48 heures chrono. Au crépuscule d’une année de disette en matière de nouveautés télévisuelles – à part l’incursion fugitive sur M6 de la dernière production en date de Donald P. Bellisario NCIS (le spin-off de JAG) et le passage éclair de Boomtown sur Canal + –, au sein du PAF français, France 2 tente à nouveau le pari gagnant qu’elle avait engagé il y a huit ans à la même époque avec Urgences. A savoir programmer durant la période estivale et en prime time deux épisodes d’une série qui fait les beaux jours du réseau américain CBS depuis trois ans, Without A Trace, plébiscitée par les téléspectateurs et saluée par la critique.

FBI : PORTÉS DISPARUS

Le canevas et l’intrigue en sont consommés, une escouade de cinq enquêteurs dirigée par le patriarcal, bourru et atone Jack Malone (Anthony LaPaglia qui s’était illustré dans l’inachevée seconde saison de Murder One) est chargée d’investiguer sur tous les cas de disparitions émaillant la mégalopole new-yorkaise – dédale urbain où transitent monceaux d’anonymes –, de l’enfant studieux à la business woman stakhanoviste, de l’enlèvement transgressif à la fuite désespérée en passant par toutes sortes de larcins homériques et de situations rocambolesques imaginables. L’immuable pré-générique applique ainsi un motif récurrent, le flash étiolé et timide (reniant les modifications et les découvertes à venir dans une dépression proche de Millennium ou de L’Homme De Nulle Part), pour nous conter la fulgurante évaporation sur laquelle nos fidèles limiers et sentinelles vont plancher. C’est que la maternelle Viviane, la sensuelle Samantha, le rugueux Danny et le précieux Martin (Eric Close héros fragile de Dark Skies ou d'Un Agent Très Secret) n’ont qu’un laps de temps extrêmement limité pour investiguer (pas suffisamment pour concevoir une vie privée ou sauvegarder l’existante). La mécanique du suspense est à ce prix et l’on nous martèle dès le pilote que les 48 premières heures s’avèrent cruciales et décisives dans ce type d’affaires. Le cocon familial (deux parents complices et trois enfants-sbires) affronte donc, en un contre-la-montre maussade, la crise du déchirement et recherche ardemment le disparu pour le ramener dans le giron rassurant d’une société régulée. Du compte à rebours s’affichant à l’écran la téléfiction retire donc une intensité dramatique tangible renforcée par la constante opposition entre la modernité de la forme (mise en image léchée – la patte de David Nutter – et montage acéré adepte de l’ellipse) et le relatif traditionalisme du ton procédural (rebondissements convenus et protocole immuable façon Law & Order). Bien entendu, le réalisme obligeant et la lassitude anémique pointant avec empressement son nez, tous les cas ne seront pas résolus sur un succès et quelques disparus demeureront des énigmes empruntant dès lors le périphérique du show, celui d’un amer constat d’échec non dépourvu d’espoir.

Profilage systématique. Au gré du syncrétisme, parfois monotone et peu inspiré, qui préside à l’évolution du récit, le profilage et les recherches (épluchage des mouvements bancaires, habitudes, hobbys…) menées sur la personne manquant à l’appel font figure de pierre angulaire. Pour le nabab hollywoodien Jerry Bruckheimer, producteur de la série, «Ce qui nous intéresse, ce n’est pas d’établir le profil d’un criminel. Mais

d’enquêter sur la personne disparue. On s’est posé la question : si on disparaissait et que huit agents du FBI étaient chargés de l’enquête, que découvriraient-ils sur nous ? De quoi notre vie aurait-elle l’air sous leur microscope ?» avant de renchérir sur le fait que «L’idée de la série nous est venue à la suite d’une affaire en 2001 : la disparition de la stagiaire d’un député appelée Chandla Levy. À cause des médias, elle n’était plus considérée comme une jeune femme innocente, mais comme "la maîtresse du député". Ainsi, l’image qu’on avait d’elle a été complètement chamboulée». Des prémices esquissés dans l’esprit du grand public par Manhunter ou Le Silence Des Agneaux, les études psychologiques idoines à la détermination des réactions et motivations d’un sujet ont fait leur chemin dans l’imaginaire collectif jusqu’à s’imposer comme une norme inamovible dans les mœurs contemporaines. Cette béquille (excuse) assimilée et malaxée, elle devient le symbiote de la routine de terrain, d’interrogatoires hardis en intuitions confuses. La dynamique frustrée de l’ensemble s’appuie alors totalement sur le mandat octroyé à la mise en image de ces enquêtes mentales, ergotant avec un faux détachement pour imposer une vérité cannibale. Soit une manière de jeter en pâture à nos cornées hagardes une explication monolithique et dogmatique que l’on ne saurait mettre en doute car la dialectique se désintègre devant tant de brutale et rassurante évidence. Et le concept de phagocyter le dispositif. Annihilation du libre arbitre, cette reconstruction graphique rigide des cogitations linéaires des agents ne tolère aucun amendement flottant, aucune latitude pour l’imaginaire de l’auditoire – chaque interstice du passé étant diligemment colmaté et décortiqué comme dans le récent Boomtown avec par exemple l’explication pataude du maquillage d’une exécution mafieuse ou celle du cas non résolu d’un bigame. Ainsi, et contrairement aux Experts (CSI) l’autre série estampillée Bruckheimer TV, la déconstruction du problème n’induit plus un work in progress sympathique et emballant vers la compréhension d’un tout mais un chapelet rance de scènes statiques pour une propension à reconstruire un parcours non plus plausible au vu des indices mais véridique et indiscutable. L’émiettement sécuritaire ambiant venant pallier l’absence des microscopes et autres appareils scientifiques permettant à la police scientifique de Las Vegas d’observer l’infiniment petit. Lorsqu’il n’est plus possible d’étayer les résurgences de scènes (une fillette apparaît à l’invocation de son souvenir par sa mère ravagée de chagrin) à l’aune de preuves minuscules autant, dans une agaçante arrogance, prôner une thèse unilatérale en faisant fictionner les faits malléables. Rien ne saurait germer d’un morne vivier de toute manière. En tenant cette vérité fuyante en laisse (le fil des conséquences suivi scrupuleusement par le réalisateur sur tableau blanc) les scénaristes s’affranchissent donc de l’engeance dramaturgique et du tintamarre ou remous des êtres imprévisibles qu’ils exposent. Ils se raccrochent nerveusement à l’idée qu’ils peuvent tout dire par le biais de l’image – signifiante, psychophage et dirigiste –, prêchant le médium esthétique au détriment d’une parole déliquescente désormais sous-tendue par l’icône – le négatif parfait et navrant du splendide et orfévré À La Maison Blanche (The West Wing). Le plus troublant demeure que ce fond impitoyable et obtus se double d’une forme terriblement volatile. Gazeux et indiscernables, les épisodes n’imprègnent pas en surface le spectateur qui oublie aussitôt ce qu’il vient de voir, pas que la réalisation soit bâclée ou le propos sourd, mais simplement que la série est, à l’instar de ses protagonistes, embringuée dans la recherche trépignante et spatiale de quelque chose ou quelqu’un, peut-être simplement d’elle-même. D’où cette impression vivace que les scripts occupent tout l’espace (semi-infini, derrière l'écran cathodique) qui leur est offert, visitant sans cesse d’autres shows, d’autres époques, se complaisant de déplétions, en cliquetis diaphanes ou en outrancière déférence sans jamais se transcender, changer d'état pour, enfin, se cristalliser.

 
 

F. Flament
24 Juillet 2004

 

 

 

 

 

 

Le fil d’Ariane

Série américaine créée par Hank Steinberg toujours en production (3 saisons, 2002-2004). Avec Anthony LaPaglia (J. Malone), Poppy Montgomery (S. Spade), Eric Close (M. Fitzgerald). Diffusée aux Etats-Unis sur CBS et en France par France 2.

Liens
Le guide des épisodes
Le site officiel américain
Le site officiel de France 2
Série sur l'IMDB / Eric Close 1
Eric Close 2 / P. Montgomery

Fiche technique
CREATEUR, PRODUCTEUR EXECUTIF
Hank Steinberg

CO-PRODUCTEURS EXECUTIF
Jerry Bruckheimer, Jacob Epstein, Steven C. Nelson, Ed Redlich et Jonathan Littman

INTERPRETES
Anthony LaPaglia (Jack Malone)
Poppy Montgomery (Samantha Spade)
Eric Close (Martin Fitzgerald)
Marianne Jean-Baptiste (Vivian Johnson)
Enrique Murciano (Danny Taylor)

MUSIQUE ORIGINALE
P. M. Robinson, R. Heil et J. Klimek

SCENARIOS
A. Abner, D. Kutzera, D. Goodman, E. Redlich, F. Castro, G. Walker,
S. Kane, H. Steinberg, H. Litman, J. Epstein, J. Nash, J. Levin, J. Bellucci, M. Maggenti, S. Mirren et S. Rukeyser

REALISATEURS
B. Bailey, C. Correll, D. Barrett, D. Nutter, D. Sarafian, J. McNaughton, J. Peters, J. Showalter, K. Hooks, L. Libman, M. Damski, M. MacLaren, P. Holahan...

PRODUCTION
Bruckheimer TV / CBS Prods, Warner Bros
 
bb

Multimédias
Générique début (Saison 1)