demandées,
dans les kiosques, la mode, l'art contemporain. Il ne s'agit plus
d'affirmer" Je n'aime pas ça" mais de se demander
à quel point elles ont déjà pénétré
dans notre conscience. Aujourd'hui, on peut tout représenter
dans le domaine de l'imaginaire : les images les plus violentes et
les plus sombres.". L'attitude de Diane est un cruel aveu
d'agénésie, se mettre en retrait et observer (calculer ajoutera Hervé)
le flux nécessite l'existence et la possibilité d'un
quelconque contrôle – domination – sur ses perceptions. Or il
est devenu impossible de gérer ce qui imprègne notre
cornée. Comme les protagonistes tout en apparences et en personnalités
fantomatiques, nous voila devenus amoraux, endoctrinés et piégés
par un mécanisme que nous avons initié. Victimes d'une
logique implacable issue de nos psychés qui a fini par nous
dépasser. Ce faisant nous voici méticuleusement reprogrammés
et aseptisés, pourtant toujours aussi incapables et douloureusement
conscients de notre vacuité. Otages dépouillés de leurs images,
intouchables par elles qui sont passées à travers nous, au-delà de
nous. Qui influence l'autre dans ce pacte faustien : le regardant
ou le regardé ? Le virtuel recrée-t-il le réel,
l'inverse ou la création d'un nouvel ordre amoral et désincarné
(vaste agrégat concupiscent contemplant avidement ses appendices)
? Nous sommes déjà complices, infectés insidieusement
par des codes édictés par des décisionnaires
retranchés en altitude, dans ces lieux démiurges que
sont les premières classes ou les derniers étages d'hôtels
de luxe. La somptueuse ironie étant que même eux finissent
par être entraînés dans la déchéance
– exception faite de Volf, le seul que semble rebuter véritablement
les tortures interactives de femmes avilies sans arrière-pensées mercantiles
et business plan. C'est encore dans les propos du cinéaste
que l'on parfait cet éclairage : "Les Hentaï,
dit-il, ont été créés et formatés
pour séduire les adolescents avec un matériel brut en
prise avec leur sensibilité : le sexe et la violence. Jusqu'à
toucher à leur inconscient. Les adultes ont suivi en modelant
leur consommation sur celle des enfants. Ce que j'ai eu envie d'expliquer
dans "Demonlover", c'est que nous allons tous devenir japonais.
C'est au Japon que l'habillage du monde se fabrique : images numériques,
mode, design, tout.". Tout ne serait plus qu'uniformisation,
glacis vernis, une beauté de surface (derrière lesquelles
– vitres, écrans ou mascara – des commerciaux oisifs et blasés
de pouvoir s'adonnent aux vertiges de leurs dérives, aux images
envisagées comme nouveaux excitants et psychotropes) devenue enjeu
pervers, une quête insatiable et rapace de désirs factice.
Nous serions enclins à substituer à la formule – artifice
– journalistique "Nous sommes tous des Rosetta" relatives
au film des frères Dardenne celle de "Nous sommes tous
des images". De simples frontières faméliques ouvrant
sur le néant et pire encore qui tendent à s'uniformiser,
à s'aseptiser et à se scléroser dans la normalisation
des regards. Les personnages veulent posséder, oublier l'espace
d'une bouffée d'oxygène l'overdose de virtuel : se sentir
vivre. A ce titre il est intéressant d'opposer la formidable
scène d'ouverture où les protagonistes se retrouvent
dans un avion, encerclés de minuscules écrans diffusant
des images atroces et muettes avec un des derniers plans où
Diane dans un hôtel américain scrute, hypnotisée, les
mêmes images avec l'obligation de hausser outrageusement le
niveau sonore afin de leur apporter une quelconque véracité,
un semblant de réalité en les ressentant brutalement.
Entre le son (une musique stratosphérique et expérimentale
de Sonic Youth qui souligne les dissonances harmoniques des corps
et des "âmes") et l'image qu'est-ce qui définit
une quelconque réalité ? Pourquoi est-on obligé
de les juxtaposer (nous assimilons comme Diane la détonation
du pistolet avec la mort dans une brusque montée d'adrénaline
que les images du Hell Fire Club n'auront jamais déclenché),
la représentation serait devenue si commune ou est-ce toujours
ce besoin indicible d'étalon ? Les images muettes seraient
l'équivalent de nos objets inanimés, entités
abstraites dont on n'a de cesse de découvrir si elles possèdent
une âme. Les lucarnes infernales se révéleraient des animaux
abstraits, idéaux et issus du néant. Vignettes d'horreur sorties
des confins des psychés et de cet enfer de perversions fantasmé.
Nous ne convoitons plus qu'une image qui phagocyte le réel
en le dévorant goulûment et avidement. Pour le réalisateur
la notion même de réalité – dissoute dans le virtuel
– ne se mesurerait plus qu'aux images et à leur inéluctable prolifération.
Nous habitons un espace protéiforme, étiré et
polymorphe où tout n'est plus que dangereuse osmose. Entre
les scènes d'amour Hervé/Diane et le combat subtil
entre Diane et Elaine où se tapit la délicatesse, la
violence ? Les sentiments ambivalents (l'amour se transmue en convoitise),
hallucinatoires et torves sont autant de pulsions dissoutes et aléatoires
dans un écheveau inextricable. Lorsque les codes de la fiction
s'accolent à la réalité il devient impossible
d'y vivre sans disparaître.
Dans
cette guerre de la pornographie, les goules rôdent, dénuées
de sentiments et promptes à étreindre comme à
tuer. La détermination est froide, la trahison, la manipulation
ou la duplicité, de nouvelles règles. Ne découvrons-nous
pas l'"héroïne" en train de droguer la boisson
de sa collègue afin de s'emparer de son poste ? Autant
donc dire que le pragmatisme s'est teinté de perversité
et de cynisme. Est- |
|
ce
le résultat d'une mondialisation à outrance et
de la disparition de l'être au profit du groupe ? C'est
le paradoxe inquiétant que soulève le cinéaste
: plus les espaces et les enjeux augmentent, plus les communications
s'accélèrent et plus l'être humain perd
sa personnalité et sa compassion. L'égoïsme
et la froideur se sont insinués jusqu'à la gangrène
dans les comportements. Il faut voir le retrait et la démarche
clinique de Diane dans la première partie du film ainsi
que ses remarques glaciales, édifiantes et dénuées
de vie pour mesurer la dévastation des êtres. Des
personnages clivés entre leurs appétences, leurs
besoins et leurs corps. Consommateurs vides d'images muettes
– et donc inoffensives – qui condensent aussi bien les perversions
les plus osées, les cours de la bourse impersonnels de
Bloomberg TV qu'un discours du président Bush. Sachant
que ces enregistrements nous parviennent suite à la diffraction
d'une multitude prismes (métaphore parfaite de la réflexion
sur la vitre) peut-on leur accorder un quelconque crédit
ou une once d'authenticité. Le cynisme et le sarcasme
devient alors l'ultime amarre pour des ectoplasmes à
la dérive (les remarques d'Hervé dans le studio
ou à propos des sites pornographiques qu'il a essayé
sans oublier la réponse de Diane au téléphone
qui fait passer un téléfilm érotique pour
un reportage de CNN, après tout les pixels de base de
ces représentations et ombres iconographiques sont identiques
en quoi seraient-elles si éloignées après
une manipulation retorse ?). Tout le problème d'une perception
dialectique de l'image se fait jour. Quand les limites de la
rationalisation sont dépassées, il ne reste qu'une
nappe de confusion qui se répand à l'infini, des
tourbillons d'images qui engloutissent, dévorent et abhorrent
toute parcelle d'existentialisme. C'est le choix de Diane dans
la première partie du long métrage, parvenir à
oublier son existence, à se placer dans un état
de transe extatique qui nie les fonctionnalités et les
velléités de son corps vigoureux qu'elle tente
vainement de combler par la natation ou le squash, des disciplines
toujours individuelles et sans aucuns contacts. Acquérir
la distance et la désinvolture des émissaires
de Demonlover requiert le dédouanement et le déni
de tout le vécu d'une image, de ce qu'elle retient en
son sein. Seuls ces choses peuvent étancher leurs pulsions dans
des images outrancières et sonores (les gémissements qui s'élèvent
du téléviseur d'Hervé dans sa chambre d'hôtel sans qu'il en
éprouve une quelconque indignité ou gêne par rapport aux femmes
présentes dans la pièce). Car comme l'apprendra Diane – et nous-même
– il n'est rien de moins superficielle et lisse qu'une image
numérisée. Entre les 1 et les 0 il est des abîmes
insondables de tristesses et de dénuements.
Voyage
au bout de la nuit. Ce conte d'une circularité inquiétante
et envoûtante s'épanouit dans l'équilibre,
dans ce mouvement de suspension, cette stase, qui permet les
échanges, les flux qui charrient leurs lots de mondialisation,
de solitude et de tristesse. Tout n'existe donc que dans la
comparaison, l'altérité et plus schématiquement
une dualité constante et défiante. Efficience
et déficience d'un monde en proie aux bouleversements
politiques pour le premier film lucide de cette fin de siècle.
On y retrouvera les incessants déplacements, les changements
fluides et impromptus de langue pour se munir de la plus pertinente
(voir la négociation au japon où Diane et Hervé
ne se servent de l'Anglais qu'à bon escient) dans une
atmosphère cotonneuse et feutrée qui semble avoir
aboli la dimension horizontale pour privilégier le vertical.
Il y a bien entendu les étages et les avions, puis ces
plans constants sur les ascenseurs symbole d'une élévation
sociale. Mais avec le récit qui avance et la rédemption
du corps c'est les tréfonds des décors comme des
esprits qui sont sondés, une cave gothique pour les tortures
ou un parking souterrain pour une intimidation. Une structure
clivée et en écho qui finit par soutenir intégralement
le scénario. A la manière d'un rêve fortuitement
interrompu qui bascule de l'abstraction vers le néant.
La première partie du long métrage tout en sensualité,
en élégance, en évidence s'oppose radicalement
à le seconde, éclatée et absconse (complexité
d'une rédemption et de la réappropriation de
l'existence dans la souffrance et l'esclavage). Alors que l'on
passait de Paris à Tokyo en plongeant dans une piscine
(formidable métaphore de la fluidité des communications),
voilà que les personnages sont catapultés par
flashs agressifs et disparates (les mouvements de caméra
se font frénétiques et intempestifs, la pluie
tombe à verse, la mise au point ne s'effectue plus, l'intégrité
filmique est grandement et irrémédiablement atteinte). La belle assurance se craquelle
pour nous emporter vers les crises, les excès et les
effondrements qui fondent la condition humaine. Les rapports
de force entre les protagonistes (les couples Hervé/Diane,
Diane/Elise, Diane/Elaine, Elise/Hervé) et entre les
sexes subissent, elles aussi, de curieuses transformations,
comme si l'on réinterprétait l'image afin d'en
extraire le contenu (le baiser lesbien signifiant au choix une poussée salvatrice de saphisme et de douceur ou l'évaporation de la présence de l'homme simple matrice de désirs et de mort quand la femme est symbole de fertilité et de pureté, elle est nécessaire, essence de la société, lui pas ; d'où la domination, mais quand le sadisme inonde et éclabousse les couples Karen/Elise, Diane/Elaine et Diane/Elise leurs dehors policés se craquellent : elles sont plus abjectes, violentes, impulsives et machiavéliques puisqu'elle utilisent à dessein les faiblesses que le hommes se contentaient de subir), surprendre les prédateurs et la
chasseresse, subodorer l'indicible. Les pulsions et les sentiments se conçoivent
tous comme duaux : fascination/excitation, estime/amour, honte/arrogance,
nous rappelant de manière lancinante qu'un complexe de
supériorité est semblable à une sensation
d'infériorité. Pas étonnant que Diane puisse
passer aussi rapidement de l'assurance à la dégradation
et l'abandon volontaire. Mais on pourrait tout aussi bien interpréter
ce black-out comme la suspension du continuum de l'espace-temps
ou plus prosaïquement la fin d'une vie physique (et l'espoir d'une résurrection numérique ?). Rien n'indique
clairement l'identité de la morte. Et si Diane avait
succombé ? Elle serait aussi sortie du courant des corps
et aurait égaré son corps, son représentant
aux yeux des autres, condamnée au supplice d'être témoin du destin et de la déchéance de ses images orphelines et désincarnées sur lesquelles elle ne peut plus influer. Elle n'aurait alors plus qu'une identité
à opposer à l'histoire et à apposer sur
une pierre tombale. L'essence de l'existence réside-t-elle
dans la chair, le nom ou la psyché est une interrogation
qui s'impose à nous lorsque l'on apprend que Diane de
Monx n'est pas le véritable patronyme de notre "héroïne".
Le cinéaste parvient alors à nous confronter avec
ce terrible constat : malgré les deux heures de temps
nous ne connaissions rien d'autre de cette femme que son corps
impersonnel (même la nudité ne saurait soustraire
l'aura de frigidité qui l'enchâsse) et son nom
dans l'espace restreint, contrôlé et d'une sécheresse
laconique octroyé. Ce qu'elle projette transmué
par notre il anonyme, hostile, voyeur et manipulé.
La seconde partie stigmatise peut-être le pouvoir de tout
être possédant l'image d'un autre. Diane est recroquevillée,
apeurée et persécutée par nos regards,
notre animosité (lorsqu'elle traverse la salle des marchés
pour rejoindre Elise). Lovée et obligée de satisfaire
nos fantasmes, notre volonté jusqu'au-boutiste de jouissance.
Perdre le contrôle sur ce que l'on projette est l'aboutissement
final de l'aliénation, la perte de ses repères
et de son assise. Sans la représentation, aucun point
d'ancrage. Dans l'ère du numérique, du design
il est nécessaire d'avoir un sauf-conduit. Ainsi pour
retrouver son image (son sésame) Diane accepte le pire
: meurtrir ses chairs et abandonner toute considération
pour elle-même. Son identité, sa persistance –
rétinienne – est à ce prix, qu'importe l'état
de déréliction pathétique qu'elle doit
accepter (son appréhension et sa honte ne dureront d'ailleurs
pas, après cette vision effrayée une fois la cagoule
enlevée, elle se résignera et avalera ses pilules).
Par le martyr, elle saisit l'opportunité de vérifier
l'homogénéité de son corps. Des substances
organiques tour à tour charnelles (l'accompagnatrice
japonaise), saisissantes (les tortures) ou offertes lourdement
(Elise nue jouant sur sa console). L'insatiable besoin de corps
pour alimenter le monstre médiatique a de quoi faire
frémir, car il s'agit certainement du point d'orgue de
l'animation 3D faisant saliver les masses. Nous sommes un esprit
et ensuite un corps ou plutôt il s'agit là des
deux symbiotes qui coexistent en chaque être humain. Apologues
de l'aberrant paradoxe d'une société virtuelle
basée sur un modèle et consommant le physique
– découlant d'une culture submergée d'images.
Sous
les néons. Olivier Assayas souffre de la déformation
du journaliste cinéphile (il fut collaborateur aux
Cahiers Du Cinéma) dans sa fascination et
son admiration excessive pour les uvres expérimentales
des années 60 et pour des réalisateurs tels que Jean-Luc
Godard, David Lynch, Hou Hsiao-Hsien, Louis Feuillade, David
Cronenberg ou les Frères Coen sans compter les références
à la littérature, de Bossuet à DeLillo,
et à la culture |
|
populaire
avec Diana Rigg (The Avengers) et les comics.
Autant dire que malgré le cahier des charges et
le budget important, Demonlover est (Irma Vep
mis à part dont on appréciera quand même
le clin d'il au moment où Diane joue les
monte-en-l'air) un véritable joyau de cinéphilie
jonglant habilement avec les références
et enchaînant les audaces et les morceaux de bravoures.
En découle également une propension explicative
(la discussion au restaurant entre Hervé et Diane)
plombant la dernière demi-heure en gâchant
le subtil équilibre qu'il avait crée entre
le spectateur et son film. Le gynécée hétéroclite
et le caractère international de sa distribution
comme des lieux de tournage exacerbent son propos sur
la mondialisation et l'abolition de tout type de frontières.
On distinguera les quatre têtes d'affiche absolument
sidérantes et irréprochables : Connie Nielsen
énigmatique fragile et finalement victime de ses
choix (Mission To Mars, Gladiator), Cholë
Sevigny égérie d'Harmony Korine et de Larry
Clark (Boys Don't Cry), Gina Gherson formidable
en harpie déterminée du virtuel, vulgaire
et distinguée en robe Gucci (The Insider, Volte-Face)
et enfin Charles Berling méconnaissable dans un
rôle de manipulateur vicieux et sarcastique. Car
à l'instar du réalisateur canadien cité
ci-dessus et son mémorable Videodrome dont
Demonlover serait le fils putatif, l'auteur défend
la thèse selon laquelle les images nous regarderaient,
mais loin de se cantonner à cette réflexion
il décide de l'expérimenter et de la représenter
en donnant vie à son film. Rapidement nous voyons
à travers une texture organique, un vrombissement
et un bourdonnement constant empli nos sens, les images
se pixélisent, s'altèrent en perdant leur
intégrité et leur densité, poursuivant
les personnages, les épiant dans un souffle rauque,
exhalant son haleine brumeuse sur les épaules des
protagonistes. Puis, insidieusement, l'objet projeté
se transmue en une substance pensante. Privé de
corps il va s'immiscer en nous. Par nos yeux il va jouir
en haletant derrière les créatures de rêves
sur pellicule glacée. Jouir d'elles mais aussi
de nos égarements physiques et mentaux. La séquence
de la boîte de nuit japonaise permettait de collecter
des indices. Les images dansent sur nous, frôlant
et caressant les corps, elles existent au-delà
de nous. A moins bien sûr que nous ne soyons qu'images
et que d'autres – images – nous regardent. Avec le même
empressement et la même désolidarisation dont nous nous
épanchons de leurs clinquants et de leur vitalité.
Véritables vampires (comme un cinéaste qui
trouve l'inspiration chez Hitchcock pour ses meilleures
scènes) elles se nourrissent de nos révoltes
et passions. La force du film est de subsumer toutes les
sensations subtiles et les effets de caméra afin
de créer un avertissement à triple détente.
Pour le spectateur, pour Diane et pour les uvres
vidéos à venir. Il s'agit moins d'exacerber
les hallucinations et la poésie que d'annihiler
l'assurance et la distance factice que l'on entretient
avec les représentations visuelles. Expliciter
le temps d'une scène finale la souffrance qu'abritent
des images susceptibles d'exciter un internaute tiraillé
par ailleurs entre la peur et la jouissance, l'excitation
et la solitude, le corps et la machine, les remords et
le pêché. La seconde partie de l'uvre
ferait alors office de pénitence dans une lecture
ontologique et théologique, une manière
d'anéantir le virus qui nous a contaminé.
Car les images ne se contentent pas de glisser sur nous,
elles nous gâtent, nous influencent et nous pénètrent
dans un coït aussi sournois que violent. Dans un
battement de cur nous redevenons corps, substance
froide (à part cette jeune femme japonaise qui
se douche devant une fenêtre et la capitale). Nous
leur appartenons et on aura beau les toiser dans une bravade
inutile elles resteront dépositaires de notre destin
dont on ne serait plus que les asservis sociétaires. Les
images et les perversions nous traquent. Karen ne rétorquera-t-elle
pas à Diane qu'elle avait conscience depuis longtemps
du fait d'être suivie. Empruntée, elle se sait
observée et dépendante, adepte de codes
qui de gré ou de force lui deviennent familiers
(cette multiplicité des regards voyeurs et traqueurs nous
en prenons conscience dans cette scène magique où Diane
rentre seule de la boîte de nuit, assise à l'arrière d'une
voiture de luxe nous la voyons suivant tous les angles,
dans le rétroviseur ou de l'extérieur du véhicule, nous
offrant alors l'étrange sensation de ne voir qu'une partie
infime d'un film téléchargé simultanément par d'autres).
Le viol médiatique, les vêtements en charpie,
l'apesanteur psychologique sont coutumiers pour le bestiaire
de cette froide dénonciation. Le film n'échappe
pas à la règle, dans un insolent mimétisme
il reproduit notre regard pour nous confronter à
notre lénifiante condition. Il nous force à
concevoir les conséquences de nos actes et de notre
voyeurisme. Puis dans un ultime éclair de pragmatisme
et de clairvoyance décide de se retourner contre
lui et contre le spectateur, en un battement de cur
(sublimes scènes jumelles où la jeune femme
japonaise sort de l'hôtel et où Diane rentre
dans le bureau de Volf pour découvrir le Hell Fire
Club). Incapable de disparaître sans entraîner
avec lui son siamois, son double et son semblable, le
long métrage s'arroge, son unique prérogative,
le droit de se supprimer, rongé et malade de son
humanité. Le rapport de force s'inverse sans ambages.
Frustration d'êtres désabusés, hiératiques
et taciturnes devant la décision d'une entité
paradoxale, polysémique et passionnée. Avec
la fin de la catharsis perdure le débat sur l'origine
du rêve et de la projection. Le regard final de
Diane, supplique terrifiante, s'adresse-t-il à
nous ou à ce dieu caméra ? La jouissance
réciproque n'a qu'un temps et si un film s'éveille
à la conscience c'est que la notre, apathique,
a dû se dissoudre en lui. Laissant derrière elle
un fauve féroce et assoiffé de sang, pompant dans une
transe névrotique son propre corps exsangue (plan frontal
inoubliable d'une Diane haletante, le visage couvert de
sang, dans un contentement étonné et terrifiant, prête
à bondir dans une fulgurance féline – déjà sa démarche
agressive et volontaire ainsi que son mouvement d’épaules
laissent subodorer un profonde métamorphose – pour nous
dévorer). La fusion est irrémédiable, l'immolation
consciente dans ce brasier apaisant et serein a débuté
et va se poursuivre placidement. Les quelques mots imprimés
sur la fine bande de papier sertissent encore nos pupilles
écarquillées : "Vous avez oublié
quelques chose", aveuglés par ces néons,
édens abreuvés d'ellipses toujours plus obscures, comme
Icare fixant le soleil, certainement. Devenus étrangers
à nos corps, dépourvus de dignité et spectateurs impassibles
de notre déchéance, nous aurions négligé de vivre. Demonlover,
objet impudent et d'une troublante lucidité, n'a pas fini
de nous habiter, de nous hanter.
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