La petite souris. Will Graham possède un talent peu commun, il peut se substituer aux divagations, pulsions et comportements déviants des criminels insaisissables et imprévisibles que sont les serial killers. Il exerce cette qualité au sein du service des sciences du comportements du FBI, où, sous la houlette de Jack Crawford il peut se targuer d'avoir mis hors d'état de nuire deux des plus dangereux spécimens.

DRAGON ROUGE

Mais l'arrestation du dernier, le psychiatre retors, érudit et raffiné et de surcroît cannibale machiavélique, Hannibal Lecter l'a profondément marqué dans ses chairs et sa psyché. Il a donc décidé après avoir frôlé la mort de se retirer à Marathon (Floride) avec femme et enfant pour s'occuper de bateaux. C'est dans cet éden que son ancien patron vient le solliciter quelques années plus tard. Un nouveau tueur pervers sévit en tuant à chaque pleine lune des familles entières. Seul Will et les accointances qui le lient à Lecter, maintenant emprisonné dans un asile de haute sécurité, peuvent débloquer la situation.

Cannibalisme. Comment ne pas souligner en introït que le roman Dragon Rouge a déjà fait l'objet d'une adaptation cinématographique en 1987 par le cinéaste inspiré Michael Mann sous le titre de Manhunter. Il signait alors avec la producteur Dino De laurentiis (toujours présent dans l'ombre de ce remake) une œuvre flamboyante où la beauté des décors, des symboles, de la photographie ainsi que des mouvements de caméra concouraient à la création d'une véritable atmosphère angoissante et hypnotique. Depuis lors la carrière à l'écran du Docteur Lecter a pris son essor et à la suite des succès et des profits colossaux engendrés par les antagonistes Le Silence Des Agneaux et Hannibal, il semblait logique qu'Anthony Hopkins soit amené à endosser une troisième fois son rôle fétiche dans l'épisode de la genèse. Ainsi les diligents producteurs souhaitent - outre exploiter une franchise alléchante - dans leur infinie mansuétude assurer au grand public une œuvre cohérente, formatée et sans dissonances. Un seul acteur clé de voûte du dispositif, des décors identiques, des couleurs harmonieuses et un intérêt déclinant. Car le spectateur d'abord reconnaissant et excité s'aperçoit très rapidement de la supercherie sous le mercantilisme et la désinvolture.

Il n'y a d'espace dans cette ode académique et anémiée que pour un gigantesque égocentrisme. Anthony Hopkins est l'unique vedette et le monde, le scénariste ou tout autre entité doit se plier et disparaître à l'évocation de son aura irradiante. Ainsi, fort de s'être entouré du directeur de la photographie de Manhunter et du scénariste du Silence Des Agneaux, qu'importe au producteur de choisir un

réalisateur imaginatif et innovant. Non, pérenniser un succès est le seul moteur de l'entreprise et voilà que Brett Ratner - honnête et compétent artisan des comédies Rush Hour 2 et Family Man - pointe sa caméra unidimensionnelle (aucune profondeur physique ou métaphysique) et adepte du plan serré. Oubliées alors les métaphores et la direction d'acteurs de Michael Mann ou Jonhatan Demme, ici le cabotinage est roi, l'intensité absente et le pompeux poussé aux confins de l'apathie et de l'emphase. L'unique artifice technique consiste en l'utilisation laborieuse et dérisoire de la mise au point et du champ-contrechamp. La caution du film repose exclusivement sur le cannibalisme et la plagiat du cinéaste envers les travaux de ses prédécesseurs. Ainsi les décors ont été exhumés de la naphtaline, les personnages tels Barney ou le docteur Chilton sont interprétés par les mêmes acteurs qu'en 1991, autant de garants d'une continuité à jamais perdue.

Le paroxysme de cette logique gratuite et unilatérale réside dans l'exagération de la présence du docteur Lecter qui vampirise toute la dimension liturgique et torturée du récit. Pour preuve de nombreuses scènes mettant en scène Hannibal inventées de toutes pièces (l'arrestation, le dîner, la promenade ou l'arrivée de Clarice), qui finissent par éluder et éclipser les deux personnages primordiaux du roman, à savoir Will Graham et Francis Dolarhyde. Le déséquilibre ne saurait expliciter entièrement la dissonance, le traitement en est responsable. En effet tout provient de deux scènes, l'une ouvrant lourdement le récit et l'autre cruellement escamotée. Par la mise en images de la capture de Lecter (pourtant à peine évoquée à dessein dans le livre), le réalisateur réduit à néant son caractère avant même qu'il n'ait pris forme. D'emblée Will, un chasseur subtilement intuitif et intelligent est pris en défaut, il en retard sur le spectateur qui lui sait qu'Hannibal est un monstre effroyable. Cette volonté incompréhensible de la part des créateurs de tout expliciter sans aucune hiérarchie ou poésie détruit donc la clé du film, à savoir l'affrontement intérieur d'un homme aux prises avec ses démons et ses valeurs, sa famille et ses responsabilités. Les rapports d'avec Molly ou même l'enfant sont expédiés avec une célérité écrasante et aberrante qui n'a d'égale que la torpeur et la mollesse dans laquelle s'enfonce le long métrage. La scène omise et qui aurait pu compenser l'erreur initiale ce sont les maltraitances de la grand-mère à son petit-fils atteint d'énurésie. Ici le metteur en scène expédie les traumas de l'enfance dans une visite fastidieuse d'une maison en ruine (qui doit énormément à Psychose) agrémentée d'une voix off de matrone revêche. Comment alors rechercher la moindre intégrité et humanité à deux hommes qui ne font que subir une histoire qu'ils devraient créer. En outre, certains plans superflus ou l'appesantissement de la caméra sur les détails sordides (les femmes mutilées présentées à Lounds) ne permettent pas plus d'exprimer une quête que de s'impliquer dans l'investigation laborieuse et désincarnée de Will. L'agent ne va cesser d'aller d'errances en invraisemblances (la pire étant la lettre finale d'Hannibal lui demandant s'il est défiguré alors que Dolarhyde ne l'a pas touché au visage !) sans jamais communier le moins du monde avec sa proie. Où est l'altérité, le reflet et le rapprochement dans cette mise en abyme de l'intellect, dans cette effacement constant de toute intégrité dramatique.

Pèlerin peaufiné. Trop bien huilé, le film se contente d'effleurer une surface de manière laconique et factuelle. Jamais la matière littéraire pourtant adaptée plus fidèlement que dans Manhunter (l'affrontement final apothéose de la passivité du "héros" ou l'ingestion de l'aquarelle) ne sera sublimée ou ne pourra exhaler sa profondeur mythologique ou métaphorique. De fait la comparaison de

l'image et de l'écrit est une source de désenchantement constant. La dégénérescence maculaire que semble contracter le chantre des tueurs en série envahit une réalisation pratiquement idiomatique. Le rythme se fait amorphe, atrophié ou mortifère. La musique toujours employée maladroitement. Enfin, aucun cadre ou axe de caméra ne parvient à créer une quelconque terreur indicible. La scène de la chaise roulante est masquée par la voiture, la nudité de Ralph Fiennes ôte toute tension à l'exécution du journaliste et son monologue dans la poussière du grenier en devient risible. La désinvolture culmine avec Harvey Keitel totalement absent à l'écran et dont les interactions avec l'indolent Edward Norton désamorcent une intrigue déjà stéréotypée et redondante. Des prestations d'autant plus préjudiciables qu'Emily Watson (pétillante et ingénue, inoubliable cette année dans Punch-Drunk Love) et Ralph Fiennes (qui confirme sa composition impressionnante de Spider) profitent de leurs - trop - rares scènes pour imprimer un allant et un frémissement en expérimentant une véritable alchimie et des sentiments ambivalents. Il s'agit de la seule illumination par une quelconque délicatesse ou subtilité de la part d'une équipe qui abhorre les symboles, les rapprochements et qui glorifie les raccourcis simplistes, chafouins et grossiers (opposer les grands yeux écarquillés de Reba avec les miroirs, la queue de cheval et les tics d'Hannibal, les attouchements sexuels de la jeune aveugle…). Le film ne se départit en aucune mesure de son statut d'amuse-bouche, amplifiant ainsi sa valeur anecdotique (la scène finale totalement malvenue annonçant l'arrivée de Clarice Starling). Une vaste entreprise de démolition désabusée, somnolente, vouée toute entière à sa destruction et à son démantèlement méthodique. Un évanouissement et une évaporation qui plombent et tétanisent aussi bien l'équipe que l'auditoire.

 
 

F. Flament
3 Novembre 2002

 

 

 

 

 

 

Amuse-bouche insipide
Film américain de Brett Ratner (2002), seconde adaptation du premier tome de la trilogie Hannibal Lecter dont Anthony Hopkins parachève l'incarnation. Avec Edward Norton (Will Graham), Emily Watson (Reba)... Sortie française : le 30 Octobre 2002.

Multimédias
Bande-annonce
Photographies (32)

Liens
Le site officiel américain
Thomas Harris
Anthony Hopkins

Fiche technique
REALISATION
Brett Ratner

SCENARIO
Ted Tally d'après le roman de T. Harris

DIRECTEUR PHOTOGRAPHIE
Dante Spinotti

MONTAGE
Mark Helfrich

INTERPRETES
Edward Norton (Will Graham)
Anthony Hopkins (Dr. Hannibal Lecter)
Ralph Fiennes (Francis Dolarhyde)
Harvey Keitel (Jack Crawford)
Emily Watson (Reba McClane)

DECORS
Kristi Zea
MUSIQUE ORIGINALE
Danny Elfman

PRODUCTEURS
D. De Laurentiis, M. Schumacher, R. Scott, A. Z. Davis et J. M. Freitag
DUREE
124 minutes
PRODUCTION

Universal Pictures, Scott Free Prods, Dino De Laurentiis Prods, et UIP (Distr.)

SORTIE FRANCAISE
Le 30 Octobre 2002
 
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