LE CERCLE - THE RING
Mi-affligée mi-contrainte par sa soeur, Rachel se lance sur une piste étrange entraperçue lors de la veillée mortuaire. Il semblerait que sept jours exactement avant de périr, sa nièce et trois de ses amis aient visionné une bande nimbée d'une singulière malédiction, lorsque vous la regardez le téléphone sonne et il ne vous reste alors que sept jours à vivre. Le problème est que ces quatre personnes sont décédées à la même heure exactement après que ce laps de temps se soit écoulé. Rachel, dubitative, finit par visionner la cassette et le décompte commence, sept jours de cauchemar pour comprendre ce qui doit inexorablement lui arriver (ce fameux cercle blanc qui la tarabuste) à elle et à son fils qui a malencontreusement posé les yeux sur les images perverses. La voilà projetée au milieu d'un drame familial sur la petite île de Moesko, où cadavres de chevaux et infanticide se côtoient.
La mouche du coche. L'anecdote veut que le producteur Walter Parkes fût tellement transporté par le film japonais Ring lors de la première américaine qu'il en sécurisa les droits en à peine une heure, s'assurant de fait un succès éhonté et aisé sur le territoire américain. Certains de dire qu'à défaut de talent il a fait preuve de flair, pour ne pas dire d'opportunisme, mais ce sont sans doute là les qualités inhérentes au sacerdoce de la production. Car le long métrage ne peut être en l'état exploité au mieux sur le marché occidental, intrinsèquement arrogant, égocentrique – défaut confinant à l'ethnocentrisme – et vaniteux. Voilà donc l'idée originale – sûrement plus subversive et angoissante encore que l'adaptation cinématographique – passée à la moulinette d'Hollywood lors du funambulesque et somnambulique exercice du remake pour ne pas dire du plagiat patenté. Certes, Koji Suzuki, l'auteur du roman éponyme à l'origine de la saga ne saurait cacher ses tendances américanophiles, il a lu et subsumé toutes les références et codes du genre anglo-saxon, mais le formidable impact et affect qui inondait les Ring et Ring 2 de Hideo Nakata (Ring 0 de Tsurata Norio étant toujours désespérément inédit dans nos contrées) vient de la subtile élégance et de l'angoisse diffuse propre à un esprit zen et shintoïste - dans la personnification des choses et leur propension à nous singer et nous effrayer. Reste à enrôler les mercenaires. Au scénario, Ehren Kruger qui avait participé au naufrage de Scream 3 sur un synopsis squelettique de Kevin Williamson et qui privilégie ici une adaptation ostentatoire adepte de la surenchère tant au niveau des rebondissements que des saillies d'horreur censées garder un spectateur – passif et assisté – sous pression (apparition du sang, dramatisation carminée ainsi que de maquillages saisissants et repoussants). La suggestion aussi bien que le caractère énigmatique ont été éradiqués, bienvenue dans le parangon du rationalisme (jusqu'à l'anagogie pataude du délai de sept jours !) et de la rondeur, circularité parfaite (la margelle sans anfractuosités ou l'il lisse du cheval), où chaque once d'intrigue vous sera expliquée plutôt deux fois qu'une au cas où vous vous seriez inexplicablement absenté (assoupi ?) – le vice est poussé jusqu'à indiquer en incrustation les jours qui passent et l'avancement du compte à rebours (comme la jeune fille internée qui rappelle le délai de quatre jours), avouant ainsi un incapacité à maintenir la moindre cohérence narrative ou tension implicite sans le recours à des artifices galvaudés. Le paradigme de ce genre de "purification" implique pourtant, comble du paradoxe, une complexification des faits jusqu'à les rendre outrageusement nébuleux. Le siège du metteur en scène échoit à Gore Verbinski, auteur étriqué (d'autant plus écrasé dans ce projet par Dreamworks et les enjeux commerciaux) et appliqué à qui l'on doit les paresseux et lénifiants Le Mexicain et La Machine à Explorer le Temps (dont on ne sait exactement la part qu'il prit dans la débâcle).
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Rouge, Vert et Bleu. La réalisation va cruellement s'en ressentir. Incapable de faire le moindre choix artistique, Verbinski se contente de plagier sans vergogne les films de Nakata (dont le paravent de l'hôpital, réminiscence de Ring 2 ou les scènes d'ouverture reprises à l'identique) – le problème réside dans le fait que le réalisateur japonais est un honnête faiseur maniant |
avec une habilité déconcertante les ficelles du genre, mais en aucun cas un génie, et lorsqu'un cinéaste d'une laborieuse diligence copie un artisan méticuleux, le résultat est souvent emprunté voir asthénique – ou de reproduire dans un symptomatique mimétisme le climax d'un Shinji Aoyama ou d'un Kyoshi Kurosawa. Pour rendre l'agencement plus cosmopolite encore, il poursuit, impavide et balourd, ses emplettes chez Dario Argento ou Buñuel dont le célèbre Chien Andalou semble avoir plus qu'inspiré les images – afféteries minaudes et dérisoires – de la bande vidéo, qui sous ses atours expérimentaux n'a de cesse de nous crier son inanité chronique – la véritable peur, quitte à s'éloigner des choix de l'auteur nippon aurait été de ne point montrer l'écran mais la pupille écarquillée de Naomi Watts tétanisée par son expérience cathodique. Le plus déconcertant est le cynisme avec lequel le long métrage assume son statut de clone dégénéré (sans emphase et asthmatique), ultime rejeton d'un matrice asséchée : les plans de photocopieuse, scanners et copie vidéos accentuant dans une bravade pathétique le caractère de duplicata altéré et souillé tout en condensant des vagues sporadiques sans consistance. Le but de l'équipe est clair, des images éprouvantes plus qu'une réelle terreur dérangeante et angoissante, forcément avortée par la distanciation, le comique et le cynisme des scènes du père (les effets bouffons à la clinique désamorcent complètement une quelconque tension, la distance est là palpable ne cessant de rabâcher que tout n'est que fiction) ou du gamin (enfin l'adulte enfermé dans le corps d'un enfant), succédané caricatural du héros de Sixième Sens et vague médium prescient qui connaît tous les développements de l'histoire (à en croire ses dessins par exemple) mais qui préfère les infliger au compte-gouttes à sa mère et au spectateur, nous prenant pour des imbéciles dotés d'une psyché régressive. Il n'y a de fait aucune empathie ou accointance avec les personnages, emportés dans une pantomime ectoplasmique où rien ne saurait nous retenir. Pour le meilleur ou le pire la notion même d'humanité est abolie. Ils se débattent dans un univers monochromatique et désincarné, ou plutôt trois coloris bien distincts qui ne sauraient s'interpénétrer. Une esthétique souillée et désertée qui vise à faire disparaître des protagonistes falots dans un bleu toujours plus gris, toujours plus glauque et livide. Seul le rouge de la scène de l'arbre (excessivement figurative et picturale) et du sang lors de la mort du cheval semble porteur d'une vie, d'une passion mystique désynchronisée de l'ensemble. Le vert s'octroie aussi un pan du film en jumelant son essence à l'ambiance aseptisée de la clinique, la couleur semblant émerger de l'écran lorsque Rachel regarde la cassette de "l'interrogatoire" de Samara (excitant de par son frontalisme sans concession, nous plaçant simultanément dans la peau du spectateur et du conducteur de l'entrevue, une subjectivité que nous retrouvons dans la scène du ferry) et s'écouler dans toute la maison, jusqu'à la salle de bains où aura lieu le suicide. Cette teinte verdâtre de la nature farde le monde, anesthésiant les passions et figeant irrémédiablement les choses. Au contraire, le bleu maussade (splendide lorsque les immeubles anonymes, gigantesques structures de béton, sont battus par une pluie fine et triste, estompant et noyant irrémédiablement la photo comme les individus), qui s'affadit au fil de l'histoire, irradie, telle une brume duveteuse, des êtres désincarnés qui construisent leurs propres geôles (à l'image de cette île, purgatoire vaporeux d'une société obscurantiste). Le visage de Naomi Watts plus fascinant et hypnotique que l'écran – si bien que l'on finit par se demander lequel des deux imprime l'autre – subit malheureusement un traitement analogue. Au fur et à mesure du déroulement maîtrisé et convenu du récit il semble s'éloigner, dépérir jusqu'à se complaire dans les afflictions faciles et les postures grotesques, la poésie étrange qui en émanait s'est assagie, même l'héroïne ne croit plus à l'utilité de ses circonvolutions, perdue entre panoramiques et effets visuels. L'utilisation du ton bleuâtre permet la réussite de deux scènes, celle où Rachel sur le balcon prend conscience de l'enfermement volontaire des ses voisins et de l'uniformité qui entraîne la déliquescence du monde retranché dans des clapiers stéréotypés, ainsi que celle où l'héroïne est happée, hypnotisée par une échelle au milieu de la rue (contre-plongée de toute beauté). Pourtant, jamais les nuances ne seront condensées ou mélangées, restant des aplats agencés sans alchimie, comme les coupures de presse en surimpression. Non seulement la sauce ne peut plus monter indiciblement, mais, plus grave, la scène originelle perd toute sa portée puisqu'il n'est plus question pour le spectateur de se substituer à la mise en abîme en se perdant dans l'image, de ressentir l'infime espace qui le sépare des morts en sursis : ténu et abyssal. Oubliée l'évolution fluide de son homologue japonais, ici tout sera endigué, heurté et saccadé (comme le suggèrent les barrières transverses ou les étagères des archives qui enserrent et parquent). Le silence et les effets sonores laissent la place à une bande-son marathon qui ne préserve aucun instant de répit et ne permet à aucun moment à l'histoire de prendre corps (il convient de remplir à la nausée chaque ventre mou). A l'aune de cette cacophonie, tout le questionnement ontologique de l'uvre se retrouve étouffé, annihilé. Comment en effet une culture pourrait-elle s'attaquer à ses propres fondements, aux rapports imprécatoires qu'elle entretient avec l'image ? Mieux vaut dépouiller le scénario de sa substance – frelatée et putréfiée – pour se concentrer sur l'horreur, oublier les divagations ésotériques et métaphysiques.
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F.
Flament |
Film américano-japonais de Gore Verbinski (2002). Remake démonstratif adapté à la mentalité occidentale du long métrage phénomène japonais. Avec Naomi Watts (Rachel Keller), Brian Cox (Richard Morgan)... Sortie française : le 5 Février 2003.
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