Anthorisme déphasé. Miranda Grey (Halle Berry solaire depuis son Oscar aux larmes d’ébène), sémillante, athlétique et brillante psychologue officie dans une institution pénitentiaire pour femmes. Son lot quotidien, des divagations déviantes agrégeant violence méphistophélique et sexuée (Penélope Cruz en patiente hirsute et exténuée, tout sauf ambiguë), sans oublier la tutelle bienveillante d’un mari aimant directeur dévoué dudit centre.

GOTHIKA

Tout serait idyllique, y compris les avances potaches et attendrissantes de son collègue de travail Pete Graham (Robert Downey Jr. catastrophiquement sous-employé dans son répertoire tragi-comique Ally McBeal), si au cours d’une nuit pluvieuse sa vie ne basculait pas dans le désastre anarchique. En effet, devant bouleverser son itinéraire habituel devant les trombes d’eau ayant emporté une partie de la voirie, elle se retrouve, isolée, devant une jeune fille en haillons grelottant au milieu de la chaussée et ânonnant divers borborygmes insondables. Alors que notre héroïne s’approche de cette apparition cadavérique celle-ci se jette sur elle, prenant son crâne en étau entre ses mains décharnées de harpie furieuse. Flash incandescent. Fondu au noir, magie de l’ellipse interne, le docteur Grey se réveille trois jours plus tard dans une geôle de verre en lieu et place de ses chers patients ! Pete ne tarde pas, non sans ménagement, à lui avouer la terrible vérité. Suite à sa rencontre mystique nocturne elle a perpétré un massacre terrifiant à son domicile, démembrant diligemment son époux à la hache. Internée, honnie par ses pairs, son salut mental et physique ne réside plus que dans la résolution de l’énigme ésotérique qui vient de s’abattre sur elle. Car comme elle aime à le ressasser, entre deux injections (passeports pour la catatonie), d’une prosodie ampoulée : «Je ne crois pas aux fantômes, mais eux, croient en moi».

«Le véritable amour jamais n’est mercenaire». La citation de Pierre Corneille (Pertharite, Roy des Lombards, Acte II, Scène I) prend un tour singulier au sortir de la nouvelle mouture de l’enfant béni du cinéma français, Mathieu Kassovitz. Celui qui a depuis longtemps déserté les rivages suaves et alambiqués d’œuvres lui ayant octroyé le cachet d’auteur prometteur (La Haine ou Métisse) bien que versé dans la

gratuité, pour s’impliquer plus avant dans la transposition et le décalage d’un genre à plus grand spectacle, se retrouve embringué dans un projet mineur mouillant dans les parages de la Mecque hollywoodienne. Pas que le tournage se soit déroulé aux Etats-Unis, non, l’honneur est sauf, c’est le territoire canadien qui a accueilli le cinéaste impatient de retrouver son siège abandonné depuis trois ans et le sordide trépané des Rivières Pourpres. Si le style visuel empesé et carminé de ce bouillant opus emportait l’adhésion, la confusion dilatée qui s’en dégageait, notamment dans un final outrageusement expédié, en atrophiait la moindre portée horrifique. Gothika – quatrième bâtard d’épouvante anémiée dû à l’aberrante maison Dark Castle après les piètres Treize Fantômes, Le Vaisseau De L’Angoisse et le remake rébarbatif sinon insultant de l’immense The Haunting – souffre d’un même syndrome cyclothymique. Achevé dans l’optique pragmatique de fédérer autour d’un futur long métrage plus subversif voire ambitieux (Babylon Babies d'après Maurice G. Dantec – La Sirène Rouge), le cauchemar convenu du français se vautre dans la dichotomie insipide, se contentant d’apposer avec une léthargie cinétique marbrée d’hideux stigmates outranciers deux iconographies s’ignorant l’une l’autre, diligemment séparées (paupérisées ?) par une surface vitrée et ondoyante. D’une caméra satinée et inflexible voilà que se concrétise sous nos yeux un drame grotesque et besogneux ; ou comment l’esthétique volatile américaine qui s’épanche formellement dans de nouvelles contrées protéiformes et molles – l’eau et l’air comme atmosphères contrites et vénéneuses – se voit confrontée à une conception européenne s’attachant à dépeindre la dégénérescence, l’oxydation brutale, glauque et granuleuse du monde solide (les quelques clins d’œil à Dario Argento en attestent). Que se passe-t-il quand l’usure contemple avidement son reflet irisé et moiré ? Pas grand-chose dans la production corsetée de Joel Silver et Robert Zemeckis pour qui ne perdure dans un carnage absurde perpétré au summum d’une ire vengeresse que l’efficacité anonyme et mortifère du pathos, aucun colletage, la morale pervertie impose le voyeurisme maniériste, racoleur et macabre. D’un scénario indigent et apathique, banquet opulent des obsessions cinématographiques grandiloquentes des dernières années (le sophistiqué Sixième Sens, le plagiat écoeurant d’Hypnose, Ring 1 et 2, The Ring le jumeau honteux et racoleur, la grâce sublime et imbibée de Dark Water…), Mathieu Kassovitz ne tire qu’un film de plus n’ayant de psychologique que l’alibi de son décor : une institution psychiatrique pénitentiaire. Ectoplasmes, artifices, folklores, l’équipe est rompue aux exigences grotesques du spectacle débilitant (où paradoxes vont de paire avec fantasmes avachis ou frelatés) et aligne les poncifs les plus décérébrés (le sempiternel affrontement bréhaigne de la logique scientifique figée et de l’irrationnel indiscernable) dans l’unique but d’anesthésier le spectateur. Anoxique et avortée, l’œuvre frise dès son introït incomplet l’aporie.

Geôle cathartique. Dessiccation et naufrage s’enchevêtrent de manière étrangement absconse dans la boucherie enragée qui sous-tend l’intrigue. Deux images détrempées, déformées, pour reprendre les propos des protagonistes, sous la houlette d’un démiurge pervers et ignoble qui farde sous les filtres bleutés évanescents une corrosion abjecte et fangeuse. Prisonnier d’un carcan judéo-chrétien

atterrant et pompier l’entité cinématographique ne cesse de vouloir laver (dans sa forme) ses pêchés inexpiables (du fond factice). Mais un dépôt demeure, flottant nonchalamment, échappant à l’absolution d’une conclusion de bon aloi. Certainement le spectre blême et livide de M. Night Shyamalan, le chantre de la bande-son embuée, le prospecteur fascinant de l’envers de l’image (du souvenir ?) et de sa quintessence auditive, le créateur d’un idiome intelligent à la reptation retorse où ces deux perceptions complémentaires interfèrent et dialoguent. La dualité affleure aussi dans ce long métrage assujetti et taciturne mais selon une optique beaucoup plus basique comme dans l’opposition entre la vacuité des décors et la profusion iconoclaste des formes sonores ou l’étirement initial cédant la place à l’hystérie clippée et traumatique. En définitive un récit diffus d’une vanité confondante en comparaison de l’Alien Resurrection où le frenchie Jean-Pierre Jeunet avait réussi dans une certaine mesure à insuffler ses obsessions et sa patine créatrice. Car le cinéaste se place ici sur un niveau analogue à celui de son héroïne, bridée par une autorité supérieure et indiscernable, un mari, un père, un Dieu – l’aliénation de la Femme et l’abjurations des ses perspectives par les dogmes masculins inhérents à notre société moderne ne seront jamais envisagés que comme vagues catalyseurs de cette parabole alors qu’elles s’imposaient naturellement comme son essence. Il se heurte aux parois de verre d’une image confinée, étouffée. Dès lors, il ne peut que se débattre comme elle en frappant nerveusement le liquide ondoyant et nourricier de l’amnios stérile qui l’enchâsse. Une bête perdant de sa superbe et de son artificialité à chaque seconde pour errer entre l’opportunisme ambiant et la torpeur oppressante. Emerge de ce vortex affadi l’idée la plus enthousiasmante, rapprocher l’ensemble d’un laboratoire où l’artiste est libre de purger ses références en catimini. L’ombre des augures financiers plane certes sur le divertissement formaté (façon Caractères avec le mari porcin, les matons lubriques et l’infirmière sadique adepte des brimades humiliantes), mais on découvre au détour d’un flottement anthracite grisâtre, durant l’oscillation du métronome lapidaire hésitant entre les deux compositions citées plus haut, un frisson acéré sur l’échine, visuellement ébouriffant. S’y niche une glose concassée qui se cristallise autour du rapport apatride au corps meurtri, révulsé et souillé. Car Matthieu Kassovitz n’a pas les scrupules hypocrites saturés de componction lénifiante de ses acolytes yankees. Sa représentation du corps adolescent abusé s’en ressent, infléchissant une iconographie prophylactique pour le moins inoffensive. Passant outre la défiance pour cette enveloppe charnelle émergeante de la puberté, et dépositaire d’une innocence sacralisée autant que menaçante, le réalisateur parvient à le transmuer en enjeu véritable du film et de la dépravation glaçante des êtres. Il entrevoit alors l’avidité apeurée et inquiète des monstres qu’il dépeint. Certainement le pan le plus effroyable de ces évasions à répétition – toujours ce pendule hiératique qui s’acharne sur le script famélique –, celui induit par un fantôme saccadé et lunatique se lovant dans la plus infime parcelle d’humanité, dans l’eau (pour une scène éprouvante au fond d’une piscine, contrefort de l’âme hagarde) médium spirituel par excellence. S’il n’y avait ce sentiment vaporeux et infirme nous serions tenté d’interpeller l’artiste par la maxime célèbre de Saint Augustin : «Qu’avez-vous fait de votre talent ?».

 
 

F. Flament
20 Janvier 2004

 

 

 

 

 

 

Fantôme saccadé

Film américain de Mathieu Kassovitz (2003). Première incursion de l'électron libre du cinéma français sur le territoire artistique américain. Film impersonnel qu'un scénario indigent et plagiaire rend atrocement prévisible. Sortie française : le 7 Janvier 2004.

Multimédias
Bande-annonce / Trailer (vo)
Photographies (53)

Fiche technique
REALISATION
Mathieu Kassovitz

SCENARIO
Sebastian Gutierrez

MONTAGE
Yannick Kergoat

DIRECTEUR PHOTOGRAPHIE
Matthew Libatique

INTERPRETES
Halle Berry (Dr. Miranda Grey)
Robert Downey Jr. (Dr. Pete Graham)
Charles S. Dutton (Dr. Doug Grey)
Penélope Cruz (Chloé Sava)
John Carroll Lynch (shérif Ryan)

DECORS
Graham Walker

MUSIQUE ORIGINALE
John Ottman

PRODUCTEURS
Joel Silver, Robert Zemeckis, Susan Levin, Steve Richards, Gary Ungar, Don Carmody et Richard Mirisch
DUREE
100 minutes

PRODUCTION
Warner Bros., Dark Castle Entertainment / Columbia TriStar Films (Distr.)
 

Liens
Le film sur l'IMDB
Le site officiel américain
Le site officiel français
H. Berry / P. Cruz / Downey
Site de Mathieu Kassovitz

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