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PERDITA DURANGO

Comme souvent chez Gifford, il y a la route, métaphore de l'existence. L'Amérique des grands espaces, des stations services, des motels et des diners avec leurs serveuses affables, indiscrètes et fantasques. Nous naviguons entre deux pays (Etats-Unis et Mexique), deux mondes et cultures clivés par une frontière poreuse, où l'asphalte s'oppose aux pistes défoncées. La poussière colle au visage, l'humidité et la chaleur accablent les corps. Une limite

qui peut tout aussi bien être prise pour symbole de la barrière ténue qui oppose les êtres humains, les amants ou les époux, bref l'instrument de la solitude. Mais de tout ceci on ne voit pratiquement rien, on le devine tout au plus lors d'un dialogue ou d'une réflexion formant les très courts chapitres (entre deux et cinq pages) du récit qui se meut ainsi par touches imperceptibles. Nous sommes transportés dans le temps et l'espace, projetés et sonnés, toujours en quête de recomposition. Un artifice particulièrement efficace dans le rendu de l'absurdité du monde, d'un vide insondable à combler.

L'auteur a le sens du verbe, tel McGuane ou Ford, il sait employer des phrases cinglantes et délétères. Par des dialogues aussi incongrus (les salamandres) que dérangeants (les serial killers) ou communs, ils nous rapporte la rumeur, le bourdonnement banal d'un monde en proie au drame, à la joie et à l'attentisme. Un environnement fugitif et changeant comme une paysage observé à la fenêtre d'une voiture lancée à vive allure. Ses personnages aussi riches et puissants soient-ils, ne possèdent finalement rien de tangible. A part peut-être cette détresse, ce blues impuissant apparu au détour du chemin, un manque d'âme : des goules qui prolifèrent sur un sol sec et désertique. Ce bruit de fond n'est-il pas ce qui perdure une fois la brume du rêve américain levée, lorsque l'on coupe le moteur, soit la propagande d'une société mercantile qui utilise des placentas humains pour créer des produits cosmétiques, garants de la beauté. Perdita Durango c'est le miroir, l'antithèse même de Sailor et Lula auquel il succède. Tout y est déconstruit (aucun amour ou même passion, tous sont intéressés ou victime de leur empathie) et tourne inexorablement en boucle. La scène finale est identique à l'initiale, les personnages oscillent autour de la frontière. Un flic en remplacera un autre. Deux personnes écrivent de Caribe... L'héroïne aura cette réplique marquante : "Encore un détour sur notre route vers nulle part". Sans oublier le pamphlet social en filigrane, et l'ironie délicieuse d'affubler la famille texane aisée du nom de Satisfy.

Ce polar noir qui marie et détourne habilement les codes du genre tout en les teintant d'exotisme latino semble onduler au rythme languissant de ces vagues dont le mystérieux interlocuteur de Woody dira qu'elles "sont les battements de coeur de la terre". Une pulsation sauvage et imprévisible, une réaction à une existence qui a simplement "cessé de nous intéresser". De toute manière rien n'est important, rien n'a de sens, les transgressions sont constantes et nous sommes tous critiques, incapables de nous entendre sur quoi que ce soit. Pourtant, il vaut mieux être "désespéré que mort" nous lancera Romeo. Un état qui permet d'agir et de faire réagir ce qui nous entoure, de plier l'espace à notre convenance grâce à nos pulsions ataviques, la violence et le sexe. Une fois décédé, nous ne devenons plus qu' "une simple anecdote au cours de l'histoire". Cyniquement dans la vie, il y a énormément de points d'interrogations, un hasard qui fait son charme et qui nous torture inlassablement. Un passage obligé vers le néant tapissé d'icônes cinématographiques (Saint Burt Lancaster et la divine Ava Gardner), de célébrités volées et manipulées (les tueurs en série) et de serrements de coeur quand la beauté du monde, sa poésie ou son absurdité nous envahit au coin d'une rue, d'un paysage.

 
F. Flament
11 Juillet 2002

 

Liens
Les premières pages du roman
Le site officiel de Barry Gifford
Le film Perdita Durango sur Inside a dream

 

 

 

 

 

 

 

 

On the road again

 
 

A la fin de Sailor et Lula, avait lieu le braquage d'un magasin d'aliments pour chiens. Suite à la mort de son amant et à l'arrestation de Sailor, la dangereuse et perverse Perdita Durango quittait rapidement les lieux du crime à la barbe d'un représentant de l'ordre. Nous la retrouvons à la Nouvelle Orléans où elle fait la connaissance de Romeo Dolorosa. Un passeur de drogue notoire originaire de la république de Caribe. Il l'entraîne dans ses célébrations de cultes vaudou à la sauce latino. Mais la malveillance de Perdita surclasse et magnifie celle de son compagnon puisqu'elle lui suggère un sacrifice humain pour effrayer les fidèles. Ils kidnappent ainsi en pleine ville un couple d'étudiants, Duane et Estelle, dont ils vont abuser sans vergogne, préférant tuer un enfant mexician pour leur cérémonie.

Dans le même temps, le magnat du crime organisé de la Californie, affublé du sobriquet : Marcello "Zyeux Fous" Santos, demande à Romeo de convoyer du Mexique à Los Angeles un camion rempli de placentas humains destinés à l'industrie cosmétique. Après une fusillade qui verra la mort de deux policiers et d'un malfrat, Romeo, Perdita et les deux jeunes gens s'élancent dans leur périple avec le chargement. Un trajet marqué par des rencontres, des violences et la traque d'un agent des narcotiques, Woody Dumas qui dérange les mafieux et qui échappera de peu à une exécution en pleine rue. Mais Santos ne supporte plus les agissements du couple meurtrier en cavale et leur dérapage sanglant dans leur simulacre de religion. Il demande à son agent de Floride d'abattre les livreurs lors de la remise du camion. Dolorosa meurt donc juste avant la descente des policiers qui mettent à jour une partie des agissements de la pègre. Le couple de jeunes s'en sort, tandis que Perdita s'échappe. La voilà hantant un aéroport du Mississipi, séduisant un homme dans un bar. Le cycle recommence, l'ange noir corrupteur et tentateur est à nouveau à l'oeuvre.

 

 

 

 

 

FICHE TECHNIQUE
Auteur : Barry Gifford
Nationalité : Américaine
Publication : 1991
Nombre de pages : 295
Editeur français : Rivages/Noir
Traduit par : Jean-Paul Gratias
Titre original : 59° & Raining - The Story Of Perdita Durango
ISBN : 2-86930-585-0
Sortie française : 1991