Hagiographie hétéroclite. Un spectateur n’oublie jamais vraiment sa première rencontre avec le mystique Poltergeist. Vaste mascarade au premier degré sans réel rapport avec le film homonyme, au ton tantôt guignolesque tantôt grandiloquent mais toujours ampoulé, le récit se caractérise par une foi inébranlable en son essence horrifique, agrégat maladroit et putréfié ouvert aux quatre vents recyclant à tour de bras poncifs caricaturaux et dérives ésotériques.

POLTERGEIST, LES AVENTURIERS DU SURNATUREL

Voici un divertissement, que l’on doit aux chevilles ouvrières d’Au-delà Du Réel, L’Aventure Continue, oscillant avec un entêtement sycophante du sacré ou profane sans la moindre hiérarchie salutaire. Pourtant, cette métaphysique désenchantée invoquée sous la houlette du Dr. Derek Rayne – chargé de conduire la cellule de San Francisco d’une obscure fondation secrète et séculaire, garante de la lutte acharnée contre la malignité des forces occultes qui nous assaillent dans les ténèbres – s’enhardit en étanchant sa soif à la cataracte rafraîchissante, directe et rêche de l’asyndète méphitique. Ne prévaut en effet rapidement, sur les trois premières années et la dernière saison ajoutée pour ce transfuge de Showtime à Sci-Fi Channel, que son prosélytisme intérieur, le prêche qui, assimilé aisément par tous les protagonistes – le prêtre Philip Callahan quittera d’ailleurs la série après un an seulement, avec la satisfaction du devoir accompli –, confère à l’ensemble une remarquable fidélité à l’engagement sacerdotal et une indéniable croyance aux dialogues parfois lénifiants de bêtise qui émaillent les scènes souvent flapies. Le mal blême et païen, pompeusement représenté dans une gabegie d’effets spéciaux au rabais, est donc au centre de ce paradigme intrigant qui voit la rigidité des personnages défaillir pour nous convier dans un théâtre du viatique, orgueilleux mais sincère, à la limite d’un simulacre kitsch et honni. Dès lors, les épisodes vont parsemer la voie sépulcrale de l’opprobre d’une intensité jubilatoire dans le jeu des acteurs qui pourrait confiner au risible si elle ne parvenait à initier une dynamique narquoise et prégnante enfonçant la prosodie baroque de cette farce grotesque. De fait les relations qui se nouent entre les apôtres de ce bestiaire improbable, chargées de forts effluves érotiques, revêtent une pesanteur palpable – le risque du blasphème ou du pêché hantant insidieusement les caractères. Les deux femmes campées par Helen Shaver et Robbie Chong (la sœur de Rae Dawn Chong qui faisait partie de la distribution de Mysterious Ways) y trouvent un formidable exutoire à l’esthétique empesée et liturgique, dévoilant leur corps sensuel dans une atmosphère torride : succubes ou offertes, séductrices ou amoureuses transies. Rarement étrangères à leur environnement, comme peut l’être l’ancien marine Nick, elles subissent la situation sous la domination d’autrui ou imposent leurs vues avec ferveur. Cette recrudescence de crédibilité n’est pas la moindre des gageures d’une production que l’on pourrait croire à tort à tort absurde et puérile écrasée qu’elle est sous le joug d’un despote mortifère, une phalanstère septicémique et claustrale.

Menace interne. Car les héros souffrent plus de leur inconscient imprimé par les démons qu’ils côtoient que des péripéties qu’ils affrontent quotidiennement – avec il est vrai des jours de repos permettant le tournage simultané de plusieurs segments mettant chacun en scène deux ou trois des quatre têtes d’affiche. La citadelle brumeuse et déracinée qui accueille la Fondation Luna se fait dès lors l’apologue de l’esprit inexpugnable.

Un manoir aux murs recouverts de mousse entraperçus au milieu d’arbres menaçants : quelle excellente métaphore des miasmes assiégeant l’esprit – ergastule aliénante ou serpentante – d'un cheptel humain en proie aux délires les plus ostentatoires et outranciers. Et le rôle du Dr. Corrigan de s’étoffer pour panser le mental calfeutré et paranoïaque des combattants qui s’agitent sur le sceau même de l’Enfer (petit clin d’œil à la sempiternelle lutte de Buffy, The Vampire Slayer), leurs propres fissures et déviances réprimées. D’où la dimension charnelle contagieuse et cette association coercitive sinon janséniste de l’amour et de la souffrance, ou plutôt de la perte inconsolable. La chape théologique qui plombe les héros s'infiltre habilement dans les interstices de la création puisqu’elle devient le moteur de la quête d’un Derek accablé par les pêchés de son père et allant jusqu’à se sacrifier pour préserver l’humanité dans la conclusion bâclée de l’histoire. L’iconicité se faisant de plus en plus appuyée jusqu’à renier dans la forme ce que le show essaye de sauver dans le fond. Et les acteurs de passage de se parodier avec une célérité édifiante en dépit du moratoire tacite synonyme de la cohérence de la fiction, comme Molly Parker (Suspicious River, Les Cinq Sens, Le Centre Du Monde…) jeune femme chaste et maternelle possédée et fiévreuse dans ses songes, ou Daniel J. Travanti l’inoubliable Capitaine Furillo de Hill Street Blues dont on retiendra le supplice hilarant perpétré par Gilles de Rais. A l’heure où Le Village de M. Night Shyamalan déboule dans nos salles obscures difficile de ne pas faire un parallèle avec la société secrète à laquelle adhèrent les personnages principaux et dont – comble de la sédition – seul un ecclésiastique s’écarte, pour un constat hypocrite sur l’idéologie morale et fétide qui a investi notre culture judéo-chrétienne. Au rayon des regrets nous citerons surtout l’absence du développement de Katherine et de ses pouvoirs psychiques. Enfin, comment ne pas terminer avec l’une des répliques cultes, celle dite, sans sourciller évidemment, par un Derek intense à une Rachel mortifiée : «Rachel, ta fille est dans l’au-delà». Grâce au niveau atteint – surtout durant les deux premières saisons – par cette propension à relater les histoires les plus éculées, navrantes ou tordues avec un sérieux indéniable on comprendra aisément que dans trente ans quelques téléphages puissent se délecter avec un plaisir coupable, sans l’ombre d’un sarcasme, de ces divagations ciselées, macabres et saugrenues. La nouvelle définition d’une série culte ? Peut-être.

 
 

F. Flament
4 Septembre 2004

 

 

 

 

 

 

Redéfinir la série culte

Série américaine créée par Richard B. Lewis de 87 épisodes (4 saisons : 1996-1999). Avec D. de Lint (D. Rayne), R. Chong (A. Moreau), M. Cummins (N. Boyle), H. Shaver (R. Corrigan). Diffusée aux USA sur Showtime / Sci-Fi Channel et en France par M6.

Liens
Le guide des épisodes
Un site sur la série 1 / 2
La série sur l'IMDB
Un site sur Derek de Lint
Site sur Martin Cummins

Fiche technique
CREATEUR, PRODUCTEUR EXECUTIF
Richard B. Lewis

CO-PRODUCTEURS EXECUTIF
J. Watson, M. Stern, F. Abatemarco, G. Simmons, G. Sherman, G. Rosenberg...

INTERPRETES
Derek de Lint (Derek Rayne)
Robbi Chong (Alexandra Moreau)
Martin Cummins (Nick Boyle)
Helen Shaver (Dr. Rachel Corrigan)
Kristin Lehman (Kristin Adams)

MUSIQUE ORIGINALE
John Van Tongeren

SCENARIOS
A. Amin, B. Bleich, B. Froehlich, B. Wright, C. Black, F. Rappaport, G. Geiger, J. Quastel, S. McPherson, S. de Jarnett
...
REALISATEURS
A. Easterman, A. Kroeker, B. Turner, B. Spencer, G. Lynch, J. Head, J. Ciccoritti, J. Kaufman, J. Scanlan, K. Girotti, P. Lynch, R. Zelinsky, S. Gillard, W. Fruet...
PRODUCTEURS
B-K Clackson, D. Tynan, F. Rosati, R. Petrovicz, F. Duncanson et K. Domar
PRODUCTION
Trilogy Ent. / Metro-Goldwyn-Mayer
 
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