Parce que vous le valez bien. D’emblée le projet à l’œuvre derrière le borborygme imprononçable RRRrrrr !!! – la pantalonnade commence avant même le long métrage lorsque vous vous retrouvez devant le préposé à la vente de tickets qui n’a que sa moue taciturne, renfrognée ou dubitative à opposer à votre pathétique effort de prononciation (mimé dans le film avec Guy) – à de quoi déconcerter sinon mortifier les profanes au vu des prestations précédentes de chacun de ses participants.

RRRrrrr !!!

Il s’agit en effet de l’union aberrante d’un ancien trublion de la télévision (Alain Chabat), reconverti depuis dans le cinéma comique (Didier et Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre) nimbé d’une aura pionnière et inattaquable de Nul et de ses enfants cathodiques spirituels, les truculents Robins Des Bois, adeptes du dilettantisme gentillet délicieusement improvisé sinon dérapant – pitres désopilants sur la chaîne Comédie ! et tristement bridés sur Canal +. De ce point de vue (sketchs estampillés télévision à la déconne distanciée et judicieusement pensée) le programme est conforme aux attentes : un chapelet de scènes déridées, de néologismes traînants et hoquetés, de pirouettes et artifices fumeux de platitude, se succédant sur un rythme languide et amorphe. Anachronismes, irrévérences, parodies et autres capitons, c’est sur un ton résolument original que la troupe bricole l’éloge de l’émiettement, du farniente préhistorique et inconséquent. L’alibi scénaristique des six compères est simpliste – conflagration volcanique, achronique et déjantée de toutes les références possibles de La Guerre Du Feu aux polars les plus kitsch –, une lutte séculaire et âpre (il y a 37 000 ans, ère bénie où les animouths insouciants folâtraient gaiement dans les fougères) pour le secret du shampoing aux premières lueurs de l’humanité entre la tribu des Cheveux Sales et celle des Cheveux Propres. Dans le même temps immémorial le premier meurtre est perpétré au sein des rangs de l’ethnie aux tignasses apprêtées et nanties. Le reste asséné est à l’avenant entre humour plombé et paresseux, décrypté et ressassé. La répétition (chacun se voit affublé du même patronyme, Pierre) est en effet au cœur du microcosme des Robins Des Bois axé sur la glose du gag raté et du hiatus (un trou aspirant malicieusement mis en scène ici). Une condition sine qua none pour que les effets affligeants parviennent à se départir de leur lénifiante bêtise et ainsi accéder à un baroque ambigu pratiquement expérimental. Sans atteindre la catégorie irréelle d’un Bob Wilson, ils jonglent avec la détumescence déglinguée où les amphigouris partent en capilotade, où l’accessoire se délaye à l’envi et où enfin le décalage absurde évince concomitamment, paradoxalement et de manière hautement régressive le superficiel autant que le profond.

«Ca va être tout noir». Déboutés de dramaturgie ou de séquences charnières les facéties engendrent l’indigence revendiquée. La scansion machinale de l’ensemble s’en remettant exclusivement à la rupture rabâchée et artisanale – martelé sans en être dupe, l’art du «faire semblant». Malgré des compositions sympathiques, dont Jean-Paul Rouve (à l'affiche dans Podium) et Maurice Barthélémy au sommet de leur

verve fracturée fragile et incertaine gesticulo-frénétique, un ennui flotte vaporeusement et affleure au moindre interstice délaissé. A force de se refuser, avec une persévérance saisissante, le luxe du récit ou de la densité structurelle l’insurrection éclate – notamment avec les apparitions d’interprètes chevronnés comme Gérard Depardieu ou Jean Rochefort. La célérité fulgurante de l’inconsistance frôle l’insipide, le spectateur souriant sur l’instant mais oubliant aussitôt la teneur intrinsèque de la blague supposément lapidaire. La jouissance jubilatoire – analogue aux installations créatives des Monty Python – de l'oralité et du geste est à ce prix. Malheureusement la réalisation chichiteuse, déficiente à soutenir les errances frivoles, sombre dans la pochade. Le cinéaste dont les obsessions superfétatoires pour le canidé sont en passe de rattraper celles, fantasques et compulsives, de Mamoru Oshii (Ghost In The Shell, L'Oeuf De L'Ange, Avalon...) – pèche ainsi crânement à apprivoiser la folie effervescente de ses acteurs-scénaristes et, au lieu de doubler leurs ballottements d’affirmations plastiques pertinentes (d'être un témoin actif pour reprendre la sémantique du propos), il accumule les panoramiques abusifs et outranciers finissant par approcher le fastidieux. Pas d’effort appréciable non plus du côté des liens de chanvre censés retendre le réseau inégal et lâche des affects dévoyés par la prolifération des caméos (Dominique Farrugia, Valérie Lemercier…) et les digressions impromptues frisant le décalquage sinon le procédé commode. Les allégations subversives ou autres quolibets pourront pulluler à la sortie du long métrage, la plupart amplement justifiés. Mais qu’importent les dissensions et les grognements pâteux (comme les barrissements déconnectés, surgis de nulle part, pour lesquels les personnages s'immobilisent dans une béatitude religieuse, attendant que le décor ait achevé sa complainte) pour qui aura choisi consciemment ce qu’il s'apprête à visionner dans la salle obscure, la tentation sera alors grande d'y rétorquer, quitte à heurter la bienséance, de manière similaire qu’aux vociférations éreintantes du préveneur de nuit : «ta gueule !».

 
 

F. Flament
2 Février 2004

 

 

 

 

 

 

Le cri de l’hippopotamouth le soir au fond des bois

Film français de Alain Chabat (2003). Anachronismes, irrévérences, parodies et autres capitons, c’est sur un ton original que la troupe cathodique et son mentor bricole l’éloge du farniente préhistorique et inconséquent. Sortie française : le 28 Janvier 2004.

Multimédias
Bande-annonce / Trailer
Photographies (12)

Liens
Le site officiel français
Le film sur l'IMDB
Les Robins Des Bois 1 / 2
Site sur Alain Chabat

Fiche technique
REALISATION
Alain Chabat

MONTAGE
Juliette Welfling
SCENARIO
J-P Rouve, Maurice Barthélémy, Pierre-François Martin Laval et Marina Foïs

INTERPRETES
Maurice Barthélémy (Pierre, le chef)
Jean-Paul Rouve (Pierre, le blond)
P-François Martin Laval (Pierre, la touffe)
Marina Foïs (Guy)
Elise Larnicol (Pierre, la femme du chef)
Pascal Vincent (Pierre, préveneur de nuit)
Alain Chabat (Pierre, le guérissologue)
Jean Rochefort (Lucie)

DECORS
Ech Cheikh
PRODUCTEURS
Alain Chabat et Patrick Bordier
DUREE
98 minutes

PRODUCTION
Chez Wam, StudioCanal, TF1 Films Prod, Les Robin des Bois Airlines / Mars (Distr.)
 
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