SPIDER-MAN
Une réussite. Voila le mot le plus adéquat pour exprimer la joie de voir enfin adapté un comic book (et surtout le personnage charismatique et torturé de l'homme araignée) avec talent, intelligence et ingéniosité. Pas que ce soit la première fois, avant lui la folie burtonienne avait illuminé Batman et sa suite et l'enthousiasme de Bryan Singer pouvait se targuer d'avoir offert une nouvelle jeunesse aux X-Men. Mais dans les deux cas l'univers original s'était vu transformé, le dessin oublié au profit de l'image et d'une représentation plus ou moins novatrice. Ici, le réalisateur Sam Raimi revient aux sources, à sa propre passion de jeunesse : la bande dessinée. On ne peut que louer la recherche constante de traduction graphique des impressions de lecture et des souvenirs procurés par l'oeuvre originale. Un comble pour un art qui transmue généralement un story-board sur pellicule. Ce souci est particulièrement sensible dans la scène de conception du costume où se superposent différentes strates d'images, de croquis ou de voix-off afin de représenter la réflexion du personnage, exactement les mêmes artifices qu'emploierait un dessinateur. Cette rigueur réside aussi dans la simplicité des décors et des costumes, des proportions, loin du baroque, du gothique ou de l'extravagance, nous voici dans un New-York ensoleillé et quotidien, où toits et gratte-ciels rivalisent de gigantisme et de banalité. Mais outre la forme, le récit et sa dynamique se rapproche fondamentalement des débuts de l'aventure papier initiée en 1962 par Stan Lee et Steve Ditko. Avi Arad, le dirigeant de la Marvel (d'ailleurs le logo de la maison d'édition est le premier à se présenter à nous dans le générique) a eu cette phrase : "Les comics sont la métaphore des angoisses de leurs époques", toute la cohérence de l'entreprise y transparaît : parvenir à combiner des thématiques primordiales des années 60 surannées mais ayant marqué le lecteur, avec les mentalités de ce début de XXIème siècle.
Il est vrai que l'universalité des axes principaux, à savoir l'adolescence, les amours innocentes de lycée, l'oedipe et l'émancipation, trouvent écho en chaque spectateur. Pas besoin d'être américain et d'avoir lu la BD ou même vécu sa puberté en 1965 pour y être sensible. Tout le travail du cinéaste est de parvenir à maintenir l'équilibre entre le vieillot, le grotesque et le "tendance". Entre l'âge d'or et la récession en fait. Il y réussit à l'aide de son scénariste et des personnages de Peter et Mary-Jane. Deux êtres submergés de complexes – MJ et son uniforme de serveuse, Peter et le journal du lycée – en plein doute, sexuel et professionnel, prisonniers d'une toile qu'ils ont en partie tissée. Le mot d'ordre devient alors l'humilité. A l'instar des choix visuels de Sam Raimi (qui aurait souhaité s'émanciper des effets numériques et revenir à une noirceur plus intime côtoyée dans Dark Man, Evil Dead ou Un Plan Simple), les acteurs retenus sont excellents mais peu connus ce qui accentue le manque d'assurance du héros inhérent à la saveur du récit. Ils sont jeunes et innocents, semblant découvrir l'histoire comme un adolescent prendrait conscience et jouerait de son propre corps. Pas étonnant alors que le premier baiser échangé soit le plus doux, romantique et à jamais gravé dans les chairs. Spider-Man est l'anti-thèse du héros magnifié par ses contemporains et adulé par les médias : éternel looser, condamné à la virginité et au dédain. La scène où Peter regarde la jeune femme (un merveilleux apologue de la girl next door) avec envie, innocence et chasteté est brutalement coupée par les cris des parents de MJ en pleine dispute ; tout le décalage est là, l'entremêlement du monde imaginaire et ludique avec la réalité et la brutalité du réel.
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Maturité. Car comme le martèle le film, avec de grands pouvoirs arrivent de grandes responsabilités, reste à savoir s'il s'agit là d'une bénédiction ou d'une malédiction. Cette capacité à sécréter une toile pourrait dès lors tout aussi bien s'apparenter à la métaphore du passage à l'âge adulte et à son lot de complexité ou de devoirs qu'à un désir sexuel refoulé, jaillissant sans prévenir. Le symbolisme charnel et onaniste et bien |
présent (les lances-toiles ne sont plus mécaniques mais bien organiques), mais s'il est brossé c'est plus dans l'optique de présenter les désordres de l'adolescence et les difficiles rapports à l'autorité que pour stigmatiser une société tétanisée par la peur de l'échec et donc l'inaction. Le rapport au père, aux parents et par là à l'ordre établi est le noeud du succès. MJ fuit sa famille, Peter se rend compte de l'importance de l'oncle Ben disparu et cherche l'approbation du père de son meilleur ami Harry, qui ne connaît lui que le conflit, entre aversion et vénération. L'histoire gagne en profondeur avec ses héros, ses adjuvants ou ses opposants torturés, denses et à multiples facettes. Comment oublier la prestation de William Dafoe dans cette scène magique où face à un miroir il passe de la personnalité de Norman Osborn à celle du Bouffon Vert née lors d'une expérience scientifique (référence à Ash et Evil Dead). Sa voix caverneuse et son rire sardonique émanant du masque posé sur un fauteuil alors qu'il gît piteusement au sol. Il y a dans cette direction d'acteur un hommage bienvenu aux artistes des années 30 (Lugosi par exemple) qui possédait comme seul effet spécial leur visage et ses expressions exacerbées et caricaturales. L'humanité apportée au méchant est malheureusement gâchée par le costume bien loin d'approcher le splendide original (alors que le planeur et parfaitement retranscrit), tout le contraire de celui de Spider-Man reflétant merveilleusement la lumière et moulant à la perfection son propriétaire. La génèse d'un héros torturé. Les séquences les plus inspirées sont celles que l'on redoute pourtant comme la pire des corvées – pour nous et le cinéaste – dans ce type d'entreprise : la genèse du héros et la manière dont il appréhende son choix de vie (viendra plus tard sa difficulté à l'assumer et sa remise en question). Sam Raimi par une suite de saynètes aussi drôles que décalées (Peter essayant vainement de lancer son fil) évite le pathos et transpose avec un humour un brin potache les premières aventures de Parker, sa morsure, sa découverte du sens araignée (un usage jouissif de ralentis, de zooms et d'effets de caméra pour la représentation du couloir du lycée au moment du coup de poing). Des rixes à l'école en passant par les combats de catchs (où la démesure et le l'esprit cartoon du réalisateur trouve son exutoire) pour gagner de l'argent et impressionner sa voisine avec une nouvelle voiture, tout y sera relaté fidèlement y compris le choix qui va conditionner toute la vie de l'homme-araignée : ne pas prendre parti au cours d'un vol – l'intérêt commun recoupe toujours l'intérêt privé. Soulignons par ailleurs l'utilisation subtile de la métaphore arachnéenne pour la représentation de la mue adolescente et de la différenciation entre frivolités et responsabilités. Les propos d'introduction en voix-off de Peter sont toujours présents dans notre esprit : it's all about a girl. Tout ce qu'il va entreprendre va toujours le ramener à elle, l'ange qui le hante depuis son plus jeune âge. Loin de faire prévaloir les pouvoirs de son héros (qui dès lors n'a plus rien de super), le réalisateur met en avant sa sentimentalité et sa profonde humanité. Spider-Man a toujours été loin du bellâtre en collant bleu moulant séduisant l'écervelée ingénue après avoir protégé les valeurs fondatrices de la société wasp et conquérante américaine et le scénariste l'a très intelligemment compris. Lorsque nous basculons dans une lutte plus manichéenne le long métrage perd de sa cohésion, la folie du Bouffon manque d'un quart d'heure pour s'installer de manière horrifique (même si Sam Raimi la brosse très tôt après l'expérience malencontreuse d'Osborn) et surtout les effets numériques s'ils sont magnifiques et bluffants dans les voltiges du Tisseur deviennent parfois laids comme dans l'exécution des pontes de la Oscorp sur fond de ballons multicolores. Pourtant ne soyons pas trop critique sur la dimension esthétique car retrouver des scènes et des postures de la bande dessinée n'a pas de prix. On citera pêle-mêle Peter qui rentre chez lui et enlève son masque puis qui doit se cacher sous le balcon, le Bouffon qui fait exploser la vitre du bureau de Jameson, le upside-down kiss entre MJ et son sauveur (sans nul doute l'image la plus inspirée et romantique), l'homme-araignée qui descend tête en bas pour surprendre un voleur apeuré ou bien encore l'enterrement de Norman Osborn. L'auteur distille aussi une violence plus intense que dans l'original, avec le combat dantesque final ou la mort de l'assassin d'oncle Ben. Par contre il a la bonne idée de conserver le décès accidentel du vilain et sa dernière requête qui place le héros dans une inextricable situation. Vengeance, noirceur, honneur ou sacrifice sont les thèmes qu'il peut ainsi accentuer et rendre excessivement crédibles.
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F.
Flament |
Fiche
technique
REALISATION
Sam
Raimi
SCENARIO
David Koepp, d'après la bande dessinée
créée par Stan Lee et Steve Ditko
DIRECTEUR PHOTOGRAPHIE
Don Burgess
INTERPRETES
Tobey Maguire (P. Parker / Spider-Man)
Willem Dafoe (N.
Osborn
/ Bouffon
Vert)
Kirsten Dunst (Mary Jane Watson)
James Franco (Harry Osborn)
J.K. Simmons (J. Jonah Jameson)
MONTAGE
Bob Murawsk et Arthur Coburn
MUSIQUE ORIGINALE
Danny Elfman
DECORS
Neil Spisak
PRODUCTEURS
Laura Ziskin, Stan Lee...
DUREE
121
minutes
PRODUCTION
Columbia Pictures
SORTIE FRANCAISE
Le 12 Juin 2002
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