La boîte de Pandore. Voila un film pourvu des atouts que tout spectateur peut attendre : efficacité, intelligence et esthétisme. Sam Raimi signe une réalisation sobre et soignée servant une histoire solide. Le Minnesota en plein hiver. Dans une bourgade, Hank coule une vie simple et heureuse avec sa femme Sarah. Jacob son frère "lent" a pour ami Lou, un chômeur. Les 3 hommes font une découverte bouleversante. Dans l'épave d'un petit avion : un cadavre et 4.4 Millions de dollars. Après avoir décidé de conserver le pactole, c'est la spirale : paranoïa, appât du gain, meurtres...

UN PLAN SIMPLE

Une atmosphère blanche et cotonneuse. Quand une telle somme d'argent tombe entre vos mains sans que vous n'ayez rien fait pour l'obtenir, comment réagir, renier vos convictions, votre mode vie ? L'histoire de Scott B. Smith, n'est certes pas novatrice, l'appât du gain a déjà été traité, et de belle façon. Mais la maîtrise du réalisateur et ses partis pris esthétiques nous entraînent dans une fable simple, lente et bucolique. Sam Raimi est connu des fanatiques de fantastique par sa trilogie des Evil Dead et son cartoonesque Darkman. Le grand public l'a découvert pour le mitigé Mort ou Vif (Sharon Stone). Avec Un Plan Simple, il opère un virage à 180°. Non pas qu'il se trahisse mais sa mise en scène prend une nouvelle ampleur. Un bon scénario aidant, il se révèle un redoutable directeur d'acteur. Un besoin salvateur d'éclectisme qui trahit une nouvelle maturité. Ce projet avait intéressé de grands réalisateurs comme John Boorman ou Mike Nichols, c'est finalement à Raimi qu'il échoit. Est-ce véritablement un hasard ? Pas tout à fait lorsque l'on sait qu'il est un ami proche des frères Coen, qui ont commencé avec lui sur ses films fantastiques. Il est en effet difficile de ne pas penser à Fargo (sorti l'année précédente), un tournage en plein hiver dans le Minnesota, un petit village perdu et des personnages simples, dont la vie bascule tout à coup dans l'absurde suite à un concours de circonstances. L'oeuvre se rapproche de ce film et de De Beaux Lendemains (par le canadien Atom Egoyan), films de neige sur des petites communautés. Le chemin est balisé. Mais c'est dans la transgression de certaines règles de ses prédécesseurs que l'histoire s'affirme.

Tout d'abord, l'absence d'humour noir ou de la vision loufoque des Coen. L'humour est pratiquement absent du film, qui tourne rapidement au thriller. Il y a du cynisme, des drames psychologiques, des cicatrices familiales et conjugales qui remontent à la surface... La mise en scène diffère donc. Le choix d'un rythme lent, des décors vides, clairs, et virginaux. Une ambiance sanglante et morbide. Les plans magnifiques de corbeaux, dont l'allégorie reste abstraite. Nous sommes véritablement au fond du Minnesota, le vieux tracteur, l'éolienne, nous avançons au rythme de cette bourgade. Le faible nombre de personnages nous permet de nous sentir très rapidement "chez nous". Dans cette petite ville pas d'échappatoire, obligation de faire face à sa vie misérable et immuable. Sarah ne dit-elle pas à Hank qu'il devra attendre la mort de son patron pour monter en grade. En outre, la sécheresse des décors renforce la pauvreté de certains sentiments. La musique de Danny Elfman, sans être sa meilleure partition colle particulièrement bien aux images, des mélodies à la fois simples, mélancoliques, et cotonneuses. Elles engourdissent nos sens, pour nous acclimater de meilleure manière encore à ce microcosme. L'interprétation est à la hauteur. Bill Paxton, apporte outre sa popularité, un splendide charisme et une bonne dose d'énergie. Billy Bob Thornton est prodigieux, véritable acteur caméléon, enlaidi, il parvient à apporter une profondeur et une sensibilité exceptionnelle à son personnage. Il a justement été nominé comme meilleur second rôle aux oscars. Le film trouve sa profondeur sur la relation des deux frères, sur ces scènes intimistes. Chacune d'elles semble aller plus loin encore, creuser plus profondément dans le pathos familial. Les rapports s'inversent : Jacob présenté au début comme un simple d'esprit se révèle la meilleure personne du groupe avec une certaine intelligence et un don d'observation ; Hank perd peu à peu de sa magnificence et de sa bonté pour laisser apparaître sa suffisance, son égoïsme et sa laideur d'âme. Pour une fois, Bruce Campbell, l'acteur fétiche du réalisateur n'est pas présent. Il semble que ce soit Gary Cole qui vienne à le remplacer dans le coeur des fans (il a depuis été vu dans The Gift). Gary Cole avait été engagé pour jouer le rôle titre de American Gothic, la formidable série de 22 épisodes produit et suivie de près par Sam Raimi en 1995-96. Une alchimie entre les deux hommes y est née.

La bestialité de l'âme humaine. Cette capacité que nous avons à nous renier, à laisser parler notre égoïsme latent. Une propension à la manipulation et à la paranoïa. La découverte du trésor, met à jour les faiblesses, les fêlures, elle catalyse les aspects les plus vils de la personnalité des protagonistes. La blancheur ambiante, et le côté "paradis perdu" du début du film, bref le côté immaculé s'oppose
par la suite en permanence à la noirceur de l'âme humaine. Mais un paradis immobile, simple, étriqué a tout d'un purgatoire et on ferait tout pour le fuir. Cette neige, qui recouvre les preuves, les traces, n'est-elle pas le voile pudique posé sur notre conscience et nos actions peu louables. Ce n'est donc pas un hasard que les animaux soient aussi importants, ils sont le symbole d'un certain atavisme. Les corbeaux sont omniprésents, presque irréels, ils observent. Le premier plan du film, fugace, nous montre l'oeil d'un de ces oiseaux, notre double, voyeur, messager du destin (splendides plans en contre plongée où l'on voit les acteurs se débattrent avec au premier plan des volatiles perchés sur des arbres). Néanmoins, même si Raimi déclare que "c'est un film d'horreur moderne, où le surnaturel n'aurait aucun rôle", n'oublions pas que dans le troisième épisode d'American Gothic, le corbeau est l'allégorie de Lucas Buck, le Diable (ce sont les volatiles qui permettent à Hank, Jacob et Lou de découvrir l'avion). Impossible de ne pas voir dans le plan où les oiseaux grattent la neige, une splendide métaphore de la mise à nu de nos défauts, peurs et instincts les plus primaires. Si le corbeau représente nos plus bas instincts, cette scène recouvre un sens particulier, notre mauvais côté tenterait en permanence de percer, pour se nourrir. Question de survie. Le renard, symbole de l'avidité, provoque l'accident et se retrouve aussi empaillé chez le coiffeur. Jacob est accompagné de son chien, innocent, fidèle, et simple, métaphore parfaite du personnage. L'animal serait-il meilleur que l'homme ?
 

Avidité et matérialisme. En pleine période de surconsommation, le scénario (justement nominé aux oscars) critique vigoureusement notre matérialisme et notre égoïsme. Hank n'a jamais cherché à savoir d'où venait l'argent de ses études, n'a jamais eu de doutes sur la mort de ses parents. C'est Jacob, qui doit le mettre au courant, le mettre en face des vérités. Oui Jacob, le simplet, le personnage décalé qui semble être le dernier à garder un semblant d'innocence. Il ne manipule personne lui, ses actes sont désintéressés, il n'aspire qu'à vivre dans la ferme de son père et si possible avec une femme "normale". Son rêve serait de discuter avec son frère sur le perron de cette ferme, évidemment il tranche avec les chimères de grandeur des autres protagonistes. C'est parce que Jacob, du fait de son handicap ne peut qu'observer la vie des gens qui l'entourent, pas y goûter. Le côté blasé et ambitieux de Sarah est absent chez lui. L'évolution des personnages semble être inéluctable, du moment que l'argent a été trouvé et la décision prise de la garder, rien ne changera plus. Les femmes s'en mêlent et se révèlent encore plus manipulatrices et cyniques. Sarah sait se servir des faiblesses de son mari (voir la scène où elle l'injurie sur la vie qu'il lui fait mener). Les caractères les plus loufoques ne sont pas forcement les pires. Lou n'est qu'un pauvre alcoolique criblé de dettes, Jacob n'aspire qu'à des rapports humains, tandis que c'est dans le couple parfait Hank-Sarah que tout bascule. Cette dernière démontre ses talents de calculatrice, elle se joue de Jacob, blesse et soulage son mari (et sa propre conscience) dans cette splendide scène (très beau mouvement de caméra pour sa sortie de la cuisine) où elle ajoute : "On te voit comme un homme normal et gentil, personne ne te croirait capable de ça". Hank est le plus intelligent, il se drape au départ dans sa belle morale, mais c'est lui qui déclenche la vague meurtrière. Lui qui manipule son frère en lui faisant miroiter la ferme de leur père, tout en sachant qu'il ne l'aura jamais, et qui le pousse à trahir son meilleur ami Lou. Lui dont la prudence l'empêche en bout de course de profiter du pactole. Chacun est finalement victime de sa propre faiblesse dans cette lutte de pouvoir qui finit d'une manière cruelle et peu morale. Qui est donc le plus heureux ? Jacob, mort et qui n'en pouvait plus de vivre ainsi ou bien Hank, condamné à vivre sans espoir, dans une sorte de purgatoire se transformant davantage chaque minute en enfer, où il se révèle plus mort que vivant d'ailleurs (il compte les jours où il ne pense pas à ce qui c'est passé). Pire encore que d'attendre sa chance, c'est de ressasser toute sa vie le moment où on l'a laissé passer.

Situer ce drame dans une petite ville est aussi intéressant car c'est un endroit où l'on ne peut se cacher. Carl, le shérif est un ami de Hank, il doit ainsi de se défier des gens qu'il connaît et apprécie. En plus cette petite ville est castratrice, annihile tout sentiment. Tout y est morne, toujours le même travail à la bibliothèque, à la coopérative, toujours le même rituel d'anniversaire (le cimetière). Les êtres humains sont comme les livres de la bibliothèque ou les barrières de la ferme, cloisonnés. Bref le contraire du rêve américain. Vient alors la problématique : qui nous sert réellement de garde-fou ? Notre conscience ou simplement nos contemporains ? L'évolution du caractère des personnages tend à prendre parti.

 
Relations humaines. Terminons sur les mots de Sam Raimi : "C'est vrai que le film parle de choses extrêmement graves et émouvantes, il prouve que la morale et les relations humaines ne pèsent plus grand-chose quand l'argent, la trahison et la manipulation entrent en jeu." Le long métrage possède certes des rouages un peu trop bien huilés, mais révèle une force narrative très puissante. Des personnages très forts et pathétiques en tête desquels Hank et Jacob, dont
chaque scène nous enchante (notamment lors de l'accouchement de Sarah quand Jacob offre l'ourson en peluche). Et enfin une esthétique enivrante qui avec des décors pratiquement déserts, quelques corbeaux et des champs enneigés parvient à capturer une partie de notre imaginaire. Pris dans cet enfer blanc tout devient cohérent et l'effroyable final donne au film une saveur inattendue. Le cinéaste reste fidèle jusqu'au bout à ses personnages et à son histoire et c'est assez rare pour être la première réussite de son travail.
 
 
F. Flament
10 Mal 2001

 

 

 

 

 

 

Morale et atavisme
Film américain de Sam Raimi (1998), nominé aux oscars pour le meilleur scénario et le meilleur second rôle masculin.. Avec Bill Paxton (Hank Mitchell), Billy Bob Thornton (Jacob Mitchell)... Sortie française : le 24 Mars 1999.

Multimédias
Bande-annonce (vo)
Trailer américain
Photographies (23)

Liens
Sam Raimi
Billy Bob Thornton
Gary Cole

Fiche technique
REALISATION
Sam Raimi
SCENARIO
Scott B.Smith d'après son roman
MONTAGE
Arthur Coburn & Eric L.Beason
INTERPRETES
Bill Paxton (Hank Mitchell)
Billy Bob Thornton (Jacob Mitchell)
Bridget Fonda (Sarah Mitchell)
Brent Briscoe (Lou)
Gary Cole (Baxter)

DIRECTEUR PHOTOGRAPHIE
Alar Kivilo
MUSIQUE ORIGINALE
Danny Elfman
PRODUCTEURS
James Jacks & Alam Schroeder
DUREE
121 minutes
PRODUCTION
Mutual Films, UGC ph et Paramount
TITRE ORIGINAL
A Simple Plan
SORTIE FRANCAISE
Le 24 Mars 1999

 

 
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