Le vol des dragons. Voilà un concept alléchant et légèrement novateur, instiller dans une fable post-apocalyptique les séculaires et pittoresques dragons, créatures issues de nos légendes médiévales – aux embruns celtiques – à l’impact pas encore émoussé par l’armada fourmillante d’infographistes et consorts numériques.

LE REGNE DU FEU

D’autant que le réalisateur Rob Bowman, rompu aux exigences de l’immédiateté de l’effet en dépit d’un famélique budget par son travail sur la série télévisée The X-Files préfère judicieusement installer son ambiance millénariste – la destruction sauvage et furieuse de la quasi-totalité de la race humaine est ainsi éludée –, cendreuse et désabusée, en usant avec parcimonie de ses monstres à la morphologie reptilienne, aux naseaux incandescents et aux déplacements aériens réellement impressionnants. C’est qu’à la suite de l’introït où le jeune Quinn rencontre pour la première fois le géniteur ailé de la race affreuse dans les souterrains d’un Londres promis à un funeste destin de sanctuaire macabre nous sommes transportés vingt plus tard, devant les ruines fumantes d’une civilisation déclinante – les gravures murales nous résument les faits, joie de la litote –, vivant ses derniers instants regroupée en de malingres communautés, dont celle menée par le prophète (Christian Bale pâle leader torturé beaucoup plus à l’aise dans l’hiératisme d’Equilibrium ou l’hémoglobine distanciée d’American Psycho) et recluse dans une fortification-agora datant des calendes grecques. Alors que ce dirigeant ascétique maintient péniblement à flot ses fidèles en prônant, grâce à un message légèrement dévot et dogmatique, l’autarcie et la survie de l’espèce par le recueillement, l’assolement triennal et le pouponnage d’une sarabande de chérubins angéliques une troupe de mercenaires spécialisés dans l’éradication des bestioles infâmes fait son apparition sous la direction d’un homme endurci, rogue et exalté, Van Zan (Matthew McConaughey en vrille depuis la réussite de Contact jusqu’à la pochade affligeante que constitue Un Mariage Trop Parfait), faisant vaciller tout ce que Quinn s’était évertué à bâtir et à consolider. Il s’empresse d’ailleurs, manu militari, d’occire un volatile cracheur de feu qui avait eu le malheur de s’aventurer dans les ternes parages. La vie plus ou moins tranquille des pauvres hères – la représentation théâtrale de la saga Star Wars – arpentant cette parcelle de terre brûlée est plus que chamboulée lorsqu’ils découvrent, l’effervescence paillarde passée, que cet ersatz antipathique de Saint-Georges arborant le patchwork de l’iconicité militaire (tatouages, trophées arrachés à l’ennemi, cigare mâchouillé et uniforme dépenaillé) n’a pénétré leurs remparts que pour enrôler de nouvelles recrues afin de mener à bien son ultime et orgueilleuse opération : terrasser le seul dragon mâle existant sur la surface du globe et ainsi anéantir l’espèce au règne pyromane en cautérisant la septicémie galopante d’un monde effondré.

Maître en son foyer. Dans le genre de la série B estivale et musclée Le Règne Du Feu s’en sort haut la main – face à son congénère d’infortune Musa, La Princesse Du Désert par exemple – notamment par sa propension à l’économie, ses effets spéciaux honorables et son angle d’attaque lorgnant plus sur un Mad Max flapi que sur une esbroufe frelatée et inepte à la Godzilla. C’est que cette parabole

régressive aux relents théologiques s’empresse d’embrasser les clivages, à la manière entomologiste, pour rapporter une peinture didactique, phallocrate et dichotomique de la société moderne présentée comme grouillant au fond d’un puits (des âmes) à ciel ouvert. Le piètre script, discordant de pathos, s’aventure alors sur le terrain de la géopolitique en achoppant deux cultures antagonistes, d’un côté le flegme britannique suffisant et la résistance ingénieuse à l’envahisseur et de l’autre la verve impétueuse et crâne de la batterie américaine synonyme solitaire de salut pugnace – un régiment embarrassant que l’on rapproche avec une célérité déconcertante, sinon absurde, des dragons destructeurs. Pas de demi-mesures dans le cotonneux déroulement de l’intrigue qui ne prospecte nullement la psyché interlope de son héros falot et traumatisé, préférant l’étayer de vagues stimuli et scories visuels. De diatribe au vitriol sur un avenir alarmant de nos démocraties assaillies de doutes et de dérives sadiques n’en cherchez point, le réalisateur esquivant délicatement toute implication politique ou opinion tranchée par le truchement de quelques afféteries dynamiques happant un style par ailleurs sans envergure, d’une sécheresse efficace confinant à la immatérialité. Une désincarnation des êtres et du propos qui se débat dans les affres grossiers de la caricature et qui conduit, après l’évaporation d’une phalange complète par l’ennemi venu réclamer son dû, à un final apothéotique et dévitaminé accolant un combattant yankee se vouant uniquement au champ de bataille à un couple mièvre et naissant d’où germes des vœux pieux d’avenir écologiste commun. En bref, les deux inclinaisons haranguées et déphasées de la lutte : l’une pour le plaisir immodéré du sang ou de la sueur et l’autre dans l’unique but d’élaborer sa survie. Curieusement les caractères trop guindés et dépassionnés peinent à ne pas trahir les palpitations des muscles entravés, aspirant à un corps à corps tribal et charnel d’avec le monstre – et l’autre sexe par la même occasion puisque le nouveau siècle abhorre le coït, plus besoin de féconder, il faut déjà sauvegarder les vies existantes. De ce point de vue la mue de Van Zan est la plus aboutie et culmine lorsqu’il finit par communier (copuler dans un délaissement décérébré) avec sa Némésis, celle-ci le croquant en plein vol comme amuse-gueule. L’épouvante naît alors de l’impérieuse cohabitation d’avec ses propres démons qui, si ils disparaissent au final, ne flirtent jamais très loin, juste fardés, endormis et pouvant ressurgir à tout moment – mais fort de son couple et de sa fonction de mentor patriarcal Quinn saura, selon ses dires, les affronter. S’immoler par le désir équivaut à la mort et l’abstinence prophylactique induit un statut de combattant indemne et victorieux, l’occasion de relever un peinture rétrograde de la féminité biblique, particulièrement saisissante. Avec un arsenal grossier les représentantes féminines se voient au choix reléguées au rang de nourriture, de matrices idoines à féconder et à sarcler – sans aucun droit sur leurs œufs ou graines d’ailleurs. Simples tôlières (la cuisine, l’hélicoptère, le couffin…) d’une citadelle infernale – un logis métaphorique – et mémoire ambulante sous la coupe de molosses déments ou chastes – on a privé Quinn de sa mère avant qu’il ait pu se colleter à son oedipe. Ainsi, le capuchon subéreux obstruant un propos blet ne tarde pas à se désagréger et à s’éventer, se faufile alors une idéologie détestable. Nul besoin d’adjuvants mythologiques pour se rendre à l’évidence, la voie du milieu n’est plus qu’un tapis de poussière, embrasé et impraticable.

 
 

F. Flament
28 Mars 2004

 

 

 

 

 

 

Donjon et dragons

Film américain de Rob Bowman (2001). Le portrait d'une humanité à la dérive qui, après l'excavation des ses pulsions bestiales et ataviques, doit en découdre avec ses pires démons dans une atmosphère post-apocalyptique. Sortie France : 21 Août 2004.

Multimédias
Bande-annonce / Trailer (vo)
Photographies (33)

Liens
Le site officiel anglais
Le site officiel américain
Le site officiel français
Le film sur l'IMDB
Matthew McConaughey

Fiche technique
REALISATION
Rob Bowman

DIRECTEUR PHOTOGRAPHIE
Adrian Biddle

SCENARIO
Matt Greenberg, Gregg Chabot, Zak Penn et Kevin Peterka

INTERPRETES
Christian Bale (Quinn)
Matthew McConaughey (Van Zan)
Izabella Scorupco (Alex)
Gerard Butler (Dave Creedy)

DECORS
Wolf Kroeger
EFFETS VISUELS
Richard Hoover et Dan DeLeeuw
PRODUCTEURS
Gary Barber, Jonathan Glickman, Roger Birnbaum, Lili Fini et Richard D. Zanuck
DUREE
102 minutes

PRODUCTION
Touchstone Pictures / GBVI (Distr.)
 
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