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Editorial et derniers ajouts

ON THE AIR

1992. L'année où Mark Frost et David Lynch, le duo qui a dynamité le petit écran en 1990 avec Twin Peaks, revient avec un sitcom ! C'est ABC la chaîne qui avait deja programmé leur précédente série qui va en assurer la diffusion. Pour le réseau, voila une occasion de s'offrir une oeuvre "respectable", produit par un cinéaste d'avant-garde, avec un cachet culturel. Au départ, le network cherche à renouveler sa grille du mercredi soir. Finalement, sur les 7 épisodes produits, la chaîne n'en programmera que 3 durant l'été 1992 dans la case horaire improbable du samedi soir ! Un sitcom, mais pas une comédie classique sinon pourquoi en parler. Il s'agit du show le plus absurde et burlesque qu'il nous ait été donné de voir durant les années 90. Une sorte d'expérimentation constante dans le non-sens, la gestuelle et le phrasé, ainsi que la représentation plastique.
Une caricature acide et acerbe de la télévision, qui sous couvert des premiers pas de cette dernière (les fifities) démonte les rouages de la débilité et de la vulgarité des programmes actuels. Le spectateur est aussi mis à mal, et la série fait appel à son intelligence et son esprit critique, y compris envers lui même.

"We have a hit on our hands !". Nous sommes en 1957, New-York, le "Golden Age" de la télévision. Un network américain, la ZBC (Zoblotnick Broadcasting Company) va démarrer la diffusion d'une émission en direct, mettant en scène un acteur de cinéma sur la pente descendante, Lester Guy (ayant des airs de Gene Kelly). Il est censé appâter les téléspectateurs. Le première épisode démarre le jour de la première, avec les dernières répetitons. Nous faisons connaissance avec les différents (et incompétents) acteurs et techniciens de la station. Tout d'abord le metteur en scène Gochktch, neveu du patron et dont l'accent allemand rend imconprehensible ses instructions. Heureusement Ruth, son assistante est là pour traduire. Betty Hudson a tout de la blonde idiote, incapable de comprendre le concept de direct et les indications qu'on lui donne. N'oublions pas les producteurs, avec l'hyper-stressé McConigle et le tyranique Budwaller, patron de la chaîne. Les répétitions laisse augurer un show sans encombres. Mais bien sûr, au moment du direct tout tourne mal, sons, acteurs, décors, tout part en roue libre. Contre toute attente, les spectateurs plebiscitent le programme. Au cours du désastre, Betty, la faire-valoir de Lester Guy est la seule à s'en être sortie. Elle a sauvé la prestation. Sa gentillesse et sa simplicité ont conqui le coeur des télespectateurs. Ce n'est que le début d'une guerre rangée menée par Lester et son assistante Thorne afin de démontrer la débilité de Betty auprès des spectateurs et d'obtenir son renvoi. Dans le même temps des luttes d'influence s'engagent entre les producteurs, Budwaller étend son emprise sur le show. Le décors est planté, et les "couacs" à l'antenne ne vont pas s'arranger. C'est parti pour 7 épisodes de burlesque et de folie douce, qui enchantent et désarçonnent. Parti pour une série résolumment différente à qui malheureusement personne ne laissa le temps de s'installer.

Chaque personnage a sa logique. Loufoque, baroque, bête ou idiot, il est bien difficile de qualifier l'humour et le ton des épisodes de On The Air. Les ressorts comiques doivent plus aux films des Marx Brothers, des 3 Stooges ou de Buster Keaton qu'aux comédies de situations classiques. Le rapprochement avec Hellzapoppin le film de Potter de 1941 est aussi très tentant, le rythme, l'avalanche de gags "tarte à la crème", bref un délire qui émaille toutes les scènes. La difficulté de dater les évenements (le générique mélange la représentation visuelle des fifties avec une musique jazzie d'Angelo Badalamenti sortant tout droit des années 40) nous y encourage même. Elle s'insinue jusque dans l'écriture, cette envie jusqu'auboutiste de poursuivre des gags navrants, éculés. Typiquement la patte de David Lynch. Son humour si bizarre prend ici le pari de détruire un à un les éléments narrratifs introduits dans les premières minutes de l'épisode pour aboutir à un tableau incohérent où chaque personnage semble avoir poursuivi l'intrigue selon son envie (voir la formidable scène d'adultère du pilote ou la scène finale de la série). Même les principes de bases seront détruits, puisque le patron-que-l'on-ne-voit-pas, apparaîtra dès le second épisode. Le principal aspect comique et ce qui crée un certain malaise lors du visionnage c'est bien le côté "autistes" de chaque personnage qui semble vivre dans son monde avec ses propres règles de communication et de vision de l'existence. Chaque caractère a sa façon de bouger, de parler, un accent... Finalement c'est l'humour qui était deja présent dans Twin Peaks, mais ici il n'y a plus l'aspect dramatique pour le soutenir, il est livré à lui même et bascule dans la confusion totale pratiquement infantile. Certains épisodes sont proche du dessin-animé (le canard qui grille, les personnages qui volent et s'écrasent), tout y est permis, le malveillant tombera toujours et se relevra pour l'épisode suivant... Dans ce climat, les animaux semblent plus intelligents que les êtres humains.

Dumb blonde. Pas nouveau mais diablement éfficace le concept selon lequel un personnage idiot est le plus à même de saisir l'ironie et d'échapper aux querelles intestines lancées par des êtres rethors et sans scrupules. Betty assume ce rôle à l'extrême. Avec Blinky ce sont les protagonistes lynchiens de la création. La jeune blonde vit dans son monde, complétement extérieur aux tracas des executifs de la station. Absente

pendant les répétitions, elle pense à autre chose, cajole son canard. Chacune de ses réactions est viscérale, dans laquelle est absente toute forme d'ironie ou de second degré. Dans le pilote, lorsqu'on lui demande de crier, elle lâche un son sauvage et stridant, qu'elle peut interrompre pour saluer Lester et le reprendre... Mais elle sera aussi cet ange en suspension au-dessus de la scène ou chantant un musique douce avec une petite boîte à musique, dans ces moments Betty est la métaphore faite femme de la poésie. Elle tire ses histoires de son vécu, avec sa mère comme instance supérieure. Sa voix aigue, son caractère de poupée, se retrouvent éloignés de la plupart des clichés notamment par l'interprétation insipirée de Nancye Ferguson. Betty est sans cesse rabaissée pour son caractère, ainsi elle finira même par dire en pleurant "Je ne suis pas si bête", mais elle est simplement différente et on ne lui pardonne pas. Son rôle est avec celui de Budawaller (excellent Miguel Ferrer proche de son rôle de Twin Peaks) le mieux écrit et apportant le plus de dynamique au récit.

Vision artistique totale. Principalement dans le pilote réalisé par David Lynch, la série est marquée par une recherche constante d'une nouvelle forme plastique et sonore, accentuant la confusion des personnages et du scénario. Les "couacs" du direct sont hilarants, tandis que la caméra se trouve renversée (obligeant les spectateurs à se tordre le coup ou à tourner leur poste pour les plus intelligents), un mari jaloux tire sur un amant pendu par les pieds et se balançant, tandis que des indigènes passent devant la scène. Les détonations de l'arme à cause d'une défaillance sonore sont soient absentes soient remplacées par des couinements de canards. Un tableau, un oeuvre d'art en mouvement (on pense à 6 Figures une création de David Lynch). Nous nous retrouvons à nouveau comme hors du temps. Les cris, les déformations faciales sont très présentes, créant un sorte d'étrangeté, accentuant le malaise. L'alter-égo de l'artiste, de Lynch, c'est Blinky, l'ingénieur du son. Au départ, il devait être aveugle, mais ABC a posé son véto arguant qu'un personnage handicapé dans une comédie n'était pas du meilleur goût. Qu'importe si ils n'ont pas compris l'humour de la série, Blinky se retrouve affligé du "Bozman Simplex", dont on nous dit qu'il lui permet de voir 25,62 fois mieux que nous. La présentation rapide dans chaque épisode de ses visions est saissisante et complétement déjantée. Tout comme Betty, Blinky est un personnage à la fois candide et en dehors du monde, condamné à recréer et transformer ce qu'il reçoit pour pouvoir vivre. Comme l'artiste, l'ingénieur du son pousse les manettes qui donne vie aux sketchs non-bruités. Lorsqu'il envoie des sons militaires durant les crises de Budwaller, notre perception change se rapprochant de la sienne, magnifiée, augmentée, poétique. Une vision saisissante dans laquelle les êtres les meilleurs ou les créateurs le seraient à cause d'une pathologie. Le son que manipule Blinky, ou les voix des personnages sont autant d'indices sur l'action ou les caractères. La plus belle idée vient d'ailleurs du dernier épisode, avec l'utilisation d'une machine capable de détruire et changer la voix. En volant la voix on pourrait capturer l'âme et le caractère d'une personne. Citons finalement la voix off qui ajoute encore à la cacophonie ambiante et verbale en nous apportant un nouveau point de vue.

 

Une critique en règle. La série est un redoutable pamphlet contre la télévision et les téléspectateurs. Tout d'abord le sentiment d'impunité des producteurs, on notera la phrase : "c'est la télé, on ne vous verra pas...". Qu'importe la qualité du programme, il faut remplir la grille et vendre le produit. Voila une dénonciation mercantile de la publicité durant l'émission, et de la brochette de producteurs parquée derrière un cordon. Ils sont cupides et comptent sur la naïveté et la bétîse du spectateur (il sera séduit pour cette raison par Betty) prêt à regarder la première production venue. Le portrait des spectateurs n'est certes pas

flatteur, bloqués devant un écran, influençables (comme lorsque Betty leur ordonne d'appeler leur mère). Mais il réside encore un peu d'humanité en eux, que l'on essaie de leur voler. Nous sommes comme le chien que l'on oblige à manger à l'aide d'une cordelette, il n'aime pas mais il doit l'avaler. On the Air est la vengeance du spectateur (nous ne somme quand même pas si bêtes pour paraphraser Betty) lorsque Lester attaché par les pieds se retrouve la tête plongée dans la pâtée. La critique du système de la télévision est virulente, que ce soit pour les chaînes (ZBC pas très éloigné de ABC ou NBC), pour les gimmicks, pour les guest stars et leur égo sur-dimensionné ou pour les rapports télévision-cinéma. Enfin l'écriture est abordée avec les histoires du show, elles crucifient un manque d'imagination de scénaristes racontant toujours les mêmes histoires (espionnage, adultère pour cette reprise de la thématique de Blue Velvet, réutilisation et clin d'oeil à certains films...). Les rapports conflictuels entre Art et Industrie. La critique dépasse rapidement ce cadre pour plasmodier les travers d'une société voyeuse, se repaissant de l'execution d'un homme, ou régie par l'argent (voir le jeu de l'épisode 3 et l'attaque au vitriol des oeuvres caritatives). Nous voici donc devant une téléfiction beaucoup trop courte mais dont la saveur, les acteurs et les expérimentations artistiques sont source d'émerveillement. Un moment de télévision différent et intelligent, que l'on ne peut regarder distraitement.

Denver

 

 

 

Ode à la confusion et à la bêtise
Série américaine de 7 épisodes de 25 minutes (1992), créée par David Lynch & Mark Frost, avec Ian Buchanan (Lester Guy), Miguel Ferrer (Bud Budwaller), Nancye Ferguson (Betty Hudson)... Diffusée aux USA sur ABC et en France par Canal Jimmy.

Multimédias
Le script du pilote
Paroles "Mr. Peanuts"

Liens
David Lynch, site officiel
David Lynch

Fiche technique
Personnages

Equipe, Crédits
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