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Twin Peaks (V) : Episode 3, Oscillation chute/béance/réapparition
28 Décembre 2006

Cet à partir de ce segment que l’ombre de David Lynch co-créateur emblématique de Twin Peaks va se faire plus pointilliste. Il laisse en effet la place en tant que scénariste à Harley Peyton et derrière la caméra à Tina Rathborne. Loin de se complaire dans une doxa infatuée l’épisode révoque le fantastique saillant et la plongée dans la chimérique sinon improbable Red Room qui émaillait l’opus précédent pour se focaliser avec grâce et couleurs chaudes sur la liberté intime

(Cooper et Audrey au petit déjeuner filmés dans une proximité propice aux confidences) ou l’étrangeté du quotidien (les canards sur le lac) qui découle de la douceur de vivre affable de la bourgade (nous retrouverons ces fulgurances et joliesses saturées de tendre nostalgie durant l’épisode 25).
La cinéaste distille nombre de références à l’univers troué qui caractérise Twin Peaks – entre cavernes ésotériques, cachettes tarabiscotées et iconicité sexuelle d’extase mouillée – et amplifie la dimension cyclique soutenant la traque de Dale Cooper. Il est ici question de chute (littéralement la cascade sur laquelle se superpose une charmante jeune femme), de béances (sépulcre phagocytaire, orifice entretenant le flux) et de réapparition (Sheryl Lee l’interprète de Laura Palmer – suppliciée sur une table d’autopsie – revient discrètement sous les traits de sa cousine, Maddy Ferguson, image abandonnée dans les contreforts du soap fictif Invitation To Love). En outre le script insiste sur le passage d’une juvénile et épique insouciance à une confortable sapience (le final entre Cooper et Hawk discourant sur les légendes indiennes). Mais l’univers fétichiste de la série ne saurait être simpliste aussi ce mouvement se double-t-il d’oscillations : les allers-retours intempestifs pour les âmes de rêves s’immiscent avec emphase. Déplétions et acmés se chevauchent et la séquence cruelle de l’enterrement avec le déraillement du système de descente du cercueil parachève le propos.

Evanescence blême et agnostique (les dodelinements des branches précèdent les funérailles), l’ambiance adoube l’agent spécial du FBI en prélat-page qui peut tout aussi bien apaiser (Dr Jacoby déprimé au cimetière), jouer le rôle de médiateur ou préserver le repose éternel de la défunte (clash et querelles mesquines à la morgue). Ordonnateur de la grand-messe que constitue la fiction il répudie les conventions ou sarcasmes fossilisés pour ouvrir voire ferrer une immensité aveuglante, originale et spirituelle des possibles. Les prémices d’un buffet opulent dont nous commençons seulement à nous régaler.
Question de perspective (X) : Alias / Saison 5
27 Décembre 2006

Twin Peaks (IV) : Episode 5, Pourtours feutrés et lamellaires
27 Décembre 2006

Une fois n’est pas coutume Dale Cooper émerge de son lit (sommeil réparateur symbolisé par une lune magnétique emplissant et imprimant la netteté de l’écran) avec un air chafouin et renfrogné. La cause : un groupe d’investisseurs islandais ayant investi son hôtel d’ordinaire si paisible pour y semer le désordre avec force chants tonitruants. Cet introït va irrémédiablement corrompre l’épisode et pousser le feuilleton à prospecter ses marges, ses pourtours feutrés

(enchaînement élégiaque vol oiseau/montagnes/forêt). Pour représenter ce phénomène singulier d’écoulement lamellaire la cinéaste Lesli Linka Glatter (Urgences, The West Wing, Murder One…) a recours à deux perspectives sublimes et imprégnatrices où les visages de trois ou quatre acteurs vont glisser les uns derrières les autres pour scruter et avancer, impavides, vers le coin gauche de l’écran représentant métaphysiquement ou non la prochaine étape obligée de l’enquête. Abstrait et concret se mêlent non sans accrocs (le défaut de montage avec l’arrivée de Ben dans son bureau pour retrouver Josie est-il volontaire ?) et le territoire de leur rencontre enfiévrée en clair-obscur se fait forcément immaculé, vierge, non marqué par la lourde mécanique de la fiction.

Après que l’agent spécial du FBI eut jeté une photographie dans le flou de l’objectif les lieux s’ébranlent, métonymiquement, et nous découvrons par un panoramique inhabituel et ensoleillé la station service d’Ed de même que le kiosque lacustre théâtre par excellence des batifolages amoureux. L’excursion vers les limites, dont le périple des force de l’ordre jusqu’aux cabanes de Jacques et de la Log Lady devient apologue, balaie autant les extérieurs sylvestres que des intérieurs détonants car envers des endroits classiques présentés dans Twin Peaks. Citons le magasin Horne et ses dépendances, l’appartement-relais d’abord puis la retraite thébaïde du sieur Renault. Cette-dernière est une véritable ouverture sur l’univers nocturne, vicieux et pulvérulent de la communauté dépeinte et sa découverte sur la lancinante mélopée « Into The Night » susurrée par Julee Cruise demeure symptomatique d’une chute vers l’abjection et l’abscons. Au fond de l’œil térébrant d’un volatile nous observons l’orbité infernale du territoire encapsulé du show. Et comment échapper à ces limbes acérés et ignominieux si ce n’est en abandonnant les oripeaux du paraître et accéder, telle Audrey, au statut d’ange par la nudité de l’innocence.
La Ligue Des Gentlemen Extraordinaires : Coït pugilistique et lucide
26 Décembre 2006

Pas grand-chose à sauver de la besogneuse, inepte et flapie Ligue Des Gentlemen Extraordinaires si ce n’est une scène jubilatoire et taillée au cordeau entre une Peta Wilson et un Stuart Townsend en osmose. Dans le repaire polaire du sournois M les deux immortels vont se livrer à un affrontement aussi étriqué que dantesque. Non en tant que colosses surpuissants mais en tant que couple aride, fêlé par la trahison. Les stratégies et coups sont
métaphoriques car le dandy Dorian Gray va éperonner sa belle à l’aide d’une dague dans la poitrine. Terrassée, la vampire Harker semble déjà en Enfer, mais la rancœur est trop forte, elle parvient à se relever pour épingler au mur son ancien amant. Tel un papillon suffisant elle va le confronter aux tréfonds de sa torve personnalité, à l’être abject et masculin qu’il est devenu au fil des âges et des débauches. Le malheureux ne survivra pas à cette hideuse et lucide vision de vacuité.
Twin Peaks (III) : Episode 22, Diane Keaton sonne le tocsin
25 Décembre 2006

Durant la seconde époque de l’inoubliable série Twin Peaks il existe, outre le dernier segment magistral signé David Lynch, un pur chef-d’œuvre de mise en scène : les quarante-cinq minutes du vingt-deuxième épisode (pratiquement anamnèse) portées par Diane Keaton. Par ses audaces de cadrages (le jeu avec la porte de service du Double R), sa virtuosité à retranscrire une ivresse moirée, noire, dépressive, et son invention constante (arrivée farfelue et époumonée de Pete

après un passage au pressing) la réalisatrice galvanise littéralement le tissu narratif du show en invoquant l'ensemble des éléments enfouis et incongrus de son succès alors flétri – même des personnages délicieux comme le légiste goguenard et humaniste Albert Rosenfeld remontent à la surface et s’agrègent immédiatement aux nouveaux penchants des scénaristes, idem pour le scélérat Ben Horne dont le mental partait en capilotades et qui réapparaît après une morne éclipse.
Cette thématique de l’aller-retour ou plutôt de son accompagnement absorbe une part de la cinématographie syncopée. L’idée géniale d’assimiler ce « montage » expérimental au geste d’effleurement pratiqué par des femmes (robes, photographies, épines de sapins peignées) permet de se démarquer quelque peu des obsessions lynchiennes liminaires. Certes il est toujours question d’une surface craquelée, tendance inexpugnable, à investir mais de manière moins archaïque (les plans de césure), plus épurée, altière, raffinée. Nous retrouvons les artifices que nous décrivions pour l’inénarrable Nouvelle Cuisine : la représentation formelle de la verticalité, du surplomb et des rapports de force (pièces d’échecs, contre-plongée sur l’aire de jeu, travelling rectiligne sur Evelyn dans son deuil sclérosant). Si le film asiatique visait une malsaine prise de conscience d’un consumérisme avilissant la volonté de Diane Keaton demeure la création d’un suspense artificiel mais néanmoins palpable, organique. Par l’agencement des composition toujours hypnotiques d’Angelo Badalamenti, de translations lentes (ribambelles d’hommes au bar) et des figures oppressantes des pièces de l’échiquier réel et métaphorique sur lequel s’affrontent Cooper et Earle Twin Peaks atteint une dimension insoupçonnée dans la peinture de la rivalité entre le héros et son ancien mentor.

A ce titre la séquence où Cooper et Harry se tiennent debout pour interroger Bobby et Shelly assis regorge de petits mouvements jubilatoires de l’objectif qui finit par se placer entre à hauteur de la table, dans le cocon duveteux de l’entre-deux. Toujours ce cheminement complexe de la neutralité avec deux femmes se rencontrant et communiant accroupies et que dire de la scène de lit en Norma et Ed où l’utilisation des gros plans se fait systématique pour induire et cureter une intimité hautement inspirée et jamais égalée pour ce couple maudit. Quant à la catharsis de Ben sur fond de Guerre de Sécession – remportée par le Sud ! – il y est toujours question de distance mais dans le ton cette fois, ou comment éviter qu’un tendre burlesque ne sombre dans les abysses du ridicule.

Le bar où Donna retrouve James se fait théâtre puis cathédrale d’ombres errantes et désillusionnées où les vocalises lyriques embaument des caractères magnifiés (le héros naufragé et la vestale indomptable). Et l’épisode de devenir dispositif pour recevoir l’écho sanctifié de la vacuité de caractères-gangues. Leurs yeux dans le vague sont tournés vers l’ailleurs – au-delà de nous ? – piégés qu’ils sont tels des insectes dans une toile de tulle aux méandres impossibles à décrypter (ralentis sauvages chargés de haine et de chagrin pour l’apothéose de la pourtant convenue escapade du jeune Hurley déboussolé auprès d’une mature Laura de substitution), à la fois céladons béats et proscrits en éternelle souffrance. La dernière image est stupéfiante : la caméra passant derrière un masque mortuaire, que Cooper tient devant son propre visage, pour scruter l'agent spécial par les deux orifices oculaires non obstrués. Qui observe réellement qui ? Quelle entité – récipiendaire – est finalement bloquée dans ce bunker sectaire ? Quelles sont ces idoles équivoques vouées aux gémonies ? La réponse sera toute entière contenue dans l'énigmatique Red Room.
Nestor Burma Court La Poupée : Requiem soyeux pour une garce
24 Décembre 2006

Sans une once d’exagération nous pouvons affirmer que cette aventure du privé lessivé et badin Nestor Burma représente l’apex de la série consacrée à ses tribulations parisiennes, un moment de télévision succulent et hautement recommandé. Non seulement par son intrigue solide et sobrement conduite ou ses dialogues truculents autant que savoureux mais surtout par ses soubassements psychanalytiques ardents (limite scabreux) ou par la dimension vénéneuse

de la figure féminine qui hante plus que jamais l’univers satiné tendance érotisant de l’enquêteur. Burma est contacté pour résoudre une affaire de disparition de l’étoile sémillante d’un futur ballet et débarque donc au sein d'une instituion située dans le second arrondissement de la capitale entre justaucorps et entrechats. Quelques galéjades, louvoiements et arabesques plus tard il s’enlise avec le flegme qui le caractérise – comme aimanté par cette crédence magique et classieuse (quartier subtilement mis en lumière entre luxe furtif alangui et assise séculaire sereine) de beautés ingénues ou alléchantes – autour de cette école de poupées pour, outre s’extasier de leurs effeuillages et enveloppes graciles, désamorcer l’abjecte machinerie à l’œuvre (traite des blanches sophistiquée, jalousie et dépit amoureux).

Dès le générique les corps s’ébattent sur le thème jazzy, mais désenchantés comme accolés platoniquement au rythme, contre leur gré. Ils portent déjà en eux les miasmes mortifères et disharmonieux qui vont peu à peu s’insinuer dans les investigations. Et dès le pseudo-suicide découvert l’épisode valdingue, bascule, tel Orphée s’étant retourné sur Eurydice le héros comprend que ses actes ont été totalement inutiles car Patricia était déjà morte avant son arrivée sur le cas. Burma entrevoit la futilité de glaner des indices sur une concupiscence sans cesse renforcée et des potentialités à jamais évanouies – le jeune amant fougueux le raillant sans vergogne. Nulle surprise de fait que lorsque la reconstitution des derniers instants de la star déchue s’ébranle celle-ci papillonne autour d’un tube cathodique vétuste, seul défouloir chatoyant des fantasmes inexorablement trépanés (virilité crâne, amour fusionnel, carrière flamboyante). Un profond désespoir englue alors le récit pour adhérer au concept de morbidité de la jouissance, de ce coupable voile qui s’impose après l’orgasme. Abomination du sexe consommé, les garces en puissance élevées par Yolande Folliot perdent leurs âmes diaprées par tous les orifices.

Une obsession si torve et troublante que la plastique sculpturale et envoûtante de Marie-Emmanuelle Lassègue (alias Emma Colberti) ne saurait se contenter d’ondoyer et d’errer dans les flash-back fantasmés – théâtralité courtisane notamment dans l’agonie, pesanteur odieuse de la pendue résistant à la désarticulation, photographie grivoise dont on se repaît en noir et blanc puis en couleur – du détective et poursuit naturellement sa morgue chorégraphie dans l’imaginaire du spectateur et aussi curieusement qu'ostensiblement celui du show. L’actrice réapparaît donc en maîtresse de jeu macabre dans l’incomparable Nestor Burma Et Le Monstre qui instille nonchalamment avec le tableau de Soutine l’aspect sororal de la gémellité. Pour le plus grand plaisir pervers et solipsiste du thanatopracteur Guy Marchand ou du spectateur masculin amouraché la figure féminine vient de s’incarner mais, avec dédain et forfanterie, se refuse à la pellicule pour prospecter nos êtres à chaque coups de semonce de son archée capiteuse, gorgée de séduction, du désir du visionnant.

L’air de rien le réalisateur Joël Séria sécrète un bréviaire qui, même s’il n’a pas la force transgressive des récents Anges Exterminateurs, censure télévisuelle oblige, entreprend de défricher le stéréotype féminin dans les yeux de l’Homme – schisme inconsolable et suggestif du corps et de l’esprit, l’un devant obtempérer aux desseins impérieux de l’autre. Les ballerines-catins sont-elles donc interchangeables (Betty Bomonde doit batailler pour exister à l’écran malgré les volutes contiguës de son ancienne camarade chambre) dans l'ergastule des pupilles masculines ? Les corps souples et modelables à coups de bistouri ? Et comment appréhender ce paradoxe entre prédatrices impitoyables et midinettes bernables ? A ce stade de l’exégèse il s’avère intéressant de préciser que le roman originel de Léo Malet narrait le destin funeste de la victime d’un avorteur. Le téléfilm trahit une nouvelle congruence dans la peinture moderne d’un sexe prétendument faible ayant surpassé l’abomination du coït monnayé ou hypocrite : nous passons d’une maternité prosaïque et destructrice à l’émergence d’une sexualité graphique, mythifiée et charnelle dotée de structures à la densité insondable que l’on porte en bandoulière, autour du cou, à la fois don et malédiction. La nouvelle Ève est ainsi suppliciée, condamnée à orchestrer son troupeau infernal de cloportes à défaut de pouvoir concrètement le quitter.
Saint Seiya Meikai-kosho (I) : De l'or en barre ?
24 Décembre 2006

Babylon 5 : The Lost Tales
23 Décembre 2006

Le mythe Babylon 5 revient à la vie ! Après 110 épisodes, un spin-off et 5 téléfilms on pensait la formidable épopée close et nos espoirs les plus fous (Bester et la Guerre des télépathes) caduques. Or le pugnace Joe Straczynski nous a concocté une surprise DVD pour 2007. Deux épisodes centrés sur Sheridan et Lochley tenant place en 2272. Vivement que ces « Voices In The Dark » soient disponibles dans nos contrées d'autant qu'une histoire avec Garibaldi suivra.
Corps Etranger : Passage récessif
23 Décembre 2006

Dans la dernière partie de sa trilogie autobiographique – les deux métrages précédents Nos Traces Invisibles et Séparées étaient cosignés avec Myriam Aziza – Sophie Bredier cristallise autour de sa grossesse ses interrogations féminines et ses réflexions apatrides. La première échographie précipite, tel un catalyseur, les tensions intérieures de cette jeune femme – d’origine coréenne, adoptée à 4 ans par un couple français – qui va s’ingénier au gré de rencontres et de discussions simples,

pudiques, à représenter les amputations ontologiques de sa psyché. Le film va fonctionner comme une thérapie en permettant à la cinéaste de s’inscrire durablement sur la pellicule avec ses souvenirs fragmentés jusqu’à instiller le surplus d’essence, de présence ou d’appartenance qui lui faisait défaut initialement – à ce titre la voir déambuler dans l’appartement vide au final se fait symptomatique de son engagement physique dans l’acte d’enfantement.
Cette catharsis est sidérante car feutrée, toujours sur le fil du rasoir entre mise en scène fumeuse, pédante ou analytique de l’artiste égocentrée et sincérité déconcertante ou prodigue notamment par la dimension mélancolique et sublime qu’acquiert la voix (entravée du père, fanée de la mère). Il est évidemment question de transmission (filiation, création) ou plutôt de passages entre l’étrangeté honnie, crainte, et la félicité splendide : l’acceptation et la maternité. Bien sûr s’adjoignent à ce propos des séquences brocardant les heurts culturels ou d’autres d’une violence mentale indescriptible : avec la négation de la nationalité tout un monde flotte, périclite dans un regard. L’hégémonie politique serait facile et l’auteur à l’intelligence de ne pas y céder tout du moins pas ouvertement pour se focaliser sur le métissage et les cicatrices génétiques. Toujours cette thématique qu’elle déployait dans son premier portrait (biographèmes cutanés scarifiant ses jambes). Barry Gifford écrivait sur les complexes qu'ils « n’arrivent jamais trop tôt et toujours trop tard » et Sophie Bredier n’aspire en rien à se soustraire à cette assertion, tout au plus essaie-t-elle de comprendre quelle est cette voie du milieu, de ce qu’elle peine à ressentir comme normalité. Alors bien sûr la forme complaisante aux accents parfois sursignifiants n’est pas exempte de défauts et nous sommes loin de la maestria élégiaque d’une Naomi Kawase mais l’étude de mœurs devient palpable pour qui prendra la peine de pénétrer cet antre irisé de spleen et dépouillé des primitives afflictions.

Alias (2001-2006) : R.I.P.
23 Décembre 2006

John Doe : Anonymat et Technicolor
22 Décembre 2006

Après visionnage des 21 segments qui composent la série John Doe une seule et douloureuse conclusion saurait jaillir : il s’agit de l’archétype même du show qui aurait pu être avec un concept intriguant, débonnaire et futé (un homme se réveille nu avec un savoir universel excepté son identité et son histoire personnelle), une équipe technique compétente (Mimi Leder conceptrice de la charte graphique, cheville ouvrière des débuts d’Urgences s’étant depuis abîmée au cinéma notamment avec Le Pacificateur), un adonis massif en tête d’affiche, des seconds rôles marqués et une conspiration retorse flottant à la périphérie des épisodes. Malheureusement après quelques opus rythmés aux étincelles incongrues (« Œil Pour Œil ») les créateurs Mike Thompson et Brandon Camp vont

littéralement se fourvoyer en égrainant un chapelet d’enquêtes insipides – jusqu’à la pathétique escapade aérienne façon The Others, « Panique En Plein Ciel » – dont seul peut-être émerge le diptyque « Le Pleureur » / « Qui Perd Gagne » grâce à Doug Hutchinson encore enveloppé des nimbes putrides des ses rôles effrayants dans The X-Files et Millennium et dont l’aura lui permet de tenir la dragée haute à Dominic Purcell en roue libre faute d’adversaires à sa hauteur.
Certes ces dérives de jeunesse peuvent accoucher de temps en temps d’ovnis se morigénant à loisir comme Strange Luck ou Nowhere Man, mais dans les deux cas le bref parcours arbore une structure idoine à retranscrire la quintessence du discours (swing embrumé ici, paranoïa militante là) alors que les fondations de John Doe demeurent tristement fébriles. Nous pourrions regretter le laps de temps mal maîtrisé entre les piliers vacillants que sont « Le Phoenix » et « Et Tu Renaîtras De Tes Cendres » ou l’absence de matière développée autour de la toujours obsédante et singulière Grace Zabriskie. En outre l’effraction terminale (abandon de l’innocence avec la pièce interdite et la séraphique Karen saccagées) dissout le dynamisme hoquetant du récit qui n’aura alors de cesse de se disperser, de babiller ou de s’étioler jusqu’aux pachydermiques et kitschissimes expériences parapsychologiques avec un cliffhanger aussi peu crédible que complètement artificiel au vu de la saison (« Jusqu’à La Fin »). Une déréliction un brin lénifiante pour le fan de la première heure.

La tessiture indéniable et roborative de John Doe demeure la peinture de la famille recomposée, d’une communauté interlope et improbable qui était l’apanage du Caméléon. Ce pan de la création a évidemment pour but d’enraciner le héros sans passé, de le faire apponter sur les pistes peu amènes de la brutale société américaine mais il inhibe également sa volonté farouche de fouiller les fondations de son être. Et l’utilisation du langage des signes de renchérir sur l’incommunicabilité mais surtout sur le prosélytisme d’un groupuscule pour qui les dogmes inconscients doivent être préservés, verrouillés. Le savoir ne saurait être réduit à des mots débités par un héros hâbleur mais se fait Graal qu’il convient de n’utiliser qu’avec la plus solennelle déférence – surtout lorsque l’on sait que John pourrait être un Messie potentiel réincarné.

L’anonymat limpide dans lequel se débat la série se charge au fur et à mesure de l’évolution d’une troublante allégorie de la vorace machine télévision. En effet, l’enjeu colorimétrique d’un personnage hors du flux ne percevant son environnement qu’en noir et blanc clinique et pragmatique (régime stylistique subjectif et granuleux) pour se faire pourfendre par d’intenses couleurs (lorsqu’il croise la route de sésames capitaux pour sa quête) a tout d’une subtile et sulfureuse approche de notre mode de consommation picorant et dépassionné. Dénuement de la technique et refus des veules manipulations des masses lorsque John s’épanche d’une émouvante petite fille ou des yeux verts d’une fragile Jayne Brook (« Un Homme Ordinaire »). Rien que par ces pirouettes conceptuelles malicieuses en Technicolor le show se bricole une vocation : Vivez si m'en croyez, N'attendez à demain, Cueillez dès aujourd'hui les couleurs de la vie.
Elodie Bradford / Saison 1 : Les loups et la bergère
21 Décembre 2006

Avons-nous enfin trouvé le nouveau héros policier français à la fois charismatique, inventif et ludique ? C’est tout du moins la sympathique interrogation qui nous surprend dès la quatrième aventure du Capitaine Elodie Bradford terminée, « Intouchables ». Script ciselé, humour omniprésent, personnage perspicace voire pétaradant toutes les pièces du puzzle semblent trouver leurs places respectives pour un divertissement cocasse et enlevé qui fait mouche. Quel plaisir de voir évoluer la solaire et sémillante

Armelle Deutsch dans une enquête débarrassée des oripeaux castrateurs de Columbo : assassin connu dès le départ, relation privilégiée avec lui durant le téléfilm et mise en scène finale pour démasquer le malfrat. Si le troisième épisode était improbable sinon raté – piètre Vincent Desagnat – les deux premiers opus étaient au moins l’occasion de marivaudages attrayants entre l’actrice, Anthony Delon ou Frédéric Diefenthal. Mais des dénouements téléphonés et fac-similés d’épisodes américains estampillés seventies engourdissaient le propos. L’idée de génie de ce nouvel opus est d’avoir délaissé les relations loups-bergère pour concocter un amoureux à Elodie et voir ainsi imperceptiblement évoluer son comportement gaffeur à son contact tantôt amadoueuse, tantôt transie, tantôt au paroxysme de sa fureur. La véritable fragilité de cette jeune femme affleure alors et le propos de ségrégation sociale et égotiste s’en trouve réhabilité. Ne reste qu’à corser la mise en scène pour transformer Miss Bradford en parangon cathodique. Nous piaffons d’impatience pour la suite !

David Nolande / Saison 1 : Greffe gangrenée
21 Décembre 2006

Au sortir des six premiers épisodes efficaces de la nouvelle téléfiction David Nolande, où audace et suspense se disputent l’arrière-plan, le spectateur peut apprécier dans la lignée des récents Elodie Bradford, Jeff Et Léo et surtout Kaamelott la frénésie créatrice française qui caresse actuellement son tube cathodique. Certes le canevas de cette intrigue fantastique n’est pas révolutionnaire – un publiciste en vogue

suite à une embardée heurte la caravane d’une cartomancienne et provoque son décès, déjà traumatisant pour le jeune homme qui reçoit en outre la visite du roi des Gitans, engagé auprès de la morte, qui le maudit en l’obligeant à sauver les personnes qu’il voit désormais mourir en rêve dans d’atroces souffrances sous peine de perdre irrémédiablement un proche – mais le traitement visuel avive peu à peu l’intérêt : nuances métalliques, flashs mortifères, répétitions presque subliminales de motifs analogues, onirisme délétère... Empêtrés dans les rets d’un récit novateur, anorexique et funèbre nous expérimentons la diégèse sous-jacente, la désincarnation. Car en auscultant les méandres vaseux et plis fangeux des cauchemars prémonitoires du héros le spectateur s’y immerge peu à peu. Les repères s’affaissent alors avec mollesse dans une spirale létale (en surimpression la déliquescence du couple, incubation et contagion) qui voit le scénario des deux derniers épisodes réellement aliéné par le Diable. Chuchotements rauques et vocalises cristallines parachèvent un climax sardonique du meilleur aloi.

Bien entendu David Nolande traîne difficilement son atavisme anglo-saxon (rites, découpage, cliffhanger…) avec des emprunts patents à Birmstone, Millennium (les symboles paternels et canidés) ou Tru Calling (visions fragmentées de Jack) mais curieusement ce calvaire-viatique d’émancipation avortée finit par devenir addictif tant le réalisateur Nicolas Cuche et le créateur Joël Houssin instaurent un syncrétisme de tous les instants. Résultat, une alchimie sidérante entre codes américains et tradition française avec des personnages pesants et ancrés sur la pellicule – Frédéric Diefenthal magistralement assisté par Edouard Montoute et Jean-Louis Foulquier – ou des velléités linéaires, affectées et explicatives. Et c’est naturellement qu’avec « La Carte Du Diable » l’âpreté d’un Carpenter côtoie la désinvolture d’un Nicloux. Le syndrome détraqué – et métronomique – de la série explosant dans la façon dont la caméra envisage la place des protagonistes : barrière (reflets et vitres à la manière du britannique La Fureur Dans Le Sang) ou centre (corps épicentre des circonvolutions latines de l’objectif).

Alors que se murmure que douze épisodes supplémentaires ont été commandés par le diffuseur pour une seconde saison on se pourlèche les babines devant les prémices d’une mythologie en imaginant comment déchirer les carcans étriqués du PAF pour embrasser une cosmogonie encore insoupçonnée. Les glissements commencent déjà avec l’apparition de la bague ésotérique sous la caravane exactement là où un certain agent Chester Desmond la trouvait dans Twin Peaks, Fire Walk With Me. Quel meilleur et incandescent présage pouvait-on souhaiter ?
Y’a de la joie
17 Décembre 2006

Très rarement ai-je eu la chance d’être témoin de la célébration d’une évidence, de la communion de deux imaginaires ou talents résolument faits l’un pour l’autre, de preuves d'amour aussi simples que magnifiques. Ce fut le cas en ce Samedi 16 Décembre pour une cérémonie qui restera gravée dans ma mémoire. Alors que les constellations scintillaient à l’intérieur et à l’extérieur de la salle, c’est les yeux embués après un film bluffant que je vous livrais tous mes voeux de bonheur. Pour m’avoir invité à partager ce moment magique en votre compagnie et pour tout le reste je vous renouvelle mes plus sincères remerciements.
Êtres-Anges (III) : Naruto
29 Octobre 2006

Demande À La Poussière : Traçabilité du désir
18 Septembre 2006

Arturo Bandini, auteur fauché et fils d’immigré italien, arrive à L.A. en 1930 en provenance du Colorado avec l’ambition d’écrire le roman définitif sur cette cité. Il vivote en espérant que sa prose lui permette bientôt de pénétrer les hautes sphères de l’intelligentsia, de séduire les plus belles femmes et de magnifier le blason de son patronyme latin. Incapable, faute d’un matériau expérimental suffisant, de livrer les textes ardents et voluptueux qu’il appelle de ses vœux (pieux), il

sillonne son quartier jusqu’à tomber en pamoison devant l’incarnation charnelle de cette rédaction idéaliste, la mexicaine Camilla Lopez. Seul hic leurs blessures et tempéraments respectifs accouchent de rapports orageux sinon désespérés.
Adapter Demande À La Poussière – l’ouvrage de référence de John Fante – et ses méandres torturés sur le rapport amoureux (attrait de l’intellect bourgeois pour Arturo et dépréciation condescendante de Camilla qui ne pouvant lire sera toujours en marge de son prétendu génie), l’égocentrisme (doublé de préjugés raciaux) ou la détermination endémique à créer afin de s’élever relevait de la gageure pour un Robert Towne ayant acquis ses principales lettres de noblesse grâce au scénario de Chinatown. Au final l’adaptation soyeuse et corsetée qu’il mit dix ans à monter n’épouse que l’écume d’une passion en évitant la lame de fond destructrice qui irriguait le livre. A peine quelques stéréotypes empreints d’un classicisme satisfait (volutes denses de cigarettes se consumant avec dédain, résidence balnéaire solaire ou masure perdue dans un désert rouge métaphore d’une agonie phtisique) et un personnage principal, tantôt enjôleur tantôt fat, pour rendre la sinistrose du plumitif poisseuse voire désillusionnée.

Certes le réalisateur insiste sur la dimension littérale – plus désuète que romanesque – de son entreprise en plaçant la narration et la voix-off au centre de son enluminure aseptisée, mais il oublie aussi aisément de retranscrire le processus frustrant et indomptable de l’écriture dont la détresse se superposait dans le récit originel à la relation survoltée des deux amants. Ainsi la confusion mentale (pistes dramaturgiques biaisées notamment par les incursions impromptues de Donald Sutherland) et l’émergence de l’inspiration qui semblaient devoir accaparer l’écran s’étiolent dans une lumière cendreuse pour diligemment éconduire intensité ou emphase au profit d’un climax théâtral amidonné. La démarche rappelle celle des Sentiers De La Perdition – mise en scène castratrice influant cadre et protagonistes enchâssés – mais sur un mode attentiste, à savoir une simple condition de matrice pour la gestation de personnages en souffrance, se réalisant par l’assimilation.

Nous aurions pourtant tort de cataloguer ce long métrage souvent studieux, flapi ou propret – même la poussière ne se matérialise en aucune occasion, un comble – comme ne méritant pas l’intérêt. Il nous permet déjà de renouer sans mièvrerie avec une atmosphère âcre et vénéneuse que l’on peinait à embrasser depuis la sublime série Fallen Angels. Ensuite parce que le couple vedette, en parfaite osmose (le gamin rogue et inconséquent / la métèque sauvage et orgueilleuse), livre une composition d’autant plus appréciable – ou quand Colin Farrell stoppe l’hémorragie initié de Phone Game à Miami Vice et que l’incandescente Salma Hayek se départit des oripeaux de pétroleuse inaugurés dans Bandidas – qu’outre aimanter durablement le spectateur dans une sorte de traçabilité du désir, elle exerce par convection le seul excès idoine à effleurer l’âpreté amère d’une époque, la cruauté ineffable d’une existence.
INLAND EMPIRE : L’élément cinéma, attente labyrinthique de l’hybridation
17 Septembre 2006

Nestor Burma / Le Soleil Naît Derrière Le Louvre : Le diable en robe bleue
17 Août 2006

Dans la galerie glacée des égéries fuselées s’effeuillant au fil des aventures de notre privé parisien blasé Tonya Kinzinger signe certainement – avec Emma Colberti ou Delphine Rollin – la prestation la plus proche du climax des films noirs auquel aspire subrepticement la série. Femme fatale, immorale et charnelle elle joue des hommes en dansant au milieu de cadavres douloureusement tombés en pamoison. Son irruption évanescente dans le cadre est d’ailleurs caractéristique du rôle de bibelot sculptural hypnotique qu’elle cultive : funambule et ballerine,

elle descend un escalier en enchaînant les arabesques pour se livrer à une altière et épatante chorégraphie dans le salon bourgeois d’un hôtel particulier. Et cela sans prêter la moindre attention aux meubles, à son mari ou à Nestor.
Ses poses accortes de porcelaine et sa peau onctueuse séduisent d’autant plus que cet épisode dévolu au premier arrondissement jaspé s’égraine sanglant, sombre et crépusculaire (fusillades, exécutions sommaires, poursuites endiablées…) sur le tempo d’un jazz délavé. Héroïne de cette rhapsodie funèbre la gracieuse et mondaine Jenny s’extirpe naturellement de l’abjection qu’elle motive par son corps élancé splendide. Gainé et athlétique, il est néanmoins présenté le plus souvent dans le relâchement (doublé du bâillement de son peingnoir), notamment lorsqu’elle apparaît allongée négligemment sur une couche embuée de félicité – aberration désirable.

Chantre de l’équivoque décadente et béate le personnage raffiné de Tonya Kinzinger soigne l’achoppement entre sa noble sphère et la fange environnante. La symbolique de l’escalier en colimaçon, véritable sas entre les deux pôles de l’intrigue se fait sexuelle puisque nous pouvons y voir une allégorie vaginale dont l’empruntent représente l’unique moyen de saisir la véritable Jenny, même si Nestor paie un lourd tribut en effectuant le voyage puisque son cœur et son âme sont assujettis au risque d’irrémédiablement s'altérer dès qu’il quitte la belle. C’est dire que la fiction se collapse littéralement à son contact – moins contrapuntiste qu’inspiration létale – et, ainsi, le réalisateur Joyce Bunuël nous gratifie d’une image-épitre symptomatique lorsque Jenny dans une nudité attrayante surgit derrière le torse de son amant. La valence intrinsèque du titre affleure enfin, l'astre héliotrope c’est Elle.
Nestor Burma Dans L’Île : Petite musique de chambre
17 Août 2006

Intéressante et salvatrice digression pour le privé gouailleur parisien que de mener l’enquête sur un terrain de jeu insulaire situé en Helvétie. À moult encablures de la grisaille cosmopolite parisienne notre héros se régénère dans une aventure feutrée qui lorgne volontiers vers l’adaptation télévisuelle du chabrolien Inspecteur LavardinMaux Croisés » notamment). Engourdies par l’air pur l’intrigue et l’interprétation se répandent lentement dans des lieux foncièrement désertés
– par la vie et les êtres-estampes –, propices aux dégénérescences morales et bassesses inavouables. Loin de proscrire les accointances avec le vice la topologie de la résidence hôtelière se fait lynchienne pour transformer le personnage mutin d’Hélène (Géraldine Cotté qui peut enfin exprimer la tessiture indéniable de son talent comme dans le court métrage Petit Matin Sanglant) en récipiendaire des fragrances embuées et fétichistes (bas sensuels ou talons d’escarpins sur tapis molletonné de feuilles mortes mordorées) de Twin Peaks. Elle se meut en œil-espion observant au travers des parois ajourées composées de tout matériaux (bois, verre…) les secrets tapis de la famille de Preux et consorts. Cette traque intrinsèquement organique (lit défait) trouve son apogée dans les pièces au violon entonnées par la belle (troublante musique de chambre à la fois traînante et pastorale). Inflexion ou caprice, l’instrument transcende les pleutres et ennoblit les espions bouchers ou autres séides pour mettre tous les choristes au diapason.
Ecume de la trentaine et spleen afférent
16 Août 2006

Nestor Burma Et Le Monstre (II) : Le succube pernicieux
15 Août 2006

Parmi tous les téléfilms constituant la série Nestor Burma l’adaptation de l’ouvrage de Léo Malet Nestor Burma Et le Monstre par Alain Schwarzstein est probablement celle – avec Brouillard Au Pont De Tolbiac – qui se taille une place de choix au panthéon de nos mémoires de téléspectateurs. Certainement parce que ces deux opus sont les plus littéraires, non au sens romanesque du terme mais plutôt par le côté désuet du conte rythmé par une voix-off

débonnaire. L’épisode est d’ailleurs une histoire de bons mots – les dialogues rivalisent de drôlerie ou de cynisme – et de voix, de tonalité enjôleuse, gouailleuse ou hâbleuse induisant un troublant aveu phatique de littéralité.
Embringués ainsi dans les pages dépiautées des Nouveaux Mystères De Paris nous sillonnons le quartier de Montmartre pour nous mesurer au personnage effrayant campé par Marie-Emmanuelle Lassègue (alias Emma Colberti), ensorceleuse méphitique qui exerce sur son environnement un vénéneux magnétisme. Toute la gageure de la réalisation consiste d’ailleurs dans l’étude entomologiste et minutieuse de l’effet de ce prédateur sur l’univers qu’il foule. Le lent travail de sape commence avec les clichés en noir et blanc qui oppressent complètement l’espace en le restreignant aux fantasmes ambigus de cette Ondine à la fois séraphique et aguicheuse. L’œil concupiscent des mâles (forcément fougueux) ou des femelles frayant avec elle s’en trouve capturé, d’autant que les actes de violence électrochocs sont éludés. Ce succube pervers projette donc sa propre image non pour mettre en scène les fantasmes des autres mais leur imposer drastiquement les siens. Et la frontalité de son visage d’opale de s’épancher placidement dans nos consciences jusqu’au dernier plan où une chambre blanche et virginale devient une singulière caisse de résonance pour son aura allègre et vicieuse.

Sa présence parcellaire et limitée à l’écran rend le personnage de la maligne Ondine obsédant. Méduse ou Sirène isolée dans sa tour d’ivoire elle s’offre, enivrante, à l’imaginaire de chacun pour mieux s’y soustraire à sa guise. Même l’objectif est attiré à plusieurs reprises : utilisation de travellings avants pour simuler une aspiration inexorable vers la perfide arachnide. Car elle possède l’apanage du contrechamp – comédie préhensile –, habitant exclusivement l’œil des protagonistes, et manipule le flip putréfié entre son image unique et pernicieuse et celle, quémandeuse, de ces piteux énamourés. Rien d’étonnant alors à ce que Nestor ne puisse l’accoster qu’en se reflétant dans un miroir. La jeune femme de dos daigne s’adresser à cette illusion d’un vermisseau peu digne d’elle mais susceptible d’être aliéné, avili – la mort ou le suicide de ses serfs après usage n’étant que pure tautologie. Chaque inflexion minaude de sourcil ou de lèvres déstabilise durablement et son emprise de s’accroître jusqu’à l’embrigadement. S’ensuit une persistance somatique ouatée de son enveloppe voluptueuse qui, au-delà des vicissitudes du récit, pénètre et imprègne les psychés. Hargneuse ou fatale, pile ou face, Emma Colberti reste pour les férus de Nestor Burma un délice coupable et séduisant sans commune comparaison dans le sérail de vedettes ayant émaillé les aventures du privé parisien – rappelons qu’elle éclipse ici la sensuelle Géraldine Cotté pourtant impeccable dans le rôle d’Hélène.

Il est curieux enfin de noter que la fiction miroir de cette enquête, N’Appelez Pas La Police, reprenne à son compte la thématique de la vieillesse que l’on prophétise ici comme devant inéluctablement survenir. Delphine Rollin essaie d’y amadouer le détective usé et volage avec les même stratagèmes mais elle échoue finalement à le retenir dans son mausolée tapissé de clichés jusqu’au générique de fin contrairement à Emma Colberti. Au final de Nestor Burma Et Le Monstre le héros est toujours là, dans le contrechamp vacant de la démone retorse, à s’abreuver dans son indéniable charme malévole. Peut-être l’explication de la réminiscence de son image et de ses photographies dans le glamour Nestor Burma Court La Poupée ?
Nestor Burma / Des Kilomètres De Linceuls : Solo en mode mineur
15 Août 2006

Episode plutôt fadasse dans la galaxie pourtant pittoresque et gironde de Nestor Burma. Si elle n’est pas de la veine anémiée qui conclura malheureusement le show le téléspectateur sera pour le moins désappointé devant cette histoire convenue et dénuée de l'humour pragmatique et sarcastique habituel (élucubrations sur le travail clandestin, les stylistes vénaux et les grands couturiers prenant place en plein coeur de Paris). La cité demeure tristement sous-exploitée par
une mise en scène routinière aux confins de la torpeur – à peine les trémolos d'un solo de saxophone sur les quais au petit matin – tandis que le rôle tenu par Florence Geanty tranche dans la constellation racée, méphitique ou charnelle des incomparables et graciles héroïnes, cachet lumineux de la série. Elle charrie une vulgarité bien terne et affectée qui embrume jusqu'au lever de soleil vaseux du générique. Les scènes partagées avec Guy Marchand n’ont pas cette complicité évocatrice qui fait le suc des situations embrassées à l’accoutumée par le gredin débonnaire. Heureusement Natacha Lindinger sauve l’essentiel dans des situations badines notamment lors d’une audition sexy. Le strict minimum du proxénète cathodique plus que jamais solitaire.
Nestor Burma / L’Homme Au Sang Bleu : La sainte trinité
15 Août 2006

Voici le détective de l’agence Fiat Lux embourbé dans la résolution du meurtre d'un ancien ami aristocrate épicurien. L’originalité de ce téléfilm dans la série Nestor Burma réside principalement dans l’absence d’une alchimie ambivalente et érotique – susurrement de folies à la puissance tellurique – entre le personnage principal et une jeune femme au physique affolant. Car, d’emblée, Betty Karolinski qui aurait pu tenir ce rôle se présente comme la fille du défunt et, loyauté
oblige, ne saurait exister qu’une chaste connivence entre Nestor et cette Alexandra, danseuse de son état. Le marivaudage éconduit, l’esprit échappe aux griffes velléitaires de la passion pour s’élever, lâcher la bride aux facultés de déduction ou d’observation. Aussi, l’enquêteur désinvolte use à outrance du processus de reconstitution mentale devant des témoins médusés et émane de sa résolution un parfum policier digne d’Hercule Poirot. Le héros fouineur ne subit pas ici le déroulement du récit mais l’anticipe presque en précipitant par un stratagème suranné le démasquage des coupables. Et le réalisateur de Nestor Burma Et Le Monstre de nous livrer une excitante variation sur le thématique de la trinité puisque Pierre de Fabrègues fut abattu en présence de trois femmes (de trois âges différents) dont deux étaient complices. Exsudation biblique, cette scène trahit la dévotion de l’univers télévisuel de Nestor Burma à l'ineffable et dédaigneuse figure féminine.
Rome / Saison 1 : Déboires de vautours, les lambeaux de l’Histoire
14 Août 2006

Dans la catégorie série de prestige du réseau HBO la première saison de Rome se pose là. Rien de moins que le renouveau flamboyant et orfévré – sans un soupçon de kitsch ou de caricaturale Plèbe vocifératrice – du péplum où se pavanent avec jubilation iconoclaste luxure, proconsuls méfiants, affranchis parvenus, factions de légionnaires avinés, tyrans usurpateurs ou téméraires stratèges. Le show est tourné entièrement en studio en Italie pour un budget

faramineux par des équipes rompues à l’exercice dont le cinéaste Jeremy Podeswa (Les Cinq Sens, Carnivàle, Six Feet Under, The L Word…). Les performances des acteurs retenus se meuvent au fil du récit en authentiques offrandes aux scénarios ciselés notamment les six épisodes initiaux écrits par Bruno Heller formant un premier mouvement haletant. Dès « Vaincre Ou Mourir », et l’apport de nouveaux auteurs, nous observons l’amorce d’un impudent changement ouvrant la tragédie au monde – et à l’humilité pour les figures dépeintes ? – ce qui détériorera, équarrira pratiquement inconsciemment, l’aura des augustes prétendants, lieux ou situations (César, cité, coïts...) pour culminer avec le splendide « Les Ides De Mars ». Le paradigme de la narration supporté par une musique envoûtante devient la mise en lambeaux pour juxtaposer lie infâmante et effarante majesté de l’époque retranscrite.

Le plus appréciable dans cette fiction est la manière avec laquelle elle imprime la persistance du passé au travers des fragments jalonnant l’intellect populaire – les peintures rupestres du générique scandent mythes et figures de l’Antiquité aussi bien grecque que romaine d’ailleurs. Conscients de leur incapacité à générer à la télévision les fastes ostentatoires, tentaculaires et barbares des suffocantes batailles – façon Alexandre – ou d’un grouillant forum pour ainsi épouser la matière dispendieuse de l’Histoire, les créateurs du show choisissent de s’y introduire par le petit bout de la lorgnette. Les personnages de Titus Pullo et Lucius Vorenus aux abords anodins prennent progressivement un relief saisissant – notamment dans la scène où ils observent les étoiles (« Le Venin De Cerbère ») ou durant le mémorable combat dans l’arène (« Espoirs Déçus ») – et entérinent une exceptionnelle mutation puisque, comme nous, ils s’approprient avec un certain détachement, un pan de l’intrigue pour communier avec les légendaires Pompée, César ou Octave. La mise en scène participe de cette captation de la quintessence – les faits s'extirpent de la clameur et de la translation temporelle pour pourfendre le quotidien – en multipliant les plans serrés et les mouvements amples autour des protagonistes comme pour cerner la part d’humanité dans les veules manœuvres politiques – les joutes oratoires des tribuns sont la seule déception de la reconstitution par leur aspect fané et affecté –, les sordides avilissements ou les précaires allégeances.

Ce transfert, à la limite de la copulation, pointe étrangement pour exploser dans les soubassements charnels de la narration. L’approche sans ambages – plus fataliste que transgressive – des corps graciles, moites et brûlants de désir en découle puisque les reins d’Atia apposés aux naseaux frémissants d’un destrier nous narguent dès le premier épisode (« Le Vol De L’Aigle »). Et que dire de la sulfureuse et ardente Cléopâtre ou de la nymphe exotique Egeria ? Il est heureux que l’édifiant spectacle de Rome n’ait pas cherché à esquiver les orgies libidineuses où les patriciens aimaient à se rouler dans le stupre même si, audience oblige, les scénaristes reculent parfois devant la violence subversive de certains comportements. Le message passe néanmoins malgré une légère pudeur : dans ce microcosme pulvérulent on jouit de l’orgueil et du pouvoir affirmé sur ses vassaux (esclaves dociles, partenaires obligés ou peuplades proscrites). Même l’opération chirurgicale bouchère sur Pullo (« Une République Fragile ») est un gage de puissance presque dogmatique du combattant, quant à la crucifixion psalmodiée à tout propos elle symbolise dans un berceau judéo-chrétien l’ultime preuve de loyale dévotion.

La série semble entièrement dédiée à Vesta la déesse du foyer (décors ourlés, éclairages aux torchères, problématiques domestiques…) et, réinventant la parabole des oies du Capitole, les caractères féminins – de la garce vénéneuse à l’épouse adultérine en passant par l’ingénue prodigue ou la maîtresse bafouée et duplice – n’auront de cesse de prévenir (ou précipiter) le déclin de la sacro-sainte République. Derrière les viols, festoiements et pillages se profile leur indéfectible et solaire rancœur envers des hommes qu’elles envisagent comme rustres, hiératiques ou pleutres. La mutation est en marche au travers du dual Octave qui affiche nonchalamment sa féminine mansuétude et son austère cruauté (« Jeux De Dupes », « Octave Devient Un Homme »). Du tumulte de l’Histoire émerge un être hybride et déroutant seul capable d’endiguer l’hémorragie des consciences et de restaurer la discipline d’idéaux tenaces. Quand tous ses contemporains tergiversent, agonisent sous le joug d’autrui ou pavoisent dans des toges au prix faramineux il s’applique, autant que son libre arbitre le lui permette, à frapper au cœur sans jamais se salir les mains. L’archétype du dirigeant moderne instruit et vaniteux qui sait rester coi jusqu’à l’instant où il terrasse son adversaire dans une fulgurance. Autant dire que l’on brûle de suivre son ascension, entre vertu et ignominie, tout en déplorant que la seconde saison soit malheureusement la dernière.
N. Burma Et Le Monstre (I) : Comédie du contrechamp, l'envers du regard
14 Août 2006

Le Maître Du Zodiaque : A quand une hérédité assumée ?
13 Août 2006

C’est avec une pointe de soulagement que l’on accueille la conclusion balourde et expédiée de la saga de l’été 2006 de TF1, Le Maître Du Zodiaque. Certainement à cause de l’interprétation calamiteuse et exaspérante de Francis Huster – la scène du bar de l'épisode 4 mérite à ce titre de perdurer dans les annales – ou simplement d’une réalisation plate et amorphe signée Claude-Michel Rome annihilant consciencieusement le moindre soubresaut
d’ambiance, de rythme ou de sauvage perversion (le final de l'épisode 2). Le spectateur écoeuré peine à comprendre pareils choix artistiques quand le script – lorgnant clairement vers les différentes incarnation du Dr Lecter : Manhunter, Le Silence Des Agneaux, Dragon Rouge ou Hannibal – pouvait prétendre à injecter une bonne dose vitaminée à un genre du thriller français empêtré dans la naphtaline. Certes nous sommes loin de la rigueur d’écriture d’un Millennium, d’un Esprits Criminels voire d’un Nowhere Man pourtant les atouts étaient nombreux entres rixes familiales, étreintes saphiques et pseudo complots scientifiques. Tous implacablement gâchés dans une suffisance désarmante avec au passage les divagations d’Aurore Clément ou de Natacha Lindinger très loin de ses succulentes compositions de Nestor Burma. Curieusement seule Claire Keim traverse le marasme avec une candeur presque séraphique. De la caméra aux autres acteurs rien ne semble pouvoir s’agripper à elle, l’empêcher de boucler son bistre et traînant périple. Déprimant de constater qu’en bout de course sa présence éthérée constitue l’unique valeur ajoutée d'une fiction annoncée à grands renforts médiatiques et qui s'emploie à renier totalement et aveuglément son hérédité autant que sa généalogie. Volonté du diffuseur ou des auteurs ? Toujours est-il que l’aseptisation obtuse ambiante ne procure qu’une unique sensation au visionnant : se morfondre jusqu'à l’agueusie. Qui sait dans quels abysses nous plongera l'infirme Zodiaque 3 ? Réponse dans le prochain et malencontreux (néo) Hollywood Night.
Amanda Pays : Gouffre inaccessible, orbe magnétique
13 Août 2006

Saint Seiya : A New Hope
12 Août 2006

L’adaptation munificente et mirifique des treize épisodes du Junikyû – un jeu vidéo vient d'être mis en chantier – avait malheureusement été suivie d’un marasme visuel accablant avec les six piteux segments du Meikai-hen Zenshô. Nous pensions l’épopée définitivement enterrée après les choix artistiques plus que discutables de son créateur Masami Kurumada suite au cinquième film. Mais depuis quelques mois plusieurs nouvelles intéressantes nous parviennent. Outre

la densification des scénarios de l’Episode G, l’avènement d’une nouvelle mouture de la BD Saint Seiya Next Dimension qui contera l’ancienne guerre sainte menée contre Hadès par les forces d’Athéna. L’idée est d’autant plus stimulante que la saga devrait s’articuler selon deux points de vue distincts (les golds saints du Bélier et de la Balance / l'ancien Pégase ?). Une livraison régulière conçue graphiquement par Shiori Teshirogi et une autre, entièrement colorisée et plus sporadique, produite par le maître. Cette dualité marketing est un moindre mal au vu des premières planches disponibles de Masami Kurumada plutôt exécrables. Ce style entravé insuffle néanmoins la tonalité des mangas originaux – les volumes 23 à 28 notamment – qui nous manquerait sinon cruellement tant elle demeure associée à nos souvenirs trépanés d'une autre génération. Un illustre patriarche perverti qui reçoit l’onction au travers de sa progéniture (gémellité limite symbiote) plus de vingt ans plus tard cela rappelle clairement un mythe cinématographique inamovible et viatique qui n’en finit pas de nourrir notre imaginaire.

Mais Juillet vit déferler sur le net l’improbable nouvelle : la mise en chantier du Meikai-hen Kôshô pour une diffusion japonaise fin décembre. Nous trépignons d’impatience devant la qualité de l’illustration de Shingo Araki et conjurons la TOEI de revenir aux fastes de la première souche du chapitre des Enfers. Résolument polythéiste l’œuvre devrait avoir droit à un un coup de pouce de quelque force bien attentionnée pour recouvrer sa divine dimension.
Anachorète et sapience sereine : Criminal Minds & Lost
12 Août 2006

Aimée Mann au plus haut des cieux
11 Août 2006

La brève qui fait du bien. Aimée Mann (I'm With Stupid, Magnolia, Lost In Space...) enregistre un album pour l’automne où elle reprendra de sa voix languide les standards des fêtes de Noël avec en outre deux chansons inédites. Gageons que comme à l’accoutumée elle éconduira la mièvrerie pour s’approprier l’ambiance âcre fait de spleen acerbe et d’optimisme désarmant caractérisant ces chants limpides. One More Drifter In The Snow est attendu comme le Messie !
Blade Trinity : Apothéose cyanosée
10 Août 2006

Lorsque David S. Goyer scénariste de la saga Blade au cinéma fut nommé réalisateur du dernier opus Blade : Trinity nous étions enclins à l’indulgence tant le souvenir du phénoménal, ogre et cinétique Blade 2 avec ses questions iconoclastes et taraudantes sur l’avenir des races ou la soif inextinguible afférente était vivace. Nous tombons de haut au visionnage de cet indigent long métrage où montage stroboscopique et
propos dégénéré se disputent la vedette tandis que Wesley Snipes erre, délaissé, dans un stade dépassé de léthargie. L’abondance de gore symptomatique d’une dimension profondément somatique du héros a irrémédiablement déserté au profit d’une violence proprette. Ce n’est pas jeter l’opprobre gratuitement que de railler cette attérante lobotomie vampirique (séquences d'action décérébrées) où le paradoxe s’efface devant une cynique et cuistre distanciation. Nous passerons sous silence l’affligeant monstre au faciès de Prédator où la prestation inepte de Dominic Purcell (John Doe, Prison Break…) pour simplement brocarder un dernier plan enfin lucide sur le fourvoiement intégral de l’entreprise : Blade le monolithe se lance avec arrogance à contresens du trafic.
All For Love – The Most Beautiful Week Of My Life : Virtuosité volage
18 Juillet 2006

Après le chef d’œuvre que constituât l’orgiaque et morbide Memento Mori réalisé avec son comparse Kim Tae-yeong ce nouveau film de Min Kyu-dong éveillait indubitablement l’intérêt. Première constatation la capacité intacte du cinéaste à sublimer un matériau convenu pour délivrer une fresque de haute tenue. Sur un postulat anémié – suivre sur une semaine six histoires contemporaines (amours, amitiés, filiations) se croisant dans un Séoul qu’une
doucereuse inquiétude économique enrubanne – la mise en scène crépite en s’ingéniant à placer en lumière des personnages campés par un casting de haut vol.
Délurés et planants les mouvements de caméra multiplient les perspectives, complexifient par une invention rythmique nerveuse les vignettes humanistes composant le récit et enjoignent une sensualité pugilistique du meilleur aloi. Nous pensons évidemment aux télescopages pétillants et azimutés du policier gauche et de la psychologue divorcée qui catapultent le spectateur dans un puzzle ubuesque et virevoltant où l’on ne s’embarasse ni de césure ni d’iconoclastes poncifs.

Plus que les réalisations de Robert Altman difficile de ne pas rapprocher ces enchaînements rapides – d’acmé en acmé – ou ces trocs choraux – chaque être possède un son nous enseignait Memento Mori – du style de Paul Thomas Anderson. Identique maîtrise technique qui, sous couvert d’artificialité, psalmodie quelques diatribes acerbes sur un monde en déroute, engagé sur la voie de l’uniformisation. Défaut inhérent ou volonté militante All For Love se heurte ainsi dans un final étiré en longueur aux limites de son esthétique policée – ordre établi qui, en filigrane, cantonne le propos dans un registre un peu sage.
Cette promenade flegmatique mixant un kaléidoscope d’intrigues au piment disparate rappelle surtout Love Actually. Mais Min Kyu-dong dépasse ce parangon crayeux et un brin racoleur par l’infusion d’une culture coréenne médusée définie par une subtile componction. Certes la croisée des chemins s’accompagne toujours d’une bande originale sirupeuse voire flagorneuse mais s’emploie essentiellement à catalyser une substance flottante : insistance sur une thématique ambiante du suicide, superpositions d’instants avec des longs métrages ancrés dans l’imaginaire collectif comme Gone With The Wind ou dépôt de scories médiatiques arbitraires.

La place de la télévision – et la dégradation afférente de l’image – est ainsi vilipendée comme nouvelle instance hiératique qui caresse (preuve d’amour), transmet (astucieux flash-back d’un match initié par un téléviseur que l’on pousse) ou juge (père retrouvant sa fille malade) les sentiments ambivalents. D’où cette pluralité torsadée de regards afin d’échapper à la nausée normative et à l’absence progressive des consciences – plus nous avançons et plus le tissu humain tend à s’affaisser. Vagissements chichiteux puisque le cinéaste évite par exemple d’assumer les atermoiements androgynes que lui proposait son scénario contrairement à ses pourtant prudes contemporains (April Snow, The Unforgiven, A Bittersweeet Life…). Mais qu’importe de stipuler pareille entrave quand le divertissement demeure aussi allégrement troussé.
Êtres-Anges (II) : The Inside
19 Juin 2006

Êtres-Anges (I) : Constantine & The Inside
18 Juin 2006

Décès de Shohei Imamura : Evaporation de l'homme, affirmation du désir
30 Mai 2006

The Brown Bunny & Les Cendres Du Temps : A force de vouloir oublier...
23 Mai 2006

Camping : Fustiger notre masochisme
23 Mai 2006

Après Jet Set ou Trois Zéro, le réalisateur Fabien Onteniente trouve dans la figure archétypale et foutraque du camping un exutoire accablant voire vacant pour son humour grinçant d’opérette. Ses précédents longs métrages étaient sauvés par une dynamique saugrenue qui faisait montre de compréhension et d'un profond assentiment envers des personnages minables mais heureux d’être là. A ce titre le premier défaut du maussade et horripilant Camping s’affirme au bout de quelques scènes car pratiquement tous les protagonistes n’aspirent qu’à la sclérose : un retour en arrière, à la normale (la panne de voiture, l’adultère, l’erreur de réservation…). En

En bref, ils brident la moindre volonté nomade et narrative de l’entreprise.
Comédie franchouillarde destinée au grand public, nous sommes certes aux antipodes du sordide et âcre Camping Sauvage vu récemment pourtant l’écran est rapidement empourpré par des relents fétides et inexpugnables dignes de The Simple Life. La même mécanique lénifiante est ici à l’œuvre, en faisant surgir au sein d’une communauté de beaufs anisés et pécores le richissime, monolithique et blasé Gérard Lanvin. Cette incursion de la supériorité auto-revendiquée transforme la galerie d’acteurs chevronnés en surfaces offusquées sinon offensées tant la mise en scène s’ingénie à railler et saccager l’inventaire de leurs habitudes dégénérées.

Le long métrage voudrait nous voir nous esclaffer devant les poncifs les plus balourds, mais derrière cet attendrissement factice sur les villégiatures du bas peuple il ne faut pas se tromper de cible (ni de valence) c’est le spectateur qui est embourbé dans sa condition de demeuré ou de consommateur misérable. Traité décortiquant notre masochisme, le film se targue de vanter la cohabitation alors qu’il ne prône que la marginalisation – à l’instar de sa mise en scène poussive. Ces primitifs sont certes gentils et accueillants mais à petite dose. Pour paraphraser Les Bronzés Font Du Ski, ces campeurs là gagnent à ne pas être connus. A bon entendeur.
Monster : Marionnettes et origines du Mal
16 Mai 2006

Silent Hill : La matière impalpable des cauchemars
15 Mai 2006

De Christophe Gans nous n’attendions plus forcément de coup d’éclat après un Crying Freeman appliqué – s’appuyant sur une Julie Condra racée et satinée – et un boursouflé Pacte Des Loups. Or avec Silent Hill, adaptation du jeu vidéo éponyme, il passe clairement un cap dans son approche de la narration. Même si la greffe ne tient pas sur les deux heures offertes – la faute au recours massif à la figure matriarcale et au thème de la filiation qui servaient déjà de socle au japonais Hideo Nakata pour Ring et Ring 2, Dark Water ou The Ring 2 – voilà un condensé

foutraque d’angles extravagants, de correspondances ondoyantes, d’horreurs grandguignolesques (la scène de l’église nuit malheureusement à l’incroyable équilibre de l’ensemble), d’incarnations plastiques dérangeantes et d’angoisses lancinantes. En soi cela représente déjà une performance mais le pari est gagné par le cinéaste lorsqu’il peint la matière éprouvée (rouillée, macabre ou tombée en désuétude) sinueuse et caressante de sa ville fantôme. Armature impalpable qui échappe au conscient pour basculer dans l’abîme ou la torve obscénité d'un enfant-monste aliénant son environnement comme le sieur Wonka de Charlie Et La Chocolaterie.

Loin de l’indigence ou de la déroute de la saga cinématographique Resident Evil, le réalisateur conçoit un chapelet malsain associant temporalité vacillante et lyrisme consommé sans trop s’en remettre à un schéma classique de quête – l’apport principal du scénariste Roger Avary (Pulp Fiction, Les Lois De L’Attraction, Killing Zoé) avec l’idée que l’Enfer n’est qu’à portée de regard (l’infirmière marmonnant ou la petite fille entrapercevant entre le doigts de sa mère son terrifiant symbiote), finalement on ne se perd jamais dans la bourgade de Silent Hill, au pire on s'effondre dans les méandres de sa psyché en se répandant comme le sang s'échappant d'une plaie béante. La preuve en est sa faculté probante de jongler avec les trois modes existentiels et superposés de l’intrigue (réalité, univers démoniaque et chimères cendreuses).

Si la logorrhée visuelle peut laisser pantois à mi-chemin, nous sortons tout de même de la salle avec la sensation d’un véritable régal, d’une réussite orfévrée – jusqu’à l’aspect musical qui immerge dans la généalogie vidéoludique – matinée d’une infime frustration : celle d’avoir assisté à la gigantesque présentation d’un monde complexe et hypnotique (les frôlements du couple) dans lequel nous aimerions évoluer à l’aide d’un joypad. La privation de contrôle n’avait jamais été approchée avec ce pragmatisme dans la transposition de la console au grand écran – la déchéance mentale du personnage de Deborah Hunger (Crash, Hotel Room, La Voix Des Morts…) ou physique de celui de Lauri Holden (Les 4 Fantastiques, The X-Files…). Il y a là quelque chose d’indicible, une hémorragie irrépressible sinon stigmatisante, une déliquescence inendiguable et exponentielle qui se cristallise dans les brumes de limbes vertigineuses.
The Simple Life / Saison 1 : Le miroir offensé et pathétique
14 Mai 2006

Le spectateur ressort groggy de la première saison du programme vacant de la Fox The Simple Life. L’idée de base est affligeante : jeter deux princesses supérieures, impertinentes et pimbêches au fin fond d’une Amérique profonde et agreste dans une famille d’accueil alignant les poncifs péquenauds les plus éculés. Rapidement nous comprenons que cette fiction des réalités ne se réduit pas exclusivement à l’odyssée suffisante de sevrage (argent à foison, luxe écoeurant, passe-droits à vomir) de Paris Hilton et Nicole Richie aux pays des pécores balourds mais s’atèle surtout au décorticage de notre masochisme, nous vautrant dans la fange de

notre condition de consommateur misérable, anonyme et minable.
Loin de La Famille Osbourne qui voyait des pseudo-célébrités se colleter à un ersatz de banalité – jusqu’au malaise de la maladie – The Simple Life manie un tropisme paroxystique en mettant en scène un voyage en négatif de deux jeunes femmes de la jet-set dans notre univers commun mais devenu irréel à force d’observation venimeuse et effarée. Ce faisant elles n’hésiteront d'ailleurs pas à le railler et le saccager avec un plaisir pervers qui épousera l’obédience à leur regard hautain – celui de Paris qui prend rapidement l’ascendant en asseyant une duplicité avec la caméra comme lors des séquences «confessionnal» galvaudées. Dur constat que de prendre en plein visage un fantasme faisandé de vie mais difficilement supportable quand il s’emploie, en reniant toute potentialité phatique du show, à transformer le visionnant en miroir pour Paris et Nicole. Il est ainsi amusant de remarquer qu’en aucune situation elles ne se refléteront sur des surfaces à l’image (la scène de la sortie en boîte de nuit par exemple).

Sommes-nous à ce point dégénérés que The Simple Life ne prend même pas la peine de feindre l’observation d’un microcosme pour s’assurer une substance ou une structure ? Les scènes de réunions faisant le point sur l’aventure sidèrent par leur incapacité à combler le gouffre entre les protagonistes, à faire tomber le mur invisible de l’écran. Clairement les deux reines n’ont aucune envie de communier avec nous, bovins obéissants, et se consolent de leur séjour exotique en nous intimant l’ordre d’obtempérer à leurs caprices. A en croire Montaigne, l’obsession serait précurseur du génie et de la folie, devant un tel menu à nous d’interjeter une riposte le plus rapidement possible !
Saint Seiya Next Dimension : Le retour surprise du mangaka !
14 Mai 2006

Scarlet's Walk / Tori Amos : Effluves d’une terre
(reprise) 14 Mai 2006

Lorsque nous découvrons l’intriguant concept retenu par Tori Amos pour Scarlet’s Walk – un roman sonore où l’imprécatrice lyrique et sombre d’une Amérique mythifiée plonge profondément dans les méandres de sa nation en confrontant, le long des vagues de l’asphalte chaotique, ses racines irlandaises et cherokees avec les préceptes méthodistes un rien obtus de son père – notre perception est biaisée par son précédent album (le sixième, Strange Little Girl) où la rousse à la voix rauque se grimait pour s’approprier d’un point de vue féminin des chansons d’hommes célébrant l’élégie du beau

sexe. Le résultat en était pour le moins inégal dardant une cohérence désenchantée et une violence larvée. En quelques mesures pourtant le timbre guttural désamarré du présent opus aura fait voler en éclat nos réserves pour nous entraîner au coeur d’une vortex inédit, d’une chronique amère où s’entrechoquent, dans une anarchie paisible, la méditation tremblante des désirs et les incantations les plus ésotériques. La chanteuse apparaît sur la jaquette de l’objet dans une posture étonnement sereine, arborant un limpide et gracile élancement de silhouette pour embrasser l’infini ambré et invisible se profilant aux confins d’une voie rectiligne. Elle est notre guide autodidacte – une nonne fantasque égarée – dans la fracture latente et refoulée de la gangue cotonneuse d’un way of life hégémonique et impérieux. L’offrande se niche déjà dans cette mise en scène de son image, aux antipodes de la cruauté méphistophélique et finalement un peu gratuite de Boys For Pele. Pour emprunter le chemin onirique et sacerdotal qui la mènera au rapprochement de ses racines et en la compréhension d’un pays devenu étranger à lui-même elle revêt les haillons oniriques et baroques d’une sémiologue en souffrance. Et sa voix de s’épandre en vertu d’une cartographie hérissée d’expériences, vaste étendue d’imbrications de blessures.

L’idée motrice du disque trouve son origine dans les bouleversements secouant l’intérieur (la naissance de sa fille) et l’extérieur du microcosme patenté de la chanteuse (L’effondrement des Twin Towers un matin banal de septembre) ce qui en explique sa portée incisive et empathique – l’auteur cherche à se mettre à la place des personnes qu’elle rencontre ou simplement de son enfant, des êtres ayant en commun d’être esseulés, prisonniers d’un corps autonome qui les dépasse. Pour Tori Amos il ne s’agit plus de dénoncer crûment – vainement argueront certains – ou de déplorer cyniquement mais bien de comprendre et d’esquisser le temps de dix-huit plages au son dépouillé et intimiste l’hagiographie pragmatique de son peuple assoupi, perdu sur sa terre de contrastes. L’histoire est convoquée, transcrite dans une idiosyncrasie qui touche autant la prosodie étonnante que le rut kaléidoscopique de ce vaillant Bösendorfer. Le piano a, en effet, toujours les faveurs de la belle diaphane et ambiguë qui utilise ses harmoniques inquiètes et réfractées pour communier dans une introversion – la confession brutale à la limite de la psychanalyse est un des stigmates fondateurs de son répertoire avec notamment son viol par un fan relaté sans ambages dans le sordide et déconcertant «Me And A Gun» ou ses trois fausses couches resurgissant au détour d’une vocalise déconnectée – subjuguant l’écoute. De fait les instantanés ou polaroïd qu’elle nous rapporte oscillent entre la déréliction et l’extase, le paradisiaque ingénu et la fange abjecte. Et, incidemment, cette peinture tressée envahit la forme musicale, de ruptures en échos. Notre entomologiste susurre entre râles exténués et complaintes crépusculaires («Mrs. Jesus» sublime de dérive réprimée) une nouvelle mystique, où voix et instruments se confondent organiquement – si bien qu’on ne saurait subodorer quel flux naît de l’autre pour s’ébrouer avant d’y retourner –, fusionnent dans un paradigme vaporeux, s’accaparent réciproquement en transpirant un idiome vibrant («Crazy» et «Scarlet’s Walk»). Par-là l’artiste entreprend une curieuse transfiguration de son œuvre puisque les chansons semblent à tout moment en avance sur elles-mêmes, nécessitant un bref recalage d’abscisse. Elle invente simplement les mélopées relativistes à capter en mouvement. De fait, elle étoffe pour la première fois son tour de chant en s’associant à un bassiste et à un batteur. Les références à Led Zeplin ou Bela Bartok se font ténues, digérées, pour une création mature enregistrée en Cornouailles avec des collaborateurs de longue date (Jon Evans à la basse, Matt Chamberlain aux percussions et John Philip Shenale arrangeant les cordes du Sinfonia of London) et des nouvelles influences stimulantes (les trois guitaristes Robbie McIntosh, Mac Aladdin et David Torn).

Oubliées la frustration et l’angoisse singulières, la collecte de sensations sur le vaste territoire américain amplifie la tessiture et l’impact des textes sonores pour approcher délicatement la prophétie métissée. Et, ainsi, l’artiste s’ouvre complètement au monde, converse avec ses contemporains – son aversion pour l’ordre et la métamorphose de sa démesure frivole et sèche abolissent toute dimension épistolaire pour adouber le dialogue total et direct –, se laissant transpercer par la rumeur et l’absolu gigantisme d’un paysage stratifié, protéiforme et mutant. Des émanations d’un ciel oppressant («Your Clouds») aux ondoiements diaprés d’une société (le pénétrant «Strange» s’immisce durablement dans nos psychés comme un gémissement aux entrelacs polysémiques) l’artiste apponte de façon peu orthodoxe ou flatteuse sur la détresse et la démission cyclothymiques autant que la soif de transcendance d’un pays ébranlé et en manque de repères d’appartenance. Des faits relatés jadis sous une véranda ombragée et songeuse par son aïeul amérindien et que la chanteuse rapporte ainsi : «En Caroline du Nord où, enfant puis adolescente, je passais l’été, ces histoires étaient nos racines et renforçaient notre sentiment d’appartenance. Mon grand-père Cherokee ranimait ces souvenirs en me racontant des histoires de son peuple. Je ressentais une incroyable compassion pour ce qui leur était arrivé. Je suis sûre qu’avant de mourir, mon grand-père m’a vaccinée contre l’oubli.». Voilà à quoi aspirent finalement ces soixante-quatorze minutes opulentes et sobres, à une piqûre de rappel esquissée pour un melting pot triomphant en proie à la dislocation au premier revers cuisant. La psalmodie lovée dans les interstices de sa composition n’est qu’une litanie léchée contre l’obscurantisme et l’ethnocentrisme, s’effilochant doucement avec une légèreté opalescente.
Perdue sur un sol policé qu’on nomme Amérique, pour reprendre sa prose, Tori emprunte le costume candide et épuré de la jeune Scarlet afin de débrouiller les flashs furieux qui l’assaillent durant son périple. Monstre, déesse ou pythie désemparée elle tente avec cette odyssée, plus que de comprendre, de se poser les véritables questions sur les tourments qui accablent son pays. Les diverses responsabilités de chacun, la vision qu’ont les entités du tout qui les enchâsse, la léthargie intellectuelle et l’apathie morale encouragées, autant de souffles à recueillir, à explorer. Au-delà de ces constatations brutes et émotionnelles elle élabore avec son personnage de substitution «un fil conducteur, un fil dans notre trame personnelle, qui nous lie et nous relie». Car il s’agit de déceler, dans une foudroyante et limpide évidence, au carrefour d’une civilisation hagarde, l’essence d’une génération et sa fonction revendiquée de relais, de transmission («Gold Dust») aux dépositaires futurs d’une contrée exsangue. La hantise d’un album délaissant les rives provocantes de l’expérimental (musique électronique) et de l’abstrait pour enfin concevoir «que la musique n'est pas séparée de la vie, qu'elle n'est pas un divertissement», même un aigle prolixe taxé de forfanterie doit se poser («Wednesday») conclue-t-elle ironiquement. Peut-être pour s’enhardir à contempler l’horizon et à en invoquer l’insondable perplexité.
Lost In Space / Aimée Mann : Laissez-la être votre héroïne
(reprise) 13 Mai 2006

Pour le plus grand nombre Aimée Mann demeure une artiste confidentielle, murmurée, susurrée au gré de films ou de séries, l’icône dégingandée et diaphane du groupe ‘Til Tuesday au début des années 80. Ceci c’était avant son come back retentissant en 1999 avec la bande originale de Magnolia et sa nomination aux Oscars pour le lucide et poignant morceau «Save Me». A revoir le film de P.T. Anderson, la dynamique languide et désenchantée des chansons de la bostonienne longiligne nous apparaît clairement ; pénétrantes, elles emportent les images dans une chorale à l’allant d’une troublante justesse. Sa carrière

solo, Aimée l’avait entamée en 1993 avec l’étourdissant et innovant Whatever, suivirent l’exubérant I’m With Stupid et la perfection orfévrée confinant au sublime de Bachelor N°2. Après des joutes de prétoires l’opposant à sa maison de disques – trop paternaliste à son goût –, la compositrice réussit à se défaire de ses obligations contractuelles pour sortir de l’enclave désolée du commercial diligent et créer son propre label, SuperEgo Records, synonyme de totale liberté artistique.
Lost In Space, sorti depuis, s’en ressent. Arborant des pylônes électriques imposants et menaçants comme de tristes êtres efflanqués et décharnés au milieu d’une voûte céleste scintillante : un packaging innovant façon comic book et surtout une sincérité plus sombre, torturée et nonchalante. Il semblerait qu’irrévocablement une certaine utopie désillusionnée se soit estompée au profit d’une pataugeoire saumâtre à la probité aigrie et mâtinée de sarcasme. La lente évolution d’une jeunesse impétueuse vers une maturité pragmatique et flétrie.
L’objet placé sur la platine, le charme opère, nous entraînant dans une tonalité à la noirceur sincère et à la séduction désinvolte. Les textes raffinés et ouatés – d’une idiosyncrasie que n’aurait pas renié Emily Dickinson – s’épanchent d’arrangements sophistiqués et d’une ligne musicale épurée et subtile plongeant ses racines chez Carole King, Rod Stewart, Abbey Road ou Elton John. Un album ramassé duquel émane une impression paradoxale, claustrale et sereine. On y retrouve les habitués du microcosme délicat de la chanteuse : le producteur Michael Lockwood (également guitariste), Jason Falkner, Jon Brion et le mari d’Aimée Mann, le chanteur compositeur Michael Penn (frère de Sean). La minutie élégante de l’interprète est toujours saisissante lorsqu’il s’agit de relater et de présenter les aléas et frustrations de toute relation humaine. Les ambitions inassouvies, les regrets inavouables, les résignations coupables, le mauvais partenaire et celui fantasmé, les mythes subvertis et dépouillés de sens. Les gens qu’elle égratigne – ôtant une pellicule, une enduit propret de bon aloi – sur sa guitare abrasive et rauque se transfigurent en une sorte d’exutoire ciselé, parangon du quotidien interloqué et de l’empathie avec les regrets et les déceptions. Le chant parfois à la limite de la psalmodie exacerbe encore la portée mélancolique et la résonance cruelle des textes ou pour reprendre les propos de la chanteuse, «je préfère chanter doucement les mots forts que j’écris».

Cette faculté dans la transcription de l’évaporation des certitudes et de l’asthénie désincarnée pourrait sembler redondante avec le reste de son œuvre. Pourtant Aimée Mann entreprend de prospecter et de défricher une nouvelle région de l’âme humaine en adjoignant à ses sujets fétiches la dépendance et l’obsession. Cette addiction lancinante se fait d’abord jour avec moult synecdoques, métaphores et apologues («the perfect drugs», «Let me be your heroin», «Give me the fix», «Baby, kiss me like a drug») pour rapidement empourprer et saturer l’atmosphère de l’écoute. Toute la gageure de l’album étant d’investir son auditeur par ses mélopées vibrantes et traînantes et d’infléchir ses verrous par connivence ou collusion. Une déstabilisation saugrenue et enivrante qui mêle volupté et élégie dans un acerbe pamphlet sur l’immobilisme. En évacuant nos blocages, elle frôle et ride la surface ondoyante de notre être. Nous sommes en apesanteur : perdus dans l’espace, un vers martelé au détour de nombreuses chansons à l’instar du cliché galvaudé du papillon se brûlant à la flamme. Rabâchés jusqu’à perdre leurs teneurs surannées et nous enserrer comme autant de volutes opiacées, personnifiées et spectrales. Les actes se font répétitifs, nous emportent dans une harmonie grave et ironique où nous tournons vertigineusement autour de nous-mêmes.
Passé et futur s’évanouissant dans le néant sclérosé. De ça, oui Aimée, nous ne pouvons pas en parler. «It’s Not», le sobre et désabusé constat qui clôt le disque résume sa portée par le douloureux raccrochement au possible et la phobie tétanique de l’étreindre. Et l’interprète de dépeindre un monde pétrifié, totalement conditionné, se leurrant d’amours idéalisés, d’espoirs chimériques ou d’occupations frénétiques faussement épanouissantes. Finalement un monde léthargique au métabolisme asphyxié attendant quelque chose pour avancer, appuyer sur l’accélérateur. Mais que ce feu tricolore peut se révéler magnétique. Les drogues astreignantes devenant l’éphémère bouffée synonyme de vie : de véritables symbiotes existentiels. Il ne s’agit plus d’illusion de libre arbitre mais bien d’incapacité chronique à surmonter et supplanter les déplétions et turpitudes d’une réalité crépusculaire.

Incapables d’actionner la pédale car obnubilés, écorchés vifs et médusés, les êtres amourachés de vide d’Aimée Mann projetteraient leur vie sur une personne ou une activité semblant être la quintessence de ce qu’ils conçoivent comme le bonheur. Leur réveil risque d’être triste au son dépité de ces «Real Bad News» ce que l’auteur explicite en substance : «Je pense que tout le monde a vécu ça, on a tous tendance à réagir ainsi à certaines périodes. On ne peut s’en empêcher, quand on atteint un point où on essaie de changer son état d’esprit par tous les moyens possibles. Ce qui est vraiment intéressant, c’est que les gens peuvent avoir une façon d’être qui paraît saine, qui font du sport sans arrêt ou qui travaillent énormément, c’est pourquoi c’est si difficile de leur faire réaliser la situation, alors qu’il est évident que cela provient d’une obsession.». Et puis de toute manière c’est comme cela que ca marche alors autant accepter la contrainte sans se poser de questions. Satellites sans orbite, condamnés à errer entre les ténèbres et la flamme, tantôt amorphes, tantôt consumés.
En février 2003, un échalas lunaire, éthéré et cravaté apparaissait sur la scène de la Cigale pour nous gratifier d’un concert intimiste. Lequel déchirait lentement les derniers filets duveteux de brume occultant la somptuosité et la profondeur de morceaux parfois dilués sous un glacis un peu trop lisse mais à la spontanéité et à la liberté indicibles. La solidité et la maîtrise aguerrie de sa structure lui permettant d’en matérialiser le propos : déconfit, désenchanté et mortifère. Profondément triste et outrageusement risible, décidément «It’s not».
Kingdom Hospital & Silent Hill : La torve obscénité de l'enfant-monstre
11 Mai 2006

Basculer au-delà du conscient et que trépasse les souvenirs
11 Mai 2006

The Bachelor / Saison 1 : Les liaisons chuchotées
(reprise) 10 Mai 2006

Effervescent. Apparue sur M6 en 2003, The Bachelor (qui se vit adjoindre le sous-titre d'Un homme à tout prix) – où comment, en huit épisodes, trouver la femme de sa vie dans un parterre moiré de vingt-cinq ambassadrices du beau sexe – ne saurait se targuer d’originalité puisque sa généalogie américaine irradie dès le générique et son titre opaque aux béotiens non familiers des termes anglo-saxons. Il est néanmoins intrigant de noter que dans une vague de télé-réalité initiée et distillée par une frange médiatique à consonance nordique il s’agisse de l’un des rares concepts développés spécialement par les chaînes US, friandes de ce genre de gourmandises acidulées et consensuelles. Ceci explique indubitablement le décalage transpirant subrepticement dans une adaptation française

bancale et indigente. En effet, pour qui a visionné la version du réseau ABC (diffusée sur Téva), la mouture de la petite chaîne qui monte se révèle à bien des égards éminemment déconcertante et apathique – jusque dans les réactions des candidates qui s’offrent l’arrogance de refuser l’invitation là où les Américains préféraient laisser libre cours à leurs inclinaisons ludiques ou plus prosaïquement dans un luxe de pacotille, amer et honteux. Simplement parce qu’elle a perdu ce qui en faisait la saveur ambrée, mielleuse et pétillante. La profusion et l’aménité cédant la place à un famélique, servile et grotesque paravent. Après le champagne rieur, effervescent et timidement enivrant voici un mousseux sirupeux, insipide et liquoreux nous plongeant dans les torpeurs opiacées d’une migraine maniérée.
Conte de fées moderne. S’il est bien un talent que nous ne saurions discuter aux producteurs américains c’est leur propension à exploiter sans vergogne et l’ombre d’un scrupule un dispositif et/ou un concept. Aucune surprise donc à ce qu’un Bachelor 3 vienne de débuter là-bas tandis qu’un Bachelorette 2 – programme miroir recyclant la finaliste éconduite par le bellâtre – soit en préparation étant donné les scores d’audience mirobolants. Pour comprendre cet engouement, il convient de revenir au premier opus qui dans ce genre télévisé éphémère demeure le seul à pouvoir se draper des atours de l’innocence, nimbé qu’il est de spontanéité et de fraîcheur. Les numéros suivant ne sauraient être que des déclinaisons souillées, pâles reflets portant les germes sournois du délitement et de l’exploitation consumériste avide. L’émission débarque donc en 2002 sur le network disneyien ABC et met en scène le splendide Alex Taylor, trentenaire flamboyant et fringuant, éphèbe resplendissant aux pectoraux saillants et titulaire d’un diplôme artistique d’Harvard ainsi que d’un MBA made in Stanfford. Son activité professionnelle lucrative restera nébuleuse, qu’importe, il est du point de vue des mentalités américaines le stade ultime de la réussite, ce que toute femme peut et doit souhaiter. Et celles-ci de converger en masse vers une somptueuse villa de Malibu où chandeliers et torchères scintillent dans le cristal biseauté et l’argenterie briquée. Vingt-cinq jeunes femmes de vingt à trente-cinq ans couvrant toutes les ethnies et accointances du melting pot yankee seront ainsi jetées – manucurées et apprêtées comme des poupées de porcelaine – en pâture à notre célibataire engoncé dans un costume tiré à quatre épingles. De ce gynécée hétéroclite Alex devra dès le premier soir renvoyer dix prétendantes dans leurs pénates avec pandémonium de déceptions lacrymales et syncopées. Ce n’est d’ailleurs pas tant le processus d’élimination inhérent à chaque entreprise ludique que le raffinement sadique qui surprend et fascine. En effet après avoir entrepris de nous juger, de faire de nous des stars, des robinsons ou des millionnaires voici que le sempiternel petit écran se fait fort de conjuguer nos chimères maritales et mièvres avec une entreprise de domination et d’humiliation. Ce faisant, il oblitérera les personnalités et éliminera les gourgandines avec force jouissance. Il faut voir ces jeunes femmes attendant fiévreusement – le visage renfrogné et les mains crispées – leur sésame sous la forme d’une rose empourprée (prérogative et apanage du séducteur carnassier) pour se persuader de l’impact capital du verdict et de l’idéologie obscène véhiculée. Impossible de se soustraire à l’image (la mère et la société voyeuriste) et à la sentence du montage (le père sceptique) jusqu’à ce que les acteurs – terme ambigu employé à dessein – se confronte à leurs géniteurs (habilement accolés et différenciés de la métaphore télévisuelle) entre attrait des projecteurs et indignation désapprobatrice ou gênée.

Infériorité des sexes. On aurait cependant tort de croire à un divertissement avilissant et misogyne offrant son lot de jeunes écervelées aux perversions d’un macho lubrique et volage. C’est tout le paradoxe d’un concept qui glisse lentement vers le féminisme – le concept Greg Le Millionnaire pourrait être une tentative duplice et équivoque de rendre au mâle sa position dominante et d’objurguer la vénalité des galantes. Plus le nombre de candidates s’amenuise et plus Alex perd sa position de pacha en devenant le simple jouet de séductrices vénéneuses, retorses et tentatrices ou de simples midinettes éprises qui embrassent du même coup leurs rêveries de pacotille et le Graal tant convoité. La compétition n’invite plus que sporadiquement le bachelor à prendre part à la lutte et c’est bien dans les bravades, les conciliabules et les regards furibonds échangés par les harpies en présence que le drame se love. La chair est faible comme cet homme rapidement dépassé par ce qu’il a déclenché, son corps disparaissant derrière les formes voluptueuses – long appesantissement sur les prothèses mammaires décomplexées –, les chorégraphies hypnotiques et les œillades langoureuses.
La quintessence de cette assertion se cristallise dans la relation se nouant avec Shannon. Alors qu’il rend visite aux parents de la jeune femme, le fiancé se retrouve rejeté à une périphérie factieuse, moins important que le chien gambadant dans le jardin (elle ne l’écoute pas, élude ses interrogations pour des palabres sans consistance, se pare de décence avant de s’insurger s’il a l’outrecuidance de lui faire des avances). Shannon en jouant les capricieuses et en faisant miroiter ses faveurs manipule de façon éhontée le prétendant devenu benêt hébété. Plus que toutes les autres invitées du harem elle utilise sa frigidité feinte et sa virginale morale pour prendre le contrôle du jeu, pour évincer ses concurrentes, épingler Alex (dans un déni de son sexe elle l’émascule crûment, un dédain sensible également dans sa sortie magistrale et affectée sur le perron) et enfiler le solitaire attrayant à son doigt – dotation financière exorbitante du jeu car l’amour va de paire avec la félicité de l’opulence, de l’apparence. Elle ira jusqu’à refuser la chambre commune et les contacts physiques même chastes. Ultime camouflet que le mari en puissance châtiera avec perfidie et faiblesse en n’octroyant aucune rose à la brune arriviste, courroucée et pincée. Concomitamment l’attitude de Trista résonne d’une tonalité beaucoup plus mâture et élégante, la voie du milieu pourrait-on dire. Alors que le bellâtre tombe en pâmoison au premier regard elle n’utilisera jamais cet avantage pour parvenir à ses fins. Son approche de la relation charnelle diffère des autres élues du triptyque final – ou plutôt les synthétise –, Shannon et Amanda, icônes respectives de l’abstinence torve et de l’hédonisme enchanté. Pour Trista, le désir et la jouissance tirent leurs origines de la souffrance. Elle n’est point réfractaire à l’intimité mais entretient une trouble relation avec elle, entre étreintes incontrôlées et chape janséniste. Inconsciemment, Alex aurait réitéré un schéma archétypal et systémique de la société wasp (une trinité mère-fille-pimbêche) qui l’a vu s’épanouir presque par capillarité. Un épanchement à méditer tant les déviances dogmatiques affleurent. Le choix final se portera sur Amanda, soit la liberté ébahie au-delà du carcan étouffant. Le prisme féminin continue de s’insinuer dans l’esthétique des segments et la représentation érotique pour culminer avec l’avant-dernier épisode, présenté en direct par l’hôte obséquieux et regroupant les vingt-trois participantes précédemment éliminées. Une véritable soirée entre filles qui partagent leurs anecdotes sororales et leurs railleries aigres sur Alex. A l’acmé du brasier médisant en ébullition, elles se dresseront les unes contre les autres pour mieux se rassembler devant leurs détracteurs et battrent en brèche leurs diatribes dans un emportement (incarnation ?) matriarcal et sycophante. Tout est mis en œuvre pour représenter la transfiguration des prétendantes pourvues au départ d’un statut de célibataires honteuses, stériles et rétives en des individualités à la féminité étincelante et agressive, qui n’existent que par elles-mêmes et non pour les autres (encore moins pour Alex). Malgré ou à cause de cela cet épisode induit un certain abattement dans l’appréhension des rapports humains devenus unilatéraux, une sorte de déclin inéluctable et narcissique, désespéré et morne.

Illusions éperdues. Structurellement The Bachelor est une réussite fascinante et hypnotique. Dès le générique, flirtant entre épure et afféterie, et son rythme accéléré (le vent dans les bosquets), l’image sépia d’un couple enlacé sur une plage imprègne l’esprit. Ici tout ira très vite et sans aucune velléité de vraisemblance. Le show abolissant rapidement tout ancrage avec la réalité, le conte de fées moderne peut alors s’ébrouer, laiteux et théâtralisé. Mieux, l’absence de temporalité induit une prépondérance de la parole, d’une sorte de chant séculier et psalmodié qui nous livrerait un secret tabou.
Relaté, suggéré, raconté, l’avancée du récit nous apparaît par le biais de prismes enchâssés. Un kaléidoscope diapré, accumulation de subjectivités juxtaposées, pour un affrontement cinégénique et interposé happant un spectateur volatilisé en son giron. Chacun de commenter les images, de les tordre ou les distendre à foison. Alex, les femmes, l’hôte ou simplement le narrateur omniscient – et omniprésent comme un chaperon moraliste et attendri bien qu’extrêmement discret – manipulant les faits dans un magma heurté et plantureux. La voix se fait lointaine, touche à l’harmonie vibrante. Les échos s’entremêlent et conversent au-delà des images ou de l’écran (renforcés dans la version française doublée en surimpression des paroles américaines) accédant à une dimension envoûtante, libérée des contraintes chronologiques, topographiques et sémantiques. Pour privilégier l’intimité, les distances ont été effacées induisant une déconnexion entre la représentation graphique et le son (l’épisode du coup de téléphone et de l’œil enflé où le célibataire en vadrouille avec de sémillantes jeunes femmes en appelle une autre pour prendre de ses nouvelles, s’ensuit une analyse de chaque partie en présence mise en correspondance avec des angles de vue disparates). Souvent le voyage et le mouvement sont supplantés et remplacés par leurs explications ou les références (mots prononcés et encarts de textes) qui y sont faites.

Ceci est particulièrement palpable dans l’antichambre encéphalique ou la piscine cathartique (ouverte sur le précipice des possibles) où se retranche le bachelor avant la sempiternelle cérémonie des roses. Entre photographies, messages vidéo enregistrés par les fiancées potentielles et réminiscences orales ou visuelles, une confusion savante s’empare du spectateur. Le désordre amoureux mu et charrié par des moyens artificiels : une approche captivante et efficiente. Les strates disjointes s’achoppent, vaporeuses, il n’y a plus ici de flux ou de continuum, de temporalité, seuls prévalent le transfert (par flashs), la téléportation abrupte ou la translation impavide. Les saillies du monde extérieur (la rencontre d’avec les familles ou la venue du couple d’amis brisent l’harmonie ondoyante et sont rapidement assimilées et agglomérées par les replis suintants du mythe) sont d’autant plus traumatisantes qu’elles brisent le sanctuaire idyllique dans un morcellement de scories facétieuses. L’instantanéité et l’impermanence de la naissance des sentiments sont alors exacerbées comme autant d’arômes d’un breuvage gouleyant. D’où la nécessité impérieuse d’un chuchotement. En susurrant et en évoluant avec une précaution excessive les protagonistes (et les spectateurs) prennent garde à ne surtout point ébranler les passions et le monde cotonneux édifié autour d’eux, à préserver derrière un verre dépoli son havre de paix dans une illusoire autarcie. The Bachelor n’a donc rien à voir avec de la télé-réalité (Loft Story par exemple) car il oublie la vérité des corps et du temps pour pénétrer – par effraction psychanalytique d’où un certain malaise – dans les rêves entravés et larvaires d’une société désabusée et en mal d’idéaux. Toute la malédiction du cocon réside dans l’instant précis où il prend conscience de son nécessaire aspect parcellaire, de son inanité en tant qu’élément désolidarisé – le fiancé refusant de faire sa demande pour surseoir au couperet du retour aux servitudes, à l’aliénation du couple officialisé. Mais encore une fois c’est sans compter sur l’ingéniosité des créateurs de l’émission qui repoussent indéfiniment la révélation – l’entité refuse de mourir – en faisant réapparaître les personnages flottants et pérennes dans The Bachelor 2 (Alex, sa promise Amanda et Shannon), The Bachelorette (Trista en vestale inaccessible) et une réunion comme eux seuls savent les concevoir, entre complaisance et nostalgie, «Where are they now ?». Comble d’un concept asseyant sa légitimité sur la parole, ses rejetons finissent par communiquer, entretenir un surprenant dialogue en forme d’écho. L’émission miroir The Bachelorette renvoie ainsi le célibataire héros de The Bachelor 4 (en cours de tournage) après avoir reçu son égérie de la souche originelle. Voilà un concept trépané, maintenir la flamme en soufflant sur les braises, sublimer le quotidien pour entretenir la passion au sein d’un bunker improbable et abusé : le refuge énamouré du fantasme.

Nouvelle cuisine (V) : Heurt de la verticalité et de l'horizontalité
9 Mai 2006

Marie-Antoinette : Mouvement de nuque, éclosion minaude d’une féminité
7 Mai 2006

One Tree Hill / Saison 3 : Moira Kelly, le corps stratosphérique
6 Mai 2006

Un samedi après-midi à musarder devant la télévision, l’occasion de visionner quelques épisodes des Frères Scott (One Tree Hill). Ce qui retient immédiatement le regard dans cette fiction reste la présence indubitable et les émanations stratosphériques du corps de Moira Kelly. Délicate et incertaine Donna Hayward dans Twin Peaks, Fire Walk With Me, l’actrice semble s’être transfigurée sur le petit écran. La proposition de David Lynch tenait de la tautologie, substituer une enveloppe tout en rondeur à une

autre ayant éprouvé la sensualité de sa féminité issante (Lara Flynn Boyle). Moira Kelly permettait d’infléchir le souvenir pour effectuer un réel retour en arrière vers les origines candides et ingénues du show. Nous avions ensuite perdu de vue cette jeune femme – se fourvoyant dans des productions de triste acabit – avant de la retrouver dans un rôle rêche et branlant pour la première saison de The West Wing. Le personnage de Madeline Hampton inférait la mue d’une femme forte empoignant à bras le corps le plus infime instant d’image octroyé.

La découverte des trois saisons de One Tree Hill constitue donc une surprise désarçonnante tant Moira Kelly parvient à asseoir une nouvelle transcendance. Il ne s’agit plus d’apprentissage ou de nervosité acerbe mais bien de se déprendre, d’estomper jusqu’à l’épure le physique. De fait elle incarne plus que tout autre protagoniste l’aspect immatériel de la narration, télescopage lucide et truculent d’intrigues à la fois cocasses et ostensiblement sérieuses. Mieux, ses chairs en s’affinant deviennent clé de voûte de la série en faisant fonctionner ou en montant littéralement un récit profondément adolescent. Un processus rare et miraculeux d'autant qu'il s'articule au cours de la troisième année autour de retrouvailles à distance avec Sheryl Lee, jadis interprète ardente de la mythique Laura Palmer. A l'aune d'une ligne de dialogue prémonitoire du film de David Lynch nous n'allons nulle part et vite, il ne reste donc aux corps prosaïques que la mutation au sein du creuset ontologique.
Nouvelle cuisine (IV) : Et le coït devint malsain…
25 Avril 2006

Festival de Cannes 2006 : Une brusque envie d’escapade
21 Avril 2006

Smallville / Saison 5 : Le pacte du regard
17 Avril 2006

Ca ne manque jamais, à chaque rentrée Smallville, la série phare de la WB, entreprend une remise en cause des ses fondements plastiques et scénaristiques pour adhérer au mieux à sa cible ou à sa matière changeante : les adolescents. Après les corps mutants inondés d’effets spéciaux de la première année, le questionnement du destin et de la paternité de la seconde fournée, la noirceur abyssale – de la puberté ? – émaillant la saison 3, les délires érotico-mystiques de la quatrième année, le

prologue de la cinquième saison tresse – et prône avec fougue force est de le constater – ainsi un nouveau pacte, celui du regard. La réalisation de « Simple Mortel » pose les bases des vingt-deux épisodes à venir. Une caméra vive, butinant avec vivacité les éléments prolixes du cadre à la manière d’une pupille erratique s’abreuvant des codes environnants qu’elle peut désormais rendre intelligibles, associer vertigineusement.

Le globe oculaire se meut en impétrant de l’intrigue par sa propension idoine à imprimer les évolutions de chacun sur une cornée tombée en pamoison. Citons pêle-mêle les yeux des assaillants kryptoniens embrasant les décors (vigueur), les iris révulsées du patriarche Lionel Luthor (hystérie du savoir), l’échange lourd de sens lorsque Lex implore Clark de lui asséner enfin la vérité (bravade) ou les yeux de l’attirante Kristin Kreuk qui s’ouvrent avec la même avidité sur la carcasse d’un engin spatiale ou le corps de son fiancé transi (désir des formes). Et puis il y a ce plan-univers où, dans l’œil de Chloé, se déploie la gigantesque et virginale banquise flanquée de la forteresse – déséquilibrée ou incomplète d’un point de vue architectural – de la solitude. Solipsisme quand tu nous tiens.

Le moratoire du regard reste l’apanage des héroïnes féminines du show quand les hommes pratiquent le médium erroné de la parole (propos sibyllins des pères Jonathan, Jor-El ou Lionel). Peut-être parce que les mâles – du colosse ascétique au gamin malingre – n’ont eu de cesse de devoir réapprendre leurs corps respectifs et l’espace de perceptions afférent. Fortes de leur potentiel ésotérique et sexuel, Loïs, Lana ou Chloé inondent l’écran au détriment des subséquents Clark ou Lex empêtrés dans les travers de la mégalomanie. Chacun des deux essayant en effet d’assujettir l’intrigue à sa personne (ma famille, mon père, mes fêlures, mes doutes, ma quête, ma Lana). Les tentatives de séduction latente de la jeune métisse par les deux rivaux ont pour but univoque de ne pas flancher, de ne point disparaître dans le continuum (cette prison bidimensionnelle qui s’enfuit à l’horizon). Qu’importe alors que les soubassements des épisodes 5.01 et 5.02 rappellent le grégaire Superman 2, le cœur est ailleurs, dans l’aliénation et la servitude des relations sentimentales. Quand la conception du couple prône concomitamment altérité et dualité – thématiques appuyées du double et du rejet – c’est un monde de maturité qui affleure.
Smallville / Saison 4 : Délires érotico-mystiques
17 Avril 2006

Fragile : L’hôpital et ses fantômes
16 Avril 2006

Amy, jeune infirmière marquée par un profond trauma, débarque dans un hôpital pour enfants proprement délabré vivant ses dernières heures. En effet, Le bâtiment – comme l’héroïne – présente de troublantes détériorations et de sourds détraquements de ses fondations. Les opérations de transfert des patients vers les établissements high-tech londoniens justes engagées, elles se voient ponctuées par des événements surnaturels de plus en plus
fréquents. L’atrocité culmine lorsque cette force invisible commence à maltraiter les chérubins, brisant les squelettes et lacérant les chairs.
Le nouveau film de Jaume Balaguero n’aura pas, aux dernières nouvelles, les honneurs fastes d’une sortie officielle en salles. Aperçu sur Canal + avant une distribution sous format DVD nous pouvons comprendre une telle décision tant l’œuvre divise le spectateur. Sur des thèmes maintes fois rabâchés (claustrophobie, peurs enfantines, reliquaires et pugilats bibliques…) le cinéaste espagnol pêche dans sa mise en scène, transparente, à secréter d’infimes angoisses ou un quelconque suspense – même s’il opère un virage appréciable, mais dénaturant, d’avec les excès de La Secte Sans Nom. La saturation métaphysique de son propos – envahissant déjà son précédent Darkness –, l’éviction diligente des atrocités, l’appesantissement sur le symbole préhenseur de la main, les relents hollywoodiens de The Ring – l’île maternelle, esseulée et balayée par les vents comme ultime horizon ou solive horrifique – ou un sérieux sentencieux plombe un tableau qui aspirait à de plus hauts faits.

Timoré, Fragile échoue à renouveler un genre codifié à l’extrême comme le fit jadis Lars von Trier dans son iconoclaste Kingdom, agrégat phénoménal d’humour potache et de terreur hagarde. Pourtant, derrière les effets convenus pointe une véritable conscience de la paupérisation des décors, humains autant que matériels d’ailleurs. Rarement, en effet, nous aurons assisté à une déliquescence quasiment en direct d’un univers malade, miné par des années de martyrs et de fiels. De fait l’hémorragie latente trouve un exutoire saisissant dans le final où tout périclite et d’effondre comme les corps, le monstre délétère voire même le métabolisme intrinsèque du long métrage, ses os.

Rien ne nous sera épargné, ou presque, et l’apocalypse passée ne perdure qu’un vague et déclinant malaise entièrement insufflé par la nébuleuse Calista Flockhart (Ally McBeal). Si elle incarne comme Lena Olin avant elle la joute permanente et infatuée du jeune cinéma espagnol avec les canons américains – dont la figure de proue demeure Alejandro Amenabar (Les Autres, Ouvre Les Yeux…) – elle stigmatise surtout le rapport de Jaume Balaguero avec ses créations. Poupée désarticulée dont chaque membre aspire à une vive propre – rien que sur son visage lèvre et regard s’ignorent placidement – elle souffre sinistrement et en silence de l’atrophie progressive des ses mouvements. Derrière son masque diaphane délicatement lézardé insiste la quintessence de l’horreur ou quand la folie commence à émerger, à être visible.
Ulysse 31 : La révolution industrielle aura bien lieu
15 Avril 2006

A revoir des années plus tard l’intégrale des vingt-six épisodes de la série d’animation franco-japonaise Ulysse 31 nous sommes frappés par la fusion monumentale entre les aspects sacrés et profanes qui la taraudait alors. L’originalité de l’entreprise était évidemment d’apposer aux confins de la galaxie des mythes séculaires avec une modernité flamboyante. D’où une vertigineuse mise en abîme d’un paysage sociétal contemporain arrogant qui ne fondait sa
civilisation que sur ce leitmotiv fétide. Et le ton de devenir insurgé, militant – nous sommes dans les années 80 – arguant tantôt la cause des femmes et des ouvriers exploités (« Les Révoltées De Lemnos ») ou celle de junkies tombés sous le joug de substances psychotropes facilitant l’oubli (« Les Lotophages »). L’aventure trouve naturellement sa conclusion dans les méandres d’une cité macabre et individualiste (« Le Royaume D’Hadès ») : titanesque théâtre d’ombres aveugles, dépourvues de souvenirs et indifférentes aux intrus périphériques si ce n’est pour vampiriser leurs derniers soubresauts de vitalité.

Tous les protagonistes qui égayent ce voyage fallacieux uchronique ayant renié leurs idéaux deviennent les jouets de dieux omniscients, hégémoniques et capricieux (« Heratos », « Sisyphe Ou L’Eternel Recommencement »…). Broyés dans la fournaise d’une fange tristement industrielle, torve carambolage phagocytaire et imprécateur entre idéaux dévoyés et machines impérialistes. Et la fascination pour ces êtres à la dérive de s’amplifier à l’aune du talentueux duo Araki/Himeno qui confère une esthétique étrangement pesante aux corps (« Atlas », « Le Cyclope Ou La Malédiction Des Dieux »…) – à contrario Zeus ou Poséidon ne sont que des icônes incertaines flottant dans le vide stellaire. Ces enveloppes archaïques – « Circé » ou quel chemin entre elles et le néant porcin ? – de misérables créatures deviennent le siège d’un combat autrement plus digne ou essentiel, celui de la domination de son avenir par le savoir et l’expérience. Les arabesques de l’épisode « Les Sirènes » stigmatisent le décalage et la dévotion des chairs avec une oralité docte et duale – le chant enjôleur des mécaniques voraces. Evolution et prépondérance de l’intellect, nous avons déjà connu pires thèses pédagogiques lors d’un programme pour enfants.
Failan : Simulacre nécrosé
14 Avril 2006

D’une infâme mièvrerie Failan s’écoule, indigent et racoleur, en alignant les écarts hystériques, les saynètes inconsistantes et les séquences lacrymales. Sur un mode foncièrement défectif Song Hye-sung se complaît dans un misérabilisme lénifiant et s’en remet sans vergogne à son petit dispositif structurel troussé sans génie. Pourtant sur un postulat analogue, rédemption et spirale ferroviaire à rebours vers le temps clément de la candeur, le radical et
merveilleux Peppermint Candy emportait haut la main l’adhésion. Ici le cinéaste se fourvoie à tous les niveaux. Celui de la mise en scène d’abord par le recours excessif à la grandiloquence et l’incurie coupable dont il fait preuve dans les interconnexions laborieuses et arbitraires de ses différentes scories – la scène finale, presque grabataire, en pâtit malheureusement. Nous préférerons taire les lacunes patentes en terme de gestion (condensation ?), bien lâche, de la durée. Le climax refroidit durablement car oppressant à force de pathos. Enfin comment pardonner une direction d’acteurs envisagée comme la plus éreintante des corvées où le réalisateur se borne à cantonner ses deux stars dans la docilité limpide pour Cecilia Cheung (Shaolin Soccer, Wu Ji…) et les gesticulations grotesques pour l’immense Choi Min-sik (Ivre De Femmes Et De Peinture, Old Boy…). Une stupeur gluante éclabousse chaque seconde du film jusqu’à nous faire amèrement regretter l’élégie kitanesque (Hana-Bi, Violent Cop, Sonatine…) lors des jeux de plages.
Julie Gayet : Rencontres vibrantes
13 Avril 2006

Syndrome judéo-chrétien, les débattements apocalyptiques du couple
12 Avril 2006

Hex : Carcan de lignes acérées contre enchevêtrement transgressif
11 Avril 2006

Yan Mo : Résistance des ruines-visages, progressivement corrompus
11 Avril 2006

16 Blocs : Cinétique imbibée de mollesse
10 Avril 2006

Bruce Willis rencontre Richard Donner, une nouvelle alléchante pour les cinéphiles de tous bords. Sur une trame très seventies le duo brode une course-poursuite pédestre d’un flic aux abois – répondant aux canons crépusculaires du genre : viril en diable, blasé au possible, largué par ses proches, alcoolique à ses heures et à tendance éminemment sociopathe – devant protéger un témoin de ses collègues ripoux lors d’une odyssée cheap sur seize pâtés de maison.
A l’instar du paradigme de L’Arme Fatale, ce qui séduit durablement dans ce polar conventionnel réside non seulement dans la maîtrise édifiante de sa temporalité – moins de deux heures pour conclure et arriver, bringuebalant, au palais de justice – mais surtout dans la mollesse qui l’imbibe. L’héroïsme qui taraude le cinéaste est alors moins une envolée épique chichiteuse qu’une analyse discursive de son étiolement adipeux. Le film (amibe spongieuse ?) n’aura ainsi de cesse de se focaliser sur les poncifs qui l’engoncent – la tchatche exécrable de l’ex-taulard black, les scènes convenues de fusillades, le grimage ostentatoire de l’acteur principal – pour lover ses deux personnages principaux et expliciter, patiemment, chaque pouce de terrain. L’idéal sobre de deux vétérans se tapit finalement dans l’asymptote, et ils l’effleurent par le truchement des caractères antagonistes, l’un détonnant, cinétique et l’autre sclérosé, atone.

A l’apogée du récit lumineux il y a ce flip scénaristique entre la séquence sinistrée placée en préambule et le retour d’Eddie venu passer le flambeau à Jack qui sort alors de sa réserve pour insuffler à un bus privé de roues un mouvement de translation salutaire. Le long métrage a manqué de défaillir ou de se pétrifier mais le voici reparti à la conquête des sommets (mouvement ascensionnel hautement allégorique du parking au procureur, de la médiocrité à la grandeur) et qu’importe qu’en route il oublie quelques onces d’originalité, le spectateur repart ravi en se remémorant les parangons de ce genre difficile, dont l’efficace Rush Hour 2.
The Outer Limits (II) : Prisonnière du champ somatique
9 Avril 2006

Renaissance (II) : Deux sœurs incandescentes, émules de Vertigo
8 Avril 2006

Something about Delphine (Rollin)
7 Avril 2006

EZ Streets : Embardées impavides
6 Avril 2006

Flèche éphémère, la formidable fiction ambiguë EZ Streets fendit le paysage télévisuel américain pour 9 épisodes à la rentrée 1996 sous la houlette de Paul Haggis déjà artisan de l’idiosyncrasique Due South et ayant depuis acquis le statut d’auteur avec le choral Collision. Dès les premières scènes du pilote qu’il écrit et réalise avec virtuosité la série lyrique et tragique installe sa singularité entre portrait amidonné – tendance monochromatique – d’une ville indéfinie et un profond et irrépressible mouvement de
translation, de narration. De fait nous visionnons une oeuvre qui – littéralement – respire et soupire, s’éparpillant parfois sur fond de vocalises ou entrelacs celtiques lors de travellings arrières découvrant de gigantesques volumes délabrés. S’élançant vers la voûte céleste en lents panoramiques la réalisation n’aspire aucunement en un maraudage déconcertant mais bien à une analyse clinique, sur le fil du rasoir, de la puissance figurative et scénaristique, parfois antagoniste, du détail signifiant (les plans insistants sur la clé) et du tout écrasant (planques industrielles aux lignes de fuite affolantes).

Résulte de cette ondulation centrifuge un sentiment, entre fureur et quiétude, de stase béate et déstructurée que cristallise le personnage vénéneux hanté par Debrah Farentino. Cette damnée torve, sensuelle et fragile entame avec l’intrigue un lent processus cathartique – dénué de tout pathos – qui culmine lors du final du troisième opus dans une bâtisse égarée au sein d’une vaste friche. Les infimes rides qui parcourent son visage suave et envoûtant sont autant de barbelés ou de ruines qui parsèment les ghettos décadents abritant les malfrats et ex-taulards louvoyant en état de demi-sommeil. Le halo terne qui nimbe les existences communes des protagonistes cyniques entretient le spectateur dans une sorte de transe hybride où ne percent que les embardées sporadiques du récit, forcément impavides. A l’acmé de ces bribes perfides pointe une véritable détresse éthérée dont l’évidence bouleverse durablement.
Le Combat Ordinaire / Tome 3 : Espace du cadre, solitude
6 Avril 2006

The Outer Limits (I) : Rhéologie du désir, prémices et coercition
5 Avril 2006

Ice Age 2 : Burlesque sadique
5 Avril 2006

Avec les vacances de Pâques voici que déboulent dans les salles obscures les nouvelles aventures du mammouth Manny, du paresseux Sid, du tigre Diego et de l’hilarant rongeur névrosé prêt à tout pour s’accaparer un gland, Scrat. Le dégel de la banquise tient lieu de prétexte à un script vantant ainsi la manière dont il se départit des servitudes du segment d’ouverture. Disons le tout net l’immense saveur du film ne réside pas dans ses prouesses techniques diaprées mais dans les
incursions farfelues de la bestiole aux yeux exorbitées croisant dans les parages gelés et qui entretiennent une rythmique fébrile et trop sage.

Si les rémanences des apparitions de Scrat découlent de la topologie circulaire de la scène (une vallée emmurée) il est intéressant de noter que non seulement il reste toujours indifférent aux drames ridicules qui l’entoure – excepté ce volatile démoralisant qui thésaurise son graal – mais fait ici singulièrement corps avec la glace environnante. Plus que n’importe lequel de ses congénères il lui échoit de relier les intrigues ou de débuter et conclure le récit. Et lorsqu’il se retrouve collé à la paroi blanche la mise en abîme n’a plus rien d’un apprentissage didactique, mais d’une fatalité un brin sadique – même le repos du tombeau lui est refusé. Couinements et obsessions ne pourrons aucunement briser l’enchaînement de ses péripéties dignes du supplice de Sisyphe. Comble d’une avalanche de gags à la drôlerie plus immédiate que celle d’un Monstres & Cie ou d’un Indestructibles – car dépourvue de foi en son essence narrative – que de transformer son burlesque muet en un sadisme délicieusement absurde.
Suspense, coup du sort, dépit
4 Avril 2006

Camping Sauvage : Upside down, la traversée du fleuve des Enfers
2 Avril 2006

Renaissance (I) : Isolement et agonie dans la transparence
30 Mars 2006

Renaissance, perle de Christian Volckman, cueille son auditoire à froid en le précipitant dans un Paris de 2054 fortement inspiré des vestiges de Blade Runner ou Minority Report. Le séisme visuel est d’autant plus déconcertant qu’il s’opère dans un mode dichromatique, mélange frontal nébuleux de noir et de blanc, et procède par capture des mouvements d’acteurs live pour les plaquer sur des structures d’animation classiques. Si cette conception ambitieuse
s’enhardit au fur et à mesure de l’immersion dans un monde suffocant, car d’une sécheresse impressionnante, les sensations du spectateur fluctuent, égaré qu’il est dans un mausolée à l’esthétique vertigineuse mais aux soubassements narratifs profanes sinon rétrogrades. L’hommage inégal aux romans noirs – lorgnant plus sur les terres fécondes de Chandler ou Sue que les contrées déprimantes et rêches d’Ellroy – est probant mais s’accompagne parfois de pistes éculées comme la figure féminine duplice et tentatrice, le flic renfrogné et solitaire, les accointances avec un parrain digne et probe, une vaste conspiration aux ramifications industrielles ou l’orgueil mégalomane du scientifique. En bref, ce long métrage exemplaire et étonnant à de nombreux points de vue, notamment macroscopiques, pâtit surtout du manque d’originalité des parties qui le composent. Entre récit fac-similé d’un épisode d’X-Files sur la progeria, effet vaporeux et esthétique post-Akira, questionnements contemplatifs et urbains inhérents aux réalisations de Mamoru Oshii ou parti pris à la Sin City, les nuisances d’une SF occulte de bas étage et d’un système de valeur de bon aloi affleurent et seule la charge contre une société mercantile et infantilisante convainc sommairement.

Le nœud gordien de l’entreprise est ailleurs, dans la pétrification de l’image immanente et son délaiement déconfit dans le reflet – leitmotiv et redondance cosmétique. La transparence est ainsi l’adjuvant omnipotent du film. Presque par connivence, elle invite les personnages à se mirer dans toute surface polie pouvant circuler à l’écran au gré du déroulement de l’intrigue. Si l’apparent moteur de ce mouvement compulsif réside dans la volonté d’exploser les cloisons vitrifiées du carcan de l’animation pour embrasser un pan entier de cinéphilie le résultats est antagoniste : un choc anxiogène contre des parois inébranlables. Dès lors les protagonistes ont beau briguer une gouverne fringante de leurs destins respectifs, ils ne feront que se débattre et s’isoler au sein des anfractuosités poisseuses de leur corps-surface. Cet apologue est entièrement incarné par les deux sœurs Tasuiev. Suite à un accrochage initial, Bislane – mère de substitution – n’aura de cesse de se cogner – d’agoniser en état d’anaérobie – au souvenir de sa sœur Ilona – pierre angulaire du scénario – et à son enveloppe charnelle transmuée en hologramme dans l’appartement de son futur amant, les motifs symétriques travaillant en creux cette trajectoire. Si nous pouvons déplorer quelques errances superfétatoires Renaissance n’en demeure donc pas moins une expérience d’une profonde et singulière empathie.
Question de perspective (IX) : Point Pleasant & Hex
29 Mars 2006

Saint Seiya Meikai-hen (III) : Stupeur et pétrifications
28 Mars 2006

Question de perspective (VIII) : The Pretender
27 Mars 2006

Kaamelott : Quand une culpabilité diffuse infléchit le désopilant élan
26 Mars 2006

Toujours aussi jubilatoire la série de programmes courts Kaamelott continue d’égayer avec maestria nos débuts de soirées sur M6. Sa franche réussite repose toujours sur une rythmique prodigieuse soutenue par une gouaille orfévrée et prolixe sur laquelle surfent monarques azimutés, prélats plumitifs et goualeuses de tous acabits. Pourtant pour sa troisième saison le show s’enrichit d’un motif puissant et proprement
déconcertant, celui d’une culpabilité diffuse mais néanmoins palpable lorsque, indolente, elle pénètre nos psychés. Un sérieux équivoque bat ainsi en brèche la légèreté ambiante pour instaurer un sentiment de vacuité abyssale qui infléchit la dynamique comique de la troupe jaspée d’Alexandre Astier (rivalité croissante entre Arthur et Lancelot ou aventure sentimentale honnie du roi et de la femme d’un de ses fidèles chevaliers). Les personnages puérils devisent, comme à l’accoutumée, sur les birbes futiles ou la périphérie la plus grotesque du mythe d’Avalon mais par leurs comportements et prosodies respectives ils deviennent promoteurs d’un bistre flux, accentué par un filmage naphtaliné transmuant les décors médiévaux en un ersatz de théâtre dépouillé sinon austère : une scène abstraite et poreuse, métaphore crédible du dilemme du souverain, prête à engloutir en une seconde ces hérauts preux et nomades.
Vampire Princess Miyu : L’effroyable prospection des tréfonds de l’âme
25 Mars 2006

Where The Truth Lies (II) : Coupables et fanés, les délices d’Alison
24 Mars 2006

Where The Truth Lies (I) : De l’autre côté du miroir
23 Mars 2006

Underworld 2 – Evolution : Langage et implosion du corps
22 Mars 2006

Un sentiment surprenant s’installe lors de la projection d’Underworld 2, celui d’une visite syncrétique des entrailles du cinéma d’anticipation et/ou d’action des dernières années. A l’aune des deux premiers opus d’une saga qui devrait en compter trois, l’analogie avec le mythe Matrix devient patente. Ainsi, lors du segment d’ouverture prévalait un environnement gothique et urbain refermé sur lui-même tel un amnios prude ou rassérénant tandis que cette suite décomplexée et immédiate – une véritable continuité s’installe (même style bleuté, acteurs identiques) et nous reprenons exactement là où nous avions quitté les personnages – fait la part belle aux vastes espaces enneigés ouvrant un terrain de jeu pubère à des adolescents impatients d’en découdre avec leur corps devenus

hybrides. La prochaine étape sera peut-être l’ère de l’adulte et de l’apprentissage de la souffrance somatique, même si les jaillissements sanguins sont déjà monnaie courante ici. Suivant cette optique le cinéaste élude naturellement les naïves références à Roméo Et Juliette qui émaillaient le chapitre originel.

Moins qu’un intermède pyrotechnique, iconoclaste ou acrobatique nous assistons à une lente émancipation des corps – désobéissance aux codes et lois de la physique, parricide et narcissisme. A l’instar de Blade 2 l’intrigue bancale d’une race métissée n’est que prétexte à sublimer une enveloppe charnelle monolithique, gainée de latex et d’une stupéfiante souplesse. Cette-dernière – inexpressive (au vu de l’émoi que suscite l’effeuillage éclair de Kate Beckinsale) et hors du flasque flux – se mue dès lors en un pis-aller, une béance insondable qui aspire par ses interstices blafards le continuum du récit. Le film regorge de symboles psychanalytiques – ce sous-monde, parabole lacustre – afférents dont le lieu souterrain trempé du combat final absorbant réellement l’extérieur tout entier et un hélicoptère croisant dans les cieux. Soulignons lors de ces dernières séquences la troublante apparition de l’actrice parée de cuir dans un liquide au symbolisme séminal tendancieux.

Il est tentant d’apposer l’opiniâtre et androgyne Trinity avec la sublime et évanescente Sélène, deux corps clivés au niveau du cou arborant une ardente potentialité sexuelle et qui ne se recomposent que par l’entremise du coït, lorsqu’ils abandonnent le contrôle – la dématérialisation des déplacements participe à ce processus balisé par le combat permanent d’avec diverses animalités ataviques. La dialectique poussive du visage (siège de la parole ampoulée) et des chairs pourfend une métaphysique de pacotille par sa propension à concaténer deux médiums narratifs : chorégraphie agrégeant temps et espace et mots dont le rôle n’est plus de subordonner l’image mais d’y adhérer en la préfigurant, en l’enrobant ou en l’explicitant. Agrégats disparates et diaphanes – comme les jumeaux archétypaux dont le calvaire et placidement éclipsé –, l’incomplétude préside à leurs destinées communes. Elles finissent seules, emmurées mais sans aucune fêlure, résolument décidées à se colleter avec leur inconscient énamouré et les monceaux de pulsions qui l’embarrassent.
Nouvelle Cuisine (III) : Espace cannibale
12 Mars 2006

Ace O Nerae ! (II) : Androgynie, immanence et transcendance du trait
11 Mars 2006

Nouvelle Cuisine (II) : Rectitude et ontologie des êtres-murs
10 Mars 2006

Harry Potter Et La Coupe De Feu : Muqueuses, remparts de l'inconscient
9 Mars 2006

La quatrième année du célébrissime Harry Potter à l’école de magie de Poudlard débute sous de bien lugubres auspices. Entre rêves lancinants mettant en scène le terrible et sanguinaire Lord Voldemort et une participation inattendue au Tournoi des trois sorciers, les épreuves qui l’attendent ont de quoi faire frémir. D’autant que comme à l’accoutumée il subit les pires embûches sans pouvoir les anticiper. Au fur et à mesure des compétitions il contrecarrera les plans des veules sbires de son ennemi juré pour un affrontement final terrifiant.
Nous avions quitté l’univers d’Harry Potter sur une note extrêmement positive. Le troisième opus, Le Prisonnier D’Azkban, affichait une maturité cinématographique convaincante et savourait enfin grâce à de véritables choix visuels – moins de numérique ou simplement mieux intégré – et structuraux ses épanchements extravagants et forclos. La déconvenue est patente devant ce quatrième épisode. Exit les subtiles variations toutes de déférence sur la temporalité – terreur tétanisante d’adolescents voués à être simples témoins d’une histoire sur laquelle ils ne peuvent influer – pour une réalisation terre à terre flanquée d’un déni d’ambitions, se bornant à aligner les symboles exsangues de la planète exogène Potter. La coupe du monde de Quidditch, les personnages secondaires, les banquets égrainant les saisons autant d’éléments supplantés, réduits à des décors morcelés, passage obligé d’un scénario cyanosé par une engeance vidéoludique. Les scènes s’accumulent à en perdre haleine : la routine évanouie ne perdure qu’une progression hasardeuse procédant par appositions ou autres avatars de téléportations.

Un tel harnachement pourrait encore fonctionner si le cinéaste de Quatre Mariages Et Un Enterrement ne déviait pas innocemment vers une comédie traditionnelle britannique en étirant à outrance des séquences anodines plus ou moins bien senties (le bal et ses cours de danse préalables). En contrepartie, le couperet tombe sur des scènes essentielles (mythologie des géants, nouveaux élèves, manifestations rythmant l’année scolaire…) rognant sur chaque parcelle ou scorie de l’intrigue du volumineux roman – pourquoi montrer les autres concurrents notamment dans l’affrontement contre les dragons quand seul Harry importe ? En regard des deux premiers segments pouvant être taxés d’enluminures et de la pénurie de matière qui pouvait les caractériser il était sans doute trop tôt pour se concentrer de manière univoque sur les interactions entre personnages et ne plus se préoccuper de l’arrière-plan réduit alors à une peinture expurgée sinon inconsistante.

Clairement le long métrage s’atèle à la représentation de la perspective (identitaire, sexuelle…). Bien entendu avec le choc final entre Harry et Voldemort manquant singulièrement d’intensité et de noirceur perverse – Ralph Fiennes emprunté aux antipodes de sa composition sidérante de Spider. Mais aussi lors de la séquence du bain avec la spectrale pleureuse qui change en un clin d’œil de point de vue. Enfin par l’image imprégnatrice et mouillée des vitraux. Entraperçues dans les rêves ces visions aux contours incertains stigmatisent une évolution psychiques des adolescents et un flétrissement des nobles aspirations du jeune âge. L’humidité embuant les muqueuses-remparts poursuit en quelque sorte l’introspection de La Chambre Des Secrets ou comment la féminité s’évapore de corps sacrifiés, toujours présentés comme objets de désir, pétrifiés ou embaumés (le test sous-marin avec Hermione et la sœur de Fleur) dans la morbidité d’une jouissance pas (encore) envisageable. On aura beau discourir sur les prouesses mirobolantes du héraut, ses incarnations cinématographiques demeurent sycophantes en soulignant son inaptitude à étancher sa soif charnelle naissante auprès du gynécée alentour.
Nouvelle Cuisine (I) : Surplombs et rapports de force
9 Mars 2006

Nip/Tuck (II) : Hugo et De Palma, résurgences
6 Mars 2006

Nip/Tuck (I) : Entre Body Double et Pulsions
5 Mars 2006

Medium : Amnios syncrétique et morbide
3 Mars 2006

Alors que la première saison de Medium s’achève sur M6 un constat s’impose sur l’unes des meilleures séries de l’année. A l’aune des succès précédents du créateur Glenn Gordon Caron nous augurions le meilleur et les épisodes liminaires du show ne déçoivent pas. Dès le pilote les spécificités de l’auteur apparaissent, entre syncrétisme outrageusement maîtrisé – nous visitons peu ou prou les idées ayant émaillé toutes les productions de la seconde moitié du
vingtième siècle –, approche légère de la métaphysique et déni compulsif de l’emphase. Comme sur les mémorables Clair De Lune et Un Agent Très Secret la mécanique de la narration est entièrement supportée par la rythmique d’un couple. Jadis Maddie et David ou Michael et Morris, aujourd’hui Allison (Patricia Arquette impeccable) et Joe – ou comment Jake Weber retrouve un rôle à sa mesure après celui qu’il interprétât dans Amercian Gothic. Lovées dans un confort domestique les prédispositions à l’humour macabre de l’auteur trouvent un exutoire délicieusement subversif. Il faut voir la réaction de Joe suite à un rêve de son épouse ou lorsqu’il s’aperçoit qu’une de ses filles possède le fameux don de voyance pour s’en convaincre. Le décalage semblant être le maître mot de l’entreprise : l’excellent segment Coming Soon nous en persuade en nous faisant suivre la traque d’un criminel qui ne passera finalement à l’acte que dans une dizaine d’années.

Morbide et parfois sordide la réalisation prône la conscience de la mort, de la date de péremption des existences cathodiques. Aussi, la pierre angulaire du récit ne saurait être qu’intime, pudique voire digressive car seuls comptent les chemins de traverse empruntés par la famille. Le risque avoué – et assumé de manière probante – étant bien évidemment de se délayer, de perdre son identité à force de puiser l’inspiration en dehors de l'amnios – patrimoine génétique féminin, partage des facultés spirituelles et exclusion du mâle cartésien de la relation mystique mère-fille.
Recroquevillée dans les bras de son mari – dans sa condition de génitrice de la matrice dramaturgique –, la fatigue aidant, l’imaginaire du médium se met en branle et, astucieusement, la mise en image des visions d’Allison se fait jouissive grâce à sa capacité idoine à télescoper les références. Contes, dessins, fantasmes historiques viendront soutenir l’évolution piquante d’une jeune femme assoupie, now and again, sur le bas-côté de sa Lost Highway.
Saint Seiya Meikai-hen (II) : Déréliction lénifiante et amère agonie
25 Février 2006

Saint Seiya Meikai-hen (I) : Traité d'allégeance ?
18 Février 2006

Un Ticket Pour L'Espace : Le dindon de la farce
17 Février 2006

Quatre ans après le mitigé Qui A Tué Pamela Rose ? le trio Kad Merad, Olivier Barroux et Eric Latrigau remet le couvert pour un pastiche insolite, astucieux et absurde des grands péplums spatiaux américains (2001, Odyssée De L’Espace, Alien ou L’Etoffe Des Héros pour ne citer que les principaux). L’intrigue contée depuis le futur est simple : en 2005 la sinistrose économique est telle sur le territoire français que pour renforcer le soutien du public à la conquête

spatiale le gouvernement organise une vaste opération de promotion sous forme d’une loterie nationale. Sur les millions de tickets à gratter seuls deux permettront à leurs heureux possesseurs de s’envoler avec des spationautes chevronnés vers une station orbitale. Les deux civils récipiendaires du sésame arrivent sur la base et tandis que le premier, acteur looser et mythomane, pêche à réussir la moindre des épreuves physiques requises, le second, étrangement studieux, semble cacher un lourd fardeau derrière un masque de bon aloi. La mission engagée, il ne tardera pas à se montrer sous un autre jour et prendra en otage la station.

Epuré de tout maniérisme, le long métrage possède un potentiel comique indéniable qui persiste sur la durée – exception faite de l’épisode grotesque et décalé du dindon mutant. Taxé d’arbitraire, de régressif ou de non-sens l’humour communicatif d’Un Ticket Pour L’Espace tient moins à la qualité attenante du chapelet de saynètes débridées ou à une mise en scène impersonnelle et entravée qu’en l’espace cinégénique qui lui est offert. En établissant un parallèle avec RRRrrrr !!! de la truculente troupe de Robins Des Bois (la présence lunaire de Marina Foïs incite aux correspondances), il apparaît que bien que partageant une souche commune l’approche des deux compères diverge intrinsèquement. Si la bande des six trublions adoube la porosité dilettante ou la glose du gag raté pour tendre en un succédané de baroque ambigu – quand les effets affligeants se départissent de leur liminaire bêtise –, la réussite sagace et jubilatoire de Kad & O réside au contraire dans leur témérité et leur foi inébranlable en un tissu scénaristique même interlope. Sorte de tmèse frondeuse enchâssant les plaisanteries dans des lieux cloisonnés (navette spatiale, station orbitale, centre de contrôle) et dans un rythme plein d’allant qui gomment – presque contre leurs volontés – les défauts afférents des sketchs loufoques.

Le symbiote est imparfait sans nul doute mais la prépondérance de la dramaturgie engendre un divertissement pétaradant grâce à des mouvement périodiques de distorsion et distension. La séquence mémorable voyant Pierre-François Martin-Laval et André Dussolier user d’un orgue électronique dont chaque touche correspond à une bribe de phrase d’un tueur en série pour arpéger des réponses crédibles cristallise l’éphémère et fantaisiste équilibre de l’écho – longueur des silences entre accords obligés. Le succès tenace et désarçonnant réside alors dans le décalage compulsif qui sous-tend le long métrage. C’est ainsi avec tendresse que nous sommes témoins du balancement salvateur et stoïque entre musicalité (récit) et trivialité (humour superficiel et parfois désolant) et bien que nous soyons loin de l’élégiaque On The Air de David Lynch (le pilote de la série avec la ritournelle de Betty pendant la cacophonie du direct) la tonalité burlesque et mélancolique des derniers instants ponctue par une touche poétique une partition joviale. Un véritable bol d’air pour la comédie française.
Ace O Nerae ! (I) : Indémodable duo Sugino/Dezaki
15 Février 2006

Tony Takitani : Un film parlé
8 Février 2006

Tony Takitani, aujourd’hui dessinateur industriel, a grandi dans une atone et exquise solitude. Il mène désormais une vie sereine au sein d’une bulle ouatée et solipsiste. Jusqu’au moment où la délicieuse Eiko pourfend le cadre rectiligne de son univers. Ce qui séduit l’homme chez la jeune femme est sa profonde conscience de l’habit qu’elle porte, soit sa conception de la carence de forme des êtres fantomatiques glissant sur le globe terrestre. Désormais Tony appréhende le

manque lancinant de son existence et il entreprend de se déclarer. Après l’avoir d’abord éconduit Eiko finit par accepter le mariage. Le couple pâtit néanmoins du trouble compulsif et croissant de la jeune femme qui l’oblige à acheter des vêtements pour combler le vide qui la ronge.
Film admirable et atypique, Tony Takitani, entreprend d’adapter la nouvelle éponyme du célèbre auteur japonais Haruki Murakami (Les Chroniques De L’Oiseau À Ressort, Kafka Sur Le Rivage, Après Le Tremblement De Terre, Ballade De L’Impossible…). Mais comment procéder pour adapter une écriture aussi ambivalente, faite de rondeurs et de densité, où le réel s’épanche, languide, dans le songe ? Toute la gageure du cinéaste réside dans l’escamotage de la question du concept pour s’engouffrer dans celle, cristalline, du dispositif. Le long métrage – 1h15 seulement pour préserver la fulgurance de l’ensemble – devient ainsi roman mouvant en incarnant chaque fragment du processus de lecture. La voix-off, timide et effacée, épouse les émanations de l’imagination du spectateur d’autant que les personnages prennent parfois la parole pour continuer de dire le texte qu’elle avait commencé à déclamer. L’aspect graphique se focalise lui sur l’épure, absorbant les héros dans le dépouillement des décors comme pour mieux les diluer sur une pellicule décolorée – lumière diffuse estompant imperceptiblement les ombres – tels des idéogrammes austères sur une page vierge et grisâtre. Enfin, la fonction même de mise en scène se plie aux dogmes de l’écrit en privilégiant les travellings en apesanteur de la gauche vers la droite, les cloisons traversées alors sont métaphores des feuilles qui se tournent.

Jun Ichikawa berce la vie monotone de son héros de ce minimalisme au systématisme mortifère. Mêmes lieux (le dressing-room comme bulle amniotique terminale), deux acteurs pour quatre personnages, refus pathologique de l’afféterie et du mouvement d’expansion, autant d’éléments résignés qui distillent une poésie éphémère et éplorée. Une fois la surprise stylistique passée une seconde vague éthérée nous investit (larmes ravivant les enjeux) : outre la structure statique du livre, l’atmosphère et la transfiguration si symptomatiques des récits de Murakami travaillent en creux la narration. A l’aide de quelques ralentis, de fondus au noir judicieusement agencés, l’artiste joue du sentiment sourd de rupture – de rythme, d’osmose, de rites avec la mort d’Eiko. La psychologie de surface des caractères s’esquisse, d’autant qu’en séparant subtilement corps et pieds – plans déchirants et retenus sur les chaussures de luxe de la jeune femme qui stigmatisent sa lente dérive –, ciel et terre, rêve et réalité (à l’instar du final d’Happy Times), les héros deviennent des formes idiomatiques sans point d’ancrage tremblant dans un azur de vacuité.

Tout le paradoxe d’un film qui n’a de cesse de vouloir remplir le néant stratosphérique et immuable qu’il contient – espaces en permanence ouverts par juxtaposition –, afin de se voir conférer une consistance tangible. Pour interpréter pratiquement la totalité de la distribution le réalisateur s’appuie sur le flegme ascétique de Issey Ogata (Yi Yi, Le Soleil…) et la candeur opalescente de Rie Miyazawa. Un choix lumineux qui achève, avec la mélodie aérienne de Ryuichi Sakamoto (respiration éminemment raffinée), d’arpéger une œuvre sublime sur l’isolement et la perte dans laquelle il est délicieux de s’abîmer.
Good Night, And Good Luck : L'Extérieur et l'Horizon sont télévisuels
20 Janvier 2006

Proof : Théâtralité frigide aux relents poussiéreux
6 Janvier 2006

Catherine, une jeune femme instable, doit surmonter la mort de son père avec qui elle vivait. Ce professeur de renom en mathématiques était victime de troubles de l’esprit ayant atrophié très tôt ses spectaculaires aptitudes d’abstraction. Mais le pire reste à venir quand, devant sa sœur médusée, un ancien élève de son géniteur découvre à son domicile la preuve papier d’un révolutionnaire théorème. Quelle attitude adopter pour ses proches interloqués lorsque Catherine déclare en être l’auteur ?

Pourquoi faut-il que le cinéma américain conçoive le génie scientifique et plus précisément de l’algèbre exclusivement dans l’excès ? Les intellectuels névrosés qu’il met en scène sont immanquablement des marginaux hallucinés et pathologiques, inadaptés chroniques hantés par la déchéance de l’esprit (Will Hunting, Un Homme D’Exception…). Proof ne fait pas exception à cette règle mais double la mise en étant habité par deux mathématiciens brillants et déclinants. La maladie dégénérative dont ils souffrent est perfide puisqu’elle fait goûter aux prémices de la recherche, à l’exaltation précoce des nouvelles théories échafaudées avant d’ôter toute faculté à l’innovation en un souffle à peine la vingtaine dépassée. Le sujet de l’objurgation des facultés intellectuelles et de la filiation (talents et maladie intimement liés) est, on le devine, intrinsèquement dramatique mais uniquement s’il est porté par une mise en scène capable.

Or dès les premières minutes le cinéaste s’enferme dans la théâtralité glacée aux relents poussiéreux digne d’une représentation de la pièce dont il s’inspire. Victime du syndrome suffocant du british Closer voici un florilège de visages déformés (Anthony Hopkins cabotine abusivement notamment dans la scène du jardin enneigé), de grimaces honnies (Gwyneth Paltrow se découvre harpie efflanquée et vocifératrice) ou de contrechamps oppressants (la première scène observée par la baie vitrée à l’extérieur de la demeure). Bien entendu la volonté est d’enfermer l’héroïne dans une bâtisse au désespoir feutré, métaphore de son esprit qui se dérobe, dépérit lentement. Mais l’exercice se corse lorsqu’il convient d’agréger l’intrigue psychosomatique intimiste et de rendre à l’écran la pesanteur d’un corps éreinté, appendice récalcitrant de la psyché. S’il reprend la thématique de son comparse anglais sur l’enfer moderne incarné, le film en oublie la circularité inhérente à la bulle rêche des chairs carcérales.

De fait, l’écueil du coït est habilement expédié pour revenir aux grandiloquentes scènes – plombant déjà dans une précédente œuvre de John Madden, Shakespeare In Love – et autres cris geignards. Le grand écart serait habile si la réalisation jouait de l’épanchement lacrymal pour brosser la chaleur submergeant l’exutoire sexuel et éloignant les turpitudes. Puritain et atone, le long métrage élude ce pan du problème et oblitère ainsi toute potentialité pour les acteurs de s’organiser, de s’imbriquer pour enfin d’adhérer à l’image. On pense un temps au fabuleux [Safe] de Todd Haynes mais il faudra attendre les ultimes secondes pour enfin savourer une idée cinématographique tangible, dans la force du couple issant la jeune femme puise la volonté de reprendre son lemme révolutionnaire, elle s’ouvre au monde et le cadre avec elle. Le travelling arrière ouvre l’espace à l’infini. Elle peut enfin respirer, nous aussi.

 

 

 

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La Fille Coupée En Deux
Sinistre supplice du Pygmalion que d’observer le cisèlement d’un joyau convoité.

   

Black Snake Moam
Le cinéaste s’emploie à représenter la torve pénétration du désir dans les chairs éplorées et les cœurs racornis.

   

Loft
L'orfèvre Kurosawa s'ingénie à disséquer les mécaniques - de ruptures - de tous les genres qu'il côtoyât.