Remake inepte. D’où peut bien se profiler l’impérieuse nécessité de retourner des œuvres intemporelles en les affublant des frusques abjectes et vénales de la modernité kleenex ? Certainement du fantasme ultime d’une kyrielle de studios frileux : décliner à l’identique – à chaque génération – le même film, courant éternel et palimpseste sclérosé dont les automates anémiques reproduiraient une pantomime sublime, écornée et rabâchée.

MEURTRE PARFAIT

Quand ce désir profond, suppliciant et nihiliste, se cantonne à la redite piteuse d’obscurs longs métrages émaillant la décennie des fifties le procédé se fait blâmable voire exaspérant mais lorsqu’il s’attaque aux parangons du patrimoine avec la frontalité saccageuse et nauséabonde qui caractérise Meurtre Parfait, la réaction ne saurait être qu’épidermique. Achevant fastidieusement la refonte du ciselé Le Crime Etait Presque Parfait d’Alfred Hitchcock le tâcheron Andrew Davis – sévissant aussi (quelle carte de visite !) aux commandes de Dommage Collatéral et de Piège En Haute Mer – se vautre dans une ambiance de pacotille où le décorum clinquant et luxueux dispute la vedette à l’atmosphère confinée wallstreetienne. Que l’alibi scénaristique inscrive en lettres d’or son sacerdoce sirupeux – une fidélité totale à la pièce de théâtre inspiratrice de l’œuvre initiale – le revendiquant avec véhémence par rapport à son étalon aurait de quoi faire sourire tant le triangle amoureux guindé et caricatural qu’il génère s’essouffle dès le premier quart d’heure. Michael Douglas cabotine en requin retors et impitoyable, Gwyneth Paltrow joue – à merveille – la jeune oie blanche éberluée tandis que Viggo Mortensen – rugueux Aragorn dans la trilogie du Seigneur Des Anneaux – erre de manière fantomatique de lofts pouilleux (purgatoires) en fades compartiments de train (sépulcres). L’histoire se résume ainsi : Steven Taylor, magnat et ténor de la finance vivant ses dernières heures de gloire puisque la crise le rattrape inéluctablement décide, pour se renflouer, de faire exécuter sa jeune héritière d’épouse, Emily, par son escroc d’amant, David Shaw. De quiproquos en rebondissements stériles, d’inanité chronique en populisme injurieux (une conclusion-couperet, un enquêteur étranger et père de famille inquiet – mais comment le talentueux David Suchet, excellent en Hercule Poirot, a-t-il pu échouer dans ce marasme fétide –, des effets appuyés et dépourvus d’affect...) l’entité décadente se récuse en permanence, jusqu’à s’évaporer à force d’inconsistance.

Huis-clos. C’est que tout ce qui faisait la saveur – qualités et imperfections – de l’original, ses ingrédients tamisés, sa danse sophistiquée cloîtrée dans un appartement ouaté (unité de lieu d’où l’on ne s’évade qu’à de très rares reprises parfois par brumes oniriques – le procès – ou saillies dans la rue attenante) ou sa distance stupéfiante d’avec ses protagonistes (le désir manipulatoire d’un iconophile) est

crânement éradiqué. Il s’agit peut-être là de la propension la plus détestable du long métrage, celle de maculer une intrigue pour la vulgariser dans le sens le plus péjoratif qui soit – texture vitrifiée de bon aloi ou empathie inexistante sinon condescendante. Car justement le cinéaste ne s’intéresse ni au sens de son processus de recréation ni même au style qu’il y instille, très loin des volontés postmodernistes de Todd Haynes (Safe) pour Loin Du Paradis, film à la flamboyance gelée basé sur les mélodrames de Douglas Sirk. Même l’aspect voyeuriste et érotico-ludique a disparu de cette version édulcorée et famélique. Il n’y est plus question de renvoi de regard par une proie incarcérée, épiée et observée sous tous les angles mais simplement d’une cloison opaque où l’on vient se fracasser mollement. D’un rituel feutré reposant sur la profondeur du plan (la science du travelling, inoubliable après Pas De Printemps Pour Marnie) ou sur la séduction d’un premier rôle féminin racé et caractérisé par une ardente réserve il n’y a plus trace, tout juste les moues apeurées et inexpressives d’une actrice minaudante – nous ne sommes pas loin de la performance mémorable d’Heather Graham dans l’abyssal Feu De Glace. La dialectique bouche/œil où l’iris prenait le pas sur un prétexte oral agonise, remplacée par une diarrhée verbale exécrable ou des coquetteries bovines. Difficile de ne pas reconsidérer l’entreprise à l’aune du conceptuel caprice théorique de Gus Van Sant (Gerry, Elephant, My Own Private Idaho…) sur Psycho. Une expérience vertigineuse où s’agrège sous nos yeux incrédules le remake couleur, plan par plan, du célébrissime thriller avec Anthony Perkins. Se dégageait de ce trip culotté une formidable impression, vibrante et classieuse, apposant passé et présent (Anne Heche à Janet Leigh sous la douche par exemple) dans une mémoire cinéphilique aux métriques abolies, troublées et enroulées sur elles-mêmes. Pas entièrement convaincant ce pied de nez intégral demeure une étonnante leçon sur la dimension endogène d’un chef-d’oeuvre. Andrew Davis n’en a malheureusement pas l’envergure, ni même la volonté. Alfred Hitchcock n’avait jamais caché le caractère commercial de sa réalisation ce qui lui conférait une aura de sobriété poussiéreuse nous rendant enclins à l’indulgence. Meurtre Parfait ne sait que claironner sa façade proprette et se vanter de son penchant arty compassé (les galeries picturales), une carence d’essence tout bonnement rédhibitoire.

 
 

F. Flament
9 Avril 2004

 

 

 

 

 

 

Cet obscur objet de désir

Film américain de Andrew Davis (1998). Remake inepte s'attaquant à son modèle avec une frontalité saccageuse et nauséabonde ayant égaré les clés subtiles et les césures élégantes pour l’attirail pataud de la forfanterie. Sortie française : le 7 Octobre 1998.

Multimédias
Bande-annonce / Trailer (vo)
Photographies (14)

Liens
Le site officiel américain
Le film sur l'IMDB
Gwyneth Paltrow 1 / 2
Site de Michael Douglas

Fiche technique
REALISATION
Andrew Davis

MONTAGE
Dennis Virkler

DIRECTEUR PHOTOGRAPHIE
Dariusz Wolski

SCENARIO
Patrick Smith Kelly d'après Le Crime Etait Presque Parfait d'Alfred Hitchcock (1954) et la pièce éponyme de Frederick Knott

INTERPRETES
Michael Douglas (Steven Taylor)
Gwyneth Paltrow (Emily Bradford Taylor)
Viggo Mortensen (David Shaw)
David Suchet (Mohamed Karaman)

MUSIQUE ORIGINALE
James Newton Howard
PRODUCTEURS
Anne Kopelson, Stephen Brown, Arnold Kopelson, Peter MacGregor-Scott et Christopher Mankiewicz
DUREE
106 minutes

PRODUCTION
Kopelson Entertainment et Warner Bros.
 
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