Temps de guerre. Durant un conflit, Hugo tue accidentellement un enfant de 8 ans. Plus tard, il rencontre une jeune fille de 12 ans, Alice, qui fuit les tueurs de sa mère, Eva, une femme dirigeant un vaste trafic d'armes, qui vient de tuer sa nurse en la torturant de manière abjecte. Il décide de l'escorter jusqu'au Portugal, où elle doit retrouver son père. Par ailleurs, la jeune inspectrice à qui Alice s'est confiée avant sa fugue, Anita, est envoyée dans la péninsule pour tenter en suivant une piste jonchée de cadavres de confondre la retorse et perverse Eva.

LA SIRENE ROUGE

Et si la Terre était l'Enfer d'une autre planète ? Notre époque serait-elle celle du nihilisme, des cauchemars non fondés que l'on s'inflige en catimini comme des flagellations lancinantes. Celle de la perte totale de compassion et de profondeur, de la froideur et de la distanciation. C'est en tout cas ce que l'on serait enclin à croire en visionnant un nombre sans cesse croissant de films nous jetant à la figure l'abjection de situations outrancières. Par la négation de toute chose (surtout celles possédant la moindre once de poésie), la complaisance à l'horreur, à toutes les bassesses, aux bestialités et abominations ainsi qu'aux abjurations du monde, ils brossent un portrait d'une humanité en déroute qui à défaut de se voiler la face a choisi le chaos tranquille, le voyeurisme détaché. Si les romans de Maurice G. Dantec (qui s'octroie un caméo à l'aide d'une webcam dans le rôle du chef de la nébuleuse organisation terroriste) ont un intérêt c'est de mêler cette dépréciation à une certaine analyse critique et psychologique, d'être polymorphes et cosmopolites (tendance cyber punk). Il ne faut pas oublier que les images fabriquées à la lecture proviennent de notre inconscient et de nos peurs enfouies. Autant dire qu'une adaptation cinématographique (mérite-t-elle ce mot ?) éponyme était vouée à l'échec. Et bien Olivier Megaton, déjà auteur du piètre Exit, et jadis touche à tout de la publicité et du clip ne nous contredira pas, à peine fera-t-il illusion un quart d'heure, son adaptation n'apportera au mieux au spectateur qu'un intense lassitude et une migraine chronique.

Passé un introït surprenant (le viseur, le commissariat) au milieu d'une Europe de l'Est dévastée dans un futur proche - enfer urbain, fait de vestiges d'une architecture résolument industrielle, souillée, décrépie et saumâtre - le long métrage va se muer dans une joyeuse implosion (dont la gerbe d'étincelles finale reste le meilleur apologue) en une ribambelle de morceaux de film, sans

aucune cohésion les uns par rapport aux autres, qui évidemment dépouille l'ensemble d'une quelconque essence. Nous nous retrouvons devant un marasme paradoxal et apocalyptique faits de bribes éparses de pellicule et de personnages inexistants. C'est que pour parvenir à présenter à l'écran une quelconque ébauche de caractère il aurait fallu réinventer ou réutiliser un grammaire cinématographique existante (on l'effleure dans la fuite d'Alice du commissariat où la succession de cadrages peut suggérer son angoisse et ses battements de coeur), mais le réalisateur est bien trop occupé par son iconographie toc et choc pour y prêter une quelconque attention. Le but affiché reste de maintenir la tête du spectateur sous un flux d'images et de sons, les trajets sont expédiés en accéléré créant une détestable (car inutilement agressive) et désinvolte distorsion du temps pour pallier à la désaffection d'une public médusé qui ne doit surtout pas réfléchir à l'indigence du scénario. Car comment expliquer qu'au bout de deux heures de projection le terrible complot militaro-financier (qui forme avec l'organisation terroriste une rébarbative mélasse opaque, une supercherie ne visant qu'à engluer dans des peurs géopolitiques et autarciques le spectateur) que dirige Eva ne nous sera jamais présenté, que la question de la photo sur le bureau d'Anita reste éludée, ainsi que la cause de son désir de regagner l'Italie. Les personnages sont sans cesse en quête de substance et il faut l'exceptionnelle présence de Jean-Marc Barr ou Frances Barber pour apporter une quelconque crédibilité et se soustraire au paraître. On enrage quand la sulfureuse Asia Argento traverse le film impassiblement, musardant et flânant, comme en villégiature. Autant dire immédiatement que ce long métrage viole l'intellect. Eva dira à sa fille : "tu sens cette excitation, le sang dans ta bouche", et bien c'est exactement notre sentiment à force d'être collés, plaqués à cette image trafiquée, noyée et dilatée (un immonde générique de début absolument irregardable et accompagné d'un morceau de Ramstein poussé à l'extrême du dolby). Nous avons la désagréable impression d'être pris en otage par une mise en scène rapace, sournoise et indélicate qui nous agrippe de force au lieu de nous séduire (même durant la belle scène d'entrevue entre Eva et Anita, où les deux protagonistes sont assises, la caméra ne cesse subrepticement de se mouvoir et de tournoyer).

Si tu ne veux pas être aperçu, reste immobile. Le réalisateur prend la réplique (digne de Sun Tzu) d'Hugo à Alice au pied de la lettre et décide de faire le plus de bruit possible pour être remarqué. Le montage stressé et faussement nerveux n'a donc qu'unique utilité de masquer l'incurie d'un metteur en scène à crédibiliser les scènes entre ses acteurs et à soutenir une intensité dramatique sans la surenchère de gunfights d'une lourdeur et d'une complaisance accablante. Car ce protégé de Luc Besson outre puiser dans l'escarcelle de son mentor (Léon pour l'histoire et le plan de la roquette) semble vouer une admiration sans bornes au cinéma d'action américain et tente dans un mimétisme stérile d'assouvir ses passions. Pourtant n'est pas Tsui Hark ou John Woo qui veut, et loin de tomber en pamoison devant les séquences d'actions censées constituer l'intérêt du film (on le comprend dans la souffrance), elles nous plongent dans une intense léthargie. Sous des airs d'auteur, il nous vante sa volonté de filmer en anglais pour asseoir une époque où l'Europe se serait convertie à la langue de Shakespeare comme langue universelle, mais il ne s'agit que de monter un film facilement exportable, susceptible de toucher le public le plus vaste possible. Cette obsession constante de préserver les droits télévisuels et étrangers écrase et anéantit toute incursion artistique. On aurait pu défendre une approche nous dépeignant la vision d'Eva, le mal pour le mal, la fascination de la souffrance. Mais il n'y a pas la puissance et le décalage nécessaire, le film sera comme le personnage, machiavélique, porté sur l'horreur et la perversion mais sans aucune intelligence manipulatrice. Les effets sont lourds et grossiers et dans la séquence opposant Alice à sa mère - expédiée à l'aide d'un ralenti plus que malvenu - nous font regretter que la parabole finale ne se rapproche pas du dérangeant La Secte Sans Nom, film espagnol qui lui parvenait à surnager dans un climat sciemment amoral (au lieu de la mère, c'était la fille qui réclamait d'être abattue par sa génitrice). Ne nous attardons même pas sur la rapidité dont Alice fait preuve pour oublier qu'elle a tué sa mère. Pas une seconde Megaton n'a le courage et les moyens de ses ambitions. Versatile, il préfère pudiquement pixelliser et tordre les images des snuff movies tout en nous gratifiant de cris horribles et puissants (notons quand même que cette séquence comporte la seule idée de mise en scène valable et surprenante, nous voyons Anita contempler avec horreur les images de derrière la vitre de l'écran et le regard d'Asia Argento en dit plus long qu'une vidéo barbare). Bref cet objet ne conserve pas une seconde son intégrité, d'abord au bord de la rupture (malgré une entame intrigante et absconse notamment par la visite d'Anita chez Eva et sa fouille de la cave), l'intense vacuité qui le plombe finit par le faire imploser et il se boursoufle sur fond de serial killer, de mercenaires et de douilles qui s'entrechoquent.

Tu as été vilaine… Le plus perturbant est la gratuité de la violence, de chaque plan ou images (les cierges de l'église, les paysages sublimes de la cachette du père d'Alice). Les décors sont splendides et porteurs d'émotion, pourtant ils ne fonctionnent jamais. Simplement car le metteur en scène ne parvient pas à y inclure son histoire et ses personnages. Que ce soit dans les lumières blafardes et délétères du commissariat ou le splendide ciel d'une

plage portugaise, les âmes qui s'y meuvent ont tout de pièces rapportées. Sommes-nous à ce point malléables pour nous gaver d'un manichéisme aussi niais et désarmant, de dialogues faméliques ou de personnages atrophiés ? Devons-nous nous contenter d'une main entourant un soleil couchant pour seule trace de poésie. Il y avait tant à faire, le personnage de Vitali pouvait être une création de l'esprit d'Hugo, l'oedipe d'Alice et les mauvais traitements de sa mère auraient pu être tellement mieux rendus (enfin juste rendus en l'occurrence). Et dire qu'il aura fallu quatre scénaristes pour adapter ce road movie mollasson, vain et plus que tout mystificateur. La voiture n'a pas démarré, et le conducteur se contente de secouer l'ensemble dans un tohu-bohu qu'il souhaite suffisamment clinquant pour nous assurer l'illusion de la route. Il y a décidemment une prétention inhérente à un nouvelle vague commerciale à vouloir faire mieux que les américains sans le pouvoir, s'en suit un problème flagrant d'identité. Pas que renoncer à la tradition française (intimité, nature…) soit une erreur, tout au contraire, mais on peut rêver d'outre atlantique et transmuer son imagerie comme l'a si bien fait Olivier Assayas pour Irma Vep ou Demonlover, néanmoins cette démarche requiert du talent et du respect envers son auditoire. Pour La Sirène Rouge, cette vanité n'aboutit qu'à une fascination crédule et naïve. On révère la forme et on la déconnecte du fond, ce qui conduit irrémédiablement à un amalgame nauséeux. Le réalisateur signe un film pyrotechnique, en ce sens que tout explosera, rien ne sera sauvé. Un agrégat malhonnête, qui évacue autant le trauma que le talent de ses composantes. Une succession de clichés qui se perd dans un cul-de-sac à marée basse traversé par une frêle et branlante jetée, vestige rachitique et anémique d'une histoire déjà vécue. Nous l'avons dit - mais il y a si peu à sauver du naufrage - s'il fallait retenir une seule chose de ce spectacle de cendres incandescentes offertes aux quatre vents ce serait ses décors soignés (le bureau du chef de la police par exemple, design et acétique) abhorrant à l'instar du film la présence d'acteurs comme de spectateurs, privés d'échanges, ils sont exilés et apatrides.

 
 

F. Flament
27 Août 2002

 

 

 

 

 

 

Soupe clippée
Film français d'Olivier Megaton (2002), adaptation du premier roman de Maurice G. Dantec. Avec Jean-Marc Barr (Hugo), Alexandra Negrao (Alice), Asia Argento (Anita), Frances Barber (Eva), Andrew Tieman (Koesler)... Sortie française : le 21 Août 2002.

Multimédias
Bande-annonce
Photographies (24)

Liens
Le site officiel français
Maurice G. Dantec
Asia Argento

Fiche technique
REALISATION
Olivier Megaton
SCENARIO
Norman Spinrad, Robert Conrath, Olivier Megaton et Alain Berliner à partir du livre éponyme de Maurice G. Dantec
DIRECTEUR PHOTOGRAPHIE
Denis Rouden

INTERPRETES
Jean-Marc Barr (Hugo)
Alexandra Negrao (Alice)
Asia Argento (Anita)
Frances Barber (Eva)
Andrew Tiernan (Koesler)

MONTAGE
Yann Hervé
MUSIQUE ORIGINALE
Nicolas Bikialo

PRODUCTEURS
Simon Arnal-Szlovak et Carole Scotta
DUREE
118 minutes
PRODUCTION

Haut & Court, StudioCanal, France 2 Cinéma, Canal Plus, Comstock

SORTIE FRANCAISE
Le 21 Août 2002

 

 
bb