Explosion hystérique. Se replonger dans le burlesque et terrifiant Evil Dead est toujours une expérience stimulante autant qu’éprouvante. Ce film hybride et sauvage, singulière conjugaison d’humour libertaire et de viscères sanglants gélifiés, n’a rien perdu un quart de siècle après sa sortie de l’exceptionnelle énergie qui animait à l’époque une équipe menée par un jeune surdoué de vingt-deux ans – Sam Raimi dont le talent ne s’est plus démenti depuis, d’Un Plan Simple à Spider-Man 1 et 2 – et suinte à chaque plan son inventivité insolente et décomplexée.

EVIL DEAD

Avec un budget dérisoire et sur une trame résolument famélique – cinq jeunes gens décident de passer le week-end dans une maison retirée au fond de bois opaques et dès la première nuit deviennent les proies d’entités démoniaques réveillées par la lecture d’incantations écrites au sang sur le livre des morts gisant négligemment à la cave – le cinéaste débutant enclenche un déluge d’effets spéciaux gores plutôt artisanaux et de blagues potaches pour aboutir à une forme mirifique, iridescente et délicieusement ironique. Sarabande ahurissante, sincère et ludique de clins d’œil malins (le pont en friches, la balancelle grinçante…) et d’inspirations en rafale (recherche constante des angles et de la subjectivité inhérente à l’objectif, rythme hasardeux et déconnecté induisant un flottement jouissif – la transformation subite après le coup de crayon –, travail efficace sur les gros plans et le cadre – notamment pour la scène où Ash offre à sa fiancée un pendentif –), qui tend à l’explosion délirante et spectrale. Aucune limite ou même carcan idéologique autant que mercantile ne saurait enserrer l’hystérie, la dérision et le volontarisme d’une réalisation, certes parfois approximative mais hautement régressive, dont les émanations pourfendent l’écran, à la manière de la caméra d’un Robert Wise dans La Maison Du Diable. De ces bouffées détraquées perlent les références fétides, du genre horrifique des seventies au cartoon dégingandé voire aux déviances façon manga hentaï pour la séquence de viol végétal. Le résultat est un joyau amateur, radical et cacophonique qui bâti sa structure exponentielle et effrayante sur cet ensemble protéiforme et soigné de détails et se paie en outre le luxe de brosser l’avènement d’un individualisme forcené et rampant (prises de vue au ras du sol) qui sévira au fil de la décennie 80.

Il y a quelqu’un à la cave. C’est sur une maxime analogue au leitmotiv d’American Gothic – série télévisée fabuleuse produite en 1995 par Sam Raimi et son comparse de toujours Robert Tapert – que pourrait se tapir l’évolution psychique d’un héros hors du commun, indémodable et transposable du carnage le plus atroce aux confins du mélo le plus mainstream, l’américain moyen, Ash – campé par le formidable

Bruce Campbell. Déjà les préoccupations de l’auteur en gestation sont à l’œuvre, la claustration d’une civilisation (simulée ici par ces êtres entourés de cloisons sylvestres infranchissables) mais surtout la constante distance d’entre le physique et l’intellect d’où naît un profond malaise allant crescendo, jusqu’ la folie ou l’ire vengeresse. Ici pullulent les corps mutants, se liquéfiant après fécondation, se transmuant pour mieux représenter la dégénérescence des esprits malades et surexposés. Des rires de crécelle ininterrompus d’une fiancée maniérée aux expériences sexuelles d’une vierge effarouchée l’apparence évolue de conserve avec la dépravation, l’aigreur et l’essence cadavérique des personnages. Tout du moins suivant l’optique du héros romantique et barbare. Il est le témoin – désaxé, inquiet ou objectif on ne le saura jamais vraiment – d’une dislocation imminente et tortueuse du noyau communautaire, incarnée par un démembrement diligent à la tronçonneuse. Le groupe d’individus se déchirant doucement mais inexorablement dans une vision cauchemardesque et taillée au cordeau des rapports humains. Les défauts de chacun s’amplifient et les agressions se font légion, sans compter cette voix lancinante s’élevant de la cave (soubresauts de pulsions enfouies dans le soubassement déraillant des consciences) et qui souffle sur les braises pour entretenir la psychose. Il est intéressant de noter à ce stade de la réflexion que les protagonistes, paranoïaques et incertains, ne sont pratiquement victimes que d’eux-mêmes et de leurs réactions imprévisibles devant une menace externe et intangible qui ne sert dès lors que de catalyseur aberrant aux fissures impressionnantes striant bientôt un corpus sociétal bancal (deux couples et une jeune femme seule). Pourtant l’entité prédatrice et manipulatrice se situe hors-champ (double schizophrénique de Ash ?), refusant son enveloppe somatique au spectateur au profit d’un souffle rauque, inintelligible et supposé. Le Diable lui-même ? Ou plus prosaïquement le professeur, ancien locataire de ces murs, ayant irrémédiablement perdu sa voix au profit de l’enregistrement analogique, et par là sa scansion docte et posée synonyme de contrôle de soi. Livré à ses tendances ataviques et désarticulées dans les eaux croupies d’un lac saumâtre il finit par sauter à la gorge du dernier survivant après que les membres du petit conclave se soient tranquillement entretués. Diviser pour mieux régner, une devise qui a encore de beaux jours devant elle. Des deux suites délirantes et idiosyncrasiques on ne parlera pas ici si ce n’est pour signifier un imaginaire fourmillant enclin au graphisme exubérant, cannibale et outrancier des comic books qui procure à chaque vision une excitation simple – que les slashers les plus récents ont définitivement abandonnés au profit d’un second degré inoffensif et aseptisé – et qui prouve irréfutablement qu’en 1981 l’auteur avait déjà une araignée au plafond.

 
 

F. Flament
22 Juillet 2004

 

 

 

 

 

 

Individualisme rampant

Film américain de Sam Raimi (1981). Joyau amateur et cacophonique qui bâti sa structure exponentielle et effrayante sur une énergie et une inspiration mêlant humour libertaire et viscères sanglants, à la limite de l’hystérie. Sortie France : 24 Août 1983.

Multimédias
Bande-annonce / Trailer (vo)
Sons (vo) N°1 / N°2
Photographies (25)

Liens
Le site officiel américain
Le film sur l'IMDB
Le site de Sam Raimi
Les femmes d'Evil Dead
Site sur Bruce Campbell

Fiche technique
REALISATION, SCENARIO
Sam Raimi

MONTAGE
Edna Ruth Paul et Joel Coen

DIRECTEUR PHOTOGRAPHIE
Tim Philo

INTERPRETES
Bruce Campbell (Ash)
Ellen Sandweiss (Cheryl)
Hal Delrich (Scotty)
Betsy Baker (Linda)
Sarah York (Shelly)

MUSIQUE ORIGINALE
Joseph LoDuca
EFFETS SPECIAUX
Tom Sullivan et Bart Pierce
PRODUCTEURS
Sam Raimi, Bruce Campbell, Robert G. Tapert et Irvin Shapiro
DUREE
80 minutes

PRODUCTION
Renaissance Pictures, New Line Cinema / Metropolitan FilmExport (Distr.)
 
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