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LA BOUCLE

A la fin de Double Hélice, nous avions laissé un monde en pleine déroute, au bord de l'anéantissement, victime de velléités commerciales et normatives d'annihilation de sa diversité salvatrice. Ce monde se repaissait avec délectation, détachement et cynisme de sa dégénérescence inéluctable. Nous nagions alors dans des eaux délicieusement ambiguës d'où surgissaient au fil des turpitudes évanescentes le fantastique, une diatribe féroce, acerbe et lucide et un charme

désuet propre au zen nippon. Autant dire que l'attente du dernier volume de la trilogie se traduisait par une intense fébrilité. Pourtant cet état d'excitation et de frustration est de loin préférable à celui qui nous assaille une fois la dernière page de La Boucle retournée. Quelle désillusion accablante que cet amas sans consistance – et souffrant d'une typographie et d'une traduction indignes, pitoyables et bâclées – ressassant immuablement les angoisses et les obsessions d'un William Gibson avec deux idées (ou flux) métaphysiques et théologiques. Un récit qui crie à chaque pas son inanité, d'abord par un prologue verbeux et insipide qui nous prépare à l'agueusie puis par cet aveu du petit Ryoji qui "n'a pas demandé à naître". Lui comme le livre qui semble plus devoir à l'intérêt mercantile qu'au respect d'un lecteur fasciné que l'on trahit et manipule sans vergogne, vénalement. Une irritation et une aversion grandissante lorsque l'on se voit octroyé au beau milieu de l'aventure vingt pages de résumé des événements précédents rabâchés sans inspiration ou quelconque emphase, sans parler du travestissement des dernières lignes de Double Hélice qui perdent toute malice et ironie.

Le roman se veut plus didactique, donneur de leçon et oublie que l'intégralité de l'essence de son histoire reposait sur l'ombre de Yamamura Sadako fomentant dans le néant sa vengeance improbable. Ne la cherchez pas ici, elle est tout bonnement absente et extérieure à une histoire qui prend place parallèlement à elle. Quant à l'évolution du personnage de Takayama, elle demeure nébuleuse. Où se tapit donc la tension dans la destruction d'un monde qui n'est qu'une poupée russe parmi d'autres ? Ce raisonnement est aussi aberrant que celui sur lequel discourent les personnages : le système solaire ressemble à l'atome donc nous serions la création d'une civilisation plus vaste qui a pu insuffler l'étincelle, idoine à enclencher notre évolution. A cet instant nous plongeons dans le prosélytisme, avec les regards et les mains tendues vers le ciel ou les interrogations sur la force de l'esprit humain et sa capacité à comprendre son Dieu. Nous ne serions que des lombrics "attirés par la lumière malgré l'absence d'yeux". Voilà que surgissent des circonvolutions sur la vie éternelle symbiose d'une perte inéluctable de diversité et d'un immobilisme. Il n'y a plus d'évolution possible, La Boucle stagne, tout comme le courant littéraire de Koji Suzuki, à l'agonie, qui use son lecteur en érodant sa patience.

Avec une apathie et une indigence confondante, l'auteur développe une histoire manichéenne (la subversion et l'anti-conformisme sont à chérir comme autant de pulsions salvatrices) et sans enjeux, lambinant péniblement au long des 400 pages de l'ouvrage. Oublié cet égoïsme stigmatisé dans les deux premiers opus, cette fatalité, mugissement d'un monde s'étant condamné à force de progrès et d'ennui, ici il est a peine représenté par ce cancer VCMH (Virus de Cancer Métastatique Humain). Il y a dans les descriptions des végétaux et des êtres une indolence et un détachement qui frôle l'indifférence, sans parler du suicide de l'enfant, sordide et glauque, obligé de tirer les conséquences de sa déréliction, de sa condition de condamné et se sacrifiant au bonheur sexuel de sa mère. Ce point stigmatise une carence d'innocence et de repères d'un ouvrage délivré dans la douleur. Le plus désagréable dans la lecture vient de ce manque de substance, l'écrivain semblant avoir perdu foi dans son œuvre comme dans l'intellect du public et jouant capricieusement de fumisterie en brisant son jouet et en raillant un lecteur incrédule (on se demande encore à quoi peut bien rimer les fluctuations de pesanteur).

La partie se déroulant aux confins du désert américain nous fait basculer dans les abîmes de l'ennui en usant d'une surenchère factice et d'un exotisme de pacotille. Les légendes navajos submergent le récit d'un ésotérisme grotesque purement gratuit. "Les contradictions seraient parvenues à s'entendre dans le désert", rien de moins sûr et si l'on est heureux que l'écrivain ait apprécié son périple dans les vastes contrées des Etats-Unis, on se demande encore si cela justifiait de se voir infliger de longues pages plates sur des charniers urbains, des massacres indiens et sur la fatigue d'une randonnée en moto. Sa dialectique s'étiole et se délaie jusqu'à une conclusion lénifiante au sein d'un laboratoire ultramoderne avec le scientifique Eliott caractère d'une ténuité confondante. La description du décor est ostentatoire et superfétatoire, sûrement pour souligner l'aphorisme bouddhiste "vacuité de toute chose visible" déjà cité dans le précédent opus. Cette assertion a tout d'un constat sibyllin quant à l'identification de la démarche de l'auteur avec son propos : "les différents modèles de vie étant tous absorbés, au profit d'un seul bien déterminé". Les qualificatifs affluent : délayé, exagéré, désillusionné, triste, exaspérant, dilettante ou hiératique. Toujours est-il que ce recueil décharné et famélique ne parvient jamais à prendre forme sous nos yeux et c'est avec une totale indifférence qu'il se referme avec l'écho d'une pensée du héros : "il se demandait parfois si tout n'était pas qu'illusion. Le corps existe-t-il vraiment en tant que corps ?". On préférera donc occulter cette lecture de nos souvenirs en se focalisant sur le diptyque originel et en appelant de nos vœux une adaptation soignée de la série de nouvelles Birthday qui nous présentera entre autre, la jeunesse de Sadako (adapté cinématographiquement dans Ring 0) et le combat de Kaoru contre l'uniformité au sein de La Boucle.

 
F. Flament
20 Janvier 2003

 

Liens
Les premières pages du roman
Les éditions Kadokawa
Le livre Ring sur Inside a dream
Le livre Double Hélice (Rasen) sur Inside a dream
Ringworld
Koji Suzuki
Le film Ring sur Inside a dream
Le film Ring 2 sur Inside a dream
Le film Le Cercle - The Ring sur Inside a dream

 

 

 

 

 

 

 

 

Pensum aporétique

 
 

Kaoru est un garçon de dix ans particulièrement éveillé et brillant dans le domaine des sciences. Il mène une vie tranquille avec ses parents : Hydeyuki, chercheur en informatique travaillant pour un projet confidentiel traitant de la vie artificielle, et Machiko une femme au foyer ayant suivi un cursus plus littéraire. Il vient notamment d'effectuer une surprenante découverte par le rapprochement de deux cartes : les sites de longévité seraient identiques à ceux de plus basse pesanteur. Le phénomène semble culminer dans le désert du Nouveau-Mexique. Cet état de grâce idyllique ne s'éternise malheureusement pas. Le père de Kaoru se met à développer une étrange forme de cancer dont toutes les interventions ne peuvent permettre d'endiguer la croissance. Petit à petit, l'épidémie se répand, une véritable gangrène pour l'Humanité. Il s'agit du cancer VCMH (Virus de Cancer Métastatique Humain). A l'âge de 20 ans, notre héros doit gérer les hospitalisations à répétition de son père et la santé mentale précaire de sa mère. C'est lors d'une visite à l'hôpital qu'il rencontre Reiko une fascinante veuve qui le subjugue et dont il est épris au premier regard. Pourtant la jeune femme n'est pas seule elle soigne avec dévotion son fils atteint du fléau. Une relation charnelle s'établit entre les deux êtres, des rapports sexuels dans une chambre qui auront pour résultat le suicide du garçonnet. La coupe est pleine lorsque Reiko annonce qu'elle est enceinte. Etant porteuse du virus, elle pourrait mourir et contaminer l'enfant et alors le drame se rejouerait. Kaoru doit découvrir l'origine de l'épidémie et l'éradiquer.

Ses investigations lui en apprendront davantage sur le projet auquel a participé son père : La Boucle. Un programme de vie artificielle voulant recréer et analyser l'évolution de la Terre depuis les organismes unicellulaires. Il devient clair pour Kaoru que le VCMH nous aurait infecté depuis La Boucle, depuis des années bloquée et figée dans une unicité ayant aboli la diversité salvatrice d'une société. Le voilà partant pour les Etats-Unis sur la base de ses déductions et des divagations ésotériques de sa mère. Là-bas il ne tarde pas à découvrir la stupéfiante vérité. Eliott, concepteur du programme l'aurait importé de la réalité artificielle en dupliquant son ADN. Il serait le jumeau génétique d'une vieille connaissance : Takayama ! Ce-dernier au moment de sa mort douloureuse initiée par Ring aurait compris sa condition de création et serait parvenu à rentrer en contact avec les opérateurs. Néanmoins ce choix d'importer un être dans le monde réel à faciliter la prolifération du virus de stagnation. L'unique solution curative et de purifier La Boucle et ainsi de sauver notre monde. Eliott décide donc de réexpédier Kaoru dans la machine, 20 ans avant sa cancérisation toute de fixité. Ramené à la vie dans l'utérus de Sadako, il remplace Takayama à l'instant même où le programme avait périclité et découvre un vaccin...

 

 

 

 

 

FICHE TECHNIQUE
Auteur : Koji Suzuki
Nationalité : Japonaise
Publication : 1998
Nombre de pages : 408
Editeur français : Presse Pocket
Editeur original : Kadokawa Shoten Publishing
Traduit par : Karine Chesneau
Titre original : Loop
ISBN : 2-266-12125-1
Sortie française : Novembre 2002