Raccrocher les étoiles. Barry Sonnenfeld et son duo d’acteurs, Tommy Lee Jones (dont la carapace fatiguée de dur endurci et placide se fissure à force de redondance) et Will Smith (exubérant et gaffeur, à l’énergie syncopée, épuisée et réticente), n’y auront donc pas résisté et voici remis sur l’ouvrage, cinq ans après, le succès planétaire des Men In Black, une agence gouvernementale chargée de réguler les flux migratoires extraterrestres des créatures de tout poil transitant par la planète Terre.

MEN IN BLACK 2

La cohorte de monstres – amicaux, renégats ou indifférents – protéiformes, benêts ou hystériques s’ébroue toujours avec une molle sympathie débonnaire, venant engraisser la phalange des créations délirantes, excentriques et bien inutiles des studios hollywoodiens enjoués. Au programme donc : une absence de scénario, une interprétation aléatoire sinon désincarnée et les réminiscences jubilatoires des effluves surannées – et faussement candides – d’un genre en déshérence à force de calculs mercantiles, dont le chantre serait le naïf Plan 9 From Outer Space sur lequel se voit calqué le documentaire (présenté par un Peter Graves au summum de la dérision) ouvrant l’histoire – et la résumant complètement, ôtant de fait tout intérêt dramatique à la quête guignolesque et désenchantée des agents J et K. Ce qui intéresse ici tous les protagonistes n’est ni plus ni moins que la circulation, la fluidité accueillante. Celle des formes, des idées, des gags ou de la lumière – transperçant et transcendant les corps – (la fameuse lueur de Zartha, d’où le prétexte fallacieux du script). Toute la progression de la machine énorme y est assujettie, dévouée. Parfois, des saynètes sont expulsées dans le mouvement perpétuel, gratuites, fulgurantes, elles sont hilarantes ou plates, mais visibles uniquement lors leur éjection du continuum filmique. Le reste est à l’avenant, au choix fumeux, plombé par une logique consumériste ou simplement de mauvais goût (les hideux fonctionnaires des postes). Mais jamais le cinéaste ne se départit de sa roublardise corrosive acquise et affermie au contact des frères Coen sur Blood Simple et qu’il avait su si parfaitement mettre au service des torves Valeurs De La Famille Addams avant de décliner jusqu'à la catastrophe Wild Wild West. Dès qu’il en a l’opportunité, il nous gratifie d’un clin d’œil burlesque, d’un décrochement navrant et complice pour nous signifier que ni lui (l’origine) ni nous (la destination, cette vigie imperturbable) ne sommes dupes. Mieux, d’abord récalcitrant il nous signifie bientôt que chacun de nous n’importe pas dans la vie du long métrage qui incarne exclusivement le voyage géographique et fantasmagorique (le générique en est le paradigme incongru), le transit temporel (durée étonnement faible pour en perpétuer la saveur précoce et instantanée – sans oublier une fin bâclée, arbitraire et raccourcie afin d’éviter de froisser les susceptibilités à vif après les attentats ayant meurtri et choqué les Etats-Unis). Voici donc une replongée dans le connu, dans le calice oniriste et bringuebalant de l’univers précautionneusement dérangé de l’auteur, où l’on ne s’emploie qu’à prolonger le triomphe, qu’à s’enfoncer dans les ramifications vacantes d’un imaginaire asphyxié – les velléités burtoniennes (Ed Wood, Edward Aux Mains D’Argent, Big Fish…) se délayant dans le marasme piochant et frénétique. La futilité lounge demeure alors le paravent parfait pour s’interdire de déflorer la coalescence proprette et fade d’une mémoire artistique en capilotade.

Mémoire gigogne. Le souvenir, dans sa nature kaléidoscopique et disparate, semble être le sésame vers la cohérence narrative et l’unité créative de l’ensemble. En effet, il ne s’agit pas ici de ne semer que des indices stimulant les résurgences accélérées d’un spectateur apathique ou d’un héros amnésique mais bien de placer la mémoire au centre des débats – l’élève du premier opus initie son mentor au

cerveau effacé. Des efforts constants pour tenter d’approcher une essence salutaire, assombrie et assoupie dans les replis tiédis d’un cortex épris d’étoiles scintillantes (au choix les bribes arrachées par le mouvement freiné lors de la projection ou les stars adulées et éphémères). L’éclatement en microcosmes viables (l’obsession d’un univers fractal) et autres créatures composites (les tentacules, les vers, les habitants du placard, les mini-adversaires) infléchit la linéarité ambiante – estampille rassurante, aseptisée et convenue du producteur Steven Spielberg – pour conforter l’analyse exfoliante selon laquelle l’unique sujet du film réside dans ses digressions simulant le recommencement, le renouvellement homothétique. Un sentiment qui culmine avec le réveil de la mémoire d’un K résigné : une stimulation déficiente puisqu’elle ne sert qu’à renverser une situation pour la rétablir à l’identique en échouant à faire rebondir l’intrigue (il ne sait pas davantage qu’auparavant où se trouve le mirifique trésor). Il est nécessaire de continuer à fouiller, de poursuivre son cheminement acharné au but prostré. Au gré du sentier amène, jonché de poupées écornées – comme oubliées par une autre entité cinématographique –, on recueille des orphelins, des bribes éparses de souvenirs nostalgiques et espiègles éludant les fastes impersonnels de vacuité des blockbusters contemporains. Une création de bric et de broc (un refuge temporaire en attendant de rentrer au bercail, l’objectif lancinant des deux agents étant de rejoindre un placard qu’ils n’ont jamais quitté), en sourdine, basée sur de la récupération – une nouvelle mastication des codes et des enveloppes numériques –, voila la voie mineure et buissonnière sur laquelle nous convie la sémillante, séduisante et incandescente Lara Flynn Boyle (Twin Peaks, Happiness, The Practice…). Unique nouvel apport (avec le rôle prépondérant du canidé hilarant) insufflé dans une attraction flapie, cette émissaire impitoyable cultive un charme nettement plus vénéneux, expansif et sensuel que la blatte originelle, la lingerie troublante et sophistiquée de Victoria’s Secret lui seyant beaucoup mieux qu’un inoxydable costume d’Edgar. Quoi de plus simple finalement que d’élaborer une suite-mirage, inoffensive et paradoxale (frustrante autant que réjouissante), en époussetant les attraits du glamour, en s’en remettant à une infinie désinvolture ludique et en glorifiant la décontraction nomade.

 
 

F. Flament
23 Mars 2004

 

 

 

 

 

 

La petite bête va manger la grosse

Film américain de Barry Sonnenfeld (2002). Replongée dans un continuum filmique en mouvement permanent et dont les étincelles éjectées constituent les étoiles révérées par l’imaginaire asphyxié d’une mémoire fractale. Sortie française : le 7 Août 2002.

Multimédias
Bande-annonce / Trailer (vo)
Photographies (55)

Liens
Le site officiel américain
Le site officiel français
Le film sur l'IMDB
Site sur Lara Flynn Boyle
Site sur Tommy Lee Jones

Fiche technique
REALISATION
Barry Sonnenfeld

MONTAGE
Steven Weisberg et Richard Pearson

DIRECTEUR PHOTOGRAPHIE
Greg Gardiner

SCENARIO
Robert Gordon et Barry Fanaro d'après l'oeuvre de Lowell Cunningham

INTERPRETES
Will Smith (Agent J)
Tommy Lee Jones (Agent K)
Rip Torn (Z)
Lara Flynn Boyle (Serleena)
Johnny Knoxville (Scrad / Charlie)

MUSIQUE ORIGINALE
Danny Elfman
EFFETS VISUELS
R. Baker, J. A. Berton Jr. et T. Bertino
PRODUCTEURS
Steven Spielberg, Graham Place, Walter F. Parkes et Laurie MacDonald
DUREE
88 minutes

PRODUCTION
Columbia Pictures, Amblin Entertainment, MacDonald / Parkes Productions
 
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