LES CINQ SENS
Comme si la véritable poésie, mélancolique et amère, abhorrée par une vie citadine et solitaire, avait choisi de se tapir dans le ronflant pompeux de la forme éparpillée d'un ensemble équarri. Dans sa poursuite expressionniste, solaire et picturale, de la sensibilité d’une entité protéiforme, le cinéaste, du haut d’une agaçante vanité esthète, entreprend de brosser le portrait éclaté de ses organes intimes, de son cheptel d’êtres humains acrimonieux et désabusés. Triés sans être pleinement assumés, les caractères s’entrechoquent, exhortant le spectateur, égaré dans cette glèbe inhospitalière, à l’ennui devant la ténuité leurs essences, transpirant abstraitement leur nature de palimpseste. La dialectique est cependant fort simple, par le truchement de cinq personnages habitant le même immeuble anonyme et possédant chacun un sens prépondérant et hypertrophié – Ruth (masseuse / le Toucher), Rachel (adolescente tourmentée / la Vue), Robert (l’Odorat), Rona (confectionne des gâteaux alambiqués dans leur forme mais dépourvus de saveur / le Goût) et enfin Richard (ophtalmologiste / perdant progressivement l’Ouïe) – c’est la faculté de chacun, quelque soit son envergure ou son aura, à s’extraire de lui-même et du groupe qui est analysée. La gageure de l’entreprise réside donc dans la mutabilité de sa forme vers un dispositif anthropologique, culturel et physiologique – tout le contenu de l’ouvrage de Diane Ackerman, The Natural History Of Senses, qui a inspiré de son propre aveu l’auteur. Malheureusement la caméra, lente et empesée, ne fait qu’épousseter élégamment et complaisamment des ombres errantes et asthéniques, noyées dans leur chagrin susurré. Le glacis évanescent et ouaté qui les enveloppe dans une conflagration, satinée et inéluctable, frappée d’agueusie a décidemment tout d’un empâtement cyanosé. A défaut d’apnée c’est presque hyperventilés que nous subissons, dans un amas péniblement conjonctif et dissonant, la démonstration jamais entravée et lourdement sophiste de notre dépendance vorace en nos sens, ceux-là même qui nous font prendre conscience de notre personne tout en nous agrégeant au monde. L’énigme du cœur que martèle la légende de l’affiche est moins alors celle de la perception inhérente à l’éveil que celle de la faculté de communication subséquente.
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F.
Flament |
Film canadien de Jeremy Podeswa (1999). Présentée à la Quinzaine des Réalisateurs et primée à Toronto, la prise de conscience chorale d'une existence individuelle et d'un attachement incoercible à l'entité sociétale aliénante. Sortie française : le 10 Mai 2000.
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