Des barbelés sur la chaussée. Chris Finn, étudiant en médecine décide pour éviter un embouteillage monstre et ainsi arriver à temps à un rendez-vous crucial d’emprunter un raccourci à travers bois. Sur la piste poussiéreuse et bosselée il heurte violemment un 4x4 échoué, les roues déchiquetées bar un fil barbelé laissé là à dessein. Le voilà flanqué de cinq jeunes en goguette et sans moyen de locomotion.

DETOUR MORTEL

Tandis qu’un couple reste pour surveiller les épaves, les quatre autres naufragés décident de s’aventurer plus avant sur la route pour s’enquérir d’un téléphone ou d’une habitation quelconque. Ce dont ils ne se doutent pas c’est que sitôt le dos tourné leurs deux amis ont été sauvagement débités et occis. Ils ne vont pourtant pas tarder à découvrir la terrifiante vérité lorsqu’ils tombent sur une masure macabre aux effluves pestilentiels. Un reliquaire de membres humains et de trophées arrachés à des corps saccagés. Surpris par le retour impromptu des trois tueurs dégénérés et déments, ils assistent, dissimulés dans les recoins de la triste demeure, à une séance de boucherie anthropophage pour le moins insoutenable. Profitant du sommeil des bêtes repues, ils s’extraient de l’antre de la géhenne. La chasse morbide s’engage alors entre les quatre proies et la fratrie de prédateurs attardés, démoniaques et féroces.

Délivrance. Pour sûr Rob Schmidt, réalisateur au goût douteux, a vu les classiques de l’épouvante aussi bien horrifique que psychologique. Des références en tête desquelles il place Délivrance de John Boorman (le personnage de Finn allant jusqu’à le citer avant de pénétrer dans le sordide repaire des débiles outardes), Massacre A La Tronçonneuse ou Les Dents De La Mer de Steven Spielberg. De tout ce brouet hétéroclite, infâme et luxuriant qui s’entrechoque sous son crâne la qualité primale qu’il en retire est sans nul doute l’efficacité corrosive et râpeuse. Oubliée la propension récente à fétichiser le genre dans une ironie persifleuse, lounge et narcissique dont le résultat était le désamorçage inéluctable de toute tension dramatique – courant initié par Kevin Williamson et sa trilogie Scream. Ici le cinéaste renoue avec une approche brutale, baroque et sans concession d’une frayeur gore et organique vous saisissant et vous malmenant sans vergogne ou considération. Arrimés dans ce grand-huit sylvestre nous sommes condamnés à subir les pires poncifs et les affres d’un scénario éculé – Glen Morgan et James Wong en avait tiré, malgré la frilosité du réseau FOX, une version plus acerbe et moins binaire dans la série The X-Files (à qui le film emprunte d'ailleurs son chef-opérateur) – qui nous fouettent le visage comme des branches de conifères trop sèches. Et ce, avec la seule certitude que le couple vedette – Eliza Dushku (Buffy, The Vampire Slayer / Angel) et Desmond Harrington (The Hole, Ghost Ship…) –, habitué de ce calibre de production de série B solide, est appelé à échapper au carnage. Ce revival anachronique et écologiste d’une conception eighties d’un effroi absolu – un générique de début, bestiaire mutant d’exactions rebutantes, résume un film d’un autre temps sur les bases duquel s’entame l’évolution de personnages passés de l’adolescence candide à l’âge adulte plus grave tandis que le post-générique annonçant la sempiternelle séquelle nous ramène aux meilleurs temps de l’ornière Maniac Cop : maturité régressive, troublante oxymore s’il en est – où tout doit être montré sans ambages dans sa plus lumineuse atrocité et subjective ignominie semble la concrétisation des velléités qui secouaient Le Projet Blair Witch ou l’intrigant Jeepers Creepers de l’année dernière. Il ne s’agit donc plus de railler des pantins fantoches – archétypes amidonnés de la nymphomane anorexique, de la larguée baroudeuse ou du fumeur d’herbe glabre et léthargique – dans des situations convenues ou pléonastiques mais d’exacerber l’immondice et la violence intolérable pour choquer et révulser le spectateur – déclinaison désespérée de La Colline A Des Yeux par exemple où prédominait encore une croyance dégagée et décomplexée dans la machine cinématographique appelée à produire l’effet de peur. Dans une telle tournure d’esprit il est aisé de faire monter la tension en ôtant toute échappatoire cynique – à la différence du récent et désopilant Destination Finale 2 – sur fond de petit cri strident, enjoué et sardonique digne du mémorable «kilikilikili» accompagnant les sévices d’Audition. Rien à quoi se rattacher dans cette sécheresse cathartique, même pas la distance puisque la frontale promiscuité refuse de détourner les yeux (la caméra vient les chatouiller même à travers le trou d’une serrure). Le talent du responsable des effets spéciaux (grimages des trois ogres et créations numériques) Stan Winston, ayant fourbi ses armes sur Terminator 2 : Le Jugement Dernier, Predator, Jurassic Park ou Alien, fait le reste – on préférera oublier l'étendue son fourvoiement dans le lénifiant La Machine A Explorer Le Temps. Alors réellement la terreur est libre de s’insinuer, de coller aux exhalaisons putrides et détestables de ces chiottes dépenaillés et ineptes de l’Amérique.

Décharge témoin. Abrutis de violence devant un étale décomposé et tout de rectitude, nous en venons à saisir l’essence du long métrage où chaque personnage se retrouve détraqué. Infecté par la morbidité ambiante qui suinte huileusement pour nous souiller dans la scène jubilatoire digne d’un conte pour enfant où les victimes tremblotantes assistent, impuissantes sous la couche d'un des bourreaux, à l’épanchement du gore contaminant leur réalité bercée d’illusions consuméristes. L’envers du décor ils veulent bien le contempler, le déplorer dans une distance délétère mais pas en être maculés ou souillés. L'ablation des trois orifices que sont l'oreille, la bouche et l'oeil est d'une délicieuse ambivalence du fait de leur fonction prépondérante de déverseur et de réceptacle des agressions extérieures. Il est dès lors saisissant de voir s'échapper des lèvres d'un cadavre un liquide amniotique tout

à la fois fiel et vérité post-mortem qui n'est pas sans rappeler les réminiscences spirituelles suivant l'accident de Reiko Asakawa dans Ring 2. Outre les monstruosités locales et pécores c’est le couple étrangement crédible et androgyne qui désarçonne. Ils ne réagissent plus comme les héros tétanisés et geignards des slashers. Les voici étrangement détachés, mines renfrognés et graves, hors des réalités matérielles (qu’importe la voiture dans laquelle on a placé toutes ses économies), blasés. Cette nonchalance sévère, interlope et expéditive – leur anatomie désertée par la vitalité – qui les anime explique certainement leur survie. Contrairement aux précédentes victimes, ils ne sauraient être réduits à des choses ou des stéréotypes flagrants et irrévocables : le cimetière de portables ou de carcasses de voitures évoquant les chers disparus ayant poussé leur dépendance jusqu’à l’identification. Ainsi, le réalisateur entreprend à l’aide de cette allégorie fossoyeuse de brocarder dans un pamphlet plus subtil qu’il n’y paraît de prime abord une société dévorée par ses démons et pulsions – les frères maudits arborent non pas un épiderme décharné mais l’intérieur de leur corps sur leur visage, de la chair à vif et ils sont friands d’organes – qui, mises à nu, se repaissent de la traque des brebis égarées ayant malencontreusement choisies de s’éloigner des sentiers balisés. Anathème insolite que la représentation d’un territoire vaste et fangeux où la superficialité est clouée au pilori. Dans l’impasse de ce no man’s land, hérissé de reliques hirsutes d’un monde déliquescent, les erreurs de l’évolution nous sont jetées en pleine face, en pâture à nos yeux désormais cannibales. Les amputations psychotiques confinent à l’agression d’une confrérie urbaine qui, déplacée hors de son contexte, apparaît dans sa lugubre monstruosité. On retourne finalement à la civilisation, parce qu’il faut bien revenir et que, sinon, on ne pourrait plus se voiler la face quant à sa condition de dégénéré affamé et fier débiteur de bidoche. Ce faisant, les deux rescapés égratignés et désabusés acceptent leur propension atavique à dévorer leur prochain. Même si, en bout de course, ils parviennent à échapper à l’inéluctabilité désenchantée en prenant leurs responsabilités et en arrachant une carte que le pompiste complice refusait d’ôter de son mur presque par habitude ou paresse. Décidemment s’il ne fallait retenir qu’une maxime du long métrage cela serait : «L’homme est un loup pour l’homme». La carence d’affect qu’arbore cette dernière scène induit un malaise palpable, comme si, las de leurs circonvolutions débiles plutôt que chantres du courage et des valeurs fordiennes, les protagonistes avaient eux-mêmes choisi de se supprimer plutôt que de se décliner et se répandre à l’infini. Mais si «l’enfer est au bout du chemin», comme le claironne la légende éclaboussant l’affiche, encore faudrait-il avancer, or le film se fait symbolique d’une société gangrenée par la real tv et malade de son obsession de recréation d’un réel évanescent, frappé d’obsolescence. Ainsi, contrairement au Freaks de Tod Browning (sans oublier L'Inconnu avec un Lon Chaney enfant de la balle et interprète fétiche du cinéaste) ou à La Colline A Des Yeux de Wes Craven qui employaient des phénomènes de foires effrayants par leurs aspects mais émouvants du fond de l’abysse insondable de leurs prisons somatiques, Rob Schmidt s’ingénie obstinément à orchestrer l’apparition artificielle (maquillages) d’anomalies parfaites. En découle une ambiguïté étonnante oscillant entre l’abject et le prophylactique. Façon détournée de se racheter une virginité de façade par une surface lisse et baroque. Car, contrairement à l’adage psalmodié par une erratique figure du Projet Blair Witch, on ne peut plus se perdre sur le territoire américain : même abandonnés sur une paroi abrupte et isolée nous serons toujours taraudés par notre conscience stigmatisée par cette corde d’escalade. Tout au plus peut-on s’égarer en petit haut sexy histoire de changer d'air, s’évader le temps d’une promenade bucolique et récréative, mais jamais le fil d’Ariane enfoui dans nos psychés, et nous reliant à la collectivité, ne viendra à céder.

 
 

F. Flament
26 Août 2003

 

 

 

 

 

 

Promenons-nous dans les bois

Film américano-allemand de Rob Schmidt (2002). Sous l'égide de Délivrance Schmidt et Winston concoctent un manège sylvestre où les personnages sont déchiquetés par la morbidité fangeuse et ricanante du consumérisme. Sortie France : le 30 Juillet 2003.

Multimédias
Bande-annonce
Photographies (17)

Liens
Le site officiel américain
Le film sur l'IMDB
Site sur Eliza Dushku 1 / 2
Les travaux de Stan Winston

Fiche technique
REALISATION
Rob Schmidt

SCENARIO
Alan McElroy, Adam Cooper, Lawrence O'Neil et Bill Collage

DIRECTEUR PHOTOGRAPHIE
John S. Bartley

INTERPRETES
Eliza Dushku (Jessie Burlingame)
Desmond Harrington (Chris Finn)
Emmanuelle Chriqui (Carly)
Jeremy Sisto (Scott)
Lindy Booth (Francine)

MUSIQUE ORIGINALE
Elia Cmiral

EFFETS SPECIAUX
Jason Board et Stan Winston

COSTUMES
Georgina Yarhi

PRODUCTEURS
Robert Kulzer, Stan Winston et Aaron Ryder
DUREE
90 minutes

PRODUCTION
Neue Constantin Film et Summit Entertainment / CTV International (Dist.)
 
bb