Le Mariachi, le Trafiquant et Johnny Depp. Pour parachever sa trilogie initiée en 1992 avec El Mariachi dans une pénurie de moyens et des conditions piteuses, Roberto Rodriguez entreprend – sur les conseils avisés de son acolyte Quentin Tarantino – dans le présent opus de convoquer dans un ronflant hystérique et hennissant un casting de rêve pour sévir une dernière fois dans la moiteur poussièreuse de l'Amérique Centrale.

DESPERADO 2 : IL ETAIT UNE FOIS AU MEXIQUE

En tête de cette kyrielle d'acteurs chevronnés Antonio Banderas se consume en pistolero solitaire, torturé et diablement efficace lorsqu’il s’agit de sulfater au tout venant avec son arsenal retranché dans l’étui à guitare qu’il trimbale constamment. Outre la tête d’affiche attendue (l'interprète charismatique ayant remplacé dans Desperado le peu rentable et fédérateur Carlos Gallardo, héros terne et effacé du premier épisode) qui se contente de poses minimalistes éconduisant toute étude de caractère – Le Mariachi est désespéré et inadapté au monde, sa mélancolie s’épanchant par capillarité à la mise en scène, truquée, bancale et plagiée – le cinéaste a le génie d’associer dans un déluge outrancièrement pétaradant et tonitruant des gueules iconoclastes du cinéma américain telles Willem Dafoe, Mickey Rourke et surtout le trublion Johnny Depp. Dire que ce dernier illumine le film de sa présence serait pur truisme tant ses apparitions jubilatoires jettent au rebus les ambitions cinématographiques et formelles d’un auteur à la limite de la forfanterie. A l’image de son rôle dans Pirates Des Caraïbes, La Malédiction Du Black Pearl l’interprète lunaire détonne dans le paysage cliché mexicain, parvenant à se départir au milieu des ripailles, rixes et machinations qu’il enclenche d’un quelconque sérieux ou distance séditieuse pour mieux s’abandonner à l’apocalypse pulvérulente et défoncée de lumière qui se déroule sous ses pas. Du scénario idiosyncrasique, on ne parlera pas, tant sa déconstruction coupable et instinctive le rend caduque à chaque plan. Tout au plus les manigances d’un agent cynique et inconséquent de la CIA qui enfonceront dans le marasme un pays à l’équilibre précaire et de surcroît taraudé d'égocentrisme latent. Un vaste prétexte à un banquet opulent, régressif (l'homme derrière la sarabande chamarrée n'a pas grandi et se complaît avec délice dans une stase vaguement gore où l'on s’amuse à déchiqueter et défigurer ses jouets de chairs dans des pitreries grotesques de carabin) et boursouflé où valsent les pantins caricaturaux (politiciens véreux et veules, trafiquants de drogue retors et implacables, pauvres paysans des pueblos sous la coupe de mercenaires sanguinaires, héros chantre désenchanté des causes perdues…), les mines déconfites et les flash-back puissants et somptueux voués entièrement à la gloire de la beauté piquante, trépassée et donc sublime de Salma Hayek, unique apparition, éphémère, qui ne soit puisse être taxée d’anérogène.

Dégénérescence maculaire. Romantisme exacerbé, violence exaltée et ablations d'organes sont autant d’indices d’une profonde déliquescence qui mine un film déjanté arborant comme seul étendard celui d’une liberté ostentatoire et anarchique. Que la passion latine s’ébroue dans un déluge contemporain et sexy d’armes à feu décomplexées serait tout à fait compréhensible, mais dans sa quête d’une enluminure moderne et graphique à son hagiographie un brin surannée le cinéaste cède à la fascination complaisante et abjecte de la férocité et oublie que ce qui faisait la force de son mentor Sergio Léone – auquel la trilogie et le titre font clairement référence – était non de se focaliser sur ses personnages mais de capter la fibre exogène de son récit. Si Perdita Durango, road movie azimuté de Alex de la Iglesia pouvait être comparé à une sorte d’opéra bouffe déglingué, hagard

et guignolesque, la narration de Roberto Rodriguez s'envase, elle, dans la fange hachée et assourdissante d’un hard rock baroque et massif : en définitive la musique est une arme destructrice (un canon scié grimé en guitare), révolutionnaire et indomptable charriant une chorégraphie plus furieuse que véritablement élégante ou racée. Dès lors, il s’agit moins de maintenir une cohésion salutaire au sein de cette hécatombe dantesque que de concevoir un disque en image, où la mélodie et sa fièvre envoûtante prévaudrait sur un graphisme désincarné incapable d’influer sur les battements cardiaques l'apparence au même titre que l'identité est sapée à force de mégalomanie et ne perdure que des visages dépiautés et putréfiés. Comble de l’industrie du DVD, le malicieux réalisateur – chef d’orchestre d'un fantasme absolu teinté d'onanisme puisque s’insinuant dans chaque anfractuosité technique en tant que scénariste, producteur, monteur, compositeur et chef décorateur – nous livre un film morcelé où chaque espace cinégénique est enroulé sur lui-même préservant sa propre logique aux dépens de l’intégrité d’un long métrage vomissant par ses pores son inanité enjouée. Car le risque d’une telle structure (faussement post-moderne) est d’anesthésier la dynamique issante et répercutée par les précédentes incarnations du Mariachi pour laisser Antonio Banderas dans un délaissement vaporeux, une absence ambiguë pour celui qui devrait initier l'intrigue et qui se trouve, carcasse desséchée au bord du bitume, être emporté par le vent et le tempo infernal. Ainsi, sur un postulat corollaire à Charlie’s Angels qui consiste à ingérer à satiété les clins d’œil au Septième Art pour mieux les décortiquer et les désagréger dans l’émergence identitaire, Desperado 2 pêche à râper sa glose et ses pastiches nonchalants pour en nourrir son propos. De cet éprouvant coup d’état au dénouement incertain seuls les deux personnages les plus intègres sortiront indemnes (le président et l’ancien agent du FBI bafoué), une morale finalement bienvenue dans cet univers-frontière d’éperons rutilants lorgnant du côté de Sam Peckinpah. Deux éléments stigmatisent la vanité de l’entreprise au comique flirtant souvent avec le mauvais goût (les gants, le ragoût, le bras postiche…) , en premier lieu le fait que le personnage de Mickey Rourke ne cesse de claironner un sentiment partagé par tous face à une expérience aussi éreintante, «Je voudrais me tirer de là», ensuite cette propension de l’auteur à nous infliger les images béantes de cavités oculaires orphelines. Comme si il trahissait par-là son secret de polichinelle, le fait que son unique objectif soit de nous balader au rythme d’une sérénade lascive et énamourée tout en jonglant avec nos yeux au bord de la nausée. Des globes saturés de vertige et criblant l’écran au hasard sous l’injonction névrotique de sons et de voix, à l’instar d’un Johnny Depp frappé de cécité et parvenant à suppléer son sens défaillant dans une boulimie bouffonne et décalée.

 
 

F. Flament
4 Novembre 2003

 

 

 

 

 

 

Du côté de chez El

Film américano-méxicain de Roberto Rodriguez (2003). Présentée hors compétition au soixantième Festival de Venise, la conclusion pétaradante et déjantée de la trilogie consacré au tueur solitaire mexicain El Mariachi. Sortie France : le 22 Octobre 2003.

Multimédias
Bande-annonce / Trailer (vo)
Photographies (35)

Liens
Le site officiel américain
Le film sur l'IMDB
Site sur Salma Hayek 1 / 2
Site sur Johnny Depp

Fiche technique
REALISATION, SCENARIO, DIRECTEUR PHOTOGRAPHIE, MONTAGE, MUSIQUE ORIGINALE
Robert Rodriguez

INTERPRETES
Antonio Banderas (El Mariachi)
Salma Hayek (Carolina)
Johnny Depp (L'agent de la CIA Sands)
Willem Dafoe (Barillo)
Mickey Rourke (Billy)
Danny Trejo (Cucuy)
Cecilia Tijerina (La serveuse)
Enrique Iglesias (Lorenzo)
Rubén Blades (L'agent du FBI Jorge)
Eva Mendes (l'agent spécial Ajedrez)
Gerardo Vigil (Le général Marquez)

DIRECTEUR CASTING
Jorge Guerrero
PRODUCTEURS
Robert Rodriguez, Carlos Gallardo et Elizabeth Avellan
DUREE
105 minutes

PRODUCTION
Production Sony Pictures, Columbia Pictures Corporation, Dimension Films et Troublemaker Studios / GBVI (Dist.)
 
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