Mauvais présages. Fraîche lauréate de son permis de conduire, Kimberly Corman s'apprête à partir en Week-end en charriant dans son 4x4 d'un rouge sang prophétique trois de ses écervelés camarades. L'ennui c'est qu'en rêvassant au stop de la bretelle d'autoroute elle est frappée d'une prémonition apocalyptique sur un carambolage meurtrier où toutes les voitures derrière elle seront furieusement pulvérisées.

DESTINATION FINALE 2

Afin de sauver sa vie et celle des conducteurs attendant dans la file, elle place son engin au milieu de la chaussée pour bloquer le passage. Alors que les klaxons retentissent et que les esprits s'échauffent, l'ignoble accident se produit sous leurs yeux incrédules et horrifiés, laissant dans son sillage un amas de sang, de tôles et de flammes. Tous se croient sauvés mais un poids lourd déboule de nulle part pour emboutir le véhicule tout terrain et emporter les décontractés étudiants dans les limbes infernales. Sortie sous l'injonction d'un policier, Kimberly doit la vie au réflexe de cet agent des forces de l'ordre, Thomas Burke, qui la pousse sur le bas-côté avec promptitude. Le groupe hétéroclite et hagard qui vient de réchapper de justesse au drame se réjouit tout en raillant la prétendue vision de leur sauveuse. Ils réintègrent rapidement leurs pénates en battant froid la jeune femme. Mais la Mort, elle, n'en a pas fini avec eux. Ils avaient déjà éludé leurs destins funestes à cause des répercussions des évènements du vol 180 et voilà qu'il s'extirpent à nouveau de ses serres acérées. Cette fois, elle les écrasera dans un raffinement cruel et vicieux, aucune échappatoire à son plan d'une efficacité et d'une précision géométrique. Le seul espoir serait personnalisé par Clear Rivers, l'unique rescapée de circonstances similaires, celle qui a pu jusqu'à ce jour "tromper la mort".

La vie de Brian. Dans sa logique implacable et vénale voici qu'Hollywood choisit d'offrir une séquelle au Destination Finale de Glen Morgan et James Wong cette paire de scénaristes-réalisateurs qui fit les beaux jours de shows télévisés tels que Millennium, The X-Files ou 21, Jumpstreet. Leur traitement malin-potache d'une idée simple la Mort ourdit des plans pour nous tous et si, par miracle, nous les contrecarrons elle s'empresse, chipie, de nous traquer jusqu'à ce que tout soit rentré dans l'ordre conférait à l'ensemble une indéniable empathie et une originalité trépanée. C'est que les deux hommes ont acquis une maîtrise paradoxale dans une forme d'humour noir et ironique sans jamais sombrer dans le grotesque cynique et distancié. Une véracité stimulante émanait de ce long métrage dont, pas une seconde, on aurait pensé à se moquer nous rions des péripéties énormes et alambiquées des personnages mais pas de l'écrin qui les enserre. Le duo partit vers d'autres horizons (Willard sorti récemment aux Etats-Unis) il revient à David R. Ellis, un réalisateur de seconde équipe au parcours impressionnant (Matrix Reloaded, Matrix Revolutions ou Harry Potter Et La Chambre Des Secrets…) de reprendre le flambeau. Sous sa férule, Destination Finale 2 adopte une attitude étrangement élégante d'autant qu'il se réfugie dans une bien inhospitalière anfractuosité située sur la voie défoncée menant d'un Scream à un Scary Movie. Tout en mettant en scène des personnages et situations caricaturaux et outranciers, le film décortique le mécanisme relationnel d'un public blasé avec un genre à l'agonie, gangrené et amorphe, obligé de plagier et de vampiriser les œuvres étrangères (Ring ou Dark Water pour une approche japonaise embrassant l'inconscient où c'est le public qui génère sa propre peur) pour assurer sa dérisoire subsistance. De fait le scénario famélique n'est envisagé que comme une fondation branlante des pires abjections sanguinolentes, pendables et repoussantes dont est capable le bourreau invisible dans sa sentence aussi savoureuse et sadique qu'inéluctable. En épurant le récit de toute forme de parasitage aussi bien ontologique, individualiste que sentimental, les scénaristes obtiennent volontairement ou non un idiome fluide et limpide (les morts s'enchaînant dans une linéarité saisissante), tout le contraire de poncifs maintes fois ressassés. L'équipe repousse le concept malingre dans ses derniers retranchements pour éprouver un existence où la mort est déjà tenue pour acquise et où seules les conditions drolatiques du trépas prévalent. Dans une telle situation, il s'agit d'une véritable chance de rester en vie car cela confère un espoir de s'offrir un décès toujours plus grandiose, mémorable et explosif ou pour reprendre l'une des répliques de Memento Mori : "L'important, c'est comment vous mourrez". L'aspect empesé d'une confrontation d'un groupe de teenagers avec un psychopathe irraisonné se dissout et s'évapore avec la vision de l'accident. Les survivants seront donc hétéroclites, mais cela importe peu au vu de leur statut de pantins emportés dans une sarabande macabre et condamnés à se coltiner avec l'ennemi pernicieux : le spectateur.

Oxymore. La scène primitive du long métrage arrive curieusement après une demi-heure, lorsque Kimberly rend visite à Clear (au look et à la blondeur d'une Sheryl Lee échappée de Vampires). Le personnage de la brune candide s'égare dans un long couloir blanc, dépossédée de ses oripeaux d'adolescente proprette (portable, accessoires de mode...), pour rencontrer celle qui l'observe par le truchement des médias et comble de

l'impertinence, l'admonester. Une entité démiurge et fascinante qu'il convient de charmer ou singer, dans une lucidité profane, pour accéder à une vision globale qui se fait ici triple : celle chevillée au corps, celle liée aux prémonitions et enfin celle délivrée par un écran (les trois apparaissant lors de l'accident). Par son attitude résignée et désabusée de recluse, il est difficile de ne pas voir dans le rôle d'Ali Larter l'apologue de la condition de spectateur. Ici une pièce blanche, aseptisée et capitonnée et là une salle obscure, calfeutrée et rassurante. Dans les deux postures, le visionneur du monde (l'écran de surveillance qui élargit la perception claustrale) s'en retranche, préférant par amusement ou phobie ne plus y prendre part. Après tout nous connaissons le premier opus et du fait de la conclusion choisie par les studios contre l'avis des auteurs nous sommes parfaitement conscient de la situation de sursis frappant des personnages devant une faucheuse dont la seule prérogative reste l'ergotement. David R.Ellis pousse donc le vice jusqu'à venir titiller son auditoire et l'ancienne héroïne diaphane pour éveiller en lui/elle le besoin irrépressible de rejoindre la farandole funèbre. Les persuader de l'intérêt indicible de cette suite en laissant de côté rationalisme et intelligence. Ce qu'il/elle fera, quitte à se brûler les ailes. La confusion jouissive du messianisme personnage (elle enclenche la lutte organisée contre le profanateur) / public (par son acceptation à sortir de la pièce confinée il donne vie au film et lui apporte la teneur des us et coutumes en vigueur) est pour beaucoup dans la saveur subtile de ce conte au pessimisme primesautier. Elle permet surtout d'insuffler une crâne ambivalence avec une sexualité affleurante et agressive. Mais une assurance désenchantée qui s'envole avec la chute d'un surf. En acceptant de revenir dans la danse, Clear, au même titre que nous, a abandonné sa faculté à présider à sa destinée. D'une icône de gourgandine aguicheuse (voir cow-boy gothique) et décontractée la voila transmuée en quelques minutes par l'imprécation d'un récit implacable. Par la suite une véritable identification s'opère entre le cerveau pénétré par les images et le personnage de Rory le seul qui accepte, impavide, son trépas et qui stipule déjà ses dispositions testamentaires. Notamment dans la scène de réunion où Kimberly le domine (nous ne le voyons pas derrière le canapé) et insiste, excédée, en anticipant la remarque qu'il ou plutôt nous aurions pu faire. Décidemment, il convient de nous expliciter lourdement les enjeux afin de nous persuader de notre condition d'aliéné à la psyché atrophiée. Les réactions se font impulsives, inhibant les synapses interprétatives. Parfois un soubresaut, comme les deux jeunes femmes éclaboussées de sang qui se présentent à la porte de notre esprit pour ne signifier que là, franchement, il serait temps d'en mettre un coup pour tenter de résoudre l'énigmatique augure du fossoyeur enjoué. La communion (catalepsie ?) est parfaite, nous devenons le long métrage, en acceptons les raccourcis et les travers, et lorsque la réplique cartésienne de Kimberly au toujours impressionnant incinérateur Tony Todd (Candyman) lui demandant comment il connaît son prénom fuse il lui retourne un sourire amusé, de connivence, coupant court à l'incartade. Ses yeux pétillants semblent superposer à ses lèvres atones : "allons, tu sais bien qu'il ne sert à rien de s'enquérir de ce genre de choses, tu es la substance erratique et la matrice de ce conte sauvage, suis le mouvement en silence et remplis ton rôle". Avec le décès piquant de Rory dans une scène cataclysmique à l'airbag jubilatoire c'est la cohésion narrative qui se désagrège laissant entrevoir ses limites parfois fallacieuses ou dévotes, jusqu'au final bouffon et (d)étonnant où transparaissent enfin les intentions fardées de l'auteur quant à une satire d'un mode de vie occidental arrogant, désinvolte et vaniteux. Démembrer l'impertinence d'une culture affichant sa supériorité autant sur son corps que sur l'image par lesquels elle est assujettie. Nous voici face à une comédie dont le script totalement décérébré renvoie dans un torve reflet à notre dégénérescence non amaurotique mais psychosomatique.

Sous nos yeux incrédules et effarés se décomposent des corps impatients de déliquescence. Privés de consistance, les voici qui se désagrègent dans une prolixité de signes insignifiants mais qu'une logique ubuesque tente vainement de maintenir enchâssés. Nous devons lire ces manifestations dans une quête futile de l'exégèse, voués que nous sommes à une piteuse désintégration. Bien que l'extrémité soit

inéluctable l'éclat de la scène et du vedettariat nous attire irrésistiblement. Dès lors la gageure du long métrage réside dans l'attribution à chaque personnage de son instant de gloire inepte. Celui où contre vents et marées il s'appropriera la lumière incandescente des projecteurs (le suicide d'Eugène, le sacrifice de Tracy incarcérée dans son véhicule…). Avec les fluides qui se répandent, les enveloppent se flétrissent, se déchirent ou disparaissent. A ce titre, notons que l'éradication d'une vie et donc d'une faculté à raisonner est subordonnée avec pertinence à moult sévices crâniens (le cerveau transpercé, la tête défoncée par une bille de bois, le visage brûlé de Clear ou la décapitation par un ascenseur capricieux façon Resident Evil). Faut-il y voir une annihilation identitaire au profit d'une fange grouillante dont on tirerait des morts interchangeables ? Une vie en remplace une autre qu'importe qu'elles soient identiques puisqu'il devient impossible de les différencier. Ou peut-être est-ce tout bonnement la représentation du broiement de l'œil dernier bastion d'abstraction la dernière impulsion nerveuse et étincelle de vie passe par cet organe clairvoyant par essence dans une fuite en avant des enveloppes charnelles, irrépressible et mécanique, idoine à enfanter la terreur. Pire l'esprit et le corps en viennent à se désynchroniser, la logique du second prenant le pas sur l'endoctrinement du premier. La schizophrénie pourrait nous étreindre si notre cogitation ne se faisait pas servile et rompue aux pires diktats : ceux ourdis par un corps machiavélique et un quotidien neurasthénique, oppressant et hostile, nous offrant en sacrifice, en pâture à l'entité polysémique qui les abjure ou les libère de tout impérialisme ou inféodation avec une cruelle duplicité. Symbiotes parfaits, corps et esprits ne pourraient pas vivre en couple, cherchant irrémédiablement à éliminer le gêneur quitte à endiguer un avenir pérenne. Avec son lot de trahisons coupables, nous voyons se dégager deux agrégats concomitants, un corps sans esprit et une âme virevoltante dans les volutes âcres de l'abandon physique. L'enveloppe dédaigneuse finissant par s'octroyer l'espace en reléguant l'intellect derrière une fenêtre (l'œil) sur laquelle il est condamné à se précipiter tels les pigeons s'écrasant sur les buildings vitrifiés c'est d'ailleurs durant la scène de l'anesthésie dentaire que la caméra adopte le plus ouvertement une position subjective pour signifier l'évanouissement et l'asphyxie. Nous serions tristement aliénés, comme les protagonistes, par nos corps périssables aux attributs évanescents (comme la coupe de cheveux frivole de la superficielle héroïne). Suppliciés tels Sisyphe dans une mortifère redondance nous voici condamnés au sein de nos Tartares, mi-résignés mi-excités, à revivre indéfiniment des intrigues et schémas identiques à répéter inlassablement le même film (par exemple la sempiternelle rencontre de l'oracle évasif et énigmatique en pleine manipulation de cadavres) – aux infimes variations près d'une couleur capillaire. La compétition en vue d'un destin brillant (le gain du loto et les miroitements d'une richesse facile ou le symbole de la famille idyllique réunie dans son jardinet cossu) dévoile ainsi son paradoxe, celui d'un voyage tristement immobile et inerte où la vie et son éphémère sursis se trouve bien maladroitement employé. Au-dessus de nos têtes, l'épée de Damoclès stigmatisant notre fragilité et insignifiance ainsi que l'inexorabilité de la sentence dispensée n'a de cesse de nous tarabuster. A vive allure sur l'autoroute de l'Enfer (délicieuse ironie que cette chanson captée sur un autoradio avant l'accident), nous demeurons persuadés qu'une entité fantasque et ambiguë (la Mort ou l'esprit obscène et vicieux des spectateurs de nos vies) finira par obtenir son dû et sa jouissance. Quoiqu'il advienne, nous sommes en souffrance.

 
 

F. Flament
21 Avril 2003

 

 

 

 

 

 

La mort dans l'âme

Film américain de David R. Ellis (2002). Suite des exactions jubilatoires de la Faucheuse qui déploie un raffinement sadique à décimer les pantins semi-lucides qui pullulent sur sa route. Avec Ali Larter (Clear Rivers)... Sortie française : le 9 Avril 2003.

Multimédias
Bande-annonce
Photographies (29)

Liens
Le site officiel américain
Le site officiel français
Le film sur l'IMDB
Un site sur Ali Larter
Le site de New Line

Fiche technique
REALISATION
David R. Ellis

SCENARIO
J. Mackye Gruber

DIRECTEUR PHOTOGRAPHIE
Gary Capo

INTERPRETES
Ali Larter (Clear Rivers)
A.J. Cook (Kimberly Corman)
Michael Landes (l'officier Thomas Burke)
Tony Todd (William Bludworth)
T.C. Carson (Eugene Dix)
Jonathan (Cherry Rory)
Keegan Connor (Tracy Kat)

MUSIQUE ORIGINALE
Shirley Walker

PRODUCTEURS
Warren Zide, Craig Perry, Richard Brener, Toby Emmerich, Matt Moore, Jeffrey Reddick, Justis Greene et Sheila Hanahan
DUREE
90 minutes

PRODUCTION
New Line Cinema, Zide-Perry Productions et Metropolitan FilmExport (Distribution)
 
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