RING 2
Une heure à peine après la fuite de Reiko qui clôturait le premier long métrage, nous voici transportés à la morgue où le corps de Yamamura Sadako a été retiré du puits et autopsié. Il semblerait qu'elle soit restée en vie près de 30 ans l'intérieur ! Mai Tanako, l'assistante du professeur Ryuji Takayama, est en proie à certaines hallucinations depuis la mort de son mentor (terrassé par la vidéo). Elle décide d'enquêter en parallèle avec un ancien collègue journaliste d'Asakawa et un policier afin de comprendre les événements et de retrouver Yoichi, le fils de l'enseignant. Malgré la destruction de la cassette, biais de la malédiction, et la découverte de son cadavre, Sadako continue de hanter les esprits. Cependant, il semblerait que les pouvoirs psychiques de Mai et du petit Yoichi, leur permettent d'endiguer l'inéluctable.
Le plus difficile lorsque l'on réalise une suite à un tel succès est de réussir à le pérenniser tout en s'émancipant. C'est exactement les qualités de cette production. En choisissant de commencer directement dans la continuité du film précédent, aussi bien temporellement que narrativement, les auteurs réussissent à éviter l'effet de redite. Le long métrage en devient étrangement effrayé, désaxé, tétanisé comme si on l'avait dépourvu de sa quintessence. De même, la mise en scène d'une héroïne féminine plus romanesque, puisque poussée par des sentiments amoureux et non un amour filial, influe sur la sémantique.
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Ambiance sonore. La fascination et le malaise engendrés par l'oeuvre, le sont moins par les images (l'effet de surprise ne jouant plus) que par la musique et les effets sonores. L'histoire débute sur fond noir, avec les bruits de pas qui résonnent sur le linoléum de la morgue. Puis le générique et les vagues en furie, enfin l'effet de neige sur un téléviseur occupant tout l'écran. Le décor sonore est planté. Par la suite, on nous gratifie de musiques qui exploitent et amplifient |
notre gêne. Hybrides de crissements, chuchotements ou grincements (comme la scène du miroir, ou lorsque Mai rentre à son appartement ou bien qu'elle retrouve Yoichi) voir même flottantes pour les scènes en noir et blanc, d'introspection ou de visions. La réalisation n'a plus qu'à s'harmoniser. Comment donc nous terrifier alors que nous connaissons les ficelles du premier chapitre : les photos troubles, l'état des victimes, la terrible Sadako Tout d'abord en approfondissant les scènes et ce qui était hors cadre précédemment -la mort de Tomoko- en recourant à l'image de Sadako (sur le balcon ou les cheveux sortant du linceul), nous faisant croire à son apparition attendue avec impatience, en utilisant les premières gouttes de sang (absent jusqu'à présent) bref en jouant sur les attentes immédiates du spectateur. On se remémorera ce montage rapide de différents cadrages de la fenêtre de Mai en un battement de cur. Des écueils évités dans Ring et qui en faisait l'originalité. Ces quelques choix discutables ne doivent pas faire oublier les grandes scènes d'angoisse et d'horreur. Bien sûr dans le puits : Mai et Yoichi remontent avec Sadako à leurs trousses, telle une araignée, elle semble contempler ses proies avant de les dévorer. Un autre moment particulièrement délicieux survient lorsque les protagonistes revivent devant leurs yeux ébahis une scène de la vidéo avec les troublantes Shizuko et la jeune Sadako, le miroir changeant de place sur le mur. Le regard de la mère se tourne lentement vers nous, glaçant. Citons aussi cette formidable séquence où le journaliste sur son banc de montage passe image par image l'enregistrement de son interview d'une jeune fille au sujet de la mystérieuse cassette. Les signaux refusent de s'effacer. Il les repasse sans cesse, jusqu'à en devenir hypnotiques. Et là, une curieuse métamorphose se passe petit à petit Enfin la confrontation de Mai avec Ryuji sur la bouche de l'enfer, pleine d'émotion. Et puis pêle-mêle d'autres trouvailles visuelles : la chambre de l'asile psychiatrique, le réveil de Mai et Yoichi dans le puits (le mouvement de 90 degrés) ou la fuite de Reiko du commissariat, elle traverse la route, l'image passe immédiatement en noir et blanc (elle vient de mourir) et la caméra la filme dans une sorte de contre-plongée diagonale. |
Tout coule de source. Le film navigue en permanence entre le travail artisanal ou amateur et la grosse production dotée d'importants moyens. Les événements de la piscine ou les expériences du docteur Kawajiri sont à la limite du ridicule. Il en devient littéralement liquide, se répandant, comblant les interstices. Le scénario, les décors gonflent le buvard et partent ensuite dans des directions opposées et connexes. La réflexion sur l'eau et le fluide est troublante, le corps en étant formé à plus de 60%. Notre âme, notre personnalité, ainsi que la colère et la détresse y seraient contenues. Cela devient probant lors de la mort de Reiko. Un étrange mélange de sang et d'os brisés se dirige péniblement vers son fils et susurrant : "Yoichi, Yoichi". L'eau deviendrait donc vecteur spirituel, un médium via lequel vivants et morts auraient la possibilité de se rejoindre. Mais aussi une métaphore de notre atavisme, notre lieu d'origine et celui où nous retournons après avoir trépassé. Les souvenirs et les morts refuseraient d'être effacés, délayés. Quête de sens. Lors d'un flash Ryuji a cette réplique : "La rumeur naît de l'angoisse. Mais peut-être l'angoisse provient-elle de la volonté d'être possédé". Dès lors, quelle est l'implication de ce monstre fait femme, sorte de Cerbère. Il y a toujours dualité sur le fait que nous créons sûrement nous même notre Sadako, notre Némésis. Lorsque le journaliste en passant maintes fois la cassette finit par y voir quelque chose de traumatisant, est-ce réellement un phénomène surnaturel ou sa propre culpabilité de ne pas avoir visionné la bande qui aurait sauvé Kanae. Le plan final, nous la montrant derrière lui dans la chambre de l'asile est à double tranchant : l'image de sa schizophrénie ou simplement la part du monstre en lui. Nous en sommes arrivés à un point où ce n'est plus la vidéo qui contamine, mais chaque être humain qui devient un incubateur pour ces idées malsaines. A cet instant, le scénariste retrouve le propos du roman original où l'ADN de Sadako se transmettait à tous, même au lecteur de l'ouvrage. Elle finissait même par renaître en Mai. Ici ce n'est pas les corps qui intéressent la morte vivante, mais bien leur vie psychique et spirituelle. Le père de Reiko, lui dira d'ailleurs que son fils ayant vu la vidéo est déjà mort. Fort de cette constatation, il est aisé d'y trouver la raison d'épargner Mai et de comprendre sa réplique à Yoichi : "ma peur n'a pas complètement disparue". Le monstre sans visage de Ring, prend ici l'apparence donnée par des humains avec cette reconstitution en pâte à modeler. Un masque pour (se) cacher, pour (se) voiler (l'image de la jeune femme à terre criant à l'aide dans l'indifférence et la cacophonie renforce le sentiment d'égoïsme, d'indolence et de vacuité). Comme cet écran, simple projection de notre personnalité (le plan ou le policier se reflète dans le téléviseur chez le père de Reiko est saisissant). L'aspect psychiatrique nimbe le long métrage d'un pendant scientifique au spirituel. Les hommes veulent mener leur quête scientifique afin de comprendre et de mettre un visage sur leurs démons. Dommage que le cinéaste ne soit pas parvenu à maintenir de bout en bout le savant équilibre et le doute. |
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Jeu de miroir. Double trompeur, déformé et inspiré de son prédécesseur, Ring 2 est un très grand moment d'angoisse, déstabilisant. La thématique s'amplifie et s'étoffe, l'histoire finissant par se nourrir d'elle-même, en boucle nous dit le titre du roman. Ce n'est plus la vidéo qui corrompt, mais bien nous qui pervertissons les images. La peur distillée est loin d'être factice, rapide et brutale, il s'agit beaucoup plus d'un |
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malaise profond qui s'installe, une phobie de l'écran comme
le journaliste qui rechigne à regarder la copie qu'une lycéenne
(déjà Sadako qui relancerait elle-même le cercle
vicieux interrompu ?) lui a apportée. Voilà une critique
salvatrice de l'image et de notre propension à lui accorder
valeur et sens : la touche finale d'un travail appliqué. Nous
achevons le film déconcertés (la cassette est-elle toujours
dans le tiroir), troublés (l'action de Mai a-t-elle été
efficace), paranoïaques, comme si le cerbère en robe blanche
venait de se nicher dans un recoin de notre psyché. Evitez
donc de passer près d'un poste de télévision
pendant quelques temps, qui sait
Enfin au moins jusqu'à
ce que Ring 0, toujours scénarisé par Hiroshi
Takahashi mais réalisé par Tsurata Norio, vienne nous
présenter les événements détonateurs de
la jeunesse de "la femme aux longs cheveux noirs". Nous
pourrons alors peut-être vivre avec cette part d'ombre. |
F.
Flament
22 Mars 2002 |
Fiche
technique
REALISATION
Hideo
Nakata
SCENARIO
Hiroshi
Takahashi, d'après Koji Suzuki
INTERPRETES
Miki Nakatani (Mai Takano)
Hiroyuki Sanada (Ryuji Takayama)
Daisuke Ban (le Dr Heihachiro Ikuma)
Katsumi Muramatsu (Yoichi Asakawa)
SON
Kiyoshi Kakizawa
DECORS
Iwao Saito
MONTAGE
Noboyuki Takahashi
DIRECTEUR PHOTOGRAPHIE
Hideo
Yamamoto
MUSIQUE ORIGINALE
Kenji
Kawai
PRODUCTEURS
Hara
M., Ichise T. et Ishihara M.
DUREE
95
minutes
PRODUCTION
Toho, Oz.
TITRE ORIGINAL
Ringu 2
SORTIE FRANCAISE
Le 20 Mars 2002
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