas morbide qui perd tout son sens puisque Clarice n'évolue pas de la même manière, si ce n'est bien entendu pour renforcer le ton gore et dérangeant du film. Pourquoi Hannibal se donne-t-il autant de mal à préparer son "repas" alors que lui et Clarice n'y goûtent même pas ? Non, cette scène est vraiment ridicule, mais ce n'est que le début : Lecter-Starling dans la cuisine, on frôle la catastrophe et on finit par se demander si les scénaristes savent de quoi ils parlent, ont-ils compris ce qui faisait le charme de Lecter ? (nous sommes en complet désaccord avec le dernier chapitre du roman je ne peux croire que Thomas Harris ait participé aux réunions d'écriture). Et cette dernière scène ! Celle dans l'avion, elle démontre une méconnaissance totale du personnage. On touche le fond et on a l'impression d'être un des rares survivants du naufrage auquel on vient d'assister dans les derniers 3/4 d'heure. Inutile de se demander comment Hannibal a eu le temps d'emporter son plat dans sa fuite plutôt hâtive ? Pour expliquer mon désarroi aux personnes qui me diraient qu'en fin de compte le scénario n'est pas si mauvais que ça, je rétorquerais que lorsqu'un dramaturge de la trempe de David Mamet (son premier draft était assez déroutant) et l'oscarisé Steven Zaillian (La Liste De Schindler) livrent une histoire, le spectateur est en droit d'attendre une histoire qui tienne la route et suffisamment synthétique pour éviter que les coupes au montage lui fasse perdre toute crédibilité.

Un actor's studio sclérosé. S'il n'y avait que le scénario qui ne collait pas, on pourrait sûrement en prendre son parti et trouver notre bonheur par ailleurs. Hélas, la mise en image pêche aussi sur de nombreux points. La mayonnaise ne prend pas c'est tout simple. Rydley Scott nous livre un "produit" où le montage halluciné des scènes de flash-back et les plans se fixant sur les photos des murs du bureau de Clarice ressemblent à des procédés cheap, souvent utilisés en télévision (comme dans Millennium ou Profiler). Sur ce point comparons avec Le Silence des Agneaux la scène où Clarice regarde les photos sur les murs du bureau de Crawford, la caméra de Demne passe dessus a vitesse constante et c'est bien ce qui les rend plus effrayantes encore, plus réelles. Continuons avec les acteurs. Là les avis sont mitigés, autant Julianne Moore est très belle autant le peu de matière du

script et la façon de filmer ne lui permettent pas d'exploser comme dans Magnolia ou The Big Lebowski. Anthony Hopkins laissé sans direction réalise une one-man show, oublie ce qui faisait la force de sa première interprétation et aurait surtout gagné à perdre un peu de poids. Un homme dans sa condition physique ne peut suivre Clarice pendant un footing de plusieurs kilomètres. Gary Oldman est vraiment sous-employé et le maquillage ne laisse passer aucune expression ou émotions dans le visage, autant dire qu'il est raté. Une bouffée d'air vient de Florence avec les Pazzi, ils apportent une touche de fraîcheur et de renouveau à un actor's studio qui semble sclérosé. Ils sont pour beaucoup dans la réussite du début du film et sont une de nos rares sources de satisfaction.

La vision du monde du docteur Lecter. Où donc se trouve le budget conséquent du film ? Il ne transparaît en tout cas pas à l'image. Passons sur l'Opéra en plein air, le manège au milieu de la gare, les tons beaucoup trop chauds, les scènes d'action complètement ratées (la fusillade au début du film n'a aucune intensité, le ralenti au moment du tir de Starling rend la scène plus grotesque encore) pour en conclure qu'à part la partie sur Florence qui possède un certain charme le reste du film n'a aucun rythme et sombre parfois dans la laideur. Prenons la scène de la mort de Verger : quel intérêt de montrer en gros plan les cochons manger un être humain, le film serait beaucoup plus effrayant si l'on ne voyait pas cette scène ou juste de manière fugace... Il existe un très beau plan cependant c'est celui où Lecter emmène Clarice en voiture chez Krendler, mais il est tout de suite gâché par la dernière partie du film où Ridley Scott tente de montrer le plus possible la poitrine de Julianne Moore. Où est l'image de la murène (juste entraperçue) si présente dans le roman pour faire passer le caractère de Verger, c'est une métaphore qui s'impose trop fortement pour être évitée. Tout comme le livre, le film semble être une vision du monde au travers les yeux de Lecter. Comment excuser alors le manque de poésie, de fantaisie et de malice, qui sont des caractéristiques inaliénables de notre bon docteur, le raffinement en matière de musique, de femmes, de langage, remplacé par une paire de chaussures Gucci et un "Okey dokhey" récurrent. Mais surtout, le système de valeurs d'Hannibal, jamais le personnage ne pourrait offrir de la cervelle humaine à un enfant de 10 ans... Le montage n'arrive pas à donner du rythme au film ce qui rend la seconde partie assez mauvaise et peu agréable à suivre, il faut néanmoins reconnaître que les coupes et la limitation de la durée à 2 heures n'arrange pas le travail du cinéaste. Que dire de la musique ? Tous ceux qui ont vu Le Silence des Agneaux se souviennent du thème de Howard Shore que ce soit pour la scène d'ouverture ou la scène finale. Ici, la musique est insipide, ne reste pas en tête. Si on prend le parti de privilégier la vision de Lecter, pourquoi ne pas s'appuyer sur des grands thèmes lyriques ou utiliser pour beaucoup plus qu'une scène les variations Golberg ?

Exploiter une licence. CBS, le network américain s'est porté acquéreur de tous les rushs et la version complète qui approcherait les 4 heures ! Cette dernière sera diffusée prochainement en tant que mini-série, espérons que l'histoire en sortira renforcée. On se demande quelle fin sera choisie, puisqu'il en existe 3 différentes qui devraient être inclues dans le DVD... En dernier lieu, je profiterais de cette chronique pour demander à M. De Laurentiis, ce grand producteur, de réfléchir à deux fois avant de vouloir réadapter le premier roman où apparaît le docteur Lecter : Dragon Rouge. En effet, Ted Tally, le scénariste du Silence des Agneaux vient d'être engagé pour écrire le scénario d'une nouvelle adaptation (la première datant des années 80 par Michael Mann), de ce roman et axé sur l'arrestation de Lecter par Will Graham -ce qui représente une toute petite partie du livre. Ce serait donc un projet de prequel ? Je vous en prie M. de Laurentiis, Dieu sait que je vous remercie d'avoir permis à David Lynch de réaliser Blue Velvet, mais votre échec avec ce même réalisateur pour l'adaptation (de la formidable série d'ouvrages) Dune démontre votre difficulté à adapter des romans et la faiblesse de certains de vos partis pris (décors, effets spéciaux...). Aux dernières nouvelles, une suite à Hannibal pourrait être envisagée suivant le succès de Dragon Rouge : ce serait donc Hannibal IV, il serait peut-être temps de stopper l'exploitation de la franchise, non ?

 
Déception. La première vision du film est donc source de grande frustration par rapport aux aventures précédentes de Lecter et Starling. Surtout lorsque des scènes présentes dans la bande-annonce ne figurent même pas dans le film (Starling visitant l'asile). Ce sentiment concerne presque tous les aspects du film constitué comme un "produit" sensé rapporter vite et tout de suite, et non pour durer dans le

temps ou influencer durablement le genre comme l'ont fait ses prédécesseurs. L'équipe ne cherche pas à nous happer dans une histoire ou nous terrifier, mais à nous heurter. L'adaptation du roman de Thomas Harris est ratée (je conçois qu'elle était presque impossible) et sombre dans le guignolesque. Je suis peut être un peu sévère, du fait de mon attrait pour les romans originaux mais objectivement le film est vraiment faible. A moins bien sur que toute l'équipe ait voulu faire passer le pessimisme et les désillusions qui émaillent le roman dans ce cas c'est une réussite : on ressort DECU !

 
 
F.Flament
10 Mars 2001

 

 

 

 

De la confiture aux cochons
Film américain de Ridley Scott (2000), adapté du troisième roman de Thomas Harris mettant en scène Hannibal Lecter, avec Anthony Hopkins (Dr. lecter), Julianne Moore (Clarice Starling)... Sortie française : le 28 Février 2001 (10 ans après le Silence).

Multimédias
Bande-annonce (vo)
Photographies (11)

Fiche technique
REALISATION
Ridley Scott
SCENARIO
David Mamet, Steven Zaillan d'après le roman de Thomas Harris
INTERPRETES
Anthony Hopkins (Dr. Hannibal Lecter)
Julianne Moore (Clarice Starling)
Gary Oldman (Mason Verger)
Ray Liotta (Paul Krendler)

DIRECTEUR PHOTOGRAPHIE
John Mathieson
MUSIQUE ORIGINALE
Hans Zimmer
PRODUCTEURS
Dino & Martha DeLaurentiis, Ridley Scott
DUREE
125 minutes
PRODUCTION
UIP
SORTIE FRANCAISE
Le 28 Février 2001

 

 
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