COFFEE AND CIGARETTES
Le pape du cinéma indépendant – dont les successeurs, toute proportion gardée, pourraient être Sofia Coppola (Virgin Suicides et Lost In Translation), Paul Thomas Anderson (Magnolia, Punch-Drunk Love…) ou Wes Anderson (Rushmore, La Famille Tenenbaum…), sans oublier le vindicatif et opiniâtre Vincent Gallo (Buffalo'66 et l’incomparable The Brown Bunny) – enfile onze saynètes minimalistes, au sujet brouillé dans les volutes blêmes de cigarettes et à l’ambiance évanescente, sinon fugitive, engoncée dans l’abîme troublant d’une tasse de café, pour former un ersatz de moratoire invertébré. Un hiatus ludique et insolite pour un faux-agrégat qui gravite autour d’un plan fixé du plafond par un œil lascif, surplombant une table modeste jonché de caféine à moitié consommée et de paquets de nicotine froissés, la métaphore d’un monde consumériste, pressé et abyssal, en quête de sa dose de sens. Cet éloge lâche, ténu et dilatoire de la débauche désinvolte se fond dans des bribes de conversations digressives et des situations à la propension loufoque et tabagique. Sur un tempo badin et délayé, au ton résolument absurde, le cinéaste en léthargie depuis le mémorable Ghost Dog accole une myriade de connaissances pour un défilé hautement photogénique, néophyte et branché, des chantres de la scène hip-hop (RZA & GZA), au rockeur iconoclaste Iggy Pop en passant par un acrimonieux Tom Waits ou une troupe foutraque d’acteurs jubilatoires (Bill Murray, Steve Buscemi, Alfred Molina et consorts). Les sujets abordés lorsqu’un bavardage cesse la voltige liminaire pour se poser nonchalamment frôlent la vacuité déconnectée, un concentré des pulsions synaptiques d’un esprit dérivant, départi de ses oripeaux socialisants, comme emporté par un vibrato taciturne d'Otis Reding. Nous touchons alors à la volonté souterraine qui taraude chaque court segment, celle du déni d’une temporalité et d’une spatialité envisagées comme arbitraires, mystérieuses et crânes pour embrasser avec inspiration la notion de dimensionnalité, presque ésotérique. Que ce soit par le jeu sur les durées ou le formalisme des cloisons et des lieux enserrant – presque en connivence – les protagonistes, les films nous emportent hors d’un continuum classique et usurpé pour s’enhardir à contempler l’insondable perplexité d’un environnement qui nous contrôle et nous hypnotise beaucoup plus que l’inverse. Sur un mode mineur nous voici donc conviés à un savoureux voyage aux confins d’une réalité maîtrisée et tangible. Alors seulement, plongés dans un ennui futile et ouaté, un prodige analogue à celui du cinéma de Takeshi Kitano (Hana-Bi, Dolls, Violent Cop…) s’enclenche : à force de décalages et de décrochements judicieusement agencés l’âme détachée se met à flotter, à tourner vertigineusement autour d’elle-même, tout à la fois référent et observatrice pour ainsi effleurer une sorte de sagesse atavique, enfouie, expirée dans une amplitude dédaigneuse et fatale. Une source merveilleuse et captivante d’où émane la plus pure et attentive des mansuétudes.
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F.
Flament |
Film américain de Jim Jarmusch (2003). Joyeuse enfilade de situations à la structure stéréophonique, où musique et langage se confondent, dialectisent et se consument dans les volutes d’une dimensionnalité ésotérique. Sortie française : le 7 Avril 2004.
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