Cellules neuronales. Précédé d’une réputation pétillante et empressée de pépite exotique après le succès mondial de son troisième long métrage Les Autres, le visionnage de la seconde réalisation d’Alejandro Amenabar, prodige espagnol encensé à la manière d’un M. Night Shyamalan, n’apporte au final qu’un immense désappointement et une frustrante lassitude.

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La nôtre mais surtout celle, putréfiée, d’un créateur vacant dans l’impasse – se rassurant par l’omnipotence (metteur en scène, compositeur de la bande-son, co-scénariste…) –, à qui un script alambiqué et fumeux dicte son errance de pacotille. Quelque part entre un brouet penaud d’anticipation revigorante (avec Philip K. Dick en augure bienveillante et plagiée) et une confusion roublarde de mélodrame grand-guignol. L’excuse scénaristique indigente fredonne un jeune homme de 25 ans, César – campé par un Eduardo Noriega qu’on a connu plus à son avantage notamment dans l’hédoniste Novo –, à la réussite professionnelle exemplaire et qui profite de son standing enviable pour passer d’une femme à l’autre sans une once de culpabilité. Ce Saint-Thomas matérialiste vit son propre camaïeu de chimères défectueuses et peux claironner moult allégations au premier rang desquelles «je déteste rêver». Cette situation boulimique perdure donc (évidemment) jusqu’à ce qu’il tombe en pamoison devant la douce (l’évidente) Sofia – Penélope Cruz tout en fraîcheur séduisante et bouleversante – qui accompagne son meilleur ami à une soirée mondaine. Mais le retour de bâton ne tarde pas à se faire cruellement sentir, et Nuria, l’amante bafouée et traînée plus bas que terre, profite d’un trajet en voiture avec son ex pour précipiter le véhicule dans le bas-côté et annihiler dans un amas de tôle ce bonheur issant et sucré. Elle succombe et il reste défiguré. Voilà notre golden boy hâbleur rejeté par ses contemporains superficiels et éconduit par sa belle. Pourtant la réalité est parasitée. Que fait César dans la cellule d’un hôpital psychiatrique ? Et pourquoi l’accuse t’on du crime de sa gourgandine latine ? La paranoïa s’en mêle (ses associés retors auraient poussé le vice jusqu’à infiltrer le synode médical chargé de lui reconstruire un visage) et ruisselle sur le tissu lâche et pompier du film, le masque satiné et aseptisé qu’arbore le déprécié César. Il faut dès lors au héros psychanalysé déjouer les reflets de la vérité et de la virtualité pour tenter d’ébrécher les remparts de la geôle pulvérulente de son esprit. Et nous voici embringués dans la visite hésitante d’un vain labyrinthe qui pêche à confronter les différents niveaux sensitifs et cognitifs de ses personnages, pour s’étirer fastidieusement jusqu’à une conclusion triste et convenue de platitude et de tropisme. Pas que le magnétisme plastique de certaines scènes ne soit pas probant – les avenues de Madrid totalement désertées impriment durablement le spectateur pour le plonger dans une fascination asphyxiée – mais il s’englue dans un projet trop ambitieux, qui se dérobe rapidement lorsque les méandres arrogants et cafouilleux du script débordent une structure chancelante d’artificialité cynique. Le traitement auteurisant s’y fait péjoratif et frigide avant de péricliter avec la scène allégorique de la discothèque, synonyme d’exode aliéné et d’éparpillement irrémédiable, tout ensuite ira à vau l’eau.

Un impossible rêve. Si le goût amer et nauséeux nous tourne la tête à mi-parcours c’est sûrement que le motif ostentatoire et larvaire du double taraude inexorablement le long métrage pour le figer aux confins de l’immobilisme – le beau plan du masque de chairs impassible de Sofia, mime des rues improbable. Dévorant les visages, investissant les corps (cette image entêtante d’un profil à deux faces) ou tyrannisant le cinéaste

étriqué, les prérogatives fétides de la gémellité – le diptyque basculement et rupture / vide et étouffement – concourent à un narcissisme colonialiste et manipulateur. Parachevé par le tournage d’un honnête remake américain (Vanilla Sky) réutilisant l’actrice ibérique dans son rôle de Sofia, pour un résultat distendu et tétanisé où personnage et environnement sont entraînés dans un dialogue constant et sourd avec l’autre version, l’autre entité tapie dans ses bourrelets gothiques et libidineux. Notre «Fantôme de l’Opéra» post-moderne subit dans les faits les affres et dysfonctionnements des entrelacs de ses synapses grésillantes pour se confronter à ses désirs et à ceux de l’autre, jusqu’à l’anéantissement. D’où la représentation tronquée du corps de la femme-catin, privée de visage (enfoncé sous l’oreiller) et réduit à son opulente poitrine : la possession et la disparition implosant de conserve dans une folie inendiguable. Une révélation contrebalancée par la perfection ardente des traits de la chaste promise pour souligner encore le clivage désormais consommé entre les deux hémisphères jumeaux tempêtant sous un crâne oisif. Un bras de fer absolu et escroc d'où pulse une obscénité hypocrite indissociable des plus candides intentions, l’immortalité siamoise est à ce prix. De toquades raillées il ne saurait donc être question sur la longueur (trop excessive pour parvenir à maintenir la tension sèche et sadique inhérente au genre) de l’œuvre tant le propos épouse complaisamment ses dérives émoussées. Prisonniers, sur des rubans à peine ébauchés et s’étirant à l’infini, de son double dégénéré et de ses aspirations frelatées, il devient impossible de se moquer de soi aussi condescendant que l’on paraisse, sauf par lapsus évanescent. Voilà peut-être la morale dissuasive de ce syllogisme ontologique inepte : ouvrons les yeux sur nos conditions antagonistes et acceptons notre dualité maladive.

 
 

F. Flament
27 Juillet 2004

 

 

 

 

 

 

Une vie de rêves

Film espagnol, français et italien de Alejandro Amenabar (1998). Une réalisation douloureusement travaillée par le motif ostentatoire de la gémellité à qui un script alambiqué et fumeux dicte son errance de pacotille. Sortie France: le 2 Janvier 2002.

Multimédias
Bande-annonce / Trailer (vo)
Photographies (14)

Liens
Site d'Alejandro Amenabar
Le film sur l'IMDB
Penélope Cruz 1 / 2
Site sur Eduardo Noriega

Fiche technique
REALISATION
Alejandro Amenabar

DIRECTEUR PHOTOGRAPHIE
Hans Burman

SCENARIO
Mateo Gil et Alejandro Amenabar

INTERPRETES
Penélope Cruz (Sofia)
Eduardo Noriega (César)
Chete Lera (Antonio)
Fele Martinez (Pelayo)
Najwa Nimri (Nuria)

MUSIQUE ORIGINALE
Alejandro Amenabar et Mariano Marin
PRODUCTEURS
Andrea Occhipinti, Alain Sarde, Ana Amigo, José Luis Cuerda et Fernando Bovaira
DUREE
117 minutes

PRODUCTION
Las Producciones del Escorpion, Les Films Alain Sarde, Lucky Red, Sogetel S.A. / AFMD (Distr.)
 
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