La contamination. Phénomène de masse dans les pays asiatiques (livres, films, séries télévisées) Ring est un film puzzle et fantastique, mélangeant habilement modernité et légendes ancestrales, Orient et Occident. Une oeuvre angoissante qui marque son spectateur en le piégeant par les ficelles du genre originales ou non. Reiko Asakawa est journaliste. Suite à la mort de sa nièce, elle se lance sur une piste étrange. Il semblerait que Tomoko et 3 étudiants aient vu 7 jours exactement avant leurs morts une vidéo. Cette cassette circule, la rumeur enfle... Reiko finit par la visionner et le cauchemar commence, il ne lui reste que 7 jours pour comprendre ce qui doit inexorablement lui arriver...

RING

Effrayer par le quotidien. Quoi de nouveau exactement ? C'est ce que le spectateur habitué des films fantastiques et d'horreur est en droit de se demander. Pourquoi serait-il différent des autres ? Les recettes on les connaît, on a vu la Maison du Diable, La Malediction, Evil Dead ou Scream... Le genre s'enlise. Mais Nakata réussi le tour de force de synthétiser (avec plus ou moins de bonheur) les qualités de ses prédécesseurs et de nous livrer un film surprenant. Il s'inspire notamment du genre yurei eiga, des histoires de fantômes japonaises très populaires dans les années 50-60 et parfois inspirées de contes chinois (kwaiden), pour la représentation figurative et le rythme assez lent. Le fantôme y était souvent une femme aux longs cheveux noirs, en robe blanche évanescente et virginale, cachant un visage défiguré. Quoi de meilleur que d'être surpris par un genre qui représente nos premières émotions cinéma ? L'élément salvateur c'est le choix initial de ne pratiquement rien montrer, tout est raconté (gonflant ainsi la rumeur et l'angoisse), suggéré. Aucune goutte de sang, aucun maquillage abusif, et surtout l'absence totale d'humour noir et de cynisme typiquement américain qui a tendance à ériger une barrière entre le spectateur et le film (comme l'a si bien compris Kevin Williamson). Ici tout invite à prendre part à l'histoire. L'image vidéo occupe tout l'écran, la musique effrayante à souhait et les effets sonores nous collent au siège. De plus les objets porteurs de mort, d'angoisse sont on ne peut plus commun : un magnétoscope, un téléviseur, un téléphone. L'ambiance extérieure que ce soit les lumières, les décors ou même les éléments (pas de pluies à torrent bien déprimantes) ne dérogent en rien à la vie courante. Et c'est bien de là que l'oeuvre tire sa plus grande force, il nous effraie avec notre quotidien, quand un silence, une feuille de papier commence à nous intriguer c'est que Nakata a réussi son pari

Quand la peur naît de l'inéluctabilité. Mais cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de moments stressants dans le film. Plus on approche du final et que le compte à rebours de Reiko avance, et plus la vie se resserre et quelle superbe métaphore que la descente dans le puits (porte des Enfers). Quant à l'apparition du démon, de Sadako, elle est prodigieuse de sobriété et d'angoisse, un petit joyau mais là encore sans véritable violence. Cette scène fait fortement penser à l'impression qui nous envahi lors de la scène finale du Prince des Ténèbres de John Carpenter, ce sentiment d'inexorabilité. L'arrivée de Sadako, attendue durant la durée du long-métrage est le point d'orgue de l'histoire (et cette main sans ongles !) et se produit sans à-coups sans que la victime puisse s'échapper, sans que rien ne semble entraver la marche du destin. Le contenu de la cassette est extrêmement dérangeant. Il exprime parfaitement la haine et la vengeance, ce grain si dégradé en comparaison de la photo du film, le montage halluciné, les effets de miroirs, les changements de couleur et surtout cette dernière scène, ce puits en plan fixe avec quelque chose qui semblerait en sortir et plus rien, de la neige et un coup de fil anonyme et aphone... La peur est ici différente d'une bonne montée d'adrénaline, le réalisateur fait monter savamment la sauce, tout en non-dit typiquement japonais, en élégance, en poésie, en silence. Car ce n'est pas sur le coup que l'on est effrayé mais bien en sortant de la salle où dans les jours qui suivent, tant les images sont marquantes : une fillette dont on ne voit que les cheveux, un puits, des vagues en furie, de la neige sur un poste...

Mysticisme. L'auteur nous livre un bon travail, où il excelle même dans les plans en noir et blanc de vision. La scène dans laquelle Reiko est happée dans le flash de son mari et fait face à Sadako est prenante. Le contenu de la vidéo nous met mal à l'aise, les acteurs sont bien dirigés. L'histoire peut dérouter car emplie d'un ton typiquement nippon, de mystère ancien
d'ellipses (les personnages sont dévoilés par petites touches, parfois on ne nous explique rien). Sans compter le scénario qui ne prend pas beaucoup de temps pour introduire les événements ou rebondissements, il faut accrocher les wagons sinon on est laissé sur le bas-côté. Esprits, médiums, professeurs... Il faut être attentif ! Les pièces arrivent aux personnages rapidement sans que leur enquête semble véritablement avancer, cela rajoute encore au malaise, à l'inexorabilité. Les protagonistes ne font que remplir les derniers jours qu'ils leur restent à vivre. Par ailleurs les rapports de cette famille éclatée sont très bien rendus (les dissensions du couple et leur amour, la culpabilité par rapport à l'enfant). L'écriture des caractères et l'interprétation les rendent très crédibles ce qui renforce la véracité de l'ensemble et l'angoisse qu'ils ressentent déteint sur nous. Le choix de donner à une femme le rôle principal un homme dans le roman original apporte aussi une nouvelle dimension à l'histoire beaucoup plus douce et compréhensive. Bien entendu la critique des images, des médias et du conformisme saute tellement aux yeux qu'il n'y a pas à s'étendre. On rejoint un peu Videodrome de David Croneneberg. La contamination par l'image, ce biais idéal de l'endoctrinement moderne.
 
Vacuité de l'existence, chronique d'une mort annoncée. Reste la fin du film, c'est le point de déception. Pas tant à cause d'elle d'ailleurs que par la frustration qu'elle engendre, Ring 2, sorti en 99 au Japon, était inévitable (en réalité Rasen sorti au même moment prenait la suite de l'histoire avec les mêmes acteurs mais son échec commercial lança la production d'un nouveau film de Nakata). Nous en apprendrons plus sur le passé de Sadako (qui est donc son père ?) et sur le fils de Reiko, Yoichi, qui a hérité des pouvoirs de son père, il peut entrer en communication avec les fantômes, ce qui donne un affrontement final réellement intéressant. Néanmoins, le film ne pouvait finir qu'ainsi, une rumeur enfle même si elle n'a plus de fondement. Car cette cassette représente plus le mal et la folie des hommes que les simples mauvais traitements infligés à une petite fille, un mal qui aurait presque une vie, une volonté propre. Et ce tueur sortant de la télévision, un assassin sans visage, sans conscience ou remords, présent dans tous les salons, dans tous les esprits ? C'est troublant qu'un film qui joue sa crédibilité sur la promiscuité des éléments soit finalement une thèse sur l'éloignement et la distance, sur cette faculté des moyens modernes de réaliser des actions sans y prendre part, une passivité et une indolence surnagent les comportements. Ne somme-nous pas finalement des pantins sans âme, qui attendent comme les personnages du film, en comblant leur desoeuvrement, une mort annoncée. Cette sensibilité est présente dans le cinéma japonais récent que ce soit chez Shinji Aoyama (Desert Moon) ou Kiyoshi Kurosawa (Kaïro). Tous ces artistes soutiennent la thèse d'une certaine vacuité de l'existence, dont les réactions semblent dictées par un écran. Comme si ils se regardaient vivre. Quant à la morale qui dit que la meilleure façon d'échapper à ce fléau c'est de copier la cassette et donc de contaminer quelqu'un d'autre, elle est édifiante. Comme s'il valait mieux faire porter sa culpabilité à autrui et partir (superbe plan final) en ligne droite vers son destin sans se préoccuper des personnes sur le bas côté. Nakata, du fait de son statut de débutant dans le cinéma de genre et d'horreur il s'agit ici de son second essai , réussit un film extrêmement intéressant, véritablement angoissant mais qui sait aussi être polémique. Tout d'abord bien sûr par les trouvailles graphiques : Sadako sortant du poste c'est lui et ce n'est pas dans le livre original (évidemment l'inspiration de Videodrome est flagrante) et puis les images de la vidéo maudite passées en sens inverse et produisant un effet de flottement étrange. Mais surtout par les clés de compréhension d'une société nippone qu'il nous transmet. Un peuple coincé entre virtuel et archaïsme, empreint d'une conception religieuse shinto des choses qui donne à la nature ou à certains objets une âme, une vie. Enfin une société traumatisée par l'image ayant peur de se regarder (le miroir de la vidéo), et de s'analyser sous peine de s'arrêter.

 

Un remake américain. N'oublions pas que ce film est sorti en 1998 au Japon et donc avant le Projet Blair Witch, dont il ne faudrait pas trop hâtivement le rapprocher. En définitive Ring est un film efficace, dont certaines images restent gravées en mémoire. Cet étrange cocktail de légende urbaine et de contes anciens issus des campagnes, la mer, les spectres fonctionne à plein. Sachant

qu'il s'agit de l'adaptation du premier roman d'une série qui compte actuellement trois tomes ainsi qu'une nouvelle, on a hâte que les deux autres films sortent de par chez nous (surtout Ring 2 réalisé par Nakata) d'autant qu'un remake américain de la maison de production de Steven Spielberg (DreamWorks) est en plein tournage et devrait accaparer les toiles. Cela dit Naomi Watts (l'épatante Betty-Diane de Mullholand Drive) devrait être un atout de charme dans le rôle de la journaliste.

 
 
F. Flament
11 Avril 2001

 

 

 

 

 

 

La perversité de l'image
Film japonais de Hideo Nakata (1998), adapté du roman de Koji Suzuki. Grand prix au Festival international de Bruxelles, avec Nanako Matsushima (Reiko Asakawa), Hiroyuki Sanada (Ryuji Takayama)... Sortie française : le 11 Avril 2001.

Multimédias
La video maudite
Trailer (vost) / Extrait (vost)

Quelques pages du roman
Le livre sur Inside a dream
Photographies (32)

Liens
Le site officiel
Ringworld
Koji Suzuki
Ring 2 sur Inside a dream
Le site d'Hideo Nakata

Fiche technique
REALISATION
Hideo Nakata
SCENARIO
Hiroshi Takahashi, d'après le roman de Koji Suzuki
INTERPRETES
Nanako Matsushima (Reiko Asakawa)
Katsumi Muramatsu (Yoichi Asakawa)
Miki Nakatani (Mai Takano)
Hiroyuki Sanada (Ryuji Takayama)

DIRECTEUR PHOTOGRAPHIE
Junichiro Hayashi
MUSIQUE ORIGINALE
Kenji Kawai
PRODUCTEURS
Takashige Ichise, Shinya Kawai et Takanori Sento
DUREE
96 minutes
PRODUCTION
Omega Project Kodawaka
Shoten Publishing Company. LTD.

TITRE ORIGINAL
Ringu
SORTIE FRANCAISE
Le 11 Avril 2001

 

 
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