Dawson’s Creek. Il est intéressant de remarquer depuis quelques années l’évolution caricaturale de la représentation des désirs adolescents par le cinéma hégémonique américain. Imprécateur de l’innocence, le mercantilisme ambiant se voit adjoindre une nouvelle pierre avec l’incongru Cruel Intentions (titre américain bien moins racoleur que sa transcription française).

SEXE INTENTIONS

Le succès des studios Pixar, Monstres & Cie, parachevait en 2001 le dévoiement d’une décennie en représentant le chérubin comme une entité subversive et toxique, peu avant le film fashion et kleenex de Roger Kumble stigmatisait un adulte naissant devenu monstre pervers, une goule tarée et vorace au raffinement graveleux, piégé dans son théâtre solipsiste ingrat. Transposer le récit épistolaire de Choderlos De Laclos en une gabegie accorte de vulgarité pouponne pouvait certes se justifier d’un point de vue sociétal – et surtout marketing – mais laisse cependant pantois par son résultat final, à la sensualité édulcorée par une chape moralisatrice plus vicieuse et torve encore que le propos pernicieux qu’elle enchâsse. Nous ne ferons pas l’affront de revenir ici sur l’intrigue des Valmont, Merteuil et consorts ainsi que sur leur machiavélisme exponentiel ou leur pruderie penaude se heurtant à une absence spatiale de conscience, toujours est-il qu’elles sont ici transfigurées au sein de la jeunesse oisive et dégoulinante d’un New York contemporain. L’artifice est clair, investir cette plèbe malléable de la jeunesse frivole par des transgressions de pacotille et un langage d’une crudité confondante. Ici tout est permis, nous t’avons compris pubère éconduit et pressé, tu n’aspires qu’à la jouissance sybarite, qu’aux ébats frénétiques avec une kyrielle de partenaires tous plus beaux et expérimentés les uns que les autres. La salope brune lubrique, la vierge blonde et sainte-nitouche sadisée, la gourde empotée et leurs cohortes d’avatars voilà le tableau estampillé et dépendant au cul dans le sens le plus maculé et péjoratif du terme. Le ralenti lénifiant qui clôt un long métrage à bout de souffle à valeur de sentence, de mise en abîme, dans la dépravation ou l’éthique il n’est plus de place que pour l’unilatéralité, la norme. L’extravagance ou la candeur sont irrémédiablement honnies.

L’oisiveté est mère de tous les vices. Pourtant, tout commence sous des augures corrects, le mimétisme du cinéaste envers sa matière littéraire confinant au vertige. L’esthétique et l’élégance délétères se heurtent aux blasphèmes voisés dans une inconvenance modérée. Le décalage entre les relations orales cérémoniales, les contacts physiques légiférés et les dispersions grivoises ignobles – se

vautrant dans un porno-chic phallique de bon aloi – induit un relatif malaise mémoriel. En effet, les contours d’acteurs peu convaincants – Sarah Michelle Gellar autrement plus perverse et reptilienne dans Harvard Story et que dire de Selma Blair, oie blanche complètement hagarde récemment bradée dans Hellboy – se brouillent pour se superposer à ceux des héros de Stephen Frears (Les Liaisons Dangereuses, 1988), John Malkovich, Glenn Close, Michelle Pfeiffer ou Uma Thurman. La comparaison est loin d’être flatteuse on s’en doute. D’autant qu’elle brocarde les contingences de l’image (lisse et proprette jusque dans les étreintes) et du mot ou de l’écrit (bassesses du langage dévergondé), en bref les accointances paradoxales d’une suggestion et d’une imprégnation. Cruel Intentions se révèle ainsi incapable d’assumer son rôle vampirique, de nourrir son spectateur par son propre vécu, se réduisant à une scène étriquée où il convoque de simples réminiscences dépenaillées ou cadavériques. C’est qu’au son de Haendel et baignant dans la pureté javellisée céleste, le film ne peut se résoudre à cautionner ce qu’il dépeint maladroitement. Traumatisé par son sujet et surtout l’âge de ses protagonistes, il se doit de réagir – on imagine le frémissement des paupières derrière ces verres teintés disproportionnés –, de se supprimer avec diligence et abnégation. Oubliées les revendications du sexe libertaire, la solitude écrasante et la perte irrémédiable des illusions – nous sommes aux antipodes de la réussite criante et dépressive des Lois De L’Attraction – il ne reste qu’un carcan propret et infatué, un muret répudiant les débordements (charnels, raciaux, homosexuels, radicaux…) sur lequel s’asseoir ou plutôt une thébaïde pour méditer un constat pathétique. Une incertitude demeure au gré dans cette pantomime affligeante, et si Mia Kirshner – moins gironde et plus fatale – au lieu de parodier Kathryn Merteuil dans Not Another Teen Movie en avait revêtu les décolletés pigeonnants et prêté ses traits froids et polymorphes au succube séditieux ? Jamais nous ne nous serions soustraits à son visage magnétique et à ses yeux pénétrants. Nous aurions alors erré tels de véritables esclaves embastillés dans notre désir et nos contradictions. La voix tapie, langoureuse et tentatrice, hantant le fond de nos psychés se serait finalement incarnée, pour notre plus grande et masochiste lubricité. Pour un peu Sexe Intentions nous dégoûterait, sans coquetterie aucune et de par son lifting d'apparat, des délices de la chair, engeance évangéliste quand tu nous tiens.

 
 

F. Flament
24 Septembre 2004

 

 

 

 

 

 

Morne turgescence

Film américain de Roger Kumble (1998). Tableau vulgaire et opportuniste qui, dans la dépravation ou l’éthique, ne privilégie que la plus abjecte normalité. Ou comment hypnotiser une jeunesse vorace pour mieux faire l’apologie d’une morale rampante.

Multimédias
Teaser (vo)
Le script original
Photographies (36)

Liens
Le film sur l'IMDB
Sarah Michelle Gellar 1 / 2
Reese Witherspoon 1 / 2
La fiche d'Allociné

Fiche technique
REALISATION, SCENARIO
Roger Kumble d'après l'oeuvre de Choderlos De Laclos

MONTAGE
Jeff Freeman

DIRECTEUR PHOTOGRAPHIE
Theo van de Sande

INTERPRETES
Ryan Phillippe (Sebastian Valmont)
Sarah Michelle Gellar (Kathryn Merteuil)
Reese Witherspoon (Annette Hargrove)
Joshua Jackson (Blaine Tuttle)
Selma Blair (Cecile Caldwell)
Louise Fletcher (Helen Rosemond)
Eric Mabius (Greg McConnell)

MUSIQUE ORIGINALE
Edward Shearmur
DECORS
Jon Gary Steele
PRODUCTEURS
Neal H. Moritz et Heather Zeegen
DUREE
97 minutes

PRODUCTION
Columbia Pictures Corporation
 
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