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Conte De Cinéma (III) : l'écharpe-raccord, le bas-césure
31 Décembre 2005

Breaking News : Traversée de conscience
30 Décembre 2005

Une violente rixe oppose les forces de l’ordre de Hongkong à une bande de braqueurs spécialisée dans l’attaque de fourgons blindés. La course-poursuite qui s’ensuit est retransmise par les médias locaux qui s’empressent de brocarder l’inefficacité de la police. Les services spéciaux décident alors de répliquer en faisant de la capture des malfaiteurs un véritable spectacle à grande échelle qui charmera la presse et redorera
leur blason auprès des habitants. Malheureusement pour eux l’opération tourne au bras de fer avec prises d’otages et intimidations respectives par le vecteur de l’image (manchettes de journaux, reportages télévisés, piratage par Internet, appareil photo intégré dans un téléphone portable…). La coupe est pleine lorsque l’immeuble vétuste dans lequel se sont réfugiés les repris de justice s’avère être la planque de deux tueurs patentés attendant l’heure de leur prochain contrat.
Qu’y a-t-il de plus heureux que la sélection officielle du nouveau film du prolifique Johnnie To, Election, au Festival de Cannes ? La sortie de son précédent long métrage Breaking News dans nos salles obscures assurément. Comme à l’accoutumée il livre un polar fougueux et percutant à l’attrait paradoxal : nous emporter dans un dédale visuel (perfection des cadres, habiles modulations du montage, split-screen judicieux, frénésie des décrochements…) à la lisibilité stupéfiante où, curieusement, nous nous sentons immédiatement apaisés, abandonnés à un flux ludique (cet échange initial de coups de feu lors d’un plan séquence acéré mais d’une ampleur vaporeuse) dépourvu de tout enjeu dramatique (la scène la plus marquante : une démonstration culinaire incongrue et jubilatoire). Faisant abstraction d’un scénario-gadget les personnages du hongkongais – à l’instar de The Mission – ont la particularité d’expérimenter la traversée d’un espace de conscience. Un périple désinvolte où corps et esprit se déconnectent pour errer chacun à la recherche des résidus figés de l’autre, au sein d’une architecture pour le moins baroque et sourde.

Si il n’était une absence douloureuse d’ellipse – l’action est pratiquement présentée en temps réel – la tentation serait grande de rapprocher cette parabole sur les dérives médiatiques de trois œuvres du maître japonais Takeshi Kitano. Violent Cop pour sa sécheresse chevillée à la pellicule et la déshérence de ses protagonistes piégés dans des tours monolithiques. Sonatine pour sa propension à retirer les personnages de la bulle radicale de la réalité et les projeter dans une section infantile où codes et violences se distendent, s’incurvent paisiblement. Et enfin le contemplatif Dolls pour sa virtuose captation du mouvement, brownien, de l’âme autour – et à l’intérieur si l’on envisage les murs de béton comme frontières décrépies de psychés confondues (individualisme abjuré) – de son enveloppe physique. Certes Johnnie To n’est ni Tsui Hark et encore moins Michael Mann, pourtant il impose au fil des minutes outre une interrogation convenue sur les différents régimes graphiques ou pratiques sycophantes du montage un véritable questionnement sur la création de sens par l’image. Peu importe alors qu’il soit inapte à en insuffler grâce à sa caméra, il est lucide quant à son incapacité à le faire dans ce type de divertissement et choisi alors avec bonheur d’opposer le son à une esthétique dégradée à force de manipulations ou de mises en scène retorses.

Il est en effet sidérant de voir avec quelle facilité le cinéaste arpège l’oscillation entre l’individu (intimité confinée) et l’ensemble (débordements publiques) comme une partition musicale dépouillée. Mieux la dramaturgie y puise ses motifs les plus sobres et son inertie faussement impavide. Générique serein d’ouverture aux réminiscences finales ou ce voyou trahi par les émanations de son univers auditif (un téléphone resté allumé) sont autant d’indices sur la véritable – et fulgurante – préoccupation du réalisateur. Telle une brise synchrone les sons étouffés envahissent l’espace-temps du film pour stigmatiser l’écartèlement de la sensation pesante des corps (fange grouillante d’êtres, effondrement lourd sur le sol…) et de la volonté farouche d’élévation. Il faudrait ainsi voir Breaking News comme une pause dans le tumulte urbain – cette réplique de Cheung, « encore un jour pour rien » –, un achoppement sur la notion même d’attente magnifiquement brossée par Jia Zangkhe dans In Pulbic. Et le corollaire de cette angoisse souterraine serait la dynamique de passage, vers une liberté aérienne et persistante, celle de s’extraire des bruits et autres vibrations maculées. Le Testament D’Orphée de Jean Cocteau résonne alors en nous avec son texte inoubliable distillé lors de la traversée du miroir par Jean Marais : « La vie est longue à être morte. C’est la zone. Elle est faite des souvenirs des hommes et des ruines de leurs habitudes ». Quelle meilleure description de la matrice de Johnnie To où les deux malfrats finissent par échanger leurs vies et leurs objectifs avec pour résultat échecs et morts. Echec et Mat ? Jusqu’au bout la thématique du jeu et de la compétition aura perduré.
La Saveur De La Pastèque : lignes de fuite, dérobade impavide
30 Décembre 2005

Conte De Cinéma (II) : quel abîme entre l’œil et la main ?
29 Décembre 2005

Deuil national
29 Décembre 2005

La nouvelle est tombée brutalement, le 16 décembre, la veille encore je regardais avec délectation le dernier épisode de la sixième saison de The West Wing. John Spencer est décédé d’une crise cardiaque. Une tragédie quotidienne diront certains mais amplifiée par le fait que le personnage de Léo McGarry qu’il composait s’invitait dans nombre de foyer chaque semaine avec une empathie indéniable. Outre la problématique scénaristique sur laquelle risque d’achopper les scénaristes dans les semaines à venir – le caractère était candidat à la vice-présidence et son rôle central en pleine transition de l’administration Bartlett lors de la septième saison – c’est les fondations même du show qui
chancellent. En effet cet ancien Secrétaire d’Etat d’origine irlandaise, revenu d’une dépendance aux amphétamines et à l’alcool, était l’âme de l’aile ouest ayant recruté chaque éminent conseiller d’un président ex-gouverneur du New Hampshire qu’il a poussé à se présenter et dont il a façonné le programme électoral.
Dans un parallèle funeste le Secrétaire Général était victime au début de la sixième année d’une fulgurante crise cardiaque juste après que son meilleur ami et dirigeant du monde libre, en plein conflit israélo-palestinien, lui ait signifié son éviction du gouvernement. Diminué physiquement il devait laisser son poste harassant à CJ. Difficilement acceptable pour les fans de la première heure cette promotion nous poussait à nous focaliser sur le duel en devenir Vinick/Santos. Et les auteurs de replacer évidemment Léo au centre de ce nouvel affrontement entre les partis démocrates et républicains. Le lent départ de Martin Sheen associé à la perte de John Spencer devrait sonner le glas de la série à moins que, culotté, John Welles ne décide de mettre en scène la victoire du candidat progressiste républicain. Alan Alda a, seul, le charisme pour succéder avec brio au duo désormais trépané.
Conte De Cinéma (I) : la bouche-mélancolie
29 Décembre 2005

Appleseed : Union détraquée et eucharistique
28 Décembre 2005

Un conflit mondial sanglant a dévasté la surface du globe sans pour autant voir émerger de vainqueur. Soldat et fille de l’ancien leader de l’armée régulière, la gracile et athlétique Deunan Knute continue d’estourbir fiévreusement ses adversaires dans un paysage cataclysmique jusqu’au jour où elle est capturée par la milice de la cité utopique d’Olympus. Enrôlée pour protéger cet éden formé à part égale d’êtres humains et de
joyaux cybernétiques, les bioroïdes, elle s’avère rapidement être l’élément clé des complots occultes fomentés en coulisses. Entre le pouvoir législatif robot et ses séides, l’armée humaine hargneuse ou l’intelligence artificielle arbitrant les conflits du nouvel ordre politique, il lui faudra démêler les faux-semblants pour accomplir les desseins de sa mère.
D’emblée la texture visuelle de ce long métrage d’animation hypnotise. Pas que son aspect soit totalement révolutionnaire mais la beauté fuselée, le léger décalage ou la lenteur différée des mouvements de l’héroïne induisent un érotisme prégnant. Loin des débordements sulfureux et ostentatoires du manga de Masamune Shirow qu’il adapte Shinji Aramaki distille d’étranges éléments, à la fois profondément ontologiques (les métamorphoses croisées de l’Homme et de la Machine) et éminemment sensoriels (la scène revécue de la mort de la mère). Drainant sa condition de cinématique vidéoludique (mouvements de caméra fluides dopant les séquences voyant discourir les personnages), le film entreprend de retranscrire par l’ondulation de sa matière une mutation apostrophant le spectateur. Comme la femme qu’elles dépeignent, les images artificielles luttent pour préserver une certaine fertilité, une portion organique palpitante. Soit le contre-pied de l’enluminure asphyxiée de la désincarnation que représentait Final Fantasy.

Péplum post-moderne, Appleseed laisse néanmoins une impression en deçà des visions de Mamoru Oshii (Ghost In The Shell), chantre des récit d’anticipation aux méditations urbaines contemplatives dont l’apogée demeure Patlabor 2. La faute à une intrigue galvaudée – l’action trépidante comprime une essence anémiée –, à une carence d’empathie ou à des références visuelles (Bubblegum Crisis) et scénaristiques (Evangelion) mal digérées. Passéiste et roublard le propos n’est jamais plus fort que lorsqu’il se déprend des gloses ou aphorismes de pacotille, se ramasse pour respirer un cheptel humain anonyme à lui-même et adhérer à la profonde confusion d’un homme au corps mécanique, transformé en apôtre castré. Reconnaissons tout de même aux scénaristes certaines vertus de concision qui permettent sur 100 minutes de boucler une histoire complète et dense, même si le sacrifice d’ellipses lyriques perturbe le flux graphique à l’œuvre.

La parabole infatuée et ankylosée, aux accents théologiques (apocalypse finale et mythe prométhéen), n’esquisse qu’à peine ses congruences oedipiennes. Pourtant apparaît très vite une capiteuse alchimie entre Deunan et la bioroïde minaude Hitomi, entre attirance saphique et retour enchanté à la mère. Elle demeurera malencontreusement aussi brumeuse que la tessiture fantastique des lumières nimbant des flash-back astucieusement inférés. Dommage car il s’agissait du sésame pour soutenir un propos jaspé sur l’altérité. Entre deux époques (tonalité eighties façon Blade Runner) et dynamiques (parole et mouvement désynchronisés), nous évoluons éperdus, en anaérobie, pleurant avec les protagonistes une union cosmopolite aussi stimulante qu’irréelle entre l’être et le néant.
Soirée courts : Lune Ascendante et Petit Matin Sanglant
28 Décembre 2005

Un battement d'aile...
27 Décembre 2005

Charlie Et La Chocolaterie : comble de l'autisme, compiler la famille
27 Décembre 2005

L’adaptation du best seller de Roald Dahl par Tim Burton avait de quoi remplir d’allégresse les spectateurs de tous âges, le conteur gothique et élégiaque allait se colleter avec un imaginaire consensuel et psychédélique. Certes l’histoire de Charlie Bucket rejeton d’une famille sans le sou et qui, à la suite d’un concours organisé par l’excentrique magnat chocolatier Willy Wonka, est invité à pénétrer dans une gigantesque et
monolithique fabrique de confiseries, ne cadrait pas totalement avec les débordements morbides du cinéaste mais à l’aune du virage entamé avec le solaire Big Fish nous abordions le film en confiance.
Délivré par n’importe quel habile faiseur nous conclurions à un honnête divertissement, seulement nous étions convié à visionner un pan d’une œuvre dont l’aura macabre n’a eu de cesse de s’étendre depuis Beetlejuice. Autant les images du futur Corpse Bride nous rassérène quant aux talents du maître autant nous demeurons divisés devant ce nouvel opus qui s’apparente plus à un cloaque atone qu’à une charge fantastique. Certes, tout le bestiaire burtonien affleure (le trauma de l’enfance, le handicap décalé, la profonde amertume terreau de l’émotion, la tectonique burlesque, les dérapages cruels et inquiétants, Danny Elfman à la baguette) mais il peine s’ébrouer sur un script résigné qui se contente d’attendre l’élimination progressive des quatre ignobles gamins accompagnant le mutique Charlie dans son excursion.

Nous sommes un cran au-dessus de Neverland où Freddie Highmore traînait déjà sa face angélique lissée jusqu’à la caricature. Pourtant le plaidoyer confus contre éthique mercantile et éducation laxiste tournant court – quelque chose l’empêche d’aller au bout de sa logique notamment dans la désopilante séquence des écureuils –, le spectateur doit se focaliser sur les soubassements de cette œuvre malade. Derrière l’efflorescence des couleurs acidulés et des décors protéiformes tinte comme toujours la réticence envers la science ou la modernité : le cauchemar mécanique atrophiant l’imagination et la magie de croquer l’existence.
Moins mélancolique qu’oppressante la prison solitaire construite autour de lui par Wonka s’apparente à un décorum, un abîme édulcoré sans âme. Dans ce désert mortifère déambulent des automates-gadgets répliqués à l’infini : les oompah loompas, un corps qui s’estompe. Ils stigmatisent l’aridité de la création découlant d’une absence de rupture et de discontinuité, seules capables de charrier un flux liquide dans un climat gluant de chocolat fondu. Vaine tentative de rejoindre dans les faits (legs père-fils) et la structure (tissu disparate) l’extravagant Big Fish qui jouait habilement des clapotis des songes pour imbiber l’oralité. Purement figuratif Charlie Et La Chocolaterie se réduit à un simple exercice buccal – seul le charisme de Chritopher Lee instille les prémices du conte – incapable d’incarner la tumescence des mots du narrateur à l’origine des images – fièvre de plus en plus indomptable chez l’auteur que l’enluminure des biographèmes. Il échoue ainsi à instaurer une dialectique insolite et errante de réalité et de chimère.

En dépit de la présence d’un chœur propre aux récits homériques jamais les expériences picaresques n’ensemenceront l’innocence du bambin. Tout au contraire c’est Charlie qui propulsera Wonka vers la maturité. La seule inflexion de cette voie rectiligne reste la performance de Johnny Depp. Elle vaut à elle seule le déplacement car elle lui permet de condenser sur son visage – unique zone cutanée visible – l’intégralité de la matière filmique. Cet autiste enchâssé dans ses murs géométriques peut en effet se targuer d’agglomérer le chaos désespéré et magnifique du noyau domestique. A la fois mère – jamais l’acteur n’aura poussé l’androgynie aussi loin –, tuteur pour son jeune protégé, enfant délirant ou grand-père malicieux, il compile l’intégralité d’une famille. Finalement la morale âcre et subversive nous surprend-t-elle à la dernière bobine : l’enfant cynique pour survivre dans son système de valeurs phagocyte avec une frénésie similaire à l’engloutissement de friandises les êtres qui l’entourent. Jusqu’à les enfermer dans son monde, sur une étagère et sous neige artificielle.
Naomi Watts ou l'érotisme feutré
26 Décembre 2005

Les Chroniques De Riddick : grâce féline, liane hiératique
25 Décembre 2005

Catwoman : traverser le reflet
24 Décembre 2005

Chairs de marbre. Immortalisé par la vestale psychotique gainée de cuir Michelle Pfeiffer dans le fabuleux conte crépusculaire de Tim Burton Batman Returns, le personnage azimuté et docile, brutal et langoureux de Catwoman mit plus de dix ans à côtoyer de nouveau la pellicule satinée. Un projet maudit passant de mains en mains, disloqué, maculé et dépecé par une kyrielle de tâcherons incompétents ne parvenant même pas à dupliquer l’imaginaire de l’illustre
cinéaste baroque (Beetlejuice, Big Fish, Sleepy Hollow…) ayant initié le désir sublime et moite striant la singulière épopée du félin de Gotham City. De bas-fonds glauques ou méandres sexuels ruisselants voire simplement d’une dénonciation sociale habilement troussée il ne saurait être question dans le puritanisme prophylactique qui darde ses rayons castrateurs sur les productions frelatées actuelles – écrasons les radicaux libres si vous me permettez cette facétie. Aussi on précipita aux oubliettes le script de Daniel Waters jadis adoubé par le maître, garant de l’identité cinégénique de Batman et consorts. La gangrène déjantée qui caractérisait Selina Kyle (rebaptisée Patience Phillips), jeune femme empruntée et mal fagotée revenant d’entre les morts pour humilier et supplicier un patron bourreau sinon tortionnaire se voit ainsi diligemment éconduite, circonscrite et étouffée – la compression et le resserrement spatial parasités par la mollesse et la soumission aux diktats du divertissement de bon aloi pour un naufrage en «beauté» – au profit de l’universalité désaffectée et proprette de l’image.

Sous couverts de quelles pirouettes scénaristiques désolantes ? Une romance sirupeuse et une vendetta vitupérée vaguement sadomasochiste contre les infâmes cosmétiques qui aliènent les femmes modernes – forcément écervelées. Qualifier les scories pyrotechniques de lambeaux d’intrigue d’une inanité lénifiante et d’une bêtise stupéfiante et nous serions encore loin de la déréliction dans laquelle se débat cette soupe visqueuse et abjecte – l’échappatoire aurait été de se complaire dans la farce distanciée (une cage au roboratif attrait) plutôt que dans un sérieux amidonné et frissonnant. L’ultime outrage de ce soi-disant ersatz matrixien est perpétré lorsque la confection du long métrage échoit au français Pitof auteur d’un Vidocq de sinistre mémoire tant la laideur empesée de celui-ci se révélait indigeste. Ce docteur ès enrubannage corps, trafiqueur d’images sèches et stériles malgré une lubrification à satiété, se révèle ici seulement capable de secouer maladroitement son shaker de caméra dans une danse fastidieuse, un lifting timide, d’une abyssale médiocrité. Illisibilité et opacité des angles de vues, personnages caricaturaux en apnée et à la peau de lézard – nous refusant de pénétrer leurs âmes, toujours le syndrome indu de son premier film –, petits emprunts chez Tim Burton ou au mentor Jean-Pierre Jeunet, tout concourent pour le cinéaste-roquet au renoncement répugnant de l’identité baignant dans une succession de clips traversés de courants d’air. Un flux grégaire catatonique et haché tout bonnement rétif à la moindre incarnation salutaire – le costume sombre et la peau de l’héroïne n’effleure jamais la noirceur spirituelle. Loin de l’humanité ou du questionnement sur la place – dans la polysémie subséquente du terme – du héros qui catalysaient les éléments de Spider-Man 1 et 2 nous tendons inexorablement vers les récifs détachés et niais de Dardevil. Pourtant, contrairement à Ben Affleck, Halle Berry, perle noire adepte du fétichisme français après le mitigé Gothika de Mathieu Kassovitz, ne se résoudra jamais à se laisser tomber dans le vide (la distance), ses griffes et son déhanchement outrancier, soit son instinct de survie, la retiennent immanquablement dans son plongeon vers l’Enfer lubrique.

Dualité pataude. Le propos se construit dans une binarité analogue, travaillant le motif du double pour embrasser la seule idée de mise en scène, la traversée et la matérialisation du reflet (la maison aperçue dans les vitres d’une architecture survolée platement). Nous y retrouvons les obsessions pathétiques des larcins de Vidocq, la captation et le vol de l’image, avec ces photographies qui enferment le personnage, tendu à l’extrême en comparaison à la turgescence masculine malade, de Sharon Stone – unique attraction grinçante d’un manège flapi. Des reliques décantées et déshumanisées de son passé, auxquelles elle se raccroche avec un désespoir sadique et pervers, mieux une allégeance servile prix de sa beauté dérobée au continuum. Nous touchons là au problème tonitruant de Catwoman : son corpus duplice, dégénérescent.
Car contrairement aux écrits de Bazin rien ne se détache en l’occurrence des corps filmés par Pitof, sinon des écailles mortes qui transfigurent les enveloppes charnelles en croûtes obsolètes interdisant l’émancipation des âmes – sont-elles encore là d’ailleurs ? – ou simplement leurs vibrations. L’occasion de souligner que Tim Burton faisait naître une sensualité physique grâce à l’absence d’un corps entièrement recouvert de latex opaque et d’une surface cutanée éthérée qu’il ne montrait qu’avec une extrême parcimonie. Michelle Pfeiffer s’y trémoussait en une sorte de trou noir cannibale attirant tout ce qui pouvait se présenter dans son voisinage létal. La confrontation constante des deux surfaces du masque s’insinue jusqu’à la couleur de peau – la ductilité de celle-ci est une idée délicieuse malheureusement avortée – de ces deux femmes l’une à l’orée de sa vie sexuelle (noire) l’autre à sa terrifiante conclusion (blanche). La charge est lourde mais le propos vide.

Si les deux entités diffèrent dans leur présentation (l’apparition du costume affublant l’héroïne est convaincante) on regrettera que le réalisateur n’ait pas poussé plus avant ses choix artistiques pour les opposer au gré de deux modalités stylistiques dissemblables. Il demeure piteusement dans son registre étriqué, saccadé et agité détonnant avec les ballets musculeux récents des Chroniques De Riddick qui mariaient merveilleusement décadrages sauvages, célérité et suspension aériennes pour un nouveau paradigme du cinéma d’action virtuose et imaginatif. Miné par son absence de choix, cette vasque insipide et grotesque pêche jusqu’au legs d’un certain sex appeal, la mécanique du désir restant froide, grippée. La sobriété résignée préférée à l’ivresse hédoniste d’un Spider-Man 2 par exemple. La cage de la beauté et de l’insouciance est tellement expurgée qu’elle finit par inoculer à l’ensemble les bacilles du mal contemporain, le virtuel. Rien n’y existe que ce soit de manière somatique ou spirituelle, noyé dans les mouvements, les flottements scratchés d’une figure récurrente et inepte. En bref, un cliché d’une société qui tend irrémédiablement vers l’uniformisation et la cancérisation. Et ce n’est pas le moindre des indices que l’actrice chevronnée récipiendaire d’une gloire passée meurt de contempler sa face sans enduis. Pour le meilleur ou le pire, elle vient de traverser son reflet, en transit sur une litanie ambiguë : «Patience et longueur de temps…».
24 : l'art du come-back
23 Décembre 2005

Les Yeux Clairs : Desquamation de l’adhérence
13 Septembre 2005

Dans Les Yeux Clairs, Fanny est une trentenaire lunaire et frêle, aux désordres mentaux qui l’ont conduite à fréquenter longuement les hôpitaux psychiatriques. Elle vit chez son frère instituteur, mi-vertueux mi-hostile, et sa belle sœur qu’elle découvre adultère. Dès lors la cohabitation glisse lentement vers un conflit ouvert et oblige la jeune femme à se lancer sur les routes avec comme destination l’Allemagne et la tombe d’un père étranger. Arrivée sur place elle se liera avec un
bûcheron austère et isolé pour une idylle mutique et salutaire.
En 2002, un premier film nous chavirait. Simplicité, concision et sensations feutrées se mêlaient dans les mèches du Chignon D’Olga pour une osmose totale avec le spectateur, faisant vibrer les charmes vivaces d’une adolescence révolue. Schématiquement le cinéaste Jérôme Bonnell choisit de poursuivre l’introspection tout en retenue initiée alors. Sous une obédience naturaliste, des notes de musiques sur fond noir ouvrent et closent identiquement le récit, le protagoniste principal aime toujours caresser le clavier d’un piano tandis que les intérieurs beaucerons revêtent les mêmes atours étouffants et cendreux pour mélanger intimement lumières et corps. La rupture est à nouveau reliée à la disparition refoulée d’un parent (le père après la mère), mais au lieu de s’arrêter sur les retrouvailles timides – la pesanteur apposée au manque qui s’estompe – il s’épanche ici de manière ramassée sur l’embellie, forcément éphémère, qui s’ensuit. Selon les principes édictés dans son précédent opus, le réalisateur profite d’une ode au corps féminin – la mise en scène du coït, d’une pudeur magnifique, permet de percevoir l’effleurement des deux épidermes – pour observer les interactions vue-ouïe. Il s’agit d’écouter le silence pour repousser l’avancée inexorable du temps et assujettir les déviances de l’œil à un simple fragment : un cadre le plus resserré et le moins incriminant possible.

La nouveauté dans cette forme de narration suspendue ? L’achoppement sur la notion même d’interstices imprévisibles (les décrochements inquiétants de l’héroïne), de limites infranchissables (géographiques et linguistiques), de cloisons dispersées (mur d’une chambre, couverture, vitre de voiture…). Au sens topologique du terme, Jérôme Bonnell nous attire dans l’adhérence de son ensemble, entre le fermé et l’ouvert, pour surligner la traversée d’une frontière et l’approbation de son univers par la nymphe effarouchée. La pathologie n’est de fait aucunement ce qu’il souhaite dépeindre, simplement la manière dont Fanny fait face à ses troubles ou conduit par son corps les désordres que le filmage lui procure. Car le personnage mal fagoté aux lunettes castratrices, campé avec maestria par une Nathalie Boutefeu en parfaite symbiose avec son réalisateur fétiche, génère angoisses et maladresses en réponse à sa position centrale dans l’image. Elle n’est jamais plus sereine que présentée de profil (d’infimes rides parcourent son visage), libre de faire l’expérience du deuil, de la perte.

L’objectif mortifère qui la traque dans un espace carcéral (rues ankylosées et désertes du bourg) est polysémique : malaise, maladie ou tutelle au choix. Toujours est-il que ce conte-diptyque – l’iconicité et le manichéisme des Frères Grimm a fortement marqué l’imaginaire enfantin du caractère principal – se fait faussement initiatique. Une fois la quête accomplie, la vacuité reprend peu à peu ses droits (le ruisseau rappelle la nécessaire évolution). Survient alors la dernière scène, Fanny reprend le volant mais ne tarde pas à freiner brutalement devant un vaste paysage inhabité et l’immensité des possibles – orphelin des lignes directrices balisées du Chignon D’Olga. La caméra fond sur elle semblant la forcer à se décider, à avancer vaille que vaille. Le sursis échu, il lui faut continuer sa vie mais vers quoi se tourner tant les bifurcations demeurent absentes ? Comment rassembler le courage de prendre le prochain et unique virage, tétanisant ? Gageons qu’avec son élégance figurative, le jeune cinéaste nous apportera une stimulante réponse dans sa prochaine réalisation.
Molly Parker : l'embaumement de la transcendance
13 Septembre 2005

Pédant et creux
12 Septembre 2005

A la longue cela commence à m’irriter. De voir palabrer ou déblatérer certains critiques télévisuels – le summum est atteint à l'antenne de Canal Plus – sur la sortie de Collision est proprement affligeant. Pas pour les idées ou les avis développés – aussi pertinents soient-ils ils n'engagent qu'eux – mais simplement parce que l’argumentaire se voit bridé par le fait qu’ils ne font qu’asséner à longueur de phrases la condition de scénariste de Million Dollar Baby de Paul Haggis.
Or il est déjà passé derrière la caméra à de nombreuses reprises, notamment pour les séries qu’il a créées : Due South et EZ Streets. Je ne saurais donc trop conseiller à ces personnes de parfaire leur conscience professionnelle en visionnant quelques épisodes qu’il a écrits et mis en images. Ils y trouveront une manne inépuisable d’interprétations et de références pour la musicalité de ce long métrage choral.
Peindre Ou Faire L'Amour : Nuit d'encre, nuit câline
12 Septembre 2005

Dans Peindre Ou Faire L’Amour l’univers des Larrieu s’affirme résolument comme une naturalisation chamboulée, un retour déluré à l’état sauvage. Cette excursion pastorale extravagante travaille en effet l’action d’investissement des êtres par un paysage auquel chaque travelling transitoire, rai de lumière fourbue ou frêle brise insuffle une rythmique, une perméabilité, une rondeur musicale (bruits pullulant lors du générique de fin) ou une
pesanteur aussi intemporelle que troublante. A l’instar du précédent film de la fratrie, Un Homme un Vrai, le suave panorama se substitue aux corps incertains – subtil travail de contre-jour par lequel chaque interprète devient forme sombre et difficilement distinguable – pour asseoir la parade sereine d’un couple se redécouvrant.
L’oscillation ou la régression du désir est au cœur des préoccupations des cinéastes, aussi l’installation des époux préretraités William (Daniel Auteuil rassurant) et Madeleine (Sabine Azéma fraîche et mutine) dans la campagne grenobloise – paradis enclavé et bucolique –, entraîne immanquablement une sexualité ragaillardie. Cocasse montée de sève qui articule un bouleversement croissant, lequel se cristallise autour des amants voisins : un maire aveugle, Adam (Sergi Lopez épicurien détaché), et une ancienne guide d’avens, Éva (Amira Casar à la sensualité hors normes). Pourfendant le cadre propret du couple bourgeois la dynamique de ce ménage atypique amorce, par les échanges qui en découlent, l’ouverture absolue au plaisir.

Ravissement sexuel et jouissance de l’œil sont les deux pans de la succulente dérive d’une paire succombant au voyage originel vers la volupté – lourde allusion des prénoms bibliques. Profondément romanesque la narration d’embarrasse de peu de vraisemblance ou de logique, la promenade extatique prévalant de beaucoup sur l’évolution dramaturgique. Il s’agit ici de déconnecter, avec ambiguïté, la vue des autres sens pour en souligner la complémentarité. Notamment lors de la séquence nocturne où Adam guide William et Madeleine jusqu’à leur demeure, l’écran reste irrépressiblement noir et en dissociant paroles ou bruissements des sensations visuelles l’iconoclaste long métrage et l’artiste qui l’habite, se libèrent brutalement.

L’habillage impressionniste issant, entre raccord-aplat et forêt-toison, adoubait les accointances de l’observation et de la création ; mais le peintre ne saurait se contenter de suivre le sentier initial, à la blanchâtre évidence, ni demeurer immuablement sur son promontoire ou ses préjugés moraux – jeu sur le cadre et l’architecture du lieu. Pour se remettre en cause il lui faut expérimenter, goûter pudiquement de la splendeur d’un corps offert. Corollaire de ce discours, un modèle n’accède à la plénitude qu’une fois traversé par la lumière, comme le démontre le déshabillage d’Éva devant une Madeleine émoustillée. Regard posé sur la pure beauté : celui qui subsume les fragrances, le tactile et l’expérience des saisons se succédant sur une enveloppe émouvante – le récit se décompose en trois temps exponentiels, la renaissance, l’adolescence et ses pulsions inavouées et enfin l’âge adulte à l’hédonisme assumé. La captation d’une essence résidant dans le passage évanescent, l’action d’une nature en perpétuel mouvement. Un frisson, une branche qui dodeline ou une pluie abattant les remparts pour une étreinte charnelle, voilà les émois striant les contrées des Larrieu. Régions où nous nous laissons emporter par la volonté farouche et espiègle d’inverser et de décortiquer les signes, afin de nous réapproprier notre réalité.
Too Much Flesh : l'imprégnatrice enchantée
12 Septembre 2005

Alexandre : Hagiographie hallucinée
11 Septembre 2005

Que se passe-t-il quand un cinéaste féru d’histoire, de surenchère et de destins épiques se collette avec l’Antiquité grecque et le Grand Alexandre ? Un long métrage sublime et outrancier, météore halluciné qui désarçonne le spectateur, l’horripilant par sa lourdeur grotesque ou le charmant par son syncrétisme vénéneux. D’une puissance plastique homérique servant magnifiquement sa virtuose fluidité, l’entité ne sacrifie en rien à l'esthétique péplum, aux
condensés de mythes post-modernes façon Gladiator (pour le meilleur) ou Troie (pour la lie honteuse) si ce n’est la sempiternelle trajectoire de la chute.
Pourtant, plus qu’une ascension ou qu’une déchéance, c’est bien le motif de l’absence qui travaille les soubassements de la fresque et des fastes se chassant mutuellement, subtilisant jusqu’à l’assise dramaturgique. L’amputation résultante – origine de la surabondance compulsive du réalisateur – se cristallise en un héros hébété, aux formes imprécises, ne semblant jamais être raccord avec son temps (Nixon, Platoon). Il déambule dans une transhumance absurde (Les Doors) comme prisonnier d’une stase céleste et opiacée, sans affect ou attention pour le visionnant – devant Alexandre confronté aux cimes enneigées ou ce même mégalomane dans une posture sectaire rappelant la Piéta, nous nous remémorons un Tom Cruise terrassé, crucifié sur sa chaise roulante, dans le paysage désertique de la nature impétueuse.

L’embellie psychanalytique du script – fuite du suzerain devant une mère harpie au regard incandescent (amour incestueux et ombre terrorisant Bucéphale) pour une impossible réconciliation (nouveau parricide) avec son rustre de père ou son divin géniteur – précipite le lyrisme bouffi du colosse dans une béance en perpétuel mouvement – supplice prométhéen –, et ce afin d’adhérer à la cosmogonie d’une carte-mosaïque. L’imaginaire délavé du despote sculpte ainsi un territoire spatio-temporel auquel manque la profondeur, l’intensité. Privée de stabilité l’œuvre se désagrège en permanence. Et de cette autophagie découle l’impérieuse nécessité de conquérir pour s’étancher à la cataracte de la différence et de la régénération. Ce n’est alors pas un hasard si Oliver Stone nous refuse l’accouchement originel du souverain (la séparation mère/fils et l’accès au trône) pour le faire ressurgir dans les replis dépités de la dernière partie. Clarté du sésame : la rémanence de l’empreinte parentale frappe du sceau de l’infamie une progéniture stupéfaite.

Suite à ce frontispice entêtant, le film oscille entre deux pôles abjurés. Les deux batailles splendides, l’une majestueuse (vision stratégique privilégiée par des plan aériens) l’autre répugnante et sanglante, en sont le reflet le plus ambitieux. Suivront les appositions puérilité/maturité, hypocrisie/sincérité, ascèse/veulerie, aigle/serpent, cheval/éléphant (iconicité politique ?) et surtout mâle/femelle. En bref, les parents et leurs instincts ataviques transmis, au premier rang desquels l’animalité dans la rage (du coït-combat) pour l’homme ou la scélératesse (de la vengeance) pour la femme. Que le sexe fort bascule dans la transgression et l’androgynéité tandis que la mère se meut en un fauve imprévisible – Angelina Jolie en Gorgone Méduse forcément exagérée – braillant de fureur sur un tapis princier en dit long sur l’impossible réconciliation d’une psyché ébranlée. Celle de l’artiste avant celle d’Alexandre d’ailleurs, revenu de la féminité callipyge de U-Turn ou de la testostérone bourrée aux amphétamines de L’Enfer du Dimanche. Un vaste chaos dionysiaque – scarifications comme autant de pistes narratives gluantes – et amoral, où le gigantisme boursouflé de l’hagiographie côtoie l’intimité emmitouflée du scribe, pour un cinéaste qui n’a de cesse d’abhorrer l’abstraction pour mêler le fœtus-messie à son placentas (trip extatique et carminé imbibant le cadre), la mort à la vie. L’urgence, l’inanité et la brutalité d’une naissance, ni plus, ni moins.
Question de perspective (VII) : Spielvan & Fallen Angels
11 Septembre 2005

Chloë Sevigny : les sphères de la sensualité
11 Septembre 2005

Les voix polymorphes
10 Septembre 2005

Suite à la vision des premiers épisodes du Messager Des Ténèbres sur Canal Jimmy de singulières correspondances s’affirment. Certes la genèse télévisuelle ne se pratique que par emprunts, distorsions des références (cinématographiques, picturales, littéraires…) ou comme le trahit le titre original de la série par la collection hypocrite de différentes âmes motrices. Mais la plage est bien mince entre plagiat et
exception culturelle. Ainsi parvient sur nos écrans la version américaine du british Touching Evil tandis que le canadien The Collector, qui nous intéresse pour l’heure, reprend à son compte une large proportion de la dramaturgie du fulgurant Brimstone. Eternel recommencement d’un média syncrétique qui, s’il aspire à la philosophie bouddhiste, ne ressasse qu’inlassablement ses fondements moraux et théologiques judéo-chrétiens. Artifice fumeux lorsque l'on comprend que ces salmigondis religieux l'intéressent beaucoup plus en tant que moyen creux qu'en tant que finalité porteuse de sens, une exonération à l'inverse des préceptes de Kant en somme.

Le début et la fin, l’alpha et l’oméga qui rythmaient la meilleure partie de Millennium s’étiolent de Joan Of Arcadia au Messager Des Ténèbres. Il s’agit des même psaumes binaires ou versets psalmodiés mais par des structures ou des organismes légèrement discordants. Le propos demeure ainsi identique quand le phrasé s’affaisse pour saigner doucement. On passera outre le symbolisme du téléphone portable déjà mis à rude épreuve dans 24 pour se focaliser sur le continuum de la parole, idoine à la préservation du corpus iconophobe. L’enseignement par la facétie préside aux destinées de Joan et Morgan, mais la première en est aux balbutiements de sa mission tandis que l’autre à des siècles de recul. Elle est malléable, perméable aux incarnations choisies par Dieu, tandis que lui, cynique et désillusionné, en vient à se méfier de son prochain, véhicule possible pour un Diable tourmenteur. Et quel meilleur ambassadeur qu’une innocente gamine, quoi de mieux que l’attendrissement pour souligner les abysses entre le paraître et le dit d’un professeur ambigu.

En matière d’écriture, la métrique se déploie de manière sensiblement différente, et si la première saison de Joan Of Arcadia – et son exposition mémorable des personnages – fonctionne à merveille celle de son homologue canadien est plus abrupte, basique et sans aucun charme, comme estampillée produit bas de gamme (premières saisons d'Higlander). L’idéalisme apposé à la résignation : aux deux bornes des shows un délaissement patent des corps aisés à vampiriser, les deux héros ont un physique des plus commun, oubliés en une fraction de seconde et ce qui persiste durablement ce sont leurs voix. D’ici à dire que cette scansion vaporeuse aspire progressivement – bondissant de fiction en fiction – à la divinité il n’y à qu’un pas. Si ces mots immatériels le franchissent ce sera à cause de nous, spectateurs dévots en quête de la caresse, parfois guimauve, d’une rédemption salutaire. Le verbe résiste en permanence à l’hémorragie, fédérant spectateurs et acteurs en une congrégation hétéroclite et interlope, d’où l’extravagante déconvenue de l’expérience Nowhere Man sur lequel nous nous penchions récemment et qui abhorre avec pugnacité et de façon irréductible le concept même d'oralité. Tom Veil jouait, lui, vraiment avec le feu.
Le Plus Bel Âge : de l'abstrait concret au concret abstrait
09 Septembre 2005

La Neuvième Porte : La beauté du Diable
23 Août 2005

Si il y a bien un moment d’anthologie dans le mésestimé La Neuvième Porte c’est celui de la copulation ardente et à même le sol d’avec Lucifer, pratiquement un viol devant des flammes infernales. Toute la fascination pour le Mal qui nervure l’œuvre de Roman Polanski y trouve un exutoire pour le moins ostentatoire. Derrière la gabegie guignolesque sinon bouffonne de son histoire, le cinéaste distille ainsi avec insistance la notion d’écho laconique entre l’état de vilenie
morale des protagonistes et la pureté véritable du diabolicisme qu’ils désirent pieusement ou compulsivement – parfait comme une enluminure rescapée des siècles et du léchage des torchères du destin. Cet idéal dépeint avec cynisme ou ironie – nous serions les ténèbres tant nous les appelons de nos vœux ou les chérissons avec empressement – se double d’un malaise sexuel exacerbé par les fondements judéo-chrétiens narrés. Achoppant plaisir et jouissance le réalisateur enrichit Rosemary’s Baby et accentue un dégoût visuel pour l’acte charnel. Le traitement de Lena Olin a ceci d’exemplaire que son avidité physique (baiser barbare et jarretelles noires) la change en prédatrice féroce assoiffée de corps léthargiques et de coïts pugilistiques.

Mais le thème de la doublure ou du jumeau transcende la rémanence empreinte de culpabilité de la couleur rouge pour permettre au film d’atteindre un statut hybride – ou quand le visage de Corso ne se limite plus à un seul profil. Sous une lumière pâle et ambrée – crépusculaire par fulgurances – la vaporeuse et vénéneuse Emmanuelle Seigner étend imperceptiblement, avec placidité, son aura méphitique en résistant aux limites du plan, s’immobilisant parfois comme dans la scène du train. Ange gardien de la transgression elle nous imprègne dans une félicité indéniable. Et si elle en tire une extase inendiguable et menaçante – dépravations, frustrations et fantasmes flottent sur son visage –, nous souffrons, comme le héros vénal, de notre incapacité à y adhérer ou à y répondre avec la même exaltation, limpide et décomplexée.
Question de perspective (VI) : Nowhere Man & Tru Calling
22 Août 2005

Nowhere Man : L'envers du décor
22 Août 2005

En matière d’écriture télévisuelle nous analysions récemment les procédés de Glen Morgan et James Wong qui agglomèrent autour d'images prégnantes des histoires et des personnages ancrés dans la banalité. Ils établissent ainsi un édifice structuré par des dialogues percutants résistant à l’évanescence du pur graphisme. Antithétique est l’approche de Lawrence Hertzog pour Nowhere Man. L’intrigue alambiquée et fumeuse d’effacement d’identité s'envisage
uniquement comme un hôte chancelant pour des errements progressant par vagues visuelles – la preuve en est le diptyque final, « Marathon » / « Gemini », impressionnant formellement mais qui échoue orgueilleusement, à force de multiplication grotesque des pistes narratives, à réorganiser la cohérence du scénario de la série. Et les paroles de se raréfier à l'extrême, jusqu’à la disette au profit de dérisoires mouvements rythmés par quelques notes métalliques et cristallines de Mark Snow – loin de la prévisibilité des héros cathodiques classiques (« Pris Au Piège »). Un tel aplomb dans la mise en scène débouche sur une durée élastique, insolite : nous expérimentons une expérience de fuite circulaire – sa personnalité brouillée Tom Veil revient sans arrêt sur ses pas – , asséchée, oppressante et étonnamment mutique. Sensorielle et gestuelle (« Au Cœur De La Nuit ») la fiction ne saurait être picorée en dilettante et nécessite l'implication permanente et l'attention totale de l'œil du spectateur désarçonné pour délivrer les clés de son mystère.

Le héros renfrogné révère la photographie argentique, de celle qui cautérise l’instant, pétrifie les êtres dans une pose immanente – analogie esthète dans la séquence d’ouverture au célèbre tableau American Gothic. De fait, arguant son point de vue perturbé la réalisation va ponctionner chaque élément du cadre (architecture, protagonistes, géographie…) et frayer avec eux. Non par une conversation consciente mais par l’oblitération de certains dogmes narratifs inhérents au petit écran. Pour vitupérer son harpie d’épouse Alyson, Tom n’a de cesse de la faire réapparaître dans son environnement – par flash-back en noir et blanc et torves réminiscences (le mémorable « Haute Trahison ») – pour la confronter aux femmes exceptionnelles d’amour ou d'affliction qu’il rencontre (« La Rencontre », «Terre Hostile »), ou simplement enrichir sa réflexion schizoïde sur la confiance (« Usurpation »). Sa manière de dialoguer avec la taupe de l’organisation qui le tourmente grâce à un agenda numérique (« Le Dissident ») participe de la même déviance, chaque argument de son interlocuteur se change en un chapelet d'images phagocytaires qu’il doit subir en guise de réponse afin de faire rebondir l’échange. Téléfiction ambiguë et anarchiste, négative et alarmiste, Nowhere Man ébranle en permanence l’ordre établi en redéfinissant la dialectique (scansion du montage) et en se colletant non plus avec l’insaisissable punctum défini par Barthes, mais avec le studium, la mémoire acquise et non innée (l'animation, le trajet spatial des membres...) qui l’assoit. « L’Envers Du Décor », clé de voûte du show, est à ce titre hautement symbolique puisque le héros s’attaque symptomatiquement à la crédibilité du cliché – ainsi qu’ à l’objectif qui le filme – qui a bouleversé sa vie. Circonscrire le subliminal en creux relégué de coutume dans les tréfonds maussades devient son sacerdoce (« Images Subliminales ») ou comment déconstruire la matière des souvenirs en contournant le décor et en décantant l’action de tout élément inculqué, parasite (« Au Cœur De La Mémoire »).
Question de perspective (V) : Maximum Bob & The Sopranos
21 Août 2005

Question de perspective (IV) : Kindred & EZ Streets
21 Août 2005

Projet...
20 Août 2005

Je m'attelle à un projet de scénario et de découpage pour une éventuelle collaboration sur une bande-dessinée. L’occasion de me replonger dans une kyrielle de références avec en particulier le personnage de Musidora dans Les Vampires de Louis Feuillade – ou sous les traits de Maggie Cheung dans Irma Vep – et l'ambiance début de siècle de Fushigi No Umi No Nadia de Hideaki Anno. Je suis en train d'épurer l’intrigue et espère vous faire part des développements sous peu.
Question de perspective (III) : Nestor Burma & Due South
20 Août 2005

Question de perspective (II) : Profit & American Gothic
19 Août 2005

Twin Peaks (II) : Une onde embuée œil-lèvres
19 Août 2005

Les interprétations et les obsessions pullulent dans le richissime Twin Peaks. D’un fétichisme euphorisant à un ésotérisme kitsch la série embrasse, et comble d’aise, tous les compartiments de l’imaginaire d’un spectateur hypnotisé. Récemment une nouvelle particularité du show m’est apparue : le flux cérébral, de l’œil à la bouche. Dans un précédent post je présentais la correspondance entre la pupille filmée et enregistrée de Laura Palmer sur laquelle
zoome l’agent Cooper dans le pilote et la bouche de Donna finissant par accaparer tout l’écran dans l’épisode 16 lorsqu’elle lit à haute voix l’ultime page du journal de la défunte. De la perpétration du meurtre au segment qui voit l’incarcération de l’ignoble et pleutre désaxé subsiste un hiatus nébuleux, celui de la naissance et du cheminement des pensées escortant l’intrigue, comme en stéréo. Evidemment la scène du neuvième opus où Donna et Maddy chantent de conserve est un bréviaire de la métaphysique lynchienne. Occupées à susurrer inlassablement quelques vers naïfs sur l’amour, le drame se niche dans le regard (entreprenant pour l'une, désemparé pour l'autre) que chacune d’elles portent sur un James hors-champ, à la guitare. L’interprétation récalcitrante de leur vision-sentiment désynchronise leurs voix et le mouvement de leurs lèvres-passion transcrit intensément leur trouble intérieur.

Sheryl Lee et Lara Flynn Boyle ne sont pas les seules actrices-orchidées qui bénéficient de ce traitement étonnant. Sherilyn Fenn dont le personnage d’Audrey est sujet à bien des évolutions au cours du récit est l’un des principaux piliers du système. Mieux elle est, durant la première saison, le récipiendaire de l’acte organique dérivant de la réflexion sur la rétine. L’héritière Horne incarne l’œil-espion, l’apatride qui gravite dans les murs poreux pour surprendre geste ou parole et aussitôt l’assimiler. Ces données lui servent dans un plan réfléchi, son enquête, ou plutôt sa sérénade orchestrée pour l’agent spécial du FBI. Ainsi elle parvient à se dépêtrer de la tenancière coriace du bordel canadien en usant de son intelligence irisée acquise par la vue et la lecture. Et cet agissement passe par la bouche, ou comment nouer une queue de cerise avec sa langue. L’œil-collecteur nourrit le raisonnement et enclenche la dynamique de la bouche-action. Ironie du sort, l'interprète finira sa mue juste après l'arrêt de la série en devenant une femme-tronc pour Jennifer Lynch (Boxing Helena).

Il est acquis que dans le purgatoire de la Red Room les dialogues sont enregistrés à l’envers puis jetés en pâture au spectateur en sens inverse de telle sorte qu’il puisse avec ferveur reconstruire les paroles. Il en va de même de l’émergence cognitive. Ainsi Dale Cooper et Laura Palmer se font face, et la jeune femme vient déposer un doux baiser sur les lèvres fatiguées de l’homme avant de lui murmurer à l’oreille l’identité de son bourreau tandis qu’il fixe béatement un point éloigné du décor. Pour notre héros tout débute donc, contrairement à Audrey, par le goût du concret qui engage délicatement la projection de ses déductions oniriques sur les rideaux écarlates qui l’enserrent. De la sensation de réalité (bouche) naît l’imagination (œil unique avisé) et par la suite se manifeste, en une expiration, la résolution escomptée de l’enquête.
Tru Calling : archanges et dystopie
18 Août 2005

Question de perspective (I) : American Gothic & Twin Peaks
18 Août 2005

The West Wing : vox populi, vox dei
18 Août 2005

Un mot est mort quand il est dit
Disent certains –
Moi je dis qu’il commence à vivre
De ce jour-là

Emily Dickinson

The X-Files : Ecriture graphique
17 Août 2005

En plein revival des quatre premières saisons de The X-Files, et suite à l’analyse menée sur The Others, la singulière écriture de Glen Morgan et James Wong s’impose doucement. Outre la propension à ancrer leurs intrigues dans la banalité (appartements en désordre, servitudes culinaires…) – ce qui permet de développer une profonde empathie avec des personnages tangibles – et à laisser la musique couvrir les débordements sauvages des êtres, il est sidérant
d’observer le processus d’agrégation enclenché par une initiation intrinsèquement graphique. Les scripts de la paire participent de la réaction à un flash (image de télévision, fait divers obsédant, photographie d’une autre époque…) et s’accompagnent d’un syncrétisme maladif. Dans « La Main De L’Enfer » c’est ainsi l’image prégnante d’un serpent géant qui les a incité à élaborer une provocante incarnation du Diable en professeur de biologie revêche, un tatouage et un incinérateur soutiennent à eux seuls la dérive de « Jamais Plus », l'épanchement d'insecticide inaugure « Mauvais Sang » et que dire de l'atmosphère gore de « La Meute » rythmée par un reportage digne du National Geographic ! La culture télévisuelle hante chaque seconde de leurs scénarios, irriguant l’imaginaire exsangue qu’elle a contribué à aliéner. Usant semi-consciemment du tube cathodique – équarisseur et astringent – le duo parvient à inventer un simulacre d’originalité, en ce sens qu’ils habillent leurs récits d’atours légèrement dissemblables des canons usités de coutume. Résultat, un parallélisme imperceptible mais revigorant comme dans le déconcertant « Coma » où toute action et dramaturgie sont diligemment proscrites au profit d'une introspection onirique.

Néanmoins ce type de style est rapidement acculé à un épineux problème car il est astreint à une progression inéluctable, sous peine de sclérose. Pour le meilleur ou pour le pire les auteurs doivent avancer, enlacer ou ébranler avec une tendresse énamourée leurs spécimens (« Les Vampires » ou « L’Homme À La Cigarette ») avant d'immoler la bible du show. Abhorrant le ronronnement, le détachement et la sécurité, la recherche d’évolution ou de régression réduit à néant la capacité de créer de toute pièce. Faut-il y voir la cause des échecs de la plupart de leurs univers personnels (Space : Above & Beyond par exemple) et l’arrogant succès de leurs pléthoriques remakes (Willard ou « Projet Arctique » duplicata du The Thing de John Carpenter, lui-même réplique d'une réalisation passée) ? Ces deux auteurs ont reçu le don de malaxer les références, de reprendre n’importe quels codes pour instantanément les faire leurs, nous les reproposer sous un angle différent, ré-animé.
Comment interpréter alors le phénomène de clan qui les touche ? Pour endiguer ou supplanter la nécessaire fuite en avant – la symbolique des colons d’un proche Far West parasite leur œuvre – Glen Morgan et James Wong s’entourent d’une véritable caste rassurante (poignée d’acteurs et équipe technique), en orbite. De fait les mutations narratives n’invalident plus les corps, la mise en images leur conférant même une aura de rumeur bénigne. Evoluer sans pour autant changer, jouer de la thématique de la boucle, prospecter les marges : éternel, paranoïaque et vain recommencement qui culmine dans « Le Pré Où Je Suis Mort ».
Twin Peaks (I) : l’œil-vidéo, la bouche-récit
17 Août 2005

The Others : Du coin de l’œil
16 Août 2005

On aurait le sens de la litote en affirmant que la série The Others n’eu pas le succès escompté. Lancée sur NBC à la rentrée 2000 avec grands renforts publicitaires et sous la houlette de Steven Spielberg, elle fut annulée au bout de seulement 13 épisodes. La faute à un concept mal établi adjoignant une cohorte de médiums sous l’égide du charismatique Bill Cobbs. Il suffit en effet de se référer aux aventures spirituelles de Patricia Arquette officiant depuis janvier 2005 sous la plume de Glenn Gordon Caron pour comprendre l’étendue du fourvoiement. La réalisation n’est pas
en reste, d’une platitude ineffable et impersonnelle elle n’octroie que rarement l’espace nécessaire au développement des intrigues. Tobe Hooper, le plus reconnu des cinéastes associés accouche de « Souls On Board », un segment apathique et navrant nous faisant amèrement regretter que l'on ait cantonné au cliffhanger double Thomas J. Wright, vieux routiers des shows fantastiques stylisés (Max Headroom, Dark Skies, The X-Files, Millennium, Dark Angel, Nowhere Man, Smallville, Tru Calling...) et expert-caméléon en transcendance cathodique.

L’incurie de la chaîne et des divers producteurs trouve son apogée dans le sabotage de la dramaturgie ciselée des showrunners Glen Morgan & James Wongdont le second affûte graduellement ses talents de metteur en scène. En effet, chacun de leur scénario participe à une dynamique de construction de liens et de correspondance de motifs (lieux, chiffres, musiques…). Ils dynamitent ainsi le concept naphtaliné pour se l’arroger et induire un véritable dispositif. De fait, placer leur premier et magistral épisode, « Luciferous », en sixième position relève de l’hérésie puisque cela annihile totalement la déstabilisation de Marian – encore désolidarisée – et enferre le travail sur la périphérie entamé avec la scrutation anxieuse et réciproque d'un torve papier peint et de voyants dépassés. Leur manière d’aborder les éléments de la congrégation spirituelle procède de la prospection des marges (l'aveugle atrabilaire, le faible d'esprit scribouillard, la cartomancienne farfelue, le professeur binoclard…) en jouant des cadres, de la rythmique, des distances. Et, dès lors, les héros se bornent à décrire, à raconter ce qu’ils distinguent à grand peine : une ombre tremblante ou immobile sur les vagues contours de leurs cornées. « Eyes », le second script du duo, enfonce d’ailleurs le clou en accolant les figures de l’œil et de la lumière avec les manifestations térébrantes et sombres des limons de l’au-delà.

Glen Morgan et James Wong ont cette particularité d’inscrire profondément leurs histoires dans la trivialité du quotidien, en exacerbant les détails insignifiants (les us et coutumes du mariage) ou les croyances ancestrales (la conservation des aliments par le sel) et en saupoudrant le tout de suaves mélopées fifties et sixties du meilleur crû. Les personnages s’incarnent alors aisément par leurs manies, leurs mélancolies cadencées et leurs angoisses lancinantes, du passé (« Till Then »), du présent (« 1112 »). Habilement tressées et vrillées d’un doux défaitisme les aventures des médiums sont toutes entières contenues dans le diptyque « The Ones That Lie In Wait » / « Life Is For Living ». Soluté saisissant, ces 80 minutes voient l’exécution de chaque membre de l’équipe, par ses propres désirs infatués et selon un plan fomenté rigoureusement par un démon Rabisu maintenu perpétuellement en position de voyeur et campé par une Kristen Cloke abominable de férocité appliquée.
Son apparition impavide et pluvieuse, ses poses attentives et enrubannées objurguent la frimousse tachetée et la présence incertaine de Julianne Nicholson. Et que dire de la représentation imprégnatrice de ses yeux pourpres, prospecteurs d’âmes, au travers du judas de la bâtisse d’Elmer ? Proprement dérangeante. Force limpide de son regard inquisiteur – bien plus troublant que les nuées d’insectes virevoltants – que de briser l’éparpillement du synode. Réunir les héros procrastinés autour d'une vérité qui s’invite, face à leurs pupilles. Elle n’est plus autour d'eux ou derrière leurs portes, peuvent-ils s’y soustraire ? Survient un périlleux sentiment, entre victoire et défaite (les deux affrontements d’Elmer avec les forces démoniaques) tous semblent expérimenter, par le processus d’intellectualisation de la vision, la maxime de Joyce : « L’histoire est un cauchemar dont j’ai du mal à me réveiller ». Ils ont beau péniblement essayer d’oublier leurs aspirations ou frustrations – et si le choix de ne pas les percevoir était leur véritable don, circadien –, ils sont voués à attendre que les souvenirs ressurgissent, au coin de l’œil : exactement là où ils les ont bannis.
Introït ogre
16 Août 2005

Le quota de bande-annonces assommantes nous étant assigné semble devoir s’accroître tant le formatage nauséeux de la durée ou du cahier des charges ne tolère plus aucune transgression. Aussi, lorsque l’on débusque un trailer ambitieux on aurait tendance à le ressasser jusqu’à satiété. Le montage incisif qui nous intéresse ici se voudrait préambule au long métrage 21 Grammes,
émissaire distillant des bribes filmiques pour nous allécher, nous donner une furieuse envie de nous repaître de sa matrice alambiquée. Le résultat est tout autre : un objet monstre englobant, emmurant et digérant les intrigues avec lesquelles il jongle quitte à railler les propres afféteries d’Inárritu. L’émotion étant générée par la forme, la pulsation lente qui préside à l’entrelacement entêté et constellé des lignes de vies – identiquement à La Jetée de Chris Marker. La splendide partition musicale insuffle l'inertie, la respiration accablée idoine à capter l’infime poids de l’âme. Voici un battement, cardiaque, résistant au glissement voisé, l’achoppant même. Décanté de l’affect pesant cette ba devient expérience interloquée, complémentaire à son parent protéiforme et, toutes proportions gardées, parachève le visionnage en l’enrichissant. Si les producteurs pouvaient s’en inspirer pour briser les archétypes mercantiles…
Le côté obscur
15 Août 2005

Suite au post précédent un re-visionnage nocturne de Touching Evil s’imposait. Et dès les deux premiers épisodes une interrogation me taraude. Ian McDermid est-il voué à tenir le rôle de tentateur, de catalyseur pour le basculement dans les tréfonds obscurs de l’âme. Il incarnait récemment le retors sénateur Palpatine (Star Wars Episode III) qui conduisait l’intrépide et fougueux Anakyn à sa perte. Ici, dans le rôle du Dr. Hinks, il fourbi ses talents rhétoriques pendant 100 minutes pour immiscer le doute chez l’instable inspecteur Creegan. Au final une scène splendide, alors que le policier désemparé pénètre chez lui et plante ses yeux bleu acier –
l’objectif se focalise sur le visage blême de colère après son arme, floue au premier plan – dans le contrechamp, il dévoile son image, celle d’un homme mort d’une balle dans la tête, affaissé sur son bureau, sous un rideau qui dodeline paisiblement. Rien de plus frustrant que de ne pouvoir assouvir sa rage une fois celle-ci libérée, faute d’un adversaire littéralement à sa hauteur – là encore correspondance avec le film de George Lucas où le chevalier jedi s’effondre aux pieds d'un empereur en devenir.
La Fureur Dans Le Sang : Le champ des Sirènes
15 Août 2005

Pépite exilée dans un été déclinant, la diffusion par Canal + de la troisième saison de La Fureur Dans Le Sang est une véritable bouffée d’air vicié. Dès les premières minutes de cette nouvelle livraison de quatre épisodes nous reconnaissons la marque de fabrique de ces formidables séries britanniques qui, depuis Cracker en 1993, excellent à dépeindre les esprits torturés d’abjects meurtriers et de traqueurs sclérosés par d’admirables qualités techniques et artistiques.
Prophylactiques, acérées, granuleuses, les images gelées semblent refuser aux personnages déboussolés de résider en leur sein. Et l’objectif de les oppresser en jouant cruellement du voyeurisme, des focales et des espaces confinés. Sûrement les réminiscences afférentes à la matière littéraire des ouvrages de Val McDermid qui créât le psychologue Tony Hill et l’inspecteur Carol Jordan. Deux hérauts profileurs tentant d’endiguer la recrudescence des crimes en série et des comportements dangereusement déviants. Si un puissant respect les unis, les détraquements de leurs psychés leur interdisent irrémédiablement tout sentiment amoureux.

Leur relation inadaptée pèche à faire coalescer leurs présences physiques et c’est incidemment que Robson Green phagocyte l’écran – dans un rôle analogue sa dynamique nous avait transporté en 1997 sur Touching Evil – tandis que la policière se retranche dans l'ellipse et le hors-champ. Autiste et réfractaire à son environnement, l'universitaire sidère par ses tendances destructrices – corps, mental et murs – et sa capacité nébuleuse à remettre en scène les événements. Cinéaste pince-sans-rire propulsé dans la bobine, il entreprend de décomposer sur tableau blanc tous les actes et motivations des protagonistes de son enquête, quand il ne reproduit pas directement les gestes qu’il imagine comme dans le segment « Rédemption » où il mime sans affect le corps mort d’un enfant déposé sur un manège. Nous sommes aux antipodes des enquêteurs falots de FBI : Portés Disparus.

Machine à recréer le réel en toute occasion (lorsqu’il saisit une manette de console de jeu par exemple) ou plutôt à le re-monter – façon Daniel Benzali dans Murder One –, il se persécute constamment sur la thématique du sacré. Aucun hasard donc à ce que la dramaturgie soit travaillée par des motifs théologiques : entre pyromanie, sévices et pédophilie ce sont les fondations mystiques de l’Enfer qui s’épanchent sur Terre. Axiome principal de cette croisade désespérée, outre l’absence de pathos, le clivage subtil de la culpabilité, de l’intérieur et de l’extérieur, doublé de la disjonction rampante du champ/contrechamp. Un malaise qui culmine à l’horizon, lorsque les esprits se rencontrent sur le miroir de la salle d’interrogatoire ou sur toute cloison translucide. Surfaces eucharistiques – ersatz sexuel – qui aguichent telles les sirènes du titre de la première enquête du duo, celles où le corps de Carol s’abandonne pour exécuter les pensées de Tony. Voilà le chemin de l’expiation, naissant d’une communion inconfortable, crue et béate et qui n’a de cesse de se dérober, inéluctablement.
L'enfer du corps
14 Août 2005

Arte nous a gratifié ce soir d’une pièce de théâtre dansé du chorégraphe Joachim Schloemer, The Day I Go The Body. Expérimentale, cette prestation mixe les principes scientifiques avec une esthétique figurative étrangement heurtée. Ainsi à, un certain académisme des premières minutes qui dépeignent, sur musique industrielle, un cadre-carcan carminé enchâssant une danseuse, succèdent de profondes ruptures
d’inertie qui font culminer, par la souffrance, l’apprentissage de l’élasticité et de la résistance du corps. A cet instant se produit un étrange phénomène de raccord entre la scène et les tableaux de Francis Bacon. En une poignée de secondes l’artiste allemand agrège broiements ubuesques et infernaux des enveloppes pour une réelle impression de supplice insoutenable et acharné.

Puis l’allégorie sanguine des chairs s’estompe instaurant une fraction phatique et apaisée qui, pour reprendre une analogie picturale, se rapproche d’une transe incertaine façon Radeau De La Méduse. La danseuse initiale accapare la scène et tous les mâles présents pour s’introniser être humain à part entière. Demeure un intriguant détail, le fait que le créateur revendique son univers paradoxal – entre orbité et rectitude – comme décalqué de celui de Lars von Trier dans The Kingdom. Difficile en effet de remarquer, outre les atermoiements parlés et la scansion si particulière y adhérant, les interstices où cette volonté spectrale peut bien transpirer.
Scarlett me regarde ?
13 Août 2005

Depuis quelques semaines une affiche de film me toise dans les couloirs du métro. Contrairement au chapelet de panneaux publicitaires que balaient à l’accoutumée mes pupilles l’annonce de l’iconoclaste The Island s’insinue progressivement en moi. Une imprégnation résiduelle que je ne saurais imputer au fade design ou à la pose fonceuse d’Ewan McGregor fac-similé de celle de l’énergique Tom Cruise pour
Minority Report. Toutes les pistes explorées il ne reste que l’attitude ambiguë de Scarlett Johansson, en stase, hors de la furie de l’échappée irrépressible et dont le regard me traverse pour se fixer au-delà de moi, m’ayant mis à nu.
De Ghost World à The Barber en passant par Lost In Translation ou En Bonne Compagnie l’actrice a su déclencher un véritable séisme somatique dans le paysage cinématographique américain. Une faculté à se déprendre, à jouer avec l’objectif scrutateur identique à celle développée par Naomi Watts depuis la série Sleepwalkers. L’enchaînement détaché de ses gestes travaillés par le profond dédain qu’elle semble vouer à son environnement à ceci d’inconfortable et de divinement capiteux qu’il nous renvoie en permanence à notre condition de spectateur complice et abusé. En bref, la capricieuse égérie subsume en permanence l’écho, la distance infime persistant entre elle et le personnage qu’elle compose. La tmèse résultante est-elle preuve d’une étonnante maturité ou d’une insatisfaction existentielle aussi languide que puérile ? Il est délicat d’apporter une réponse, toujours est-il que l’idole d’une sexualité outrancièrement lisse nous gratifie à chaque seconde – chaque cliché immanent – d’un regard inaltérable qui sonde avant de décider et de commander au physique.

La sensualité cérébrale qu’elle dégage n’a de cesse de rompre le fil narratif, de dénier au cinéaste ou au visionneur la capacité de jouir de son image. Passant au-delà de l’écran le mannequin s’amuse de la frivolité et futilité des histoires qu’elle pourfend avec désinvolture. Jusqu’ici, entre transparence et cannibalisme, il n’y eu guère que l’inénarrable Bill Murray pour parvenir à l’ancrer dans le flux filmique. Dès ce teaser de The Island elle annonce la couleur, Michael Bay n’est pas être à l’empêcher de tracer sciemment sa route dans les tressautements du cadre. Quant à nous, elle nous tolère comme partenaires amorphes d’un jeu qu’elle conduit avec une perversion sublime.
Regards sur le seuil
15 Juillet 2005

Vu la semaine dernière le court métrage de Jim Jarmusch Int. Trailer. Night, subtile variation autour de la récréation en temps réel d’une intimité physique et mentale par une actrice bénéficiant de dix minutes de pause dans sa caravane entre deux prises de vue. Depuis, les gestes lents de Chloë Sevigny à la reconquête de son espace me hantent. Le déséquilibre métronomique du plan, le lien téléphonique avec

son amant, les techniciens qui pullulent pour vérifier ses cheveux, palper ses hanches ou sa poitrine autant d’adjuvants qui conduisent la jeune femme à recouvrer sa place centrale dans le plan – à l’image et dans les faits puisqu’elle repart sur le plateau de tournage. Un décalage doux et harmonieux – sur les tonalités enjôleuses des variations Goldberg – vers la porte de son bunker, forme pourfendant le cadre depuis la gauche. Une passerelle imposante qui débouche sur du vide dans lequel s’engouffre l’interprète non sans avoir inhalé – contemplé – une paisible dernière bouffée d’intérieur.

Ce regard sur le seuil est une constante dans la représentation de la cosmogonie voire de la diathèse féminine puisqu’il se voit associé à la nécessité pour les personnages filmés de créer leur espace. Néanmoins ce processus nécessite une vision interne et externe pour acquérir la salutaire distance, ce qui induit l’existence d’un orifice d’intrusion : une porte empruntée à loisir par l’héroïne ou ses avatars. Deux exemples récents et particulièrement frappants relevés lors de mes pérégrinations cathodiques ou sur la toile. Sur les deux photographies promotionnelles suivantes la troublante correspondance entre les traits froids et les yeux pénétrants de Mia Kirshner dans The L Word où elle erre, névrosée, entre hétéro et homosexualité – passant son temps à entrer où sortir de la demeure de son ancien fiancé – et ceux d’Isabella Rosselini lorsqu’elle endossât le rôle de Perdita Durango dans Wild At Heart, la femme sur le seuil par excellence. Deux tentatrices clivées au physique hors-normes piégées dans des sacs et ressacs latéraux. Les impressions ont beau se dissoudre dans la traversée de la pellicule, ces caractères continuent d’incarner leurs volutes cendreuses, comme portées indéfiniment par une brise mortifère, aux confins d’une toile incertaine.

Dans l’ultime épisode de Carnivàle, Sofie la brune fait face à la terrifiante dualité de sa destinée pour finir par nous toiser frontalement dans un champ de maïs analogue à celui du pilote. Entre deux chemins et sacerdoces, après avoir éliminé implacablement son ancien soupirant, elle draine les forces vives de l’image (le paysage saigne au sens littéral du terme) pour se réapproprier son cercle d’influence. Aux deux extrémités de la création elle nous attend et nous conduit. Le photogramme suivant la représentant renvoie imperceptiblement aux clichés de la blonde Laura Palmer dans Twin Peaks, jeune femme à l’ombre tellement étendue et vivace que sa disparition ne saurait être qu’un leurre métaphorique. Et la red room d’émerger pour jouir d’elle à loisir. Entre le noir et le blanc, les dopplegangers et la cousine Maddy rôdent. L’ange blond qui selon ses propres dires « ne va nulle part et vite » arbore ainsi une position paradoxale, première et dernière apparition du show elle est, comme le confirmera Mulholland Drive, l’incarnation même de la femme-reflet, tapie dans chaque seconde de chaque épisode, tout autant spectatrice qu’unique modèle des bribes immanentes semées au fil de la série.

Condensant ou concaténant l’univers flottant entre le projetant et le projeté les icônes lynchiennes ont en effet cette phénoménale capacité d’habiter la surface des choses. Se sachant observées, le plus souvent par elles-mêmes, elles peuvent se retrancher là, dans une dimension pratiquement atone où elles sont libres de se confronter à leurs doubles. L'auteur d'Eraserhead n’accorde de fait aucune primauté à l’un ou l’autre des états là où clairement Jim Jarmusch privilégie la condition de reflet qui tente d’amadouer la femme symbiote dans une trêve assagie. Sofie et Laura n’auront, elles, de cesse de se colleter violemment à leur duplicité, leurs jumelles virtuelles aux yeux absents (ébène ou ivoire, toujours cette dialectique en négatif). Persiste donc un cruel et amer déséquilibre : la part maléfique naîtrait de la carence de regard. Quand l’unique territoire ou horizon n’est plus qu’un magma anxieux de fantasmes et déboires comprimés, étranglés et vagis on conçoit aisément que pour endiguer la dislocation, l'implosion ou la sclérose ces sirènes d'un nouveau genre doivent prêtes à bondir derrière la porte blême et ondoyante des possibles.

 

 

 

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La Fille Coupée En Deux
Sinistre supplice du Pygmalion que d’observer le cisèlement d’un joyau convoité.

   

Black Snake Moam
Le cinéaste s’emploie à représenter la torve pénétration du désir dans les chairs éplorées et les cœurs racornis.

   

Loft
L'orfèvre Kurosawa s'ingénie à disséquer les mécaniques - de ruptures - de tous les genres qu'il côtoyât.

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